31/12/2022
24/12/2022
Quelques remarques critiques sur l’accord de Kunming Montréal à la COP 15 de la biodiversité
Un accord international guidant les politiques de biodiversité vient d’être signé au Canada, à l’occasion de la COP 15 de la biodiversité. Quelques analyses critiques sur ces déclarations qui semblent manipuler des concepts détachés des réalités, passer sous le tapis l’autocritique des échecs passés, additionner des directions contradictoires sans méthode ni cohérence.
On appelle COP les «conférences de parties» autour des grands traités environnementaux sur le climat et l’énergie. La COP 15 de la Convention sur la biodiversité biologique vient de s’achever au Canada. Beaucoup ont salué l’accord final de cette COP 15 comme un succès inespéré (téléchargez ici le pdf en français de cet accord dit de Kunming Montréal). D’autres sont davantage sceptiques sur le réalisme de l’accord et sur la capacité à le traduire en actes dans les politiques publiques nationales, d’autant que les objectifs sont seulement indicatifs et non contraignants.
Les objectifs d’Aïchi 2020 n’ont jamais été atteints, sans analyse critique des causes de l’échec
A l’appui des sceptiques, il faut d’abord rappeler que l’accord de Kunming-Montréal signé à la 15e COP en 2022 fait suite à un précédent engagement datant de plus de 10 ans et ayant largement échoué à se réaliser.
La précédente déclaration internationale d’importance pour la biodiversité était les «Objectifs d'Aichi» (au nombre de vingt), qui formait le «Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020», adopté par les parties à la Convention sur la diversité biologique (CDB) en octobre 2010. Or ces objectifs n’ont pas du tout été atteints en 2020.
Quand une politique publique échoue, elle devrait déjà consacrer un exercice sincère et transparent d’analyse des causes de l’échec et de débat sur la capacité ou non à surmonter ces causes. Ce n’est pas vraiment le cas : on voit des déclarations succéder à des déclarations sans explication sur les échecs passés ni les capacités d’assurer les réussites futures. C'est démobilisateur car on entretient un effet «langue de bois» où les mots perdent leur sens et les élites leur crédibilité.
Nous avons déjà vécu le même phénomène avec le climat, sujet traité de manière plus pressante que la biodiversité : les COP se succèdent avec des promesses toujours plus fortes, mais après un quart de siècle de ces COP, l’énergie fossile représente toujours 80% de l’énergie finale consommée par les humains et des records d’émission de CO2 sont toujours battus. Le fossé entre les déclarations et les actes finit par entraîner une radicalisation d'une partie de la population, ainsi que des difficultés pour les gouvernants faisant des promesses qu'ils ne savent pas matériellement tenir.
Les causes identifiées de perturbation de la biodiversité exigeraient une décroissance rapide du volume de l’économie
La déclaration de Kunming-Montréal de 2022 énonce en liminaire : «Les facteurs directs de changement dans la nature ayant le plus d'impact au niveau mondial sont (en commençant par ceux qui ont le plus d'impact) les changements dans l'utilisation des terres et de la mer, l'exploitation directe des organismes, le changement climatique, la pollution et l'invasion d'espèces exotiques.»
C’est un reflet de ce que dit la littérature scientifique, mais cette énumération concerne en fait l’ensemble des activités humaines d’extraction, production et échange. Ce n'est pas exactement un détail...
Il n’existe pas d’économie en croissance ou en développement sans usage d’énergie, de matières premières, donc de surface maritime ou continentale. C’est bien l’activité économique (plus ou moins couplée à des demandes sociales) qui conduit à utiliser des terres et des mers, à exploiter des ressources naturelles dont des espèces sauvages, à changer le climat par usage d’énergie fossile et déforestation, à émettre des pollutions diverses et, involontairement, à permettre à des espèces exotiques de franchir des barrières naturelles pour s’installer dans de nouveaux milieux. Le cadre de Kunming-Montréal ne remet pas en cause ce développement humain : «Reconnaissant la Déclaration des Nations Unies sur le droit au développement de 1986, le cadre permet un développement socio-économique responsable et durable qui, en même temps, contribue à la conservation et à l'utilisation durable de la biodiversité.»
Or, dans un contexte de hausse démographique attendue jusqu’en 2050 au moins, voire 2100, et alors que les trois-quarts des humains n’ont pas atteint le niveau de vie moyen des pays déjà développés, aucune «recette» n’est donné pour rendre réellement compatible l’économie et l’écologie, la transformation de la nature pour créer des richesses et la protection de la nature pour préserver sa biodiversité. Les propositions qui sont faites (protéger des importantes quantités de surface et y interdire les perturbations, réduire l’usage de pesticides et de nutriments, revenir à une exploitation bien plus raisonnable des espèces sauvages, etc.) sont plutôt dépressives pour l’économie si elles sont appliquées sérieusement du point de vue de l’écologie. Mais sans l’assumer : mauvaise habitude d’additionner des choses contradictoires en fuyant l’affrontement intellectuel avec les contradictions. On peut penser que cet évitement des sujets qui fâchent est à l’origine de l’échec des objectifs d’Aichi et risque de mener à la même issue pour les objectifs de Kunming-Montréal.
Nous rappelons ci-dessous quelques-unes des courbes de l’Anthropocène dans la publication de Steffen 2015 que nous avions recensée. Il faudrait que presque toutes ces courbes connaissent une nette inflexion vers le bas au cours de la présente décennie. Est-ce crédible? Est-ce réaliste?
Des concepts à foison, sujets à interprétations et conflits
Un autre point ambigu concerne les concepts utilisés dans l’accord. Ainsi il est dit que «l'intégrité, la connectivité et la résilience de tous les écosystèmes sont maintenues, améliorées ou restaurées, ce qui accroît considérablement la superficie des écosystèmes naturels d'ici à 2050». Ou bien encore : «La biodiversité est utilisée et gérée de manière durable et les contributions de la nature aux populations, y compris les fonctions et les services des écosystèmes, sont valorisées, maintenues et renforcées, et celles qui sont en déclin sont restaurées, ce qui favorise la réalisation du développement durable, au profit des générations actuelles et futures d’ici à 2050.»
Il est un peu inquiétant qu’un texte juridique, censé être sobre en mots et clair en intentions, se permette une telle profusion de concepts. La notion d’intégrité date plutôt de l’écologie des années 1970-1980, elle est moins usitée aujourd’hui car les écosystèmes sont dynamiques et on doit éviter l’illusion que leurs espèces et populations sont stables dans le temps – en particulier à l’Anthropocène où les forces de changement impulsées par la société industrielle vont continuer à exercer leurs effets à différents échelles de temps et d’espace. Les fonctions et services liés aux écosystèmes peuvent donner lieu à des interprétations diverses, en particulier s’ils s’opposent à l’idée d’une «valeur intrinsèque» de la nature et permettent des exploitations ayant des effets perturbateurs malgré tout.
L’accord admet aussi un pluralisme des visions de «la nature» – ce qui en soi une bonne chose car on ne voit pas pourquoi un concept aussi lourd que «la nature» ferait d’objet d’un discours mono-interprétatif chez les humains, fut-ce un discours scientifique –, mais l’accord ne fixe pas les conditions d’exercice de ce pluralisme : «La nature incarne différents concepts pour différentes personnes, notamment la biodiversité, les écosystèmes, la Terre nourricière et les systèmes de vie. Les contributions de la nature aux personnes incarnent également différents concepts, tels que les biens et services des écosystèmes et les dons de la nature.» Comment s’articulent le débat démocratique et la conservation écologique ? Comment passe-t-on du discours (technique, scientifique) des faits naturels aux échanges (philosophiques, politiques, symboliques, existentiels) sur les interprétations et valeurs attachées aux faits naturels? Comment évite-t-on dans les sociétés occidentales et parfois ailleurs l’actuel «scientisme» ou «technocratisme» où la politique de biodiversité semble se résumer à l’avis d’experts sur la biodiversité au lieu que cet avis ne soit qu’un des éléments du débat ? Même pour les discours d’expertise, comment améliore-t-on le manque énorme de données locales et de modèles du vivant, alors que la biodiversité (contrairement au climat) est toujours le fait de choix contextuels et contingents, concernant des lieux précis dans des dynamiques précises?
30% d'espaces protégés en 2030.... faire presque autant en dix ans qu'on en a fait en demi-siècle?
Dans les ambiguïtés, la mesure phrase de protection de 30% des milieux ne dit pas comment ces milieux doivent être gérés bien que soient mentionnés leur «utilisation durable» et les «droits … des communautés locales» : «Faire en sorte et permettre que, d'ici à 2030, au moins 30 % des zones terrestres, des eaux intérieures et des zones côtières et marines, en particulier les zones revêtant une importance particulière pour la biodiversité et les fonctions et services écosystémiques, soient effectivement conservées et gérées par le biais de systèmes d'aires protégées écologiquement représentatifs, bien reliés et gérés de manière équitable, et d'autres mesures efficaces de conservation par zone, en reconnaissant les territoires autochtones et traditionnels, le cas échéant, et intégrés dans des paysages terrestres, marins et océaniques plus vastes, tout en veillant à ce que toute utilisation durable, le cas échéant dans ces zones, soit pleinement compatible avec les résultats de la conservation, en reconnaissant et en respectant les droits des peuples autochtones et des communautés locales, y compris sur leurs territoires traditionnels.»
Les expériences en écologie de la conservation (ou de la restauration) montrent de fréquents conflits sociaux entre les aspirations des populations locales et les injonctions propres à la gestion de biodiversité souvent décidées par des expertises éloignées du territoire (voir Blanc 2020). En excès inverse, certains parcs naturels offrent des "protections de papier" que ne protègent pas grand chose (même avec cette légèreté, il a fallu 60 ans pour passer de 2 à 17% des zones officiellement protégées, ce qui rend douteux de passer de 17 à 30% en quelques années).
En outre, la restauration écologique de milieux dégradés reste une discipline expérimentale, qui coûte rapidement de l’argent si un foncier important est concerné, qui n’a pas toujours de bons retours d’expérience, qui manque le plus souvent de données et de modèles pour être sûre de sa compréhension des écosystèmes locaux, qui n’est pas encore mûre pour devenir une pratique banale à résultats garantis sans mauvaises surprises et sur de larges surfaces. Etendre tout cela (conservation et restauration) à 30% des espaces en 10 ans paraît bien trop optimiste. Et la biodiversité ordinaire des 70% d’espaces restant n’a pas vraiment de guide dans ce schéma.
Conclusion
Face au risque élevé d’extinction d’espèces et de perte de services écosystémiques utiles, il est normal que la biodiversité figure dans les politiques publiques – ce qui était déjà le cas (timidement) sous le nom de "protection de la nature" au 20e siècle. Mais le sujet est trop confiné dans des cercles spécialisés, pas assez confronté à diverses contradictions avec notre système de production, pas assez ouvert au débat démocratique sur les natures que désirent en dernier ressort les citoyens.
20/12/2022
L'échec français de la continuité des rivières par destruction de seuils et barrages, une leçon pour l'Europe
Dans les années 2000 et surtout 2010, la France est le premier pays européen à avoir testé une politique systématique de destruction des ouvrages des cours d'eau par pressions financières et règlementaires en ce sens. Une controverse est née immédiatement autour d'ouvrages présentant un fort attachement riverain et certains usages comme les moulins, les étangs, les plans d'eau, les lacs de barrage ou les canaux. Le résultat du choix français de prime à la destruction des ouvrages hydrauliques est un échec social, écologique, juridique et politique, avec de fortes contestations et la délégitimation d'une politique publique de l'eau. Alors que l'Europe songe à engager une "restauration de la nature" fondée sur la même idéologie en ce qui concerne les rivières, nous constatons que ses décideurs ne sont pas informés des controverses et que les experts naturalistes conseillant la Commission ne manifestent guère d'intérêt pour les enjeux riverains ni pour l'examen concret des résultats dans les rivières aux ouvrages détruits. La négation des retours d'expérience ne produira que des confusions évitables. Avec la coordination Eaux et rivières humaines, nous proposons un dossier d'information en langue française et anglaise pour que les décideurs européens développent une pensée critique sur le sujet.
18/12/2022
Les pesticides sous-évalués dans la mise en œuvre de la directive cadre européenne sur l’eau (Weisner et al 2022)
En échantillonnant des cours d’eau de zones agricoles, des chercheurs montrent que la mise en œuvre de la directive cadre sur l’eau minore largement la pollution des rivières par les pesticides. Ils proposent de changer les méthodologies pour avoir une mesure plus juste du poids des toxiques dans les impacts aquatiques. Leur étude est allemande, mais les mêmes problèmes se posent en France et dans les autres Etats-membres. Alors que toutes les analyses en hydro-écologie quantitative ont montré que les pollutions et les usages des sols du bassin versant sont les deux premiers prédicteurs de mauvaise qualité écologique d’une masse d’eau, trop de gestionnaires publics divertissent l’attention sur des sujets très secondaires.
La directive cadre européenne sur l’eau 2000 a exigé de tous les Etats-membres une analyse par indicateur de la qualité chimique et écologique des cours d’eau, des plans d’eau, des estuaires et des nappes. Mais encore faut-il que les indicateurs soient corrects. Oliver Weisner et huit collègues viennent de montrer que l’analyse de la présence des pesticides dans l’eau est défaillante.
Voici le résumé de leur étude
« La directive-cadre sur l'eau (DCE) exige qu'un bon état soit atteint pour toutes les masses d'eau européennes. Alors que la surveillance gouvernementale dans le cadre de la DCE conclut principalement à un bon état de la pollution par les pesticides, de nombreuses études scientifiques ont démontré des impacts écologiques négatifs généralisés de l'exposition aux pesticides dans les eaux de surface.
Pour identifier les raisons de cet écart, nous avons analysé les concentrations de pesticides mesurées lors d'une campagne de surveillance de 91 cours d'eau agricoles en 2018 et 2019 en utilisant des méthodologies qui dépassent les exigences de la DCE. Cela comprenait une stratégie d'échantillonnage qui prend en compte l'occurrence périodique des pesticides et un spectre d'analytes différent conçu pour refléter l'utilisation actuelle des pesticides. Nous avons constaté que les concentrations acceptables réglementaires (RAC) étaient dépassées pour 39 pesticides différents dans 81 % des sites de surveillance. En comparaison, la surveillance conforme à la DCE des mêmes sites n'aurait détecté que onze pesticides comme dépassant les normes de qualité environnementale (NQE) basées sur la DCE sur 35 % des sites de surveillance.
Nous suggérons trois raisons pour cette sous-estimation du risque lié aux pesticides dans le cadre de la surveillance conforme à la DCE :
(1) L'approche d'échantillonnage - le moment et la sélection du site sont incapables de saisir de manière adéquate l'occurrence périodique des pesticides et d'enquêter sur les eaux de surface particulièrement sensibles aux risques liés aux pesticides ;
(2) la méthode de mesure - un spectre d'analytes trop étroit (6 % des pesticides actuellement autorisés en Allemagne) et des capacités analytiques insuffisantes font oublier des facteurs de risque;
(3) la méthode d'évaluation des concentrations mesurées - la niveau de protection et la disponibilité de seuils réglementaires ne suffisent pas à assurer un bon état écologique.
Nous proposons donc des améliorations pratiques et juridiques pour améliorer la stratégie de surveillance et d'évaluation de la DCE afin d'obtenir une image plus réaliste de la pollution des eaux de surface par les pesticides. Cela permettra une identification plus rapide des facteurs de risque et des mesures de gestion des risques appropriées pour améliorer à terme l'état des eaux de surface européennes. »
Discussion
Le problème pointé ici en Allemagne est répandu dans toute l’Europe (voir nos articles sur les pollutions par pesticides). Les chercheurs admettent qu’il circule bien davantage de substances toxiques que celles «officiellement» et occasionnellement mesurées sur les points de contrôle de la DCE. Le problème ne concerne d’ailleurs pas que les pesticides (par exemple les microplastiques et les médicaments sont mal cernés), ni que l’eau (les sédiments sont aussi contaminés).
Cette sous-estimation pose un problème évident dans la construction des politiques publiques. L’objectif de bonne qualité écologique de l’eau suppose que l’on mesure et pondère correctement ce qui affecte la vie aquatique. Or, si un facteur connu comme nuisible au vivant est ignoré ou minimisé, cela fausse les analyses, les conclusions et les orientations d’action. Aujourd’hui, les études d’hydro-écologie quantitative comparent l'état de nombreuses rivières en fonction des impact connus de leur bassin versant, afin de hiérarchiser ces impacts et de définir les plus délétères. La pollution chimique y est souvent estimée à partir des marqueurs nitrates et phosphates, faute de données suffisantes sur d’autres substances. Même avec cette limitation, ces études concluent déjà que la pollution est (avec l’usage des sols du bassin versant) le premier prédicteur de dégradation écologique. D’autres causes qui sont souvent mises en avant par des gestionnaires publics (comme la morphologie et, en particulier, les ouvrages hydrauliques) n’ont qu’un poids faible sur les différences écologiques entre masses d’eau, au moins telles que les mesure la DCE.
Référence : Weisner O et al (2022), Three reasons why the Water Framework Directive (WFD) fails to identify pesticide risks, Water Research, 208, 117848
16/12/2022
La LPO ne laissera pas assécher l'étang du Pont de Kerlouan au nom de la continuité écologique
Le dogme de la continuité écologique des rivières conduit partout en France à assécher des étangs, des plans d'eau, des canaux et leurs marges humides, au nom du retour à une hypothétique "naturalité". Mais dans les faits, cela concerne des milieux en place depuis des décennies à des siècles, ayant été colonisés par le vivant et présentant parfois de l'intérêt pour la faune et la flore. En Bretagne, la tentative de destruction de l'étang du Pont de Kerlouan vient de rencontrer l'opposition de l'antenne locale de la LPO, qui souligne la présence de 112 espèces d'oiseaux dont 57 patrimoniales et 36 protégées. Le bureau d'études en charge de certifier l'intérêt du projet pour la biodiversité n'avait curieusement rien vu... Mais pour un site étudié par des amoureux des oiseaux, combien d'autres plus modestes ont été négligés et condamnés au terme d'une instruction bâclée et à charge?
Depuis quelques années, un projet d'imposition de la continuité écologique est porté sur le ruisseau du Quillimadec, à hauteur de l'étang du Pont sur la commune de Kerlouan, malgré l'avis négatif de nombreux riverains attachés au site (voir cet article de 2021 et la pétition des citoyens).
Aujourd'hui, les protecteurs de l'étang et de ses marges humides viennent de trouver un allié de poids : la ligue de protection des oiseaux.
Nous publions ci-après un extrait de la lettre de la LPO à la Communauté Lesneven Côtes des Légendes, porteur du projet.
"Datant probablement du 19ème siècle, l'étang du Pont a été créé sur le cours d'eau du Quillimadec. Les ouvrages hydrauliques situés en aval de l'étang, liés à l'histoire du site et l'activité meunière, entravent aujourd'hui la libre circulation des poissons et des sédiments. Identifié comme cours d'eau à intérêt pour les grands migrateurs, l'enjeu actuel imposé par la DCE1 est de rétablir la continuité écologique du Quillimadec. Le bureau d'études SINBIO, missionné sur ce dossier a rendu son rapport et présenté 5 scénarios et ses variantes pour répondre à l'enjeu précité. La majorité des acteurs consultés se sont positionnés en faveur du scénario 1 présenté par le bureau d'études SINBIO, soit l'effacement de l'étang et le reméandrage du cours d'eau ; choix validé par les élus communautaires en octobre 2021 d'après la presse.
Il s'avère en effet que dans de nombreux cas d'étangs sur cours d'eau, ce choix technique est pertinent pour de multiples raisons que la LPO Bretagne partage. Cependant dans le cas de l'étang du Pont, il nous apparaît que les conséquences de ce scénario sur la biodiversité n'ont pas été correctement évaluées. Nous faisons en effet le constat que le dossier ne prend pas suffisamment en compte les implications du projet sur les milieux naturels impactés et sur l'ensemble des espèces présentes. Or, le site concentre de forts enjeux pour l'avifaune nicheuse et migratrice, qui semblent avoir été totalement oubliés.
Les études naturalistes réalisées par Bretagne Vivante ont ainsi démontré que le site de l'Étang du Pont est un « site original et attractif en l'état pour les oiseaux». Sur la période 2019-2020, 112 espèces d'oiseaux ont été recensées sur le site dont 57 patrimoniales ou indicatrices et 36 autres intégralement protégées.
Il est donc absolument nécessaire que le projet intègre à sa réflexion les enjeux liés à l'avifaune nicheuse, laquelle comporte notamment un cortège très spécifique d'oiseaux paludicoles, présentant des enjeux de conservation (espèces inféodées aux étendues de roselières, cariçaies, mégaphorbiaies), mais aussi les enjeux liés à l'avifaune migratrice et hivernante, très riche et originale sur le site, et qui exploite les surfaces de vasière et d'eaux peu profondes.
La restauration du lit naturel du cours d'eau, telle que prévue, bouleverserait les habitats naturels en place, et de fait, les cortèges faunistiques associés. Ce phénomène n'est pas décrit dans le dossier.
Par ailleurs, il est constaté que le projet d'effacement de l'étang s'accompagne de la création de mares, qui vise à recréer des niches écologiques intéressantes. Cependant, cette mesure conduirait à un fractionnement des habitats naturels dont dépendent des espèces à enjeux de conservation aujourd'hui présentes. Certaines de ces espèces à enjeux de conservation ne se reporteront pas sur les espaces humides plus petits et moins homogènes que sont les mares. Par ailleurs la pérennité de ces mares n'est pas garantie, elles seront très vite colonisées par le saule et naturellement comblées en quelques années. La création de mares ne compenserait donc pas les habitats humides en place aujourd'hui, et conduirait à un appauvrissement et à une banalisation du milieu naturel.
On ne peut donc pas résumer le scénario 1 à « un gain de biodiversité », comme cela est présenté actuellement, car il convient de bien considérer la perte des habitats occasionnée pour de nombreuses espèces protégées. La LPO Bretagne craint donc au contraire que ce projet, en l'état, soit facteur d'une baisse notable de biodiversité sur le site.
Il est en outre à noter que lors d'échanges que nous avons partagés avec des riverains, il semble rait que toutes les pistes n'aient pas été explorées à ce jour: la restauration du lit mineur, l'existence d'une échelle à poissons à réhabiliter, la piste d'entretien de l'étang par pompage dans un puits à sédiments avant l'exutoire, etc..
C'est pourquoi, au regard des éléments énoncés en substance, la LPO Bretagne demande à relancer le débat avec l'ensemble des acteurs afin de trouver une issue technique qui n'oppose surtout pas la faune piscicole et l'équilibre de la rivière à l'avifaune. Elle alerte par ailleurs le porteur de projet et les autorités sur la nécessité de déposer une demande de dérogation espèces protégées dans l'hypothèse où le scénario 1 serait mis en œuvre et de présenter le cas échéant des mesures d'évitement, de réduction et/ou de compensation."
Commentaire
Le déni de l'intérêt des milieux aquatiques et humides créés par les ouvrages hydrauliques est un véritable scandale public, qui a déjà abouti à la disparition de milliers de sites dans la plus grande indifférence des services officiels de la biodiversité.
Partout en France, on a détruit et asséché des retenues, de plans d'eau, des canaux, parfois vieux de plusieurs siècles, sans aucune étude sérieuse de leur biodiversité aquatique et terrestre. Tout cela au nom de deux dogmes qui dominent trop souvent les instructions : un milieu artificiel ne peut pas être intéressant par principe (position de nombreux agents instructeurs de l'OFB et de techniciens de syndicats de rivière); l'enjeu essentiel est censé être le retour à des rivières lotiques pour des poissons de milieux lotiques (position de diverses fédérations de pêche qui prétendent monopoliser la définition des milieux d'intérêt, en particulier en zone salmonicole).
Nous avons maintes fois alerté les services de l'Etat, diffusé des dossiers montrant que des chercheurs soulignent la nécessité d'étudier la faune et la flore des habitats anthropiques avant d'intervenir. En vain dans la plupart des cas. Notre association est toujours en contentieux concernant la destruction de l'étang de Bussières, en Bourgogne, malgré l'intérêt de ses habitats et la présence d'espèces patrimoniales.
Désormais et fort heureusement, le conseil d'Etat a rétabli la nécessité de l'étude d'impact et de l'enquête publique avec d'imposer des solutions perturbant un site. Nous appelons évidemment tous les citoyens à recenser l'ensemble des services écosystémiques associés aux plans d'eu et canaux, ainsi qu'à inventorier leur faune et leur flore pour répondre au déni des services instructeurs et de certains lobbies.
13/12/2022
L’Europe va-t-elle voter en catimini la destruction en série des barrages, moulins, étangs, retenues, canaux et plans d’eau ?
La règlementation Restore Nature, inspirée à la commission européenne par les lobbies et experts militant pour le retour à la rivière sauvage, prévoit comme seule option sur les cours d’eau concernés la destruction des ouvrages hydrauliques. Ce choix radical a pourtant déjà mené à des conflits, contentieux et condamnations en France, pays qui a tenté d’en faire l’essentiel de sa politique publique des ouvrages en 2010, avant d’abandonner. Nous appelons les députés européens à mener leur travail politique d’analyse critique des positions bien trop radicales de la commission sur ce sujet, d’autant qu’elles viennent d’être aggravées et non améliorées par le rapporteur environnement du Parlement. L’eau et l’énergie sont des dimensions critiques pour les populations européennes , elles vont le devenir de plus en plus au cours de ce siècle. L'avenir des ouvrages hydrauliques se réfléchit à la lumière de ces enjeux. Quant à la négation de six millénaires de relations humaines aux rivières au nom d’une vision théorique de la nature déshumanisée, c’est un choix idéologique n’ayant certainement pas vocation à inspirer une politique publique à échelle du continent. Une réécriture plus démocratique, plus intelligente et plus inclusive du texte est indispensable.
La commission environnement du parlement européen vient de rendre un premier rapport préliminaire d’évolution de la règlementation «Restore Nature» (lien pdf).
Nous sommes au regret de constater que le rapporteur principal Cesar Luena (S&D, Espagne) n’a pour le moment tenu aucun compte de nos observations faites sur les défauts du texte de la commission concernant la restauration de rivière, et qu’il les a même aggravés.
Rappelons que cette règlementation européenne, dans son article 7, propose la seule «destruction d’obstacle» comme outil de restauration de rivière. Concrètement, détruire les barrages, seuils, chaussées, digues, assécher leurs milieux aquatiques attenants, faire disparaître leur patrimoine paysager et culturel, éliminer leurs usages sociaux. Ce choix est navrant par sa radicalité, car il correspond aux seules demandes des lobbies intégristes du retour à la rivière sauvage – lobbies soutenus par une fraction de la recherche en écologie de la conservation, qui est sur cette même ligne idéologique (mais qui ne résume évidemment et heureusement pas tout ce que les sciences peuvent dire des ouvrages hydrauliques). Il est possible de restaurer des fonctionnalités au droit d’un ouvrage en rivière par des mesures de gestion ou d’équipement, options qui doivent donc figurer dans le texte de la réglementation. La destruction doit être l'exception, pas la norme.
Par ailleurs, si le texte actuel rappelle que la mesure est censée concerner des sites «obsolètes» sans usage d’énergie ou de stockage d’eau, il oublie de nombreuses dimensions qui ont été soigneusement niées par les lobbies (et parfois les experts) : existence d’habitats anthropiques d’intérêt sur les sites anciens , patrimoines locaux, régulation de crues et sécheresses, etc. L’ajout fait par Cesar Luena et deux co-rapporteurs tend même à aggraver le texte initialement proposé par la Commission, puisqu’il inclut désormais sans réserve d’usage des «barrières dont la suppression a un fort impact écologique». C’est notamment ici la demande du lobby naturaliste WWF, de Dam Removal et de quelques autres acteurs ne faisant pas mystère de leur souhait de détruire des barrages même s’ils produisent de l’hydro-électricité ou assurent des stocks d’eau. Un choix qui indigne le citoyens partout où il est proposé.
Nous allons bien évidemment appeler les parlementaires européens à revenir à la raison. Un dossier consacré à l’échec français en matière de continuité écologique commence à leur être diffusé (il sera bientôt disponible sur ce site).
Ce texte européen se veut un banc d’essai sur quelques dizaines de milliers de kilomètres de rivières à restaurer, avec une amplification après 2030. Il doit partir sur des bonnes bases :
- L’Europe affrontera des besoins critiques en eau et en énergie, qui doivent avoir primauté normative non ambigüe sur les options de «ré-ensauvagement» des milieux aquatiques.
- Les tentatives d’imposer aux populations locales des solutions uniques décidées par des technocraties lointaines échouent partout, elles se traduisent par des injustices territoriales et par une régression de la perception de l’écologie.
- Les rivières européennes sont des réalités anthropisées depuis 6 millénaires, tandis que le réchauffement climatique est en train de changer les conditions de tous les systèmes aquatiques. Il est donc simpliste et même aberrant de faire encore croire aux citoyens qu’une «nature» se «restaure» dans un état antérieur sous prétexte que tel ouvrage est ou non présent.
- L’obsession du retour à une nature pré-humaine peut aussi se traduire par la destruction d’habitats anthropiques d’intérêt, cette issue doit donc être clairement traitée par le droit en exigeant des inventaires préalables complets de biodiversité sur site, en interdisant des perturbations ne correspondant à aucun intérêt public réel, ou ayant des alternatives meilleures.
- Il est tout à fait possible de préférer des aménagements de tronçons de rivière en vue d’avoir une haute «naturalité» (entendue comme faible impact humain), mais un tel choix doit relever des préférences locales au cas par cas, avec justification forte et adhésion réelle. Un tel choix constitue par ailleurs lui aussi et en dernier ressort un aménagement anthropique (la création d’un certain type de paysage fluvial désiré par des riverains). Opposer l’humain et la nature n’a pas ici de sens, ce sont toujours des relations nature-culture qui se décident et se déploient.
- La technocratie européenne doit écouter l'ensemble des parties prenantes concernées dans la construction de ses décisions, et non une sélection d'acteurs confortant des choix administratifs sectoriels. Elle doit aussi respecter le principe de subsidiarité et ne pas imposer aux Etats et aux communautés des choix prédéfinis là où il existe des alternatives.
10/12/2022
Pas de politique de stockage et de gestion de l’eau sans progrès des connaissances et sans intégration de tous les acteurs concernés
Alors que le Sénat publie un rapport sur la question du stockage de l'eau, notre association constate deux problèmes de gouvernance. D'une part, il existe entre 500 000 et 1 million de plans d'eau d'origine humaine qui sont très mal connus aujourd'hui, peu étudiés au plan scientifique et pluridisciplinaire, négligés par l'administration de l'écologie car leur origine artificielle fait présumer qu'ils seraient sans intérêt, voire qu'ils devraient être détruits et asséchés. D'autre part, les propriétaires et gestionnaires des ouvrages et sites concernés ne sont pas associés de manière permanente aux politiques publiques et aux instances de réflexion, ce qui a conduit à des échecs de certaines de ces politiques, comme dans le cas de la continuité écologique. Le problème sera le même demain sur la gestion quantitative et qualitative des plans d'eau pour la société et le vivant. Nous appelons les représentants politiques et administratifs à changer de vision et à admettre que la gestion future de l'eau pour de multiples usages doit intégrer cette réalité aussi massive que niée.
Notre association salue le rapport sénatorial de prospective Comment éviter la panne sèche ? huit questions sur l'avenir de l'eau en France, rendu public ce jour.
Parmi les nombreux points soulevés dans ce travail, on trouve la question des outils actuels de stockage et régulation de l’eau. En particulier les petits ouvrages hydrauliques, bien moins connus que les grands réservoirs dont la gestion est souvent publique.
Il existe aujourd’hui 50 000 à 70 000 moulins à eau en lit mineur, 200 000 à 250 000 étangs en lit mineur ou majeur, 500 000 à 700 000 plans d’eau de toutes dimensions en lit majeur.
Ces réalités sont très anciennes puisque le stockage et usage d’eau a commencé dès l’Antiquité et s’est accéléré à partir du Moyen Âge. D’autres ouvrages ont été bâtis au 20e siècle, en particulier avant la loi de 1992 qui a davantage réglementé la création de plans d’eau.
Même si ces plans d’eau (et canaux) sont de petites dimensions, leur grand nombre fait qu’ils représentent un volume d’eau considérable pour la société, l’économie et le vivant.
Problème n°1 : défaut de connaissance
Hélas, cette réalité est encore peu traitée du point de vue de la connaissance. Un inventaire national des plans d’eau est en cours de constitution et sa première version sera rendue publique en 2023. Il existe un référentiel des obstacles à l’écoulement (ROE) pour les ouvrages en lit mineur, avec déjà plus de 100 000 entrées.
Cependant, la réalité derrière les nomenclatures administratives n’est pas analysée sérieusement. L’objectif quasi unique du gestionnaire public a été la continuité écologique en long sur les ouvrages en lit mineur, alors que la science a démontré que des dizaines de services écosystémiques sont associés aux plans d’eau (et aux canaux parfois annexes des plans d’eau), en particulier :
- Régulation des crues et sécheresses
- Biodiversité de milieux lentiques et humides
- Zone refuge en étiage
- Dépollution des intrants et auto-épuration
- Production d’énergie, pisciculture
- Adaptation au changement climatique par îlot de fraîcheur
- Réserves incendie très réparties
- Agréments culturels, paysagers et de loisirs
Problème n°2 : défaut de représentation et concertation
A la carence de connaissances s’ajoute le problème du défaut de représentation institutionnelle.
Aujourd’hui, ces ouvrages ne sont pas représentés de manière permanente au comité national de l’eau, aux comités de bassin des agences de l’eau, ni parfois dans les enquêtes parlementaires sur les thèmes les concernant.
C’est la raison pour laquelle la réforme de continuité écologique en long s’est très mal passée, ayant été conçue sans travail sérieux avec les premiers concernés pour envisager sa faisabilité et son acceptabilité. Le problème sera le même pour la politique de gestion quantitative et qualitative de l’eau.
Nous demandons en conséquence une double évolution des pratiques :
- Une politique d’acquisition de connaissances sur la diversité des plans d’eau, leurs services écosystémiques et leurs dimensions d’intérêt pour les politiques de l’eau, en vue non de les faire disparaître au nom de la « renaturation » ou de la « continuité », mais de les valoriser et de les associer aux objectifs d’intérêt général,
- Un élargissement des instances de réflexion et concertation de l’eau aux acteurs représentant les ouvrages hydrauliques concernés (moulins, étangs, canaux, plans d’eau).
A lire sur ce thème
09/12/2022
"Disqualifier globalement le stockage d'eau ne paraît pas fondé scientifiquement"
Cécile Cukierman, Alain Richard, Catherine Belrhiti et Jean Sol ont présenté hier les conclusions de leur rapport "Comment éviter la panne sèche ? huit questions sur l'avenir de l'eau en France", fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective. Nous proposons ici un extrait du rapport sur le stockage de l’eau, dont l’une des conclusions est qu'il n'y a pas de base scientifique au refus de principe du stockage.
Le stockage de l'eau : un sujet sensible
Dès lors que les précipitations sont abondantes en hiver et réduites en été, la constitution de réserves d'eau jouant un rôle d'amortisseur inter-saisonnier apparaît comme une solution de bon sens. La pratique est d'ailleurs déjà mise en oeuvre à travers de nombreux barrages et lacs de retenue, qui servent au soutien d'étiage et contribuent au développement des activités humaines.
La France ne retient qu'assez peu l'eau qu'elle reçoit : seulement 4,7 % du flux annuel d'eau est stocké en France (nos barrages ont une capacité de 12 milliards de m3 pour une pluie efficace de 190 à 210 milliards de m3), alors que l'on atteint presque 50 % en Espagne (54 milliards de m3 sur 114 milliards de m3 de pluies efficaces)70(*). Mais la politique de stockage de l'eau est très critiquée et n'est pas considérée de manière consensuelle comme une solution durable. Elle est pourtant un enjeu pour toute société humaine sédentarisée.
a) L'amélioration des capacités de stockage existantes
Il existe une multitude de retenues permettant de stocker l'eau, très variables selon leur taille, leur mode d'alimentation - retenue collinaire alimentée par ruissellement et retenue de substitution alimentée par pompage - ou encore leur mode de gestion, individuelle ou collective. Les finalités des retenues peuvent être aussi variées : production hydroélectrique, soutien d'étiage, irrigation, pisciculture ou pêche de loisir, tourisme, sports d'eau, neige de culture, réservoir pour lutter contre les incendies ...
Dans une publication de 2017 consacrée à l'impact cumulé des retenues d'eau sur le milieu aquatique, un collectif d'experts indiquait que jusque dans les années 1990, la France avait vu les retenues d'eau se multiplier pour répondre notamment aux besoins d'irrigation agricole71(*). Mais la même publication soulignait qu'on ne disposait pas aujourd'hui de recensement précis de ces retenues, en particulier des petites retenues. S'appuyant sur des travaux du début des années 2000, cette publication estimait qu'il existait « environ 125 000 ouvrages de stockage pour une surface de 200 à 300 000 ha et un volume total d'environ 3,8 milliards de m3 stockables. Près de 50 % des retenues recensées avaient une superficie inférieure à un hectare, pour un volume inférieur dans 90 % des cas à 100 000 m3 et une profondeur inférieure à 3 m dans 50 % des cas et 5 m dans 90 % des cas ». Le volume moyen des ouvrages destinés à l'irrigation agricole était estimé autour de 30 000 m3, soit l'équivalent d'une dizaine de piscines olympiques.
Or, une partie de ces retenues est mal utilisée et connaît d'importants taux de fuite. Une stratégie de remobilisation et de modernisation de ces retenues pourrait déjà être entreprise mais elle se heurte à des difficultés de financement, la mise aux normes n'entrant pas dans le périmètre des opérations subventionnables lorsqu'il n'y a aucune économie d'eau à la clef. Une autre possibilité consiste à augmenter la capacité de retenues existantes en les rehaussant. La remobilisation des réserves est parfois difficile lorsque la propriété des terrains a évolué et, en pratique, peu de propriétaires sont ouverts à la réutilisation de leurs plans d'eau par des tiers.
b) La création de retenues supplémentaires
L'ensemble des représentants du monde agricole auditionnés a insisté sur la nécessité d'aller vers la constitution de retenues nouvelles. Il s'agirait de retenues de substitution, en cela qu'elles viseraient à davantage stocker pendant les périodes de hautes eaux pour moins puiser l'été dans les cours d'eau ou les nappes phréatiques.
L'objectif consiste à sécuriser la disponibilité de la ressource en eau et donc la production agricole. Les retenues peuvent aussi être utiles pour lutter contre les incendies dont l'année 2022 a montré qu'ils pouvaient se déclencher partout en cas de fortes chaleurs, y compris en Bretagne ou en Anjou.
Les Agences de l'eau ne peuvent d'ailleurs pas subventionner de projets de stockages d'eau supplémentaires qui ne viseraient pas, d'abord, à effectuer des économies durant la période d'étiage. Seule la partie de l'ouvrage correspondant au volume de substitution est éligible au soutien des Agences de l'eau jusqu'à 70 % du coût du projet.
Si les retenues collinaires sont globalement mieux acceptées que les retenues en plaine, qualifiées de « bassines », dans la mesure où les premières sont alimentées exclusivement par le ruissellement quand les secondes le sont par pompage, les deux modalités, parfois confondues dans le langage courant, se heurtent à des oppositions de principe exprimées fortement par les associations environnementales, notamment en réaction aux conclusions du Varenne de l'eau début 2022. Ainsi, France Nature Environnement (FNE) a estimé que les impacts hydrologiques (interception des flux d'eau, moindre débit en aval, étiage accentué, blocage du transit sédimentaire), physico-chimiques (eutrophisation d'une eau stagnante) et biologiques (perte d'habitat en cas d'assèchement des zones humides avoisinantes, atteintes à la continuité écologique) des retenues étaient globalement négatifs.
Les opposants au développement des retenues soulignent en outre qu'une stratégie fondée sur les retenues d'eau inciterait à ne pas réfléchir à une agriculture moins consommatrice d'eau et créerait un faux sentiment de sécurité, alors même que l'accélération du réchauffement climatique pourrait conduire ces retenues à être à sec même si les règles initiales de prélèvement étaient respectées, en cas de déficit prolongé de pluviométrie ou de ralentissement structurel du rythme de recharge des nappes.
Au final, les opposants aux retenues contestent l'utilité de dépenses publiques importantes pour mettre en place des infrastructures qui ne bénéficient qu'à quelques agriculteurs utilisateurs de l'eau, ce qui constitue à leurs yeux une atteinte inacceptable au caractère de bien public attribué à l'eau.
À l'inverse, les agriculteurs insistent sur la nécessité de faciliter les procédures extrêmement lourdes et coûteuses qui forment des obstacles quasi-infranchissables sur le chemin de la création d'une nouvelle retenue. Dans l'Ardèche, il a été indiqué que l'état actuel de la réglementation empêchait concrètement tout nouvel ouvrage en zone humide. Il a été souligné que le coût des études d'impact était parfois supérieur au coût des travaux, conduisant les porteurs de projets à y renoncer. Il est significatif de constater que si, dans les Pyrénées-Orientales, la chambre d'agriculture a identifié 20 sites permettant de réaliser des retenues d'eau, aucun projet n'a pu se concrétiser depuis plus d'une décennie.
Faut-il rejeter par principe le stockage de l'eau, alors qu'une partie du développement agricole avait reposé jusqu'à présent sur la mise en place d'ouvrages et d'équipements d'irrigation ? La réponse est négative. Le rapport de la délégation à la prospective de 2016, déjà, insistait sur la nécessité de mettre en place une stratégie de stockage d'eau. La réglementation est très stricte et ne permet pas de faire des stockages de confort. Les études d'impact demandées sont très détaillées et les autorisations ne sont délivrées que lorsqu'il n'y a pas d'effets négatifs sur l'environnement. Il convient naturellement de contrôler avec soin les conditions de fonctionnement de ces réserves, une fois celles-ci construites et de surveiller les effets sur la ressource en eau des nouveaux ouvrages. Mais disqualifier globalement le stockage d'eau ne paraît pas fondé scientifiquement. C'est une analyse au cas par cas, à travers des procédures déjà très exigeantes, qui doit déterminer s'il est possible, territoire par territoire, de créer de nouvelles réserves.
Source : Éviter la panne sèche - Huit questions sur l'avenir de l'eau, Rapport d'information n° 142 (2022-2023) de Mmes Catherine BELRHITI, Cécile CUKIERMAN, MM. Alain RICHARD et Jean SOL, fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, déposé le 24 novembre 2022
08/12/2022
En cadeau pour l’hiver, France Nature Environnement obtient l’arrêt et la démolition d’une centrale hydro-électrique neuve
Le lobby naturaliste FNE a réussi son timing : à l’entrée de l’hiver, alors que la France souffre de pénurie et inflation énergétiques, le tribunal administratif de Grenoble vient de prononcer à sa requête l’illégalité d’une centrale hydro-électrique neuve et d’ordonner la démolition des ouvrages. Le motif en est que la baisse du débit dans le tronçon court-circuité serait assimilable à une rupture de continuité écologique pour une rivière classée liste 1 en réservoir biologique. Mais ce jugement de première instance fera probablement l’objet d’un appel. Les règlementations de biodiversité sont devenues l'un des premiers freins aux projets d’énergie renouvelable : les élus doivent donc exposer aux citoyens la manière dont ils vont assurer leur promesse d’une accélération de la transition énergétique, alors que les deux-tiers de l’énergie finale consommée en France sont encore d’origine fossile. Car notre association comme bien d’autres n’hésiteront pas à mener leurs propres contentieux contre l’Etat s’il se maintient en carence fautive sur la décarbonation, s’il méconnaît l’obligation légale de développer la petite-hydro-électricité et s’il met en danger la population par des choix affectant la garantie d’accès à l’énergie.
Source de l’image (photo) : Le Messager
La régie de gaz et d’électricité de Sallanches a sollicité en 2018, une autorisation environnementale afin d’exploiter une centrale hydroélectrique sur la rivière la Sallanche. Ce projet consiste à créer en amont du Pont de la Flée, une prise d’eau reliée à la centrale située en contrebas par une conduite forcée enterrée. A l’issue de l’enquête publique, le préfet de la Haute-Savoie a, par arrêté du 26 décembre 2019, autorisé le projet et déclaré d’utilité publique l’établissement d’une servitude. France Nature Environnement Auvergne-Rhône-Alpes (FNE) en a demandé l’annulation. Le chantier vient tout juste d’être terminé et l’inauguration de la centrale était prévue pour le mois de janvier prochain.
La centrale hydroélectrique consiste en l’installation d’un seuil sur le cours d’eau de la Sallanche où 72 % du tronçon court-circuité (4 200 mètres) de la rivière est classé, par arrêté du préfet de la région Rhône-Alpes du 19 juillet 2013, en liste 1 ainsi qu’en réservoir biologique , en application du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin Rhône-Méditerranée 2022-2027.
L’étude d’impact initiale sollicitait l’attribution d’un débit réservé de 50 l/s, correspondant au 12.5% du module. Le débit réservé finalement autorisé a été porté à 80 l/s, soit 20% du module du cours d’eau. Dans son avis du 12 décembre 2018, sollicité pour prendre en compte le nouveau débit réservé de 80 l/s, l’Agence française pour la biodiversité (aujourd’hui Office français pour la biodiversité) conclut que cette modification était toujours à une réduction de 53% du débit de la réserve biologique. Cet avis précise en outre que les données hydrologiques, avancées par la pétitionnaire dans son étude d’impact, se basent sur l’influence de l’aménagement au niveau de la restitution de l’usine alors que l’influence d’une dérivation sur un réservoir biologique doit logiquement être évalué dès la prise d’eau et non pas seulement à l’extrémité avale du tronçon court-circuité.
Le tribunal conclut : «Ainsi, il résulte de l’instruction que le projet modifie substantiellement l’hydrologie du cours d’eau et l’arrêté attaqué méconnaît dès lors les dispositions précitées du 4°du I de l’article R. 214-109 du code de l’environnement.»
L’article R. 214-109 du code de l’environnement, dans sa version remise en vigueur à la suite de l’annulation de l’article 1er du décret n°2019-827 par le Conseil d’Etat, précise que : «Constitue un obstacle à la continuité écologique, au sens du 1° du I de l'article L. 214-17 (…), l'ouvrage entrant dans l'un des cas suivants : (…) 4° Il affecte substantiellement l'hydrologie des réservoirs biologiques».
Ce que l’on peut en dire en débat scientifique
Une centrale hydro-électrique en dérivation modifie forcément le débit donc l’hydrologie du tronçon court-circuité. Par conception, une partie du débit de la rivière passe vers la centrale et non vers le lit originel du cours d’eau. Cette baisse de débit affecte la vie aquatique, de manière différente selon les saisons et le débit total du cours d'eau, mais dans quelle mesure ? Pour l’estimer, il faudrait avoir des analyses systématiques du vivant dans les tronçons court-circuités, selon les typologies de centrales et de gestion des débits. Les études restent lacunaires et ont concerné pour l'essentiel de plus grands ouvrages sur de plus grandes rivières (des producteurs ont commencé leurs propres études et demandent régulièrement à l'OFB de lancer un programme de connaissance à ce sujet). La biomasse aquatique y est très probablement moindre (moins de surface et volume en eau), mais rien ne dit a priori que la biodiversité proprement dite est substantiellement affectée (les espèces n’ont pas de raison de disparaître dans un tronçon court-circuité s’il reste en eau en permanence). Par ailleurs, au vu de ce que prévoit les chercheurs sur le changement climatique, la faune et la flore aquatique pourraient connaitre un bouleversement thermique et hydrologique d’une vitesse quasi-inconnue depuis des millions d’années, si nous ne parvenons pas à baisser très rapidement les émissions de gaz à effet de serre. Donc la réflexion sur les impacts ne se limite pas aux effets locaux. Enfin, la notion de "réservoir biologique" est plus administrative que scientifique : il conviendrait d'exposer plus précisément en quoi la rivière Sallanche exprime cette propriété de réservoir (pour quelles espèces, présentant quel niveau de menace, etc.). Il a été régulièrement reproché au classement de 2012-2013 d'obéir à une logique halieutique (en particulier sur des cours d'eau à truites communes sans enjeu grand migrateur) davantage qu'écologique.
Ce que l’on peut en dire en débat juridique
Si, comme on peut le penser, le maître d’ouvrage fait appel de la décision et porte au besoin le cas devant le conseil d’Etat, il reviendra à la jurisprudence d’apprécier ce que signifie une modification «substantielle» du débit d’un réservoir biologique et de dire si cette modification est constitutive ou non d’une rupture de continuité écologique. Le conseil d’Etat a déjà précisé que ces changements devaient s’apprécier au cas par cas (CE 11 décembre 2015 n° 367116). Mais cela implique une casuistique où le juge décide en dernier ressort de ce qui est, ou non, un motif grave de perturbation de fonctionnalités aquatiques. Dans un cas similaire jugé par la cour de justice de l’Union européenne, les magistrats devaient évaluer si une centrale hydro-électrique pouvait dégrader une qualité de masse d’eau de très bonne à bonne, justement en raison des effets hydrologiques et hydromorphologiques de le centrale sur le tronçon court-circuité. En l’espèce, le juge avait conclu que le requérant pouvait à bon droit mettre en avant l’intérêt majeur de l’électricité décarbonée pour justifier une dégradation de classe de qualité. (CJUE, 4 mai 2016, 62014CJ0346). Enfin, il faut noter que la loi de 2019 fait obligation à l’Etat d’encourager la petite hydro-électricité face à l’urgence écologique et climatique.
Ce que l’on peut en dire en débat politique
Il y a désormais conflit ouvert entre une branche de l’écologie qui donne la primauté à la protection de la nature et de la biodiversité, une autre qui donne primauté à la lutte contre un changement climatique dangereux et au développement de circuit-court à moindre empreinte matérielle. Les questions de biodiversité sont parmi les premiers motifs des recours contre des projets renouvelables au motif qu’ils impactent des habitats et des espèces, donc la protection plus ou moins stricte de biodiversité devient parmi les premiers freins au déploiement du renouvelable, et à une partie de la lutte concrète contre le changement climatique. C’est un choix de la loi et des associations qui s'en réclament (ou en réclament une certaine interprétation). Mais le débat démocratique doit reconnaître cet état de fait (au lieu de le nier, l’euphémiser ou le glisser sous le tapis) pour en déduire une discussion politique sur l’ordre des priorités dans nos normes – nos lois et nos règlementations.
L’hydro-électricité en France fait l’objet d’un blocage depuis 40 ans, inspiré par les lobbies naturalistes et pêcheurs comme par les administrations eau & biodiversité ayant des sympathies pour ces lobbies. Non seulement on tend à décourager la relance de sites anciens ne créant pourtant pas de nouveaux impacts, par des exigences n’ayant aucune sorte de réalisme économique et biologique, mais on menace de nombreux projets de création de site de contentieux, pour décourager leurs investisseurs. Quand on ne détruit pas sur argent public des ouvrages producteurs d’énergie bas carbone y compris des grands barrages EDF.
Nos élus sont en train de voter une loi sur l’accélération de l’énergie renouvelable, et nous les avons avertis à maintes reprises de la nécessité d’assumer des choix politiques, au lieu d’esquiver les sujets et de laisser croire au prix d'une pensée magique que des options contradictoires donneraient des résultats efficaces. Si les élus ne veulent pas prendre leur responsabilité, libre à eux. Mais ils devront de toute façon l’assumer dans l’hypothèse où la France ne réussit pas sa transition énergétique et où les citoyens souffrent de leurs choix délétères en ce domaine.
Car les recours en justice ne viennent pas seulement de France Nature Environnement : que l’Etat manque à son obligation de décarbonation ou que l’Etat opère des choix qui privent le citoyen de la garantie d’accès à l’énergie, notre association et bien d’autres le convoqueront également devant la justice. Le législateur comme l’administration n’échapperont donc pas à l’obligation d’assumer leur responsabilité dans la définition des priorités écologiques.
Référence : Tribunal administratif de Grenoble, N°2002004, décision du 6 décembre 2022
04/12/2022
Appel aux députés pour relancer l'énergie hydraulique en France
L’énergie hydraulique est la plus ancienne de nos énergies renouvelables. C’est aussi la plus appréciée des citoyens. La France fut une nation hydraulique pionnière jusqu’au 20e siècle. Cette source d’énergie peut produire à toutes les puissances, du kW au GW. Elle est d’intérêt majeur à l’heure de l’accélération du changement climatique. Il existe aujourd’hui des dizaines de milliers de sites pouvant être relancés. Mais ils sont bloqués par des excès de complexités, procédures, délais. Nous demandons à nos parlementaires d’accélérer la relance hydraulique, tout en posant dans la loi l’obligation de compatibilité entre continuité écologique, production d’énergie et stockage d’eau. Ce sont des enjeux critiques pour le pays et pour l’Europe. La loi doit être à hauteur des bouleversements climatiques et géopolitiques que nous vivons.
Nous demandons à chacun de nos lecteurs convaincus de cette orientation politique de la réclamer personnellement à leur député en début de semaine prochaine (annuaire de contact des députés). Les amendements sur l'hydraulique seront examinés à compter du mercredi 7 décembre.
Extraits du communiqué
Le gouvernement adopte une position inacceptable sur la petite hydro-électricité
L’association Hydrauxois constate que, lors des débats parlementaires en cours sur la loi d’accélération des énergies renouvelable, le gouvernement par la voix de Mme Agnès Pannier-Runacher a pris des positions systématiquement défavorables à la petite hydro-électricité en écartant notamment la relance des moulins et usines à eau déjà présents partout sur notre territoire, en particulier dans les zones rurales.
- Il est inacceptable que l’hydro-électricité sur sites déjà en place ne soit pas la première des énergies soutenues en France alors qu’elle a le meilleur bilan carbone, le meilleur bilan matières premières, la plus forte popularité riveraine et de nombreux services écosystémiques associés, à commencer par le stockage et la préservation de l’eau face aux sécheresses comme aux crues.
- Il est inacceptable de présenter comme « négligeable » un potentiel de 1% du mix bas-carbone de la France en 2050, alors même qu’on rouvre une méga-centrale brûlant 1,2 million de tonnes de charbon par an pour obtenir ce même 1% du mix actuel. Et que nos concitoyens sont confrontés à la pénurie comme au risque de délestage.
- Il est inacceptable que les centaines de ménages, de collectivités, d’entreprises ayant déjà relancé l’énergie de leur moulin ou usine à eau soient traités comme des parias et non comme des exemples à généraliser sur les dizaines de milliers d’ouvrages présents sur les rivières.
- Il est inacceptable de prétendre que des moulins et usines à eau présents depuis des siècles sur les cours d’eau seraient des « impacts » graves alors que le vivant co-existe avec ces ouvrages depuis deux millénaires, que ces ouvrages augmentent la surface des milieux aquatiques et humides, qu’aucune extinction d’espèce n’a jamais pu leur être attribuée.
- Il est inacceptable que le gouvernement continue de tolérer, implicitement encourager, des destructions de ces ouvrages de moulins et usines à eau alors que le résultat, observable lors de la sècheresse 2022 est la disparition de l’eau, l’extinction locale du vivant aquatique, les plaintes des riverains.
Nous appelons les députés à voter une vraie « accélération » de l’hydro-électricité face à l’urgence climatique
L’association Hydrauxois constate que les députés travaillant en commission ont détricoté le texte du sénat dans le domaine de l’hydro-électricité et continué ainsi dans la « malédiction française » : entraver, réprimer, compliquer, cela même dans le texte d’une loi qui a pour but affiché de dépasser des blocages ! Cet état d’esprit nous vaut d’être en retard sur le déploiement renouvelable et de risquer aujourd’hui amende pour ce retard (un demi-milliard d’euros). Il met surtout en péril nos concitoyens face à l’incapacité de décarboner rapidement notre énergie, à l’incapacité d’éviter les pénuries, à l’incapacité de rassembler tout le pays dans un même objectif de transition efficace et juste.
- Nous appelons les députés à restaurer en séance les mesures de simplification et d’intérêt majeur de l’hydro-électricité qui avaient été adoptées par le vote du sénat.
- Nous appelons les députés à voter en séance l’interdiction définitive et sur toutes les rivières françaises des chantiers climaticides de continuité lorsqu’ils mettent en péril le potentiel d’énergie bas-carbone et de stockage de l’eau.
01/12/2022
Comment les grands barrages ont bloqué l’accès des deux-tiers des rivières européennes aux poissons migrateurs (Duarte et al 2021)
Si les barrages des moulins, forges et autres sites de l’hydraulique traditionnelle ont été partiellement franchissables aux poissons migrateurs en phase de montaison, il n’en va pas de même pour les grands barrages massivement construits au 20e siècle. Une publication de chercheurs analyse pour la première fois l’évolution spatiale et temporelle de la discontinuité fluviale par grands barrages sur le réseau hydrographique européen. Elle conclut qu’en l’espace de 60 ans, les deux-tiers de ce réseau ont été bloqués. Dans la mesure où les barrages voient leur importance plutôt renforcée en situation de réchauffement climatique et de transition énergétique, cela pose question sur les objectifs des politiques européennes de restauration et leur niveau de réalisme.
Les grands bassins européens analysés par Duarte et al 2021, art cit, classés selon leur exutoire maritime.
Les rivières sont fragmentées de longue date par des barrages de toutes dimensions. Cela pose problème en particulier au comportement migratoire de certaines espèces de poissons diadromes (par exemple saumon, anguille), dont le cycle de vie passe d’une phase océanique à une phase continentale ou inversement, avec besoin de nager sur de grandes distances. Mais on manque de donnée concernant la dynamique spatiale et temporelle de la construction des barrages en lien à la connectivité, en particulier ceux de grandes dimensions qui bloquent totalement le franchissement des poissons. Dans quelle mesure la construction de ces grands barrages a-t-elle altéré la connectivité longitudinale des réseaux fluviaux européens? Comment le phénomène a-t-il évolué en Europe tout au long du XXe siècle?
Gonçalo Duarte et ses collègues ont analysé l’histoire des barrages et leur implantation spatiale dans le grands bassins fluviaux pour répondre à ces questions. Un grand barrage est défini comme un ouvrage mesurant plus de 15 m de sa fondation à sa crête, ou mesurant de 5 à 15 m mais stockant plus de 3 millions de m3 d'eau. Voici le résumé de leur travail :
« La connectivité longitudinale du fleuve est cruciale pour que les espèces de poissons diadromes se reproduisent et grandissent, sa fragmentation par de grands barrages pouvant empêcher ces espèces d'assurer leur cycle de vie. Ce travail vise à évaluer l'impact des grands barrages sur la connectivité longitudinale structurelle à l'échelle européenne, du point de vue des espèces de poissons diadromes, depuis le début du 20e siècle jusqu'au début du 21e siècle.Sur la base des emplacements des grands barrages et de l'année d'achèvement, une multitude de paramètres de dégradation des rivières ont été calculés à trois échelles spatiales, pour six régions océaniques européennes et douze périodes. Le nombre de bassins touchés par les grands barrages est globalement faible (0,4 %), mais pour les grands bassins fluviaux, qui couvrent 78 % de la superficie de l'Europe, 69,5 % de tous les bassins, 55,4 % des sous-bassins et 68,4 % de la longueur du fleuve sont altérés. La dégradation de la connectivité du réseau fluvial est devenue de plus en plus importante au cours de la seconde moitié du 20e siècle et est aujourd'hui spatialement répandue dans toute l'Europe. À l'exception de l'Atlantique Nord, toutes les régions océaniques ont plus de 50 % de la longueur des rivières touchées. Si l'on considère les grands bassins fluviaux, les régions de la Méditerranée (95,2 %) et de l'Atlantique Ouest (84,6 %) sont les plus touchées, tandis que les régions Mer Noire (92,1 %) et Caspienne (96,0 %) se distinguent comme celles dont la longueur fluviale est la plus compromise.En 60 ans, l'Europe est passée d'une altération réduite à plus des deux tiers de ses grands fleuves avec des problèmes structurels de connectivité dus aux grands barrages. Le nombre de ces barrières a considérablement augmenté dans la seconde moitié du 20e siècle, en particulier les barrages majeurs à distance décroissante de l'embouchure de la rivière. Actuellement, la connectivité longitudinale structurelle des réseaux fluviaux européens est gravement touchée. Cela concerne toutes les régions considérées, et celles du sud de l'Europe seront confrontées à des défis encore plus importants, étant donné qu'il s'agira d'un futur point chaud pour le développement de l'hydroélectricité et, de manière prévisible, d'une zone plus affectée par le changement climatique. »
Ces graphiques montrent l’évolution de la détérioration de la connectivité structurelle des fleuves européens décennie par décennie depuis la fin du 19e siècle jusqu'au début du 21e siècle. Graphique A, le nombre de grands barrages et la distance moyenne à l'embouchure du bassin pour les barrages principaux (# Mst Dams ; avg_dist_mouth_Mst) et les barrages présents dans les affluents (# Tb dams ; avg_dist_mouth_Tb) tout au long des intervalles de temps considérés. Graphique B, analyse à l'échelle du segment en utilisant trois métriques, le pourcentage de longueur de rivière affectée par un, deux à quatre et cinq barrages ou plus dans le chemin vers le segment de l'embouchure du bassin (%S_aff_length_1, %S_aff_length2-4 et %S_aff_length5+) et à échelle de sous-bassin utilisant deux métriques (%SB_Taff et %SB_Taff). Graphique C, pourcentage de longueur de rivière (%S_aff_length-1, colonnes) altérée et pourcentage de grands bassins altérés (B_aff_Lr, lignes pointillées) dans six régions océaniques. (La France est située pour partie dans le bassin Ouest Atlantique en rouge, pour partie dans le bassin Méditerranée en orange.)
Discussion
Cette étude permet de situer le poids relatif de la fragmentation des cours d’eau entre la grande hydraulique du 20e siècle et la petite hydraulique qui l’a précédée. On observe que l'impact de la première est nettement plus important que ne le fut celui de la seconde. Ce travail est à mettre en parallèle avec une précédente publication des chercheurs qui, analysant l’histoire de la régression de certains espèces migratrices de poissons (en France), trouvaient que le phénomène s’accélérait surtout au 20e siècle (Merg et al 2020). Il est aussi à lire en complément de la recherche récente montrant que les rivières européennes sont probablement fragmentées par 1,2 million de barrières de toute dimension (Belletti et al 2020).
Gonçalo Duarte et ses collègues assument dans leur publication un angle plutôt naturaliste, qui place la question de la conservation des poissons migrateurs comme principal élément de réflexion sur l’avenir des barrages. Toutefois, leur travail et d’autres permettent d’interroger le réalisme et la désirabilité de cet horizon d’interprétation.
Ces recherches posent en effet question sur le sens que l’on donne aujourd’hui à la politique de restauration de continuité longitudinale en Europe. Les barrages de diverses dimensions sont utiles à la société et ne vont pas disparaître, d’autant que le réchauffement climatique risque de renforcer leur demande en stockage d’eau ou production d’énergie bas-carbone (Kareiva et Caranzza 2017). Même s’il est possible de rendre en partie franchissables des ouvrages, les poissons migrateurs ne pourront probablement pas retrouver l’expansion qu’ils avaient à l’époque où les ouvrages étaient de petite dimension, encore moins à celle du début du Holocène avec des rivières n’ayant que des barrières naturelles de type barrages de castors, embâcles, chutes, cascades ou torrents. D'autant que les fleuves et rivières ont aujourd'hui bien d'autres impacts, allant de la pollution chimique à la sécheresse hydrologique en passant par l'altération sédimentaire ou l'introduction d'espèces exotiques. Il faut noter que le cycle océanique des poissons diadromes est également perturbé, même si le sujet est moins bien connu étant donné les difficultés d'observation.
La politique de restauration de continuité longitudinale a des coûts non négligeables. Elle soulève des oppositions sociales, politiques et judicaires quand elle prétend démolir les ouvrages, leurs usages et leurs services écosystémiques. La France a été pionnière dans ce domaine de restauration du fait du fort soutien apporté par l'Etat, mais elle est aussi pionnière dans le retour critique sur l'expérience : les poissons migrateurs ne justifient pas tout du point de vue des populations riveraines ; et la protection de la part endémique de la biodiversité est aussi obligée de composer avec d'autres enjeux des politiques d'intérêt général. Il paraîtrait sage de définir une écologie de conservation des espèces menacées qui se limite à des axes où la continuité est moindrement impactée et plus facile à restaurer. Mais sans espoir à court terme de rendre à nouveau parfaitement transparent à la migration un très vaste linéaire hydrographique. D'autant que le rythme du changement climatique en Europe, plus rapide qu'attendu selon certains chercheurs, est susceptible de redéfinir substantiellement les conditions d'efficacité et faisabilité de la conservation écologique des espèces aquatiques.
Référence : Duarte G et al (2021), Damn those damn dams: Fluvial longitudinal connectivity impairment for European diadromous fish throughout the 20th century, Science of The Total Environment, 761, 143293
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28/11/2022
Pluies et sécheresses en France, ce que les modèles climatiques prévoient pour ce siècle
Les modèles du climat appliqués à la France et couplés à des modèles de l’eau prévoient tous une tendance à l’aggravation des sécheresses et à la hausse de la variabilité des précipitations, avec des phénomènes plus extrêmes que ceux connus dans les archives historiques. Il pourrait y avoir en tendance un niveau égal ou supérieur de précipitation en saison pluvieuse, mais une baisse nette en saison sèche. Les tendances ne sont pas les mêmes au nord et au sud. Au regard de ces prévisions, il est critique de maintenir les outils de régulation de l’eau dont nous disposons, et d’en créer de nouveaux. L'interdiction de destruction des ouvrages de stockage d'eau devrait être généralisée à tous les bassins, et non seulement à ceux classés continuité écologique. L'évolution des pratiques estivales les plus consommatrices d’eau sera nécessaire afin d’augmenter leur résilience.
Concernant l’évolution des précipitation, il faut garder à l’esprit une mise en garde : les prévisions des modèles climatiques sur l’eau restent entachées d’incertitudes, par rapport à celles des températures de surface. La raison en est que certains phénomènes physiques sont difficiles à modéliser comme l’évolution des nuages dans un climat réchauffé ou la modification des oscillations naturelles du climat (des couplages régionaux océan-atmosphères qui vont changer avec l’influence des gaz à effet de serre). De plus, l’hydrologie ne dépend pas que du climat mais aussi des usages des sols, le couplage entre modèles climatologiques et hydrologiques ajoutant de l’incertitude sur les projections. En outre, il est plus difficile d’avoir des séries longues sur la pluviométrie que sur la température.
Cela étant dit, ces modèles physiques restent notre meilleur outil pour essayer d’anticiper et ils dégagent quelques tendances centrale ayant une plus haute probabilité de décrire l’avenir de l’eau dans nos territoires.
Observations depuis 1900
Concernant déjà les observations, le Hadley Center a fait récemment une synthèse sur l’évolution des précipitations en Europe entre 1901 et 2018 dans le cadre d’un exercice de détection-attribution des causes des observations (Christidis et al 2022).
Ce graphique montre l’évolution saisonnière en hiver (DJF), printemps (MAM), été (JJA) et automne (SON) :
On note en France une tendance dominante à la hausse des précipitations en hiver et à la baisse en été, avec des signaux plus divers les autres saisons. En revanche, la zone méditerranéenne a une tendance à la baisse dans quasiment toutes les saisons.
Autre enseignement des données : il existe une tendance à la variabilité des précipitations, leur caractère moins constante prévisible d’une année sur l’autre. Ce graphique montre la différence entre les 30 dernières années et les 30 premières du 20e siècle, une forte variabilité au printemps, un peu moins en hiver et en automne. En revanche les étés ont évolué vers une moindre variabilité sur la majeure partie du territoire en France :
Prévisions pour ce siècle
Venons en aux prévisions. Rappelons que celles-ci dépendent de scénarios d’émission (les RCP) qui changent selon la quantité de gaz à effet de serre que nous émettrons, donc le forçage radiatif de ces gaz (capacité de changement du bilan énergétique, RCP 2.5, 4.5 ou 8.5 W/m2) .
Les chercheurs français (Meteo France, CNRM, Cerfacs, IPSL) développent des projections climatiques de référence pour la France au 21 siècle, selon un modèle appelé DRIAS. Il y a toutefois des phases d’ajustement en cours entre ce modèle (qui est régionalisé) et les modèles globaux utilisés pour les rapports du GIEC (qui sont utilisés en simulations multi-modèles appelées CMIP).
Concernant la projection climatique de référence de DRIAS et pour les précipitations, voici ce que donnent les résultats (selon les scénarios RCP et les périodes du 21e siècle) :
On aurait un maintien ou une hausse légère des précipitations en hiver, un signal incertain au printemps et en automne, une baisse des précipitations en été.
Un autre publication (Dayon 2018) a utilisé les modèles globaux et analyser ce qu’ils disent pour la France, dans le scénario « business as usual » de poursuite des émissions de gaz à effet de serre.
Ce graphique montre les tendances des précipitations à la fin du siècle (2070-2100 par rapport à 1960-1990) en hiver (DJF), été (JJA) et moyenne de l’année :
Sur un tiers nord et est du pays, la tendance serait sans variation voire avec un peu plus de précipitations, mais pour les deux-tiers sud et ouest, la tendance est à la baisse. Mais il y aurait une hausse des précipitations hivernales dans le nord, une baisse dans la pointe sud. Et les précipitations estivales seraient plus faibles partout, surtout dans le sud.
On le retrouve dans ce graphique des tendances de sécheresses hydrologiques (QMNA5), météorologique (PMNA5) et agricole / édaphiques (SMNA5) :
Les sécheresses seront plus sévères dans tous les bassins versants.
Cet autre graphique montre les tendances sur les quatre grand bassins versants métropolitains (Seine, Loire, Garonne, Rhône), où l’on peut voir par saison et à l’année les tendances estimées des précipitations (bleu), de l’évapotranspiration (vert) et du débit en résultant (rouge), avec les traits indiquant la valeur centrale selon les scénarios d’émission carbone :
Les débits annuels diminueraient environ de 10 % (±20 %) sur la Seine, de 20 % (±20 %) sur la Loire, de 20 % (±15 %) sur le Rhône et de 40 % (±15 %) sur le Garonne.
Préparer la société à affronter un climat plus variable aux épisodes extrêmes plus dangereux
Face à ces évolutions, les mesures sans regret sont celles qui vont conserver ou augmenter la capacité de notre société à stocker et réguler l’eau, pour les besoins humains, pour la prévention des crues dangereuses et pour le soutien aux milieux naturels menacés d’assèchement. La difficulté pour le gestionnaire est de faire des choix avec deux cas extrêmes et contraires en hypothèse : des précipitations plus fortes que celles connues dans l'histoire (ce qui est probable en épisodes ponctuels), des sécheresses plus intenses que les cas archivés (idem).
Par ailleurs, le climat et l’hydrologie ne suivent ne suit pas nos divisions politiques et administratives, il n’y a pas une seule stratégie nationale cohérente aux prévisions. Le sud et le nord de la France n’auront probablement pas les mêmes évolutions hydroclimatiques. Chaque bassin versant doit donc s’approprier les données et réflexions pour réfléchir depuis les réalités de son territoire.
Concernant la question des ouvrages hydrauliques (retenues, plans d’eau, canaux), les prévisions des chercheurs sur la variabilité des précipitations, le risque accru de sécheresse, la possibilité de précipitations extrêmes, le décalage entre maintien des pluies en saison froide et nette baisse en saison chaude indique qu’il faut impérativement les conserver. La loi de 2021 interdit seulement de les détruire en rivière classée continuité écologique, mais cette interdiction devrait être étendue à tous les bassins versants. La France doit se doter d'une politique éco-hydraulique cohérente et prudente, au lieu des choix troubles et inefficaces faits depuis une dizaine d'années. En particulier, aucun chantier ne doit réduire le stockage d'eau en surface et en nappe, tout chantier devrait au contraire prévoir de l'augmenter.
En revanche, ces systèmes hydrauliques vont avoir des contraintes plus fortes liées au réchauffement (eutrophisation, bloom, biofilm, etc.) : cela suggère d'en améliorer la gestion et surtout d’accélérer la dépollution des eaux, qui aggrave ses effets toxiques lors de la sécheresse.
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