L'ONG de conservation WWF vient de publier une brochure sur la continuité des rivières en Europe, visant à inspirer la stratégie européenne de biodiversité 2030. On peut tirer deux enseignements de sa lecture. D'une part, les mesures proposées concernent vingt fois moins d'ouvrages hydrauliques en France que ceux classés par l'administration en 2012-2013, ce qui dit assez le caractère irréaliste de la continuité écologique à la française. D'autre part et plus gravement, le lobby de la nature sauvage exige désormais la destruction pure et simple des ouvrages des rivières européennes, y compris toutes les centrales hydro-électriques sous le seuil (arbitraire) de 10 MW. Alors que l'Europe ne sait toujours pas comment réussir son objectif zéro carbone 2050, alors que la préservation d'eau dans les lits et les bassins est incertaine avec le réchauffement climatique, alors que les approches destructrices de la continuité des rivières créent des conflits sociaux partout, cette position du WWF est extrémiste et indigne d'une association aussi reconnue. Il faut désormais exiger de nos élus que les politiques publiques se détachent de ces vues radicales et en dénoncent les excès.
En 2020, le projet AMBER (financé par l'UE) a estimé qu'il existe plus de 600 000 ouvrages sur les rivières européennes, suggérant que leur nombre total pourrait être de l'ordre du million. Nous avions recensé la publication résultante, parue dans la revue Nature (Belletti et al 2020).
Dans le même temps, l'Europe a adopté une stratégie pour la biodiversité 2030, texte non contraignant, proposant notamment de restaurer la continuité fluviale sur environ 30 000 km de cours d'eau à échelle de l'Union. A titre de comparaison, le classement 2012-2013 de continuité écologique des seules rivières françaises, théoriquement réalisable en 5 ans seulement, concernait 46 600 km de cours d'eau pour notre pays. Cela permet de comprendre la dimension irréaliste des choix de l'administration française et des lobbies qui l'ont inspirée...
Le WWF vient de publier une brochure qui, s'inspirant des travaux AMBER et de la stratégie européenne 2030, propose de hiérarchiser les ouvrages à traiter. Le choix du WWF se fait selon le plus grand linéaire gagné, en commençant par les cours d'eau de taille grande à moyenne, qui sont notamment les axes d'entrée des poissons migrateurs.
Dans ce travail, le WWF conclut pour la France à 103 ouvrages à haut effet de reconnexion, 832 ouvrages à bon effet, 981 ouvrages à effet modéré. Le classement français de 2012-2013 concerne quant à lui... 20600 ouvrages. Donc 20 fois plus que les chantiers à effet notable selon le WWF. Là encore, on comprend l'absence de mesure dont ont fait preuve les fonctionnaires français de l'eau et de la biodiversité!
Concernant les choix à faire, le WWF est clair. Nous citons la brochure :
"La restauration des rivières à écoulement libre nécessite l'élimination complète des obstacles physiques longitudinaux. L'équipement d'un obstacle avec une passe à poissons ne doit en aucun cas être considéré comme suffisant pour rétablir la connectivité. (...)Si l'élimination des obstacles est une étape importante vers la restauration des rivières à écoulement libre, elle nécessite également une action concertée pour éviter la construction de nouveaux obstacles."
En particulier, le WWF considère que toutes les centrales hydro-électriques de moins de 10MW peuvent être détruites (elles sont exclues de son modèle au-dessus de cette puissance). La brochure donne d'ailleurs des exemples, où l'ONG environnementaliste appelle les autorités à ne pas renouveler les concessions et à détruire les barrages. Mais c'est aussi vrai pour les autres usages des ouvrages, par exemple la navigation et la régulation si l'on parle des grandes rivières.
Le message se clarifie peu à peu : le WWF et les groupes de pression favorables au retour de la nature sauvage ont un programme de destruction systématique de la plupart des ouvrages en rivière. Alors que les passes à poissons et la dépollution des eaux montrent le retour de poissons migrateurs, sans avoir à tout casser et à nuire aux autres dimensions des rivières aménagées, ces lobbies travaillent les bureaucraties nationales et européennes de l'environnement pour mener à bien leur projet radical. Ils sont indifférents aux usages associés aux ouvrages, en particulier à leur rôle dans la transition énergétique visant une Europe zéro carbone en 2050. Déjà en France, le WWF s'est associé au lobby des pêcheurs de saumon pour obtenir la destruction des lacs et barrages EDF de la Sélune, cela pour 50 millions d'euros d'argent public payés de la poche des contribuables.
Il est temps d'alerter les élus sur la dérive de ce programme extrémiste, pour exiger qu'il cesse d'inspirer les politiques publiques en France et en Europe. Il est consternant de voir l'idéologie du sauvage et du mépris des usages humains de l'eau transformer cette fraction de l'écologie militante en caricature d'elle-même. Ces appels à détruire les sites énergétiques sont par ailleurs aux antipodes de l'urgence climatique. L'Etat français a déjà été condamné pour son action suffisante sur la décarbonation de l'énergie : faudra-t-il demain traîner devant les tribunaux les ONG inconscientes qui appellent à détruire les outils de production bas-carbone?
Source : WWF (2021), The potential of barrier removal to reconnect Europe’s rivers, 21 p.
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Il faut comparer ce qui est comparable. Le WWF publie une étude, la loi française impose une norme.
RépondreSupprimerLa définition des ouvrages du ROE est beaucoup plus large que celles des ouvrages considérés par l’étude du WWF (par exemple les seuil de moins de 0,5 m de haut sont comptabilisés dans le ROE, les seuils et barrages des ouvrages hydroélectriques sont comptabilisés dans le ROE quelle que soit leur hauteur et la puissance électrique qui leur est attachée…).
Votre comparaison de 103 + 823+ 981 ouvrages « à effacer » du WWF soit 1907 ouvrages aux 20.600 existants sur les tronçons classés en liste 2 d’après le ROE n'est donc pas fondée.
Par ailleurs si le WWF suggère l’effacement de ces ouvrages, la loi française n’exige en rien la destruction systématique des seuils en liste 2 (vous le rappelez si souvent qu’on a peine à comprendre pourquoi vous ne faites plus ici la différence).
Ce qui est par contre tout à fait exact c’est la nécessité d’effacer tous ceux qui peuvent l’être et c’est cela que vient rappeler cette publication du WWF avec des arguments connus de tous.
Les linéaires de cours d’eau considérés par le WWF sont différents de vos 46.000 km attribués aux tronçons classés en liste 2. Cette valeur est issue de la base de données CARTHAGE qui, à ma connaissance n’a pas de limite en ce qui concerne le Rang de Strahler alors que les 30.000 km européens du WWF éliminent les cours d’eau de rangs de Strahler 1 et 2 (les plus petits cours d’eau de tête de bassin). Vos lecteurs seront intéressés de savoir que, sur le bassin de la Loire par exemple, les cours d’eau de rangs 1 et 2 représentent 77% du linéaire. C’est à dire que les 30.000 km du WWF représente en fait un linéaire libéré de peut-être 100.000 à 200.000 km !
Sur un autre registre, vous affirmez que l’effacement des ouvrages de la Sélune est payé par les contribuables. Les redevances aux agences de l’eau sont réglées non pas par les contribuables mais par tous les usagers de l’eau dans un même bassin hydrographique (industriels agriculteurs, artisans compris) aux nombres desquels les riverains et les propriétaires de moulins et de seuils sont absents… ce point a été soulevé par le rapport du CGEDD André Brandeis et Dominique Michel dont vous ne citez toujours que les conclusions qui vous arrangent.
- L'administration française (ne pas confondre avec la loi) a imposé par classement réglementaire le traitement de continuité de 20 K ouvrages et 46 000 km de cours d'eau en 5 ans, quand l'union européenne suggère (sans imposer) le traitement de 30 000 km de cours d'eau, et le WWF avec l'UE. Tout le monde comprend que ce classement a été un délire. La loi donnait 5 ans donc il fallait pour l'administration classer ce qu'on peut traiter en 5 ans, 1000 ouvrages grand maximum. D'ailleurs, le mythe de la continuité "apaisée" est une tentative désespérée de revenir à moins d'ouvrages (en priorisant)... sauf que ce n'est plus légal du tout (la loi n'a pas changé sur le principe du couple classement-délai), on espère bien que le conseil d'Etat va le reconnaître dans le contentieux que nous avons ouvert.
Supprimer- Notre article concerne deux point différents (relisez le), d'une part la comparaison entre ce que demande le WWF / l'UE et l'administration française (on voit que la seconde est extrémiste dans ses ambitions), d'autre part le jugement sur la position propre du WWF (on voit que ce lobby du sauvage est à désigner comme adversaire tant qu'il restera sur ces positions naturalistes anti-humanistes).
- Le WWF est cependant moins absurde que l'Etat français dans le choix de ses classements, une politique des grands migrateurs (premier motif de biodiversité de la continuité en long) commence par les grands axes et par l'aval. De nombreux travaux scientifiques recensés sur notre site ont déjà pointé la nécessité de faire des modèles sérieux de coût-efficacité, pas le grand n'importe quoi français. Vous savez pourquoi on a classé en liste 2 des tas de ruisseaux et petites rivières fort loin de la mer? Parce que le lobby des pêcheurs de truites et ses bons amis de l'ONEMA voulait faire joujou dans leur coin à optimiser leur loisir en tête de bassin.
- Taxe, redevance, impôts, cotisation... soit pour le cours de droit fiscal, mais le sens est compris, on parle d'argent public qui est prélevé de manière obligatoire sur tout usage de l'eau. Techniquement, l'Etat est libre de fixer les contributions financières des agences depuis un certain temps (cf diverses ponctions ces dernières années pour "boucher les trous" et pour payer l'OFB). Donc le statut exact de ce système fait partie des mystères français, où le pouvoir central ne peut s'empêcher de ponctionner le maximum et de créer de manière ad hoc des constructions assez hybrides à cette fin. Lire par exemple sur l'évolution du modèle des agences : https://www.cairn.info/revue-responsabilite-et-environnement-2017-3-page-114.htm
La DCE dans sa référence à la continuité ne fait pas de différence entre grand migrateurs "amphihalins" et migrateurs "en eau douce" ...pourquoi voulez vous que l'application à la France de la DCE fasse cette différence ? Par ailleurs j'ai bien lu votre prose où vous comparez des nombres de kilomètres de cours d'eau qui ne sont pas définis de la même façon et des nombres d'équipements ciblés qui différent dans leur définition : relisez le rapport du WWF. Il est donc normal que vous arriviez à des chiffres différents et facilement explicables sans en référer perpétuellement à je ne sais quel complot des pêcheurs de truites. De toute façon vous avez pulvérisé toutes les limites du ridicule lorsque vous attribuez l'arrêt des investissements hydroélectriques en France aux pêcheurs...qui sont les seuls usagers non économiques de l'eau a payer une redevance aux agences de l'eau au contraire des propriétaires de moulins...
RépondreSupprimerPourquoi vous ramenez à la DCE alors que la stratégie européenne de biodiversité n'est pas le même texte? La DCE fait une seule mention de la connectivité dans une annexe. Contre 50+ mentions de la pollution, où la France doit rendre des comptes difficiles, comme vous le savez.
SupprimerQuand au "ridicule", il suffit de relire l'article concerné et de comparer avec votre résumé pour comprendre où il se situe.
Nota : le commentaire anonyme sert à énoncer à des critiques constructives, pas du flan.
Dans le bassin Rhône Méditerranée (et contrairement à ce que vous dites) les eaux superficielles sont en bon état chimique à plus de 90%. Ce qui bloque l'atteinte du bon état pour plus de 50% des cours d'eau c'est leur artificialisation et celle de la morphologie des lit, les prélèvement excessifs, les éclusées, et les obstacles à la continuité (source "état des lieux 2019" en ligne sur le site de l'agence de l'eau Rhone Méditerranée Corse https://www.rhone-mediterranee.eaufrance.fr/sites/sierm/files/content/2020-02/EdL2019_PDF_Vdef_0.pdf)
SupprimerLes états des lieux des SDAGE n'ont aucune méthodologie (donc aucune valeur) scientifique pour ce qui est de l'attribution des causes de dégradation des états écologiques tels que mesurés par la DCE. Nous avons demandé aux 6 agences de nous transmettre leur modèle multivarié d'analyse des masses d'eau: rien. Ce sont juste des alignements de données de rapportage et des recueils d'avis locaux, alors que la recherche appliquée en France dispose de modèles qui cherchent réellement à détecter des causalités. Mais les agences de l'eau ne les ont pas adoptés.
SupprimerSinon grande surprise : les cours d'eau artificialisés n'ont pas le même peuplement ni le même écoulement que les cours d'eau dit "naturels", c'est-à-dire très peu artificialisés en lit mineur et majeur. Bravo pour cette découverte. C'est la raison pour laquelle l'Union européenne a prévu dans la DCE les catégories "masses d'eau artificielles" et "masses d'eau fortement modifiées", mais la France n'a pas jugé bon y recourir contre l'évidence scientifique de l'artificialisation et de la modification historiques de ses fleuves et rivières. Une étude menée par l'Observatoire de la biodiversité a conclu en 2019 que seuls 8,4% du linéaire des cours d'eau français est en état dit de "naturalité forte", avec peu de modification historique par les humains. Donc il faudrait arrêter de délirer à rechercher 100 % des masses d'eau dans un état hydrologique, biologique, physique et chimique tel que sont seulement 8% des masses d'eau où il n'y a jamais eu d'humains, ou alors une disparition des rares humains depuis la déprise rurale d'il y a un siècle. A notre connaissance, on prévoit toujours une hausse démographique en France dans le siècle à venir et pas de retour du PIB au niveau de 1800!
Certains ouvrages sont très anciens. Depuis plusieurs siècles, un nouvel équilibre écologique existe. On vient de rétablir la continuité écologique sur l'Arc pour les anguilles. Mais on s'arrête à Aix en Provence. Au delà vit l’écrevisse à patte blanche, espèce préservée, et un met idéal pour les anguilles. Un bel exemple démontrant que la continuité pour la continuité peut être au détriment de la nature.
RépondreSupprimerArrêtons les oukases technocratiques, et regardons la réalité. L'homme a fait suffisamment de dégâts dans un sens, évitons d'en rajouter dans l'autre.
Les rencontres entre anguilles et écrevisses à pattes blanches, deux espèces menacées, sur l'Arc provencal comme ailleurs en France, sont aujourd'hui malheureusement impossibles vue les effectifs et les habitats des deux espèces. Sur l'Arc, l'ouvrage le plus en amont dont la franchissabilité par l'anguille est étudiée se situe à Pourrières (et non à Aix en Provence) et l'unique station d'écrevisses à pattes blanches du bassin de l'Arc se situe dans les têtes du bassin du Bayon dans la Sainte Victoire. La zone d'action prioritaire pour l'anguille n'est certainement pas limitée par la présence des écrevisses à pattes blanches. Encore un bobard de plus pour crédibiliser le complot de la restauration de la continuité.
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