La décision du conseil constitutionnel rappelant que le patrimoine hydraulique et la production hydro-électrique relèvent de l’intérêt général et sont conformes à la charte de l’environnement doit mettre fin à 10 ans de dérive d’une partie de l’administration en charge de l’eau et de la biodiversité. La France n’a plus à détruire ses moulins, étangs, retenues et autres ouvrages, mais à les équiper dans un sens utile aux transitions en cours de son modèle socio-économique. Nous alertons ici le gouvernement et les préfets sur leur vigilance désormais nécessaire concernant la gestion des agents de la fonction publique : l’idéologie intégriste de la destruction des ouvrages est tout à fait libre de s’exprimer dans une association privée, mais elle n’a plus aucune place dans une administration où elle relèverait d’une dérive contraire aux lois de la république. Il revient à l’Etat de restaurer sans délai la crédibilité de l’action publique, le respect des lois et des jurisprudences, la confiance dans l’état de droit sur la question des rivières et des ouvrages hydrauliques.
Dans les années 2000 et 2010, une interprétation hasardeuse des lois sur l'eau et l'environnement a mené les administrations françaises à inciter à détruire un grand nombre d'ouvrages en rivière (moulins, étangs, digues, barrages) et à assécher autant de milieux (biefs, canaux, retenues, lacs, zones humides attenantes) au nom de la continuité des sédiments et des poissons, ce qui a été appelé la «continuité écologique».
Une planification inouïe de destruction en masse du patrimoine hydraulique, de ses milieux et de ses usages
Cette politique a été menée par les services administratifs et des établissements publics : Office français de la biodiversité (ex Onema), DDT et DREAL des préfectures de département et de région, agences de l'eau, en coordination avec des syndicats intercommunaux de gestion des bassins versants ou des parcs naturels. Une fraction des fonctionnaires en charge de l'eau et de la biodiversité, dont la tutelle est une sous-direction ministérielle rattachée au ministère de l'écologie (DEB), a estimé que la bonne rivière était désormais la rivière «sauvage» ou «libre» ayant un minimum d’impact morphologique humain, donc que la vocation de quasiment tous les ouvrages en place (gué, seuil, barrage, digue) était de disparaître, hors quelques-uns gérés publiquement ou de rares autres conservés comme vestiges muséographiques. Ce projet de destruction et de harcèlement a été explicitement assumé par des hauts fonctionnaires en charge des rivières.
Cette politique a soulevé le scepticisme voire l’opposition directe des riverains et propriétaires d’ouvrages hydrauliques, des élus locaux, des associations de protection du patrimoine, du cadre de vie et de l’environnement, des petits irrigants, des gestionnaires d’étangs, des producteurs d’hydro-électricité.
En effet, l’administration paraissait porteuse d’une écologie totalement théorique et hors-sol, une rivière idéalisée où il n’y aurait plus d’humains, plus d’usages humains, une rivière devenant un musée du vivant auquel personne n’aurait le droit de toucher. Cette vision est non seulement contraire à l’expérience de la plupart des citoyens, qui apprécient la nature aménagée autant ou davantage que la nature sauvage, mais elle est aussi en contradiction frontale avec de nombreuses ambitions publiques : relocaliser l’économie et relancer l’emploi local, produire de l’énergie bas-carbone, exploiter les ressources en circuit-court au plus près des territoires, mieux réguler les crues et les sécheresses. De surcroît, bien des ouvrages hydrauliques sont présents depuis des siècles (le nombre de moulins était plus important voici 200 ans qu’aujourd’hui), donc le fonctionnement des rivières et bassins versants a évolué. Parfois, les moulins, étangs, canaux, plans d’eau et lacs ont dessiné de nouveaux écosystèmes à part entière, certes différents de ceux d’une nature «sauvage», mais abritant néanmoins de la biodiversité et rendant des services écosystémiques.
Dans notre pays très jacobin, vertical et centralisé, l’administration s’est hélas souvent coupée de l’économie et de la société. En particulier, si vous ne comptez pas parmi les grands acteurs (industries, ONG) à la taille de l’Etat, vous devenez invisible. Le dialogue a donc été difficile sinon impossible dans les années 2010. Quand les propriétaires, les riverains, les associations, les syndicats faisaient des objections, les services du ministère, des agences de l’eau et des préfectures n’en tenaient aucun compte. Quand il était demandé que l’argent public ne serve pas à détruire les ouvrages à 100% de financement (prime à la casse comme choix public dominant) mais plutôt à les préserver, moderniser et aménager dans un sens écologique, on essuyait des refus. Ce n’était «pas assez ambitieux», par quoi il fallait entendre pas assez conforme à l’idéologie administrative d’une rivière «renaturée» c’est-à-dire soi disant rendue à la nature et interdite aux humains.
Le parlement et la justice ont tranché en faveur des moulins et autres ouvrages
Le monde des ouvrages hydrauliques a donc dû recourir aux parlementaires, pour leur exposer les problèmes de terrain et leur demander de préciser les normes sur l’eau ; ainsi que recourir à la justice, pour faire constater que l’administration avait engagé une dérive manifeste par rapport à l’esprit des lois françaises, en particulier la loi sur l’eau de 2006. Car jamais les députés et sénateurs n’avaient validé l’idée de détruire en masse des ouvrages hydrauliques au nom d’une idéologie de la rivière sauvage : améliorer des fonctionnalités écologiques ne revient pas nier les interactions humaines avec l’environnement. Et, tant du point de vue du patrimoine que de la transition, les ouvrages ont des intérêts multiples : leur démolition ne pouvait être le sens de la doctrine publique de l’eau.
La décision toute récente du conseil constitutionnel confirme, à l’occasion de la reconnaissance de constitutionalité des exemptions à la continuité écologique, que le patrimoine hydraulique et la production hydro-électrique sont d’intérêt général autant que conformes à un environnement équilibré.
Cette décision vient elle-même après de nombreuses censures du ministère de l’écologie par le conseil d’Etat sur la question de la continuité écologique. La plus haute juridiction administrative a non seulement cassé diverses décisions de préfet fondées sur des abus de pouvoir récurrents dans la suppression de droits d’eau, mais elle a également réitéré régulièrement l’intérêt général des ouvrages hydrauliques ainsi que la compatibilité intrinsèque des ouvrages avec la continuité écologique. Il n’y a donc aucune base légale à prétendre que la destruction des seuils, chaussées et barrages en rivière serait une condition nécessaire de cette continuité. Ni à affirmer que le législateur visait au retour d'une rivière parfaitement indemne de modifications morphologiques locales, issues de l'occupation humaine dans l'histoire du pays.
Outre les cours de justice, depuis 2017, le parlement français a saisi 5 occasions pour réformer la loi sur l’eau de 2006 dans le domaine de la continuité écologique, ainsi que dans le domaine de la transition énergétique. A chaque fois, ces évolutions législatives ont renforcé la protection du patrimoine hydraulique et de le petite hydro-électricité. La dernière évolution notable, née de la loi Climat et résilience de 2021, a été claire : la destruction de l’usage actuel et potentiel des ouvrages hydrauliques est interdite dans les rivières classées continuité écologique, en particulier la destruction des moulins à eau ayant un potentiel hydro-électrique.
La continuité écologique doit améliorer le patrimoine en place, pas le détruire
Le parlement, le conseil d’Etat, le conseil constitutionnel ont donc condamné sans contredit possible l’idéologie de la destruction des ouvrages hydrauliques au nom de la rivière sauvage.
Cela ne signifie pas que la continuité écologique a été condamnée. Celle-ci est simplement redéfinie et reprécisée dans ce qui a toujours été son périmètre : améliorer, là où c’est réellement nécessaire et proportionné, une fonction de transit de sédiments et une fonction de circulation de poissons migrateurs. Il existe de nombreuses solutions non destructrices pour parvenir à cet objectif : ce sont elles que les services administratifs (OFB, agences de l’eau, DDT-M, Dreal) ont désormais obligation de promouvoir et de financer, en accompagnant les maîtres d’ouvrage dans un esprit positif et constructif.
En outre, les services de l’Etat ont vocation à accélérer la transition bas-carbone qui engage la France par des directives européennes et des traités internationaux. Dans le cas des ouvrages, cela signifie faciliter la relance de leur production hydro-électrique. Rappelons que 25 000 moulins et sans doute autant d'ouvrages "non moulins" peuvent être équipés pour produire de l'énergie très bas-carbone, outre l'hypothèse de construction de nouveaux barrages, stoppée dans les années 1980 sous l'effet des même groupes de pression qui ont fait dériver la continuité écologique 30 ans plus tard. L'hydro-électricité n'est pas un détail à l'heure où chaque ménage et chaque collectivité doivent sortir des énergies fossiles en l'espace d'une génération seulement.
Un fonctionnaire de la rivière doit protéger la loi, pas son idéologie
Au cours des années écoulées, chacune des avancées parlementaires et judiciaires en faveur des ouvrages hydrauliques a fait l’objet d’une résistance de la part de l’administration non élue, déjà de la direction eau & biodiversité du ministère de l’écologie voire du ministre en place, parfois de tel ou tel agent des services déconcentrés ou des agences de l’eau. Nous avons chaque fois documenté ces comportements déplorables, irritants et surtout fort peu démocratiques.
Aujourd’hui, le doute n’est plus permis : si des agents publics persistent à nier les décisions du parlement et de la justice, ils n’ont plus aucune légitimité à exercer leur mission dans le cadre d’une administration.
Nous appelons donc tant le ministère de tutelle de ces agents que les préfets à préciser sans ambiguïté aucune la nouvelle doctrine de continuité écologique et à remettre sans délai de l’ordre dans l'ensemble des services publics en charge de l’eau et des milieux aquatiques.
Post-scriptum : l’association Hydrauxois est née voici 10 ans et dans l’un de ses tout premiers dossiers, elle appelait à l’issue qui a finalement été validée par le droit, à savoir moderniser et rendre un usage d’intérêt général aux ouvrages plutôt que les détruire. Cette issue devient évidente à l’heure de la crise énergétique, de la nécessité de relocaliser les économies dans les territoires, de l’urgence d’accélérer la transition bas-carbone, du besoin de gérer l’eau face à des événements hydrologiques extrêmes appelés à devenir plus fréquents. Ce premier dossier n’avait reçu strictement aucune réaction des services publics destinataires. Pourquoi 10 ans d’ignorance, de cécité, de division, de conflit ? Comment peut-on croire un seul instant que l’écologie progressera dans la négation de la diversité des aspirations sociales et locales ? Comment a-t-on pu penser que la politique publique des moulins, étangs et autres ouvrages hydrauliques ne serait pas co-construite avec les premiers concernés afin de définir ce qui est possible, et non pas érigée contre eux comme si l'Etat pouvait définir arbitrairement des cibles de destruction ? Et comment se fait-il que tant de rivières françaises soient toujours autant polluées alors que les directives européennes comme la recherche scientifique font de cette pollution l’enjeu de premier ordre pour la qualité des milieux aquatiques ? La politique publique de l'eau appelle des réformes de fond dans ses objectifs et dans sa gouvernance. Nous en parlerons dans un prochain article, à l'heure où le gouvernement envisage une "planification écologique".
Dans sa grande sagesse, le conseil constitutionnel a indiqué que l'exemption ne s'appliquait pas aux cours d'eau en liste 1.... Comme beaucoup de cours d'eau classés en liste 2 sont aussi en liste 1, il n'y aura sans doute pas tant de moulins exemptés que ça...
RépondreSupprimerExercice de philo : la sagesse involontaire est-elle moins sage?
Dans sa grande sagesse, la loi ne prévaut pas d'obligation de continuité écologique pour les ouvrages déjà installés et autorisés en liste 1. La loi dit : "aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la continuité écologique" (en liste 1). Cela n'autorise évidemment pas un préfet à prendre des mesures rétroactives et à exiger quoique ce soit à partir du moment où l'autorisation du site est toujours valide en l'état du site (cas par exemple des fondé en titre).
SupprimerVous avez tout à fait raison, les listes 1 n'imposent pas d'obligation de restauration de la continuité écologique. Néanmoins, vous noterez que le Conseil Constitutionnel n'a pas écrit "l'exemption ne s'applique pas en liste 1".
SupprimerIl a écrit "l'exemption ne s'applique pas aux ouvrages installés sur les cours d’eau en très bon état écologique, qui jouent le rôle de réservoir biologique ou dans lesquels une protection complète des poissons est nécessaire".
Cette formulation est extrêmement claire : si un ouvrage est installé sur un cours d'eau en très bon état écologique, l'exemption ne s'y applique pas. De même pour un cours d'eau qui constitue un réservoir biologique, ou un cours d'eau sur lequel une protection complète des poissons est nécessaire.
En conclusion, si un moulin produisant de l'hydroélectricité est installé sur un cours d'eau qui remplit l'une de ces 3 conditions, et qui est de surcroît en liste 2, l'exemption de restauration de la continuité écologique ne s'y applique pas.
A voir si c'est une situation très répandue, mais c'est un fait qui me semble difficilement contestable vu la façon dont le Conseil Constitutionnel l'a rédigé.
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Supprimer@10:51 : non, ce n'est pas "extrêmement clair". La manière dont nous l'interprétons est la plus simple : le conseil constitutionnel rappelle que le L 214-18-1 CE concerne les ouvrages existants en liste 2, et non pas les ouvrages à construire en liste 1, qui n'ont pas d'exemption pour leur part. Cette phrase rappelle à FNE, ANPER-TOS et FNPF que le législateur prévoit des protections en liste 1 sur les aménagements, mais que ces protections ne sont pas contradictoires avec des exemptions pour les ouvrages déjà présents et déjà autorisés (et d'intérêt général donc). En d'autres termes : contentez-vous de pinailler les projets en liste 1, c'est bien assez sur ce sujet. C'est aussi notre point de vue.
SupprimerC'est toujours aussi hilarant de voir à quel point les adversaires des moulins sont mauvais perdants... Vous tous, les destructeurs dogmatiques, vous avez pris une double fessée, prenez en acte... Non seulement vous avez perdu, mais en plus, grâce à vous, la protection du patrimoine hydraulique et la petite hydro sont reconnus d'intérêt général. Quant à votre sombre histoire de cours d'eau classés en Liste 1, lisez le texte : ce classement n'impose aucune obligation de continuité écologique aux ouvrages déjà existants, donc aux moulins... il n'y a donc pas besoin de les exonérer du rétablissement de la continuité écologique...
RépondreSupprimerJe me contente de lire la décision du conseil constitutionnel : "10. En deuxième lieu, d’une part, cette exemption ne concerne que les moulins à eau équipés pour produire de l’électricité et qui existent à la date de publication de la loi du 24 février 2017. D’autre part, elle ne s’applique pas aux ouvrages installés sur les cours d’eau en très bon état écologique, qui jouent le rôle de réservoir biologique ou dans lesquels une protection complète des poissons est nécessaire."
SupprimerVous trouvez que c'est une sombre histoire, moi j'estime que c'est limpide. Nous les dogmatiques destructeurs démanteleurs effaceurs araseurs savons lire, quand même, malgré notre apparente stupidité... :-)
Dans sa décision le Conseil Constitutionnel semble avoir pris en compte l'arrêt "Paumelle" du Conseil d'Etat qui limite très fortement la portée de l'article L 214-18-1. La conformité à la constitution de cet article a donc été acquise en tenant compte de cette limitation que le Conseil Constitutionnel a reprise au paragraphe 10 de sa décision en fournissant par là une des base de cette dernière. L'avenir nous dira si l'arrêt "Paumelle" fait ou non jurisprudence alors qu'il se trouve étayé par la décision du Conseil Constitutionnel. L'incertitude dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui explique sans doute l'absence de toute analyse de la portée juridique de cette décision au delà du constat factuel que le Conseil Constitutionnel n'a pas mis en cause la conformité à la constitution de l'article L 214-18-1. Par ailleurs ce qu'une loi à fait, une loi peut le défaire ... surtout quand elle contrevient à des engagements internationaux de notre pays.
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