20/10/2022

La Vire, ses destructions d’ouvrages, ses sécheresses aggravées, ses migrateurs à la peine

Sur le fleuve côtier Vire comme dans de nombreuses rivières de l’Ouest de la France, les administrations et lobbies de la casse des ouvrages hydrauliques s’en sont donnés à cœur joie depuis 10 ans. On a dérasé, effacé, arasé du moulin en série, on a asséché de la retenue et du bief pareillement. Les pêcheurs en pointe du mouvement promettaient l’abondance retrouvée du poisson migrateur. Le Canard enchaîné ironise cette semaine sur le résultat en 2022 : une agglomération de Saint-Lô obligée de reposer en urgence un barrage sur la Vire pour son alimentation en eau menacée par les niveaux trop bas, et des poissons migrateurs pas en forme du tout. Nous apportons ici quelques données complémentaires sur l’évolution du saumon et de la grande alose de la Vire depuis 20 ans.  Et appelons une nouvelle fois les administrations comme les élus à changer immédiatement de politique. 


Hier on efface des ouvrages, aujourd'hui on en reconstruit en urgence. On proclame l'accélération de la transition bas-carbone mais on détruit des centrales hydro-électriques en 2022. Tout cela sur ordre du préfet, aux frais du contribuable et dans le département dont Mme Borne est l'élue... Quand va cesser le désastre de la continuité écologique destructrice?


Le Canard Enchaîné a mis de nouveau les pieds dans la mare boueuse de la continuité écologique, en évoquant la rivière Vire, en Normandie. Ce fleuve côtier est depuis 40 ans l’objet de l’acharnement de l’Office français de la biodiversité (ancien Conseil supérieur de la pêche) et du lobby des pêcheurs sportifs en vue d’en faire un des sites pilotes de la remontée des poissons migrateurs. 

Comme on le sait, ces officines affirment que les ouvrages de moulins ou de petites centrales hydro-électriques sont la première cause de disparition des grands migrateurs. Dans un premier temps, avec le plan Retour aux sources des années 1980, des passes à poissons ont été construites. Puis à compter de la fin des années 2000, la préfecture a satisfait les lobbies en exigeant également une gestion de vannes ouvertes en période de chômage des ouvrages. Enfin à partir de 2013, nous avons vu la mise en œuvre de la politique systématique de destruction des seuils sur le cours de la Vire.  Ce plan se poursuit encore en 2022, avec la démolition d'un site de production hydro-électrique. Alors même que la loi de 2021 a interdit la destruction de l’usage actuel ou potentiel des ouvrages hydrauliques, en particulier les moulins.

Un premier motif de rire (jaune) du Canard enchaîné est qu’à l’occasion de la sécheresse 2022, le gestionnaire a été obligé de construire en urgence un ouvrage de rehausse du lit là même où l’on faisait disparaitre les seuils anciens. Le niveau trop bas de la rivière menaçait l’alimentation en eau potable de Saint-Lô. Peut-être que les anciens riverains avaient compris ce phénomène mieux que la préfecture et ses clientèles ? En tout cas, comme les climatologues prédisent que de telles sécheresses ne peuvent que revenir plus fréquemment et intensément à horizon des décennies à venir, il vaudrait mieux que le gestionnaire public apporte une réponse convaincante au problème, au lieu de faire en urgence des chantiers chaque été pour compenser ce qu’il détruit. 

Les saumons et aloses ne suivent pas les attentes
Mais après tout, l’objectif de cette politique n’est pas l’humain (variable manifestement jugée négligeable par ses promoteurs), c'est le poisson migrateur. Que nous disent les chiffres à la station de comptage de Claies de Vire, où l’on enregistre chaque année la remontée de ces poissons ?

Le graphique ci-dessous montre l’évolution des remontées de saumon atlantique et de grande alose à Claies de Vire.



Que constate-t-on ?
  • Il existe une variation interannuelle forte
  • Les années à bas effectifs ne changent guère sur 20 ans, voire sont pires à la fin des mesures qu’au début
  • Le début de la destruction des seuils a été marqué par une hausse des effectifs (2013-2016) suivi par un effondrement ensuite pour les aloses et une baisse sensible pour les saumons (2017-2021)
  • En tout état de cause, on parle de la variation locale d’effectifs en restant dans le même ordre de grandeur de présence des espèces
  • Rien n’indique pour le moment un bon bilan coût-bénéfice des sommes conséquentes d’argent public dépensées et des coûts d'opportunité à ne pas avoir employé les ouvrages à des choses plus utiles (retenue d'eau, production d'énergie)
Les chiffres de 2022 ne sont pas donnés mais au dernier comptage de fin septembre, ils étaient assez catastrophiques (57 saumons, 749 aloses). Et la sécheresse 2022 n'a pas dû être très favorable à la colonisation ni à la reproduction. 

La promesse faite par le lobby des pêcheurs était pourtant simple : une fois supprimé l’ouvrage (obstacle à la montaison) et la retenue de l’ouvrage (dégradation de l’habitat), on doit voir une recolonisation du linéaire, un accès aux affluents, une hausse visible, durable et régulière des effectifs.

A date, ce n’est pas le cas. Alors on va chercher d’autres causes : les pollutions, les sécheresses, le réchauffement, la perturbation du cycle de vie en mer des poissons migrateurs, etc. Il aurait peut-être fallu y réfléchir avant. En attendant, on a détruit le patrimoine hydraulique, le paysage de vallée, le potentiel hydro-électrique bas-carbone sur la base d’une fausse promesse selon laquelle la destruction d’ouvrage serait la solution miracle pour les migrateurs.

Arrêtez le délire, vite
Nous demandons aux préfectures et aux élus de cesser ces politiques inefficaces et conflictuelles de destruction des sites des rivières, accordant un poids disproportionné à certains lobbies, nuisant à l’intérêt général et à la gestion équilibrée de l’eau, détournant une part notable de l'argent public de la biodiversité sur des espèces très ciblées au détriment d'autres enjeux. 

Nous leur demandons aussi de faire évoluer leur vision de la rivière. Que la politique publique vise à améliorer la condition des poissons migrateurs, c’est une chose normale et louable. On peut le faire sans détruire. Qu’elle nuise aux usages et patrimoines bénéfiques de la rivière à cette fin, ce n’est pas acceptable.

Par ailleurs, dans aucune politique publique de protection de la biodiversité on ne défend l’idée hors-sol que les milieux du 21e siècle pourraient retrouver les mêmes peuplements que sous l’Ancien Régime, l’Antiquité ou d’autres moments du passé. On vise à éviter l’extinction d’espèces, ce qui est évidemment légitime et nécessaire, mais pas à revenir aux effectifs de ces espèces dans le passé. Ce qui vaut pour l’ours ou le loup vaut pour le saumon ou l’alose : le projet de détruire et réprimer l’occupation humaine des bassins versants en vue uniquement de maximiser des poissons migrateurs sur chaque tronçon de rivière est un projet aberrant. C’est aussi un projet mono-orienté qui peut être nuisible à d’autres formes de biodiversité s’il menace la rétention d’eau et aggrave les rivières à sec sans zone refuge : on l'a observé un peu partout à l’occasion des sécheresses récentes. 

Il faut en prendre conscience et réviser la politique des cours d’eau, en s’attaquant à ce qui inquiète bien davantage les populations, et de nombreux chercheurs : la pollution de l’eau, le risque de sécheresse et de crue, le changement climatique. Or pour toutes ces politiques, l’ouvrage hydraulique est un allié à mobiliser, pas une réalité à faire disparaître. 

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