Madame la ministre,
Monsieur le ministre,
Notre coordination rassemble des acteurs des territoires (associations, syndicats, collectifs, entreprises) impliqués dans l’animation, la valorisation et la gestion des ouvrages hydrauliques et des écosystèmes anthropiques : petits barrages, seuils en rivière créant des étangs, plans d’eau, canaux et zones humides pour divers usages de l’eau comme la petite hydro-électricité, l’irrigation, la pêche, le tourisme mais aussi les réserves incendies et l’adaptation au changement climatique.
Malgré son importance dans la vie des territoires depuis des siècles et aujourd’hui encore – il y a par exemple au moins 50 000 moulins à eau et 200 000 étangs –, ce monde de la « petite hydraulique » ne dispose d’aucune représentation permanente au comité national de l’eau ni aux comités de bassins des agences de l’eau. Et les commissions locales de l’eau n’intègrent que très imparfaitement les acteurs territoriaux. Aussi nous nous adressons à vous directement, puisque les instances publiques de concertation et de délibération manquent à leur devoir de représentativité.
Pour dire l’essentiel en peu de mots : malgré la crise de l’eau et la crise de l’énergie que traverse notre pays, malgré l’évolution des lois et des jurisprudences ces trois dernières années, nous constatons toujours une inertie voire une action à contre-emploi des administrations en charge de l’eau, de la biodiversité et de l’énergie placées sous vos tutelles. Ces administrations incitent partout à détruire les ouvrages qui stockent l’eau et peuvent contribuer à la transition bas-carbone, sont réticentes à aider les propriétaires dans la bonne gestion écologique et hydrologique de ces ouvrages, ralentissent l’équipement énergétique par des instructions hostiles, exigent des procédures et travaux de continuité écologique inaccessibles à l’immense majorité des propriétaires faute de financement public proportionné.
Ce problème s’est cristallisé ces dernières années autour du sujet de la « continuité écologique » : les administrations concernées (DDT-M, OFB, agences de l’eau) ont déployé depuis 2012-2013 un discours de « diabolisation » des ouvrages hydrauliques, en appelant à les détruire et à assécher leurs milieux. Au lieu d’équiper des ouvrages en circulation des poissons et sédiments tout en conservant des plans d’eau et biefs face aux sécheresses comme aux inondations – des dizaines de milliards de m3 d’eau renouvelable repartent à la mer chaque année –, on a poussé à détruire. Sur certaines rivières de l’Ouest, du Nord et du Centre de la France, tous les moulins et étangs de bassins ont été rasés. Le résultat est évidemment catastrophique dans les années sèches comme celle que nous subissons.
Au-delà du cas particulier de continuité écologique, il existe un problème plus profond de philosophie de l’action publique de l’eau dans ce domaine des ouvrages hydrauliques.
En effet, alors que dans tous les autres domaines économiques et sociaux on cherche une écologie constructive et adaptative par évolution des pratiques et des équipements, les moulins, les étangs, les plans d’eau se voient opposé un véritable déni de reconnaissance de la part de représentants de l’Etat et d’établissements publics. Les administrations en charge de leur instruction estiment le plus souvent que ces ouvrages ne devraient pas exister. Loin de vouloir valoriser leurs atouts en période de transition énergétique, climatique, hydrique et écologique, ces administrations veulent soit détruire les ouvrages pour créer une « rivière libre et sauvage » ou une « renaturation », soit rester dans une indifférence hostile à leur encontre tout en essayant d’imposer des procédures et des travaux dénués de toute faisabilité et acceptabilité. Il est impossible de construire ensemble un avenir de nos bassins versants tant que de tels préjugés prévaudront dans l’instruction des ouvrages hydrauliques. Au demeurant, nos membres vont encore requérir en justice l’annulation des 6 SDAGE venant d’être adoptés, outre d’autres contentieux ouverts et en cours d’instruction.
L’attitude des administrations en charge des ouvrages hydrauliques est d’autant plus inaudible pour les usagers et riverains qu’elle ne correspond pas du tout à l’évolution des lois et de la jurisprudence.
En effet, pour ce qui regarde les lois :
- La loi sur l’eau de 2006 sur la continuité écologique demande des ouvrages gérés, équipés, entretenus (et non détruits) ainsi qu’une indemnisation des travaux lorsqu’ils deviennent une charge exorbitante pour un particulier, un petite exploitant ou une petite collectivité,
- La loi montagne de 2016 a précisé que la continuité écologique ne doit pas faire obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique comme part de l’identité culturelle et paysagère des territoires,
- La loi énergie et climat de 2019 a posé que le petite hydro-électricité devait être mobilisée face à l’urgence climatique et écologique,
- La loi climat et résilience de 2021 a interdit la destruction de l’usage actuel et potentiel des ouvrages dans la mise en œuvre de la continuité écologique.
Et concerne la jurisprudence :
- Le conseil d’Etat a annulé en 2021 la définition ministérielle de l’obstacle à l‘écoulement (décret de 2019), confirmant sa jurisprudence antérieure selon laquelle un ouvrage peut être compatible avec la continuité écologique et n’a pas à être détruit ou interdit au nom de ce motif,
- Le conseil constitutionnel a souligné en 2022 lors d’une QPC que le patrimoine hydraulique et l’hydro-électricité sont d’intérêt général ainsi que conformes à la charte de l’environnement.
Madame la ministre,
Monsieur le ministre,
Sur cette question des ouvrages hydrauliques et de leurs milieux en eau, la cohérence de la parole publique et la confiance des citoyens ont hélas régressé. Plus gravement, les citoyens observent chaque jour des choix publics contraires à la protection de la ressource en eau, à la transition énergétique, à la préservation de milieux aquatiques et humides.
Pour sortir de cette impasse, nous sollicitions de votre bienveillance et de votre lucidité une circulaire de mise en application de lois et jurisprudences par les services administratifs eau et biodiversité, incluant notamment :
- L’arrêt immédiat des destructions des ouvrages, l’interdiction des chantiers remettant en cause le stockage local d’eau douce en surface, aquifère, nappe.
- La nécessité pour les agences de l’eau, syndicats et régions de financer (au même taux que les destructions jadis) des aménagements au titre de la continuité écologique : vannes, rampes rustiques, passes à poissons, rivières de contournement.
- Le co-financement public-privé de plans d’eau et zones humides alimentés par l’eau gravitaire excédentaire au lieu de bassines énergivores alimentées par pompage de nappes phréatiques,
- L’incitation forte à équiper toutes les chutes exploitables en production électrique bas-carbone.
- La simplification et accélération des procédures d’instruction des dossiers « aménagements » au lieu de dissuader les porteurs de projets, comme cela se fait depuis quinze ans.
- La reconnaissance par les services administratifs des écosystèmes anthropiques d’ouvrages hydrauliques comme solutions fondées sur l’usage équilibré et durable de la nature.
- L’intégration permanente de la petite hydraulique au comité national de l’eau, aux comités de bassin et aux commissions locales de l’eau.
Nous sommes bien entendu à votre entière disposition pour évoquer ces sujets dans le détail et chercher des solutions constructives pour l’avenir de nos ouvrages hydrauliques au service des territoires et de la transition.
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