01/02/2022

Les agences de l'eau continuent de promouvoir la casse illégale du patrimoine des rivières

Alors que la loi prohibe depuis 2021 la destruction de l'usage actuel ou potentiel des moulins et autres ouvrages hydrauliques, les agences de l'eau Seine-Normandie et Loire-Bretagne continuent de promouvoir cette destruction du patrimoine des rivières au nom de la continuité dite "écologique". Un recours grâcieux a été déposé par notre association, des consoeurs et la FFAM contre une nouvelle décision en ce sens des agences. Il s'ajoute au recours contentieux ouvert pour obtenir la condamnation et annulation du 11e programme d'intervention de ces établissements publics, programme où les fonctionnaires espèrent encore dilapider l'argent des citoyens à la disparition du patrimoine historique, du potentiel énergétique et des usages sociaux des ouvrages hydrauliques. 


La continuité écologique des rivières n'est décidément pas apaisée en France. 

Rappelons le contexte à ceux qui découvriraient le problème. La loi sur l'eau de 2006 a proposé d'améliorer la circulation des poissons et des sédiments sur des rivières classées à cette fin, ce que l'on nomme la continuité écologique. Une telle amélioration peut s'obtenir par des gestions de vannes des ouvrages ou par des dispositifs de franchissement. Mais une faction militante au sein de l'administration de l'eau et de la biodiversité (ministère de l'écologie, agences de l'eau, office de la biodiversité), couplée à des lobbies intégristes du retour à la nature sauvage, a décidé que la solution à financer sur argent public et à prioriser en choix réglementaire des préfectures devait être la destruction pure et simple des ouvrages hydrauliques, de leurs milieux, de leurs usages. Ce n'est pourtant pas l'esprit des lois françaises ni de leur interprétation par le conseil d'Etat

Nous parlons ici de moulins, de forges, d'étangs, de petits lacs et plans d'eau, de barrages associés à diverses activités et aménités. Ce sont des milieux nés de l'usage humain de l'eau, ayant leur propre fonctionnement écologique mais aussi de nombreuses dimensions d'intérêt pour les riverains (paysage, rétention d'eau, agrément, énergie, irrigation, pêche, aquaculture, tourisme, etc.).

Des milliers de ces ouvrages ont déjà été détruits, y compris dans barrages à production hydro-électrique que la loi demande pourtant de promouvoir et d'équiper face à l'urgence climatique. Ce scandale a bien évidemment occasionné de nombreuses plaintes en justice, avec forte mobilisation des associations de protection des patrimoines et des collectifs riverains. Les parlementaires, indignés de cette dérive dont ils ont été informés, ont déjà fait évoluer la loi à plusieurs reprises, et sous plusieurs législatures, indiquant clairement que la continuité écologique devait cesser de mener à ces destructions et ces conflits.

Mais voilà, la France est un pays très particulier où l'administration choisit à sa guise la manière dont elle va interpréter ces lois. Alors que la dernière réforme de continuité écologique a mené les parlementaires à prohiber expressément les mesures de destruction d'ouvrage, les agences de l'eau tentent à nouveau de contourner la volonté des représentants des citoyens.



Ainsi, un recours  gracieux a été déposé à l'encontre de la délibération  du conseil  d'administration de l'agence de l'eau Seine-Normandie  en date du 16 novembre 2021 en tant qu'elle porte révision des modalités d'attribution des aides du 11ème programme d'intervention couvrant la période 2019-2024.

Il apparaît en effet que les modifications apportées au Code de l'environnement et plus particulièrement à son article L.214-17-1, par la loi dite « Climat et Résilience » du 22 août 2021 n'ont pas été prises en compte par cette délibération qui reproduit les mêmes  illégalités  que lors de l'adoption du 11ème programme en 2018.

La loi précitée n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le réchauffement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets est venue modifier l'article L.214-17-1-2° du Code de l'environnement.

L'article L.214-17-1-2° du Code de l'environnement est aujourd'hui ainsi rédigé :

« 1.-Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative  établit, pour chaque bassin ou sous-bassin :

2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant, sans que puisse être remis en cause son usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d'énergie. S'agissant plus particulièrement des  moulins  à eau, l'entretien, la gestion et l'équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l'accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l'exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages. »
 
Ainsi, en premier lieu, les interventions sur  les ouvrages  hydrauliques quels qu'ils soient  ne doivent  pas remettre  en cause  leur usage,  actuel ou potentiel.

En second lieu et s'agissant plus particulièrement des moulins à eau, le législateur  va  encore plus loin en rappelant expressément  que la gestion et l'équipement des ouvrages de retenue sont les  seules  modalités prévues pour l'accomplissement des obligations relatives  au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments et en ajoutant qu'aucune autre modalité d'intervention n'est autorisée, notamment celles portant sur la destruction de ces ouvrages.

C'est donc en respectant cette nouvelle rédaction de l'article L.214-17-1 du Code de l'environnement que les interventions sur les ouvrages situés sur les cours d'eau classés en Liste 2 en vue de la prise en compte de l'objectif de restauration de la continuité écologique doivent désormais être prévues.

Or, le programme d'intervention révisé n'est pas à jour de ces nouvelles dispositions législatives.

Au titre des travaux de rétablissement de la continuité écologique longitudinale et latérale (Action El), il est notamment mentionné l'éligibilité de travaux de «suppression des ouvrages».

Cette suppression de ces ouvrages remet bien sûr en cause leur « usage actuel ou potentiel ». Et lorsque ces ouvrages  sont  des moulins  à eau, leur suppression (ce qui  est  synonyme  de  leur  destruction)  est clairement prohibée par la loi.

La «suppression» de ces ouvrages, retenue par le 11ème programme révisé comme pouvant être éligible à des financements de l'agence, contrevient donc directement à l'article L.214-17-1 précité du Code de l'environnement.

Le 11 ème programme d'intervention est un dispositif de financement sur fonds publics et il ne peut à ce titre contrevenir à l'objectif voulu par le législateur  de  préservation  du  patrimoine  hydraulique  que  constituent les ouvrages hydrauliques en général et les moulins à eau en particulier.

Il  est en effet formellement  proscrit de mobiliser  des fonds publics pour des actions prohibées par la loi ou qui ne répondent pas à un objectif d'intérêt général. Le juge administratif exerce à cet égard son contrôle sur la licéité des décisions d'octroi des subventions.

5 commentaires:

  1. Vous vous contredisez : en effet vous aviez affirmé qu'il n'y avait aucun problème pour le financement des Agences à la suppression des obstacles transversaux lorsque l'effacement était demandé par le propriétaire de l'ouvrage. Si tel est bien votre pensée, il faut bien que les Agences puissent répondre à cette demande n'est-ce pas ? Sinon qu'allez vous expliquer au propriétaire dépouillé de milliers d'Euros de subventions ? Par ailleurs les modifications législatives qui sont intervenus depuis 2017 n'intéressent que les ouvrages placés sur des tronçons de cours d'eau en liste 2, tronçons qui ne représentent que 10% environ du linéaire des cours d'eau métropolitain. Il faut bien penser aux ouvrages situés sur 90% des tronçons de cours d'eau qui ne sont pas classés en liste 2 n'est-ce pas ? Vous avez raison de prendre l'initiative de ce contentieux : cela permettra d'éclairer un certains nombre de points d'une législation devenue fort obscure!

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    1. L'abandon d'un droit d'eau ne relève pas de l'instruction du L 214-17 code de l'environnement, comme vous le savez. A partir du moment où un article de loi définit une politique de continuité écologique (cas du L 214-17 CE) et où les administrations exécutent cette politique (leur obligation), c'est dans ce cadre-là que l'on réfléchit. La loi spéciale l'emporte sur la loi générale, sinon il n'aurait pas été utile d'adopter la première précisant la seconde.

      Après, vous posez la question : l'argent public doit-il payer un propriétaire privé qui veut détruire un patrimoine d'intérêt général ? C'est une bonne question. L'argent public serait mieux employé ailleurs selon nous, une pelleteuse ne coûte pas si cher...

      Enfin, vous avez raison : nous attendons beaucoup de la prochaine législature pour clarifier tous ces points devenus un peu obscurs et éparpillés. Les dix dernières années ont permis de constater empiriquement le rejet massif d'une forme intégriste et irréaliste d'écologie autour du retour à la rivière sauvage. Heureusement, ce n'est pas la seule approche possible de l'écologie ! Il est devenu évident que la protection de la biodiversité au sens de la "naturalité" ne concerne qu'une petite proportion de rivières en zones sans population humaine et peu impactées. Il est aussi devenu évident que la plupart des politiques publiques vont demander des usages de l'eau, et donc la nécessité d'une approche plus intégrée. Les parlementaires informés doivent donc modifier la loi de manière plus substantielle et plus cohérente.

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  2. Nous ne sommes plus dans une position qui laisse au doute, les eaux doivent s'écouler librement. Il en va de réduire la température des eaux pour lutter contre le réchauffement climatique. Le rôle des syndicats ou des EPCI qui récupèrent la compétence GEMAPI et ne pas "détruire" les ouvrages comme vous dites, mais les équiper ou le dérasement et arasement. Sachant que la loi stipule bien des ouvrages qui ont une utilité sauf que la plupart du temps, lorsque l'on arase un ouvrage c'est que son utilité n’est pas prouvée. La loi précise surtout que les moulins doivent garder leurs ouvrages (aujourd’hui pas avant), jusqu'à ce jour aucun moulin n'a été détruit, ils sont tous debout. Ce sont leurs ouvrages annexes qui ont été modifié afin de permettre la libre circulation toute l'année des sédiments et des espèces aquatiques. Non je ne joue pas sur les mots, c’est vous qui utilisé des mots excessifs.
    Votre article remet en cause un programme qui a été mis en place bien avant la modification de loi de 2021 et les agences de l'eau continueront à financer des arasement ou dérasement car ils seront toujours justifiés par les DIG ou DUP. Certes lorsque l’utilité de l'ouvrage est belle et bien formulé un équipement se fait, et ce n'est pas une minorité de personnes qui vont empêcher la bonne atteinte écologique des cours d'eaux. Il en va principalement de la reconquête des milieux par des espèces qui jusqu'alors ont été chassé de leur environnement par la modification de leur écosystème. Je peux comprendre que le patrimoine bâti est important mais ne jamais oublier le patrimoine naturel. Je continuerai toujours de lutter contre ces propagandes du « méchant écologique » qui veut tout détruire, non on ne détruit pas, on restaure un milieu pour lui rendre toute sa diversité.

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    1. Révisez votre droit. Un ouvrage autorisé n'a aucune obligation d'araser ou déraser, ce qui est même formellement interdit en rivière classée L2 désormais. La notion d'utilité n'est pas dans la loi comme critère de choix de continuité, c'est une invention de l'administration sans valeur légale opposable. Un droit d'eau est un droit réel immobilier lié à l'existence de l'ouvrage et non pas du bâtiment du moulin (il y a des droits d'eau alors que le moulin n'existe plus, pas le contraire).

      Votre vision conflictuelle et radicale de l'écologie a échoué, tirez en la conséquence. Dans tous les domaines en écologie, on cherche des solutions adaptées qui se concilient aux usages et aux attentes tout en améliorant des milieux. Le cas des rivières étaient une anomalie : elle est en train d'être résorbée, on ne pratique pas l'intégrisme et le harcèlement sur les rivières qu'on ne le fait ailleurs. Et c'est très bien ainsi, c'est la seule voie raisonnable et responsable pour faire avancer l'écologie.

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  3. Bravo. Bel échange

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