La FFAM vient de mettre en ligne un film remarquable consacré à la destruction aberrante du patrimoine des moulins à eau en France. Ce documentaire rappelle notamment les évolutions de la loi et montre le consensus large des parlementaires pour refuser les visions intégristes du retour à la nature sauvage et de la répression indistincte d'usages ancestraux de l'eau – visions qui ont hélas ! dévoyé les esprits de certaines administrations dans les années 2010. Nous demandons à tous nos lecteurs de diffuser ce film auprès des citoyens, des élus locaux, des personnels administratifs ainsi que des parlementaires et candidats qui vont bientôt s'engager dans une élection législative. Il ne s'agit pas pour le mouvement des ouvrages hydrauliques de se limiter à la réécriture de tel ou tel article technique du code de l'environnement, mais bien de traiter désormais les erreurs à la racine pour éviter qu'elles ne se reproduisent demain. Nous devons nous engager avec le plus grand nombre de citoyens à la défense d'une vision équilibrée et durable de la rivière, de ses héritages et de ses usages. Une vision où la nature a bien sûr sa place, mais aussi bien la culture, l'histoire, l'économie et la société. Construire ensemble, et non pas détruire pour quelques-uns.
21/12/2021
16/12/2021
Le ministère de l'écologie est-il en train d'organiser sciemment un contournement massif de la loi?
La loi climat et résilience de l'été 2021 interdit la destruction de l'usage actuel et potentiel des ouvrages hydrauliques, en particulier des moulins à eau. Mais selon nos informations, les services du ministère de l'écologie sont en train d'organiser sciemment un contournement de cette loi par une interprétation totalement fantaisiste de la situation juridique. Leur but : continuer à casser malgré le refus explicite de cette solution par les représentants du peuple français.
A en croire des témoignages concordants, les services eau et biodiversité de l'Etat organisent des séminaires où il est expliqué aux agents publics que des projets de destruction de moulin validés par arrêté préfectoral avant la loi Climat et résilience du 22 août 2021 seront menés à leur terme, c'est-à-dire à la disparition de l'ouvrage hydraulique concerné.
Cette position est évidemment fantaisiste au plan du droit. En effet, dans la hiérarchie des normes, les règlements (dont les arrêtés préfectoraux) sont inférieures à la loi et un changement de la loi doit impliquer une adaptation des règlements antérieurs dans le cas où ils sont devenus illégaux. Une récente jurisprudence du conseil d'Etat a renforcé ce principe, permettant au justiciable de demander au juge administratif l'annulation pure et simple des actes antérieurs au cours de la procédure contentieuse.
Par ailleurs, il existe un principe général du droit, qui est même le premier article de notre code civil : la loi entre en vigueur au moment où elle publiée et s'applique immédiatement à toutes les situations où elle est pertinente.
La seule exception à ce principe est lorsque la loi a besoin d'un décret d'exécution qui en fixe les modalités techniques. Par exemple, une loi précise qu'il y aura des quantités maximales de prélèvements d'espèces et renvoie à un décret futur précisant ces quantités. En ce cas, la loi n'est opposable qu'avec son décret, car le citoyen ne peut respecter l'une sans l'autre.
Mais ici, nous ne sommes pas du tout dans ce cas de figure. L'article 49 de la loi du 22 août 2021 pose un interdit de destruction qui n'a nul besoin d'un décret d'interprétation, puisque la loi est précise et claire dans son esprit comme dans sa lettre. L'intégrité d'un ouvrage ne peut être compromise par une solution de continuité écologique en rivière classée à cette fin et pour le seul motif de ce classement. Le pinaillage sémantique selon lequel un "effacement" ou un "arasement" ne serait pas une destruction ne tiendra jamais devant un juge. La loi demande également de conserver l'usage actuel et potentiel de tous les ouvrages, notamment la production d'énergie. Là encore, nul besoin d'expliquer le fait trivial que la disparition de l'ouvrage implique celle de ses usages, donc contrevient à la loi.
Nous appelons les associations à exposer cela aux préfectures et à préparer avec leurs avocats des référés suspension de chantiers dans les cas où les préfectures voudraient ignorer la loi lorsque les travaux en rivières vont reprendre à l'étiage 2022. D'ores et déjà, les associations peuvent rechercher les arrêtés préfectoraux de destruction illégale, pour demander leur annulation.
Nous appelons également les agents publics de l'Etat à nous faire parvenir les éléments matériels démontrant que leur administration est en train d'organiser sciemment ce contournement de la loi. Ces pièces nous permettraient d'engager une plainte en justice contre les instigateurs de ce délit, et contre leur ministre de tutelle.
08/12/2021
D'eau et de feu, comment l'énergie hydraulique industrialisa la France (Benoit 2020)
Dans un ouvrage dense et érudit, l'historien Serge Benoit montre que l'industrialisation de la France dans la période 1750-1880 fut largement fondée sur l'exploitation de l'énergie mécanique de l'eau et et l'énergie thermique du charbon de bois. Ces énergies renouvelables classiques ont su alors montrer la "modernité de la tradition" issue de la période médiévale. Une réflexion qui nourrit les débats actuels, puisque la fin du fossile conduit chaque territoire à exploiter ses sources naturelles d'énergie.
Serge Benoit, normalien, maître de conférences à l’université d’Evry à la retraite, a mené pendent 40 ans un travail prodigieux d'érudition permettant de renouveler l’histoire des techniques en France. Son nom connu des spécialistes est sans doute familier à un public un peu plus large chez les amoureux du patrimoine industriel de Bourgogne, où Serge Benoit a accompagné la revalorisation patrimoniale des forges de Buffon et plus généralement de la métallurgie cote-dorienne (Chatillon-sur-Seine, Vanvey, Chenecières, Saint-Colombes, etc.). Hélas, son grand projet d'un musée du fer et de l'eau en Bourgogne n'a pas encore vu le jour.
Les textes rassemblés dans ce livre, à l’initiative de Stéphane Blond et Nicolas Hatzfeld, alternent des considérations générales sur les transitions énergétiques dans la phase d'industrialisation de la France et des monographies érudites sur ces transitions en Bourgogne, en Normandie et dans l'Est de la France. Serge Benoit montre qu'à rebours des "fresques simplificatrices" faisant coïncider la modernité avec la houille et la vapeur diffusant depuis l'Angleterre, il exista en France une "modernité de la tradition" observable dans la place que l’hydraulique et le charbon de bois ont conservée jusque vers les années 1880. Ces technologies de l'eau et du combustible végétal, plongeant leur racine dans la période médiévale, ne furent pas des résistances passives au changement, mais ont bel et bien connu des cycles d'amélioration continue dans la période 1750-1880. Soucieux d'inscrire les techniques dans le temps et l'espace, dans l'histoire sociale et environnementale, Serge Benoit montre qu'il était rationnel de développer ces savoir-faire là où les alternatives fossiles n'étaient pas réellement disponibles à coût et usage intéressants. Sinon, comme dans le cas des plus grosses usines hydrauliques, en force d'appoint pour les périodes d'étiage.
Evidemment, les amoureux du patrimoine hydraulique liront avec un plaisir particulier les chapitres faisant la part belle à ce sujet. Un de ces chapitres détaille toutes les ressources que le chercheur (et aussi l'association!) peut mobiliser afin de trouver l'origine et l'histoire des sites hydrauliques.
Serge Benoit rappelle le processus de modernisation des roues, avec les modèles du mathématicien Poncelet (1824-1825) et de l'ingénieur amiénois Sagebien (1859-1850), mais aussi l'essor des turbines hydrauliques, dont la France fut un foyer de conception et d'expansion majeure, suite aux travaux de Burdin, Fourneyron, Girard, Callon, mais aussi un peu plus tard de nombreux constructeurs en échange avec des homologues de l'aire anglo-saxonne ou germanique (Fontaine, Jonval, Koechlin, Laurent et Collot). L'hydraulique eut le soutien très pragmatique de l'Etat à travers le corps des Ponts et Chaussées, là où les Mines poussaient à l'abandon du charbon de bois au profit du charbon de terre. L'hydraulique bénéficia aussi d'un aller-retour permanent entre l'amélioration de la conception par la théorie (notamment la puissante école française de mécanique des fluides, dont Navier est la figure la plus connue) et par l'expérimentation (les progrès incrémentaux dans les usines des fabricants connectés aux usagers). Les progrès concernent aussi les matériaux (le métal remplace le bois), les transmissions, l'organisation des espaces de travail.
Au final, "la ruée" vers l'énergie de l'eau fut le véritable moteur de l'industrialisation française dans la première partie du 19e siècle et même un peu au-delà. La connexion avec l'électricité se fit par la suite. Serge Benoit rappelle incidemment que d'autres pays ou régions ont connu ce cas de figure, notamment les Etats-Unis et la Catalogne. Comme tout développement industriel, celui-ci ne fut pas sans conséquence. Certaines passages de l'ouvrage rappelle les conflits d'usage dans des rivières surexploitées par les moulins et nouvelles usines hydrauliques. D'autres analysent l'histoire sociale de ce développement autour des entreprises de métallurgie, de textile, de minoterie.
Le travail de Serge Benoit montre que loin d'une révolution énergétique avec le passage rapide d’un système technique renouvelable à un autre fossile, la modernité connut une transition multiforme avec coexistence et complémentarité des différentes sources d’énergie mécanique ou thermique.
Les technologies énergétiques ont souvent été popularisées dans l'histoire avec des perspectives enthousiastes et utopiques de la part des acteurs privés ou publics. Le fossile, le nucléaire, l'hydrogène, le solaire ont pu être promus comme des solutions "universelles" qui allaient libérer l'humanité du souci de trouver en quantité et qualité l'énergie nécessaire aux machines qui l'accompagnent et la soulagent dans son travail. La réalité est plus modeste, plus complexe et plus prosaïque. Les sources d'énergie tendent à s'accumuler sans disparaître, tant les humains ont pris l'habitude de déléguer leurs tâches pénibles et répétitives à des machines qui convertissent cette précieuse énergie en services. Les trajectoires technologiques améliorent lentement le rendement jusqu'au moment où les gains sont marginaux, puis les innovations peuvent viser l'optimisation des contextes d'usage ou la réduction des impacts indésirables.
L'énergie hydraulique doit certainement son statut exceptionnel (et la fascination qu'elle exerce) à 2000 ans de perfectionnement et de présence dans les sociétés humaines. Une aventure qui n'est pas achevée, puisque la réduction programmée des énergies fossiles impose de déployer à nouveau des énergies renouvelables extraites de l'eau comme du vent, du soleil et de la biomasse.
Référence : Serge Benoit (2020), D’eau et de feu : forges et énergie hydraulique. XVIIIe-XXe siècle. Une histoire singulière de l’industrialisation française, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 450 p. Préface de Denis Woronoff et Gérard Emptoz, postface de Liliane Hilaire-Perez et François Jarrige, Textes réunis par Stéphane Blond, édition coordonnée par Nicolas Hatzfeld.
06/12/2021
Une avancée pour protéger le citoyen des abus de pouvoir de l'administration
Bonne nouvelle pour le mouvement des moulins et étangs en lutte contre la destruction imposée des ouvrages : lorsque le juge administratif est saisi pour faire constater un excès de pouvoir de l'administration, il peut désormais à titre subsidiaire abroger l'ensemble de la règlementation concernée si celle-ci est devenue illégale. C'est le cas de nombreux SDAGE, SAGE, SRADDET et autres règlements qui prévoient la promotion de l'effacement d'ouvrages hydrauliques, une disposition devenue illégale depuis l'été 2021. Si l'administration eau et biodiversité ne comprend pas encore qu'elle doit appliquer la loi, la suppression pure et simple par la justice des dispositions antérieures dont elle se réclame l'aidera éventuellement à le comprendre...
Un changement de loi est un changement de circonstances de droit : il rend caducs certains textes dont la légalité émanait de formes anciennes de la loi. Les règlementations, qui sont inférieures à la loi dans l'ordre juridique et qui visent généralement à l'appliquer, doivent donc se mettre à jour quand les lois évoluent. Mais c'est loin d'être toujours le cas.
La théorie juridique du changement de circonstances affectant la légalité des actes réglementaires a déjà presqu'un siècle (Conseil d'Etat, section du contentieux, Sieur Despujol, 10 janvier 1930). Elle entraîne l’obligation pour l’administration d’abroger un règlement devenu illégal, tout intéressé étant recevable à demander, par la voie du recours pour excès de pouvoir, l’annulation du refus d’y déférer ou du règlement lui-même. Mais cela dans le délai de recours contentieux de deux mois à partir de leur publication, délai rouvert par la publication de la loi venue ultérieurement créer une situation juridique nouvelle.
Le 19 novembre 2021, dans son arrêt Association ELENA et autres, la section du contentieux du Conseil d’État a fait évoluer l’office du juge de l’excès de pouvoir, consacrant la possibilité pour ce dernier d’être saisi à n'importe quel moment de conclusions subsidiaires tendant à l’abrogation pure et simple d’un acte réglementaire devenu illégal:
"ainsi saisi de conclusions à fin d’annulation recevables, (...) le juge peut également l’être, à titre subsidiaire, de conclusions tendant à ce qu’il prononce l’abrogation du même acte au motif d’une illégalité résultant d’un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction (...) jusqu’à la date de clôture de l’instruction et pour la première fois en appel".
Désormais, "dès lors que l’acte continue de produire des effets", il appartient au juge de se prononcer sur les conclusions subsidiaires "dans l’hypothèse où il ne ferait pas droit aux conclusions à fin d’annulation et où l’acte n’aurait pas été abrogé par l’autorité compétente depuis l’introduction de la requête".
Ces points assez techniques mais important doivent être portés à la connaissance des associations de protection des ouvrages hydrauliques et de leurs conseils juridiques. En effet, la loi sur la continuité écologique a changé en 2021, elle proscrit désormais de détruire l'usage actuel ou potentiel d'un ouvrage hydraulique, en particulier de détruire les seuils et chaussées de moulins. Or, dans les cas où l'administration refuse d'appliquer cette loi, ce changement circonstanciel de droit permet de saisir le juge du recours en excès de pouvoir pour lui demander d'abroger les textes règlementaires anciens dont se réclame l'administration. Ces textes sont très nombreux, ce sont notamment les SADGE et les SAGE qui organisent la gestion des bassins versants et le financement des opérations, mais aussi divers règlements édictés par les préfets et inspirés de la gestion des poissons migrateurs.
Les particuliers et les associations engageant un recours contentieux face à des casseurs d'ouvrage hydraulique doivent donc en profiter pour faire abroger ces règlements devenus illégaux.
Source : Conseil d'Etat, arrêt n°437141, 19 novembre 2021
Post scriptum : le changement de la loi Climat et résilience survenu en 2021 ne concerne que les rivières classées au titre de la continuité écologique (rivières sujettes à classement au terme de l'article L214-17 Code environnement). Il ne concerne pas des droits d'eau abandonnés, ce qui est la plus grosse erreur que puisse faire un propriétaire abusé par des pressions administratives ou politiques locales, ou d'autres rivières non classées. Il revient au mouvement des ouvrages hydrauliques d'aller au terme de l'évolution de la doctrine publique de l'eau pour demander lors de la prochaine législature, et à l'occasion d'une loi sur l'environnement, que la gestion équilibrée et durable de l'eau (article L 211-1 Code environnement) intègre à son tour ces dispositions générales de protection des ouvrages. En effet, tant les pratiques des rivières que l'esprit des lois votées depuis 20 ans et la jurisprudence récente du conseil d'Etat indiquent que les objectifs de continuité biologique ou sédimentaire doivent être recherchés par des moyens qui se concilient avec les autres usages de l'eau. Faire consigner cela de manière explicite dans la loi permettra de couper court à toute vision extrémiste de la destruction d'ouvrage au nom du retour à une nature sauvage, vision ayant hélas contaminé certains esprits alors qu'elle n'a jamais été la finalité des lois françaises, ni l'intérêt général du pays.