Les seuils, déversoirs, chaussées et autres petits ouvrages de rivières affectent-ils le transport des sédiments? Pas vraiment, répond une nouvelle étude de chercheurs européens ayant mesuré le transport réel des matériaux grossiers du lit de la rivière au-dessus d'un ouvrage à différents débits. Ce travail confirme d'autres analyses qui invalident l'idée d'une discontinuité sédimentaire notable liée aux petits barrages. Les scientifiques confirment ainsi ce que disaient les riverains de longue date : les sédiments de toute taille se retrouvent à l'amont comme à l'aval des ouvrages de moulins, étangs et autres sites modestes, les crues les plus importantes donnant lieu à des déplacements de matériaux grossiers au-dessus des crêtes, ou par voie latérale parfois. Dommage qu'en la matière, la France et l'Europe prennent des règlementations avant, et non après, le travail complet des scientifiques...
Casserly M. Colm et ses collègues ont étudié un déversoir situé sur une section de la rivière Boro, un cours d'eau de troisième ordre de Strahler à lit grossier, affluent de la rivière Slaney, dans le sud-est de l'Irlande. S'élevant au pied de la montagne Blackstairs dans le comté de Wexford, le Boro draine une superficie de 8,2 km2 au niveau du déversoir d'étude. L'ouvrage a une hauteur de 1,3 m, cf photo ci-dessus.
Voici le résumé de travaux exposant la méthodologie et les principales conclusions :
"Le transport de sédiments grossiers dans les systèmes fluviaux joue un rôle important dans la détermination de l'habitat physique dans les cours d'eau, du potentiel de frai et de la structure de la communauté benthique. Cependant, malgré plus d'une décennie de pression en Europe pour rétablir la continuité des cours d'eau en vertu de la directive-cadre sur l'eau (DCE), il y a eu relativement peu d'études empiriques sur la façon dont les structures au fil de l'eau de basse chute (les déversoirs) perturbent le processus et dynamique du transport de charriage.
Dans cette étude, nous présentons une enquête sur la façon dont les sédiments grossiers sont transférés à travers un barrage à basse chute via la surveillance en temps réel du transport de charriage sur un déversoir dans le sud-est de l'Irlande. Les valeurs de débit critiques pour l'entraînement des particules sur la structure ont été dérivées de l'utilisation novatrice d'une antenne RFID fixe, associée à un enregistrement continu des niveaux d'eau et des sédiments capturés en aval à l'aide de pièges à sédiments de type fosse. L'antenne RFID fixe a été installée le long d'une crête de déversoir en utilisant à la fois des configurations "dessous" et "dessus" comme moyen de détecter le moment où les traceurs de charriage se sont déplacés au-dessus de la crête du barrage.
Les résultats montrent que 10 % des traceurs déployés en amont ont été détectés passant par-dessus le seuil, tandis que 15 % supplémentaires non détectés ont été récupérés en aval. ces résultats indiquent que des matériaux de charriage en amont aussi gros que le D70 (90 mm) peuvent se déplacer sur la structure lors de crues peu fréquentes. Cependant, des recherches approfondies de la zone ensemencée en amont du barrage suggèrent également que jusqu'à 43 % du nombre total peuvent être passés en aval, ce qui indique que les traceurs se sont déplacés sur le déversoir après que l'antenne a été endommagée lors d'un événement de fort débit, ou ont été manqué en raison de la vitesse des particules ou de la collision du signal. De plus, 30 des traceurs restés en amont se sont avérés soit avoir été enfouis en raison de l'afflux ultérieur de sédiments entrant dans le réservoir, soit avoir été remobilisés à travers le matériau de surface. Les valeurs de débit critiques indiquent des modèles de transport sélectifs par taille ainsi qu'une forte corrélation entre le débit de pointe de l'événement et la charge de fond totale capturée en aval.
Ces résultats fournissent davantage de preuves que les structures à faible chute peuvent éventuellement adopter une morphologie qui permet le stockage intermittent et l'exportation ultérieure de la charge de fond d'un chenal en aval, comme l'ont supposé d'autres auteurs. Sur la base de ces résultats et de ceux d'autres études de terrain récentes, nous présentons un ensemble de modèles schématiques possibles qui offrent une base pour comprendre les façons uniques dont les barrages de basse chute peuvent continuer à perturber le transport des sédiments longtemps après avoir atteint leur capacité de stockage fonctionnelle. Les limites de l'utilisation d'une antenne RFID stationnaire et les recommandations possibles pour de futures études sont discutées."
Ce graphique montre la relation observée entre le diamètre des sédiments (abscisses) et le débit critique de transport pour passer au-dessus du seuil (ordonnées).
Discussion
Des études récentes ont fourni des preuves directes que les ouvrages à faible chute n'agissent pas comme des barrières complètes au transport de sédiments grossiers, des fractions granulométriques jusqu'à la médiane pouvant être transportées en aval (Casserly et al 2020; Peeters et al 2020; Magilligan et al 2021). Il y a donc eu, en ce domaine comme en bien d'autres, un abus de certains gestionnaires des rivières ayant prétendu que les ouvrages présentaient de graves problèmes pour l'équilibre sédimentaire des rivières.
La continuité sédimentaire peut être un sujet pour des fleuves fragmentés par de grands barrages infranchissables et à forts volumes de réservoir, mais ce n'en est pas un pour les moulins, étangs, plans d'eau et autres ouvrages modestes. Dans ce dernier cas, les périodes de haut débit conservent au cours de l'année une capacité de transport sédimentaire vers l'aval. Il faut donc cesser d'inventer des problèmes là où ils sont inexistants.
Référence : Colm M. et al (2021), Coarse sediment dynamics and low-head dams: Monitoring instantaneous bedload transport using a stationary RFID antenna, Journal of Environmental Management, 300, 113671
Bonjour, je vous remercie pour le lien vers cet article. En tant qu'agent de l’État, votre site me permet une veille scientifique riche et diversifiée... ce que ne permet pas du tout notre organisation interne à l'échelle nationale. Un comble! Donc, c'est un sincère remerciement, teinté d'un sentiment de gêne car on devrait pouvoir compter sur nos propres ressources pour nuancer et complexifier notre compréhension des rivières...
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