Nouvelle provocation des agences de l'eau : tous leurs projets de SDAGE 2022-2027 comprennent des appels à privilégier l'effacement des moulins, étangs, canaux et autres ouvrages hydrauliques de notre pays. C'est un mépris affiché des attentes du gouvernement et du parlement pour une continuité apaisée et sans dogme. C'est un scandale démocratique, puisqu'une poignée de personnes nommées par préfet et donc sans légitimité élective prétend imposer des normes absentes de la loi et dilapider l'argent des contribuables. C'est une aberration scientifique, alors qu'aucune étude ne démontre l'implication des ouvrages dans la pollution des rivières ou dans la non-atteinte des objectifs de la directive cadre sur l'eau. C'est une trahison du combat climatique de la France, alors que les efforts doivent être portés sur l'équipement des ouvrages et la protection de tous les milieux en eau, naturels comme anthropiques. Hydrauxois appelle l'ensemble du mouvement des ouvrages, ses acteurs nationaux comme locaux, à organiser la riposte que cette provocation appelle. Les agences de l'eau doivent mener les objectifs posés par les lois françaises comme par les directives européennes, au lieu de leur échec actuel à le faire et de leur gabegie d'argent public.
A de nombreuses reprises depuis 10 ans, les parlementaires ont signifié leur attachement au patrimoine hydraulique des rivières françaises. Ils ont modifié plusieurs fois la loi (en 2016, en 2017) pour que la destruction des moulins, des étangs, des centrales hydro-électriques et autres ouvrages ne soient pas la solution retenue par les gestionnaires publics de l'eau. Par ailleurs, ils ont inscrit en 2019 dans la loi l'urgence écologique et la nécessité d'intégrer la petite hydro-électricité dans la lutte contre le changement climatique.
Après le rapport critique du CGEDD sur la mise en oeuvre de la continuité écologique, le gouvernement a adopté pour sa part un plan pour une politique apaisée de continuité écologique. Ce plan spécifie dans une note notamment adressée aux préfets de bassin et aux DREAL de bassin (donc in fine aux représentants de l'Etat dans les agences de l'eau) : "De nombreuses solutions sont possibles pour restaurer la continuité écologique, et la multiplicité des enjeux doit être prise en compte lors du diagnostic initial. Il n’existe aucune solution de principe. Parce que chaque situation est différente (type de cours d’eau, espèces concernées, usages, qualité de l’eau, qualité du patrimoine, partenaires, disponibilités financières), plusieurs scénarios devront faire l’objet d’une analyse avantages-inconvénients afin de dégager la solution présentant le meilleur compromis."
Les agences de l'eau viennent de présenter en ce mois de mars les 6 projets de SDAGE 2022-2027 en consultation publique. En parfait mépris des attentes du parlement et du gouvernement, ces textes refusent d'admettre qu'il n'existe aucune solution de principe et comportent tous, à des degrés plus ou moins graves, des appels à prioriser la destruction des ouvrages hydrauliques.
Les extraits ci-après montrent la programmation par les agences de l'eau de la destruction prioritaire des ouvrages.
"Partout où cela est techniquement et économiquement réalisable, en prenant en compte l'ensemble des enjeux locaux, la suppression ou l'arasement des obstacles, notamment des ouvrages sans usage, est privilégié."
"Les solutions visant le rétablissement de la continuité longitudinale, et en vue de diminuer le taux d'étagement des cours d’eau, s’efforcent de privilégier, dans l'ordre de priorité suivant : l’effacement, le contournement de l’ouvrage (bras de dérivation…) ou l’ouverture des ouvrages par rapport à la construction de passes à poissons après étude. Pour les ouvrages à l'abandon, pour les ouvrages sans usage, l'effacement est donc privilégié."
"La solution d’effacement total des ouvrages transversaux est, dans la plupart des cas, la plus efficace et la plus durable, car elle garantit la transparence migratoire pour toutes les espèces, la pérennité des résultats, ainsi que la récupération d’habitats fonctionnels et d’écoulements libres ; elle doit donc être privilégiée."
"Pour les ouvrages existants et sans usage reconnu par l’administration, l’option d’effacement total sera privilégiée dès lors que l’étude préalable aura démontré la faisabilité technique, économique et réglementaire de cette solution."
"Aucune solution technique, qu’il s’agisse de dérasement, d’arasement, d’équipement ou de gestion de l’ouvrage, ne doit être écartée a priori. La question de l'effacement constitue une priorité dans les cas d'ouvrages n'ayant plus de fonction ou d'usage, ou lorsque l'absence d'entretien conduit à constater légalement l’abandon de l’usage."
Les maîtres d’ouvrages d’opération de restauration de la continuité écologique, de manière à atteindre les objectifs de réduction du taux d’étagement et de gain de linéaire accessible, s’attachent à privilégier les solutions, dans l’ordre de priorité suivant :
- l’effacement, notamment pour les ouvrages transversaux abandonnés ou sans usages avérés ; c’est en effet le seul moyen permettant de rétablir vraiment la continuité écologique et la pente naturelle du cours d’eau ;
- l’arasement partiel d’ouvrage et l’aménagement d’ouvertures, de petits seuils de substitution franchissables par conception ;(...)
Cette nouvelle provocation des agences de l'eau pose des problèmes graves.
Dégradation et sous-information des politiques publiques : les agences de l'eau ont des résultats plus que médiocres sur leur obligation d'assurer les objectifs de la directive cadre européenne sur l'eau, dont l'échéance est en 2027. Elles continuent de propager dans les SDAGE des affirmations simplistes sur la qualité de l'eau qui ne mobilisent aucun modèle scientifique d'évaluation des causes de détérioration de cette qualité. Quand de tels modèles sont utilisés par les chercheurs, ils ne trouvent en aucun cas la primo-responsabilité des ouvrages dans les mauvais scores de la DCE. Une abondante littérature scientifique montre que les ouvrages procurent des services écosystémiques et que l'opposition milieu naturel - milieu artificiel ne peut être un critère efficace en écologie. Les agences de l'eau prennent des décisions sur des milieux qu'elles n'étudient même pas sérieusement, voire qu'elles ont fait disparaître de leur nomenclature administrative.
Trahison des engagements climatiques de la France : en appelant à détruire les ouvrages en place et en mettant le maximum d'obstacles à la production hydro-électrique, les agences de l'eau s'engagent désormais contre les objectifs carbone de notre pays. La recherche a montré que des dizaines de milliers d'ouvrages hydrauliques peuvent être équipés et apporter une contribution significative à la décarbonation urgente de l'énergie française. Les agences de l'eau aggravent le bilan carbone du pays et ouvrent la possibilité d'un contentieux à ce titre, pour carence fautive et préjudice, motif pour lequel le gouvernement français a déjà été condamné.
Poursuite de la conflictualité sociale sur les rivières : en prenant position en faveur de la destruction préférentielle des ouvrages, ce qui se retrouvera ensuite dans les financements des programmes d'intervention, les agences de l'eau enterrent l'idée de continuité apaisée avec les propriétaires et riverains des ouvrages. Tous les acteurs (dont les agences de l'eau au premier chef) savent très bien que le problème vient du manque de financement des passes à poissons, rivières de contournement et autres solutions non destructrices. C'est donc un mépris affiché des citoyens attachés à leur cadre de vie, l'impossibilité pour les syndicats de rivière d'avoir des budgets qui correspondent aux attentes des habitants, non aux diktats des technocraties.
Absence de légitimité démocratique : les membres des comités de bassin sont nommés par le préfet, et non pas élus. Ils sont très peu nombreux (quelques dizaines) par rapport à la taille et à la diversité des territoires concernés (des milliers de ruisseaux, rivières, plans d'eau). Les associations de riverains, de moulins, d'étangs et plans d'eau, de protection du paysage et patrimoine historique sont exclues de ces comités de bassin. Elles ne sont pas invitées à co-construire en amont des décisions les normes sur les ouvrages, alors qu'elles sont les premières concernées. Les agences de l'eau n'ont donc aucune légitimité démocratique à adopter des normes et des subventions qui dérogent à ce que dit la loi, à ce que demande le parlement et à ce que rappelle le gouvernement. Des chercheurs ont dénoncé la dérive autoritaire dans la gestion de l'eau.
Le temps de la riposte
Il fut peut-être une époque où les dominants pensaient que leurs mots ne prêteraient pas à conséquence, que les citoyens n'y prendraient pas garde, que leur responsabilité ne serait pas engagée. Cette époque n'est plus. Le choix des agences de l'eau est une nouvelle agression contre les ouvrages hydrauliques, contre les rivières, retenues, canaux, plans d'eau et contre leurs riverains. Elle a pour circonstance aggravante qu'elle est commise en toute connaissance de cause, alors que les élus du pays ne veulent notoirement plus de ces gabegies et de ces diversions de l'essentiel.
Nous appelons donc l'ensemble du mouvement des ouvrages hydrauliques à se concerter et à nous accompagner pour mener les actions suivantes au cours des prochains mois:
- saisine commune du premier ministre, de la ministre de l'écologie, du comité national de l'eau et des préfets de bassin afin de faire constater et cesser la dérive des agences de l'eau;
- demande aux parlementaires, qui votent le budget des agences de l'eau dans le cadre de la loi de finances publiques, de procéder à un contrôle de normativité des décisions des agences par rapport aux textes de loi;
- en cas d'absence d'effet de cette saisine et de refus de retrait des dispositions litigieuses, préparation d'une requête en contentieux contre le ministère de l'écologie et contre les SDAGE pour carence fautive dans la lutte contre le changement climatique, préjudice aux citoyens, mise en danger de la ressource en eau, organisation illégale de l'inégalité des citoyens devant les charges publiques ;
- enfin au cas par cas et sur les milliers d'ouvrages concernés, préparation d'une procédure standardisée de plainte pour tout refus d'une préfecture et d'une agence de l'eau de financer les solutions constructives au même niveau que les solutions de destruction.
Incapables de cibler les causes de dégradation des rivières, les agences de bassin veulent détruire le patrimoine hydraulique du pays et les conditions d'une gestion durable de l'eau : nous ne les laisserons plus faire.
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