Les amphibiens préfèrent les plans d'eau calmes tels que les mares, étangs et petits lacs. En Suisse, une équipe de chercheurs a étudié les conditions favorables à ces espèces pour la création et la gestion de tels habitats. Ce travail, réalisé dans le canton d'Argovie sur 856 sites entre 1999 et 2019, met en lumière les facteurs environnementaux influençant la colonisation et la persistance des amphibiens. Il conclut à la nécessité d'avoir une forte densité et diversité de plans d'eau. Des données dont devraient s'inspirer les gestionnaires de l'eau en France, alors que l'on assiste parfois dans notre pays à de déplorables campagnes pour supprimer et non valoriser ces plans d'eau.
Triton alpestre (wikimedia commons).
Les amphibiens sont des espèces appréciant des plans d'eau calme comme les mares, étangs, petits lacs peu profonds. Une équipe de chercheurs a étudié en Suisse si des conditions sont particulièrement favorable aux amphibiens en ce qui concerne la création et la gestion de plans d'eau
L'étude a été réalisée dans cinq régions du canton d'Argovie, dans les basses terres suisses. Au total, 856 sites de mares et étangs, dont 422 nouveaux plans d'eau, ont été surveillés de 1999 à 2019. Les étangs étudiés avaient des surfaces variant de 0,4 à 65 000 m², avec une moyenne de 782 m². La fluctuation des niveaux d'eau et la couverture forestière environnante faisaient partie des variables environnementales analysées.
Le travail a porté sur les 12 espèces d'amphibiens se reproduisant dans les étangs, dont sept espèces cibles de conservation : le crapaud accoucheur (Alytes obstetricans), le triton ponctué (Lissotriton vulgaris), le triton crêté (Triturus cristatus), le sonneur à ventre jaune (Bombina variegata), le crapaud calamite (Epidalea calamita), la rainette verte (Hyla arborea) et les grenouilles vertes (complexe d'espèces Pelophylax). Les espèces communes incluaient le triton alpestre (Ichthyosaura alpestris), le triton palmé (Lissotriton helveticus), le crapaud commun (Bufo bufo), la grenouille rousse (Rana temporaria) et la grenouille rieuse invasive (Pelophylax ridibundus).
La recherche montre que les mares et étangs construits ont été rapidement colonisés par les 12 espèces d'amphibiens, même les plus rares, à condition que les populations sources soient proches et que les caractéristiques des étangs correspondent aux préférences des espèces. La densité des étangs dans un rayon de 0,5 km augmentait significativement l'incidence des espèces cibles.
Les mares et étangs avec une plus grande surface totale d'eau (≥100 m²) et qui se desséchaient temporairement étaient bénéfiques pour plusieurs espèces cibles. La couverture forestière environnante, jusqu'à 50%, favorisait la colonisation et la persistance de plusieurs espèces. La connectivité aux populations existantes était cruciale pour la colonisation et la persistance, tandis que la connectivité structurelle était moins prédictive. Des métriques simples comme la distance à la population voisine la plus proche et la densité de population étaient des prédicteurs efficaces des dynamiques de colonisation et de persistance, facilitant ainsi la planification pour les praticiens.
Voici la conclusions des chercheurs :
"La construction de plans d'eau dans ce paysage a stoppé le déclin et amorcé le rétablissement des métapopulations en déclin d'amphibiens en voie de disparition (Moor, Bergamini et al., 2022). Ce programme de construction de mares et étangs a été un succès pour plusieurs raisons. Premièrement, la conservation des amphibiens a une longue histoire en Suisse (Schmidt & Zumbach, 2019). Une cartographie systématique des sites de reproduction des amphibiens a commencé dans les années 1970 et des enquêtes répétées dans le canton d'Argovie ont été essentielles à l'élaboration d'un plan d'action pour la conservation des amphibiens (Meier & Schelbert, 1999). Le plan d'action a fixé des priorités, mais a également profité des opportunités pour construire des étangs. La construction de l'étang était accompagnée d'un programme de surveillance avec des bénévoles, qui a généré des données à long terme et a contribué à bâtir une communauté de défenseurs de l'environnement des amphibiens. Les écologues ont également testé différentes approches de construction d'étangs dans différentes conditions environnementales (types de sol, hydrologie) et ont partagé les connaissances qu'ils ont acquises (par exemple, Pellet, 2014).
Nous avons constaté que pour cibler de manière optimale des espèces individuelles, il faut tenir compte de la connectivité aux populations sources existantes et des exigences en matière d'habitat spécifiques à chaque espèce. Il est encourageant de constater que de simples mesures de connectivité constituaient d’importants prédicteurs de la colonisation et de la persistance. Pour optimiser les probabilités de colonisation, les distances jusqu'à la population source la plus proche peuvent être prises en compte. Ceux-ci doivent être considérés dans le contexte des capacités de déplacement spécifiques à l’espèce. Certaines espèces cibles ont des taux moyens de colonisation généralement faibles. Cela inclut les espèces à dispersion plus limitée, le triton lisse et le triton huppé, mais aussi le crapaud calamite, plus mobile mais rare. Pour optimiser l'occupation à long terme (incidence), la persistance dans un nouvel habitat est plus pertinente. Nous recommandons donc de prendre en compte la densité de population au kilomètre carré lors du choix de l'emplacement de la construction de nouveaux étangs. Des densités de 2 à 4 étangs occupés par kilomètre carré favorisent non seulement la colonisation mais également la persistance dans un nouvel habitat pour la plupart des espèces cibles. Cela implique que la distance jusqu'à la population source la plus proche ne doit pas dépasser ∼0,5 km. Cet effet positif de la densité de population saturée à environ 4 étangs occupés par kilomètre carré, de sorte que l'ajout de plus d'étangs pour une espèce dans cette situation n'améliorerait pas beaucoup plus son incidence. Cependant, étant donné que les densités de population sont spécifiques à chaque espèce et que les espèces diffèrent dans leurs préférences en matière de type d'étang, un nombre encore plus élevé d'étangs différents par kilomètre carré est nécessaire pour bénéficier à plusieurs espèces.
Bien que les espèces aient des préférences individuelles concernant les caractéristiques des étangs, les 7 espèces cibles dans leur ensemble bénéficieraient de sites de reproduction avec une plus grande surface d'eau totale (≥100 m2) dans un environnement plus ouvert (≤50 % de couverture forestière). Le crapaud calamite en particulier pourrait bénéficier de grands plans d’eau peu profonds (> 1 000 m2) et temporaires dans des zones ouvertes. Enfin, des étangs temporaires avec des fluctuations du niveau d'eau et un assèchement occasionnel seraient bénéfiques pour la plupart des espèces cibles (Van Buskirk, 2003).
Il n’existe pas de plan d'eau idéal qui convienne également à toutes les espèces. Une variété de différents types d’étangs, permanents et temporaires, de différentes tailles et dans différents environnements, dans des sites de reproduction et à travers le paysage, présenteront probablement le plus grand bénéfice pour la diversité globale des amphibiens. L'hétérogénéité des paysages engendre la diversité des espèces (Tews et al., 2004). La réinstallation de zones humides dans le paysage à une densité plus élevée contribuera non seulement à une infrastructure écologique pour les amphibiens, mais favorisera également une multitude d'autres taxons et fonctions écosystémiques."
Discussion
La contribution des petits plans d'eau à la biodiversité a été largement documentée en France, en Europe et dans le monde. Ces milieux abritent une part conséquente du vivant de milieux aquatiques et humides, pas seulement les amphibiens, mais aussi les plantes et invertébrés. Malheureusement, les milieux lentiques (eau stagnante) et leurs espèces spécifiques sont nettement moins étudiés et protégés que les milieux lotiques (eau courante). Il en résulte une certaine négligence du droit et des politiques publiques pour ces habitats et même, dans les cas extrêmes, des choix de destruction d'étangs ou de retenues au prétexte de "renaturation". Il importe au contraire d'étudier les milieux de mares, étangs, plans d'eau, pour inciter à la bonne gestion incluant les éléments qui favorisent la conservation de biodiversité.
Référence : Moor H et al (2024), Building pondscapes for amphibian metapopulations, Conservation, Biology, e14165, doi.org/10.1111/cobi.14281
Les gestionnaires de l'eau en France sont eux aussi bien conscients de cette problématique, il suffit de se renseigner sur les programmes de restaurations ou de créations de mares qui se développent de plus en plus dans beaucoup de régions. Et pour ce qui est des amphibiens, les milieux qui leurs sont le plus favorables sont en général les mares d'où les poissons sont absents et plus rarement les étangs lorsque le peuplement piscicole est autochtone et bien géré. Peu d'étangs favorables aux amphibiens (et encore moins les mares) sont concernés par des effacements sous prétexte de "renaturation". Les étangs empoissonnés, en eau en permanence et directement sur des cours d'eau sont les plus à même de se faire effacer mais ces milieux sont en général peu attrayants pour les amphibiens, hormis quelques rares cas où de très gros effectifs de crapauds communs par exemple s'y reproduisent ou si la queue de l'étang est bien végétalisée et particulièrement favorable. Les jolis étangs favorables aux amphibiens sont malheureusement assez rares du fait de très mauvaises gestions (piscicole notamment).
RépondreSupprimerJe rejoins le commentaire précédent. Il y a manifestement confusion dans vos propos entre étang et mare... Et effectivement la politique en France tend vers la restauration/création de nombreuses mares. Vous en déplaise.
SupprimerNon, le terme "ponds" dans la littérature scientifique peut désigner la mare ou l'étang ou le petit plan d'eau. Plusieurs études scientifiques contredisent vos propos, il est montré que les étangs piscicoles ont des avantages pour certains compartiments, voir par exemple :
RépondreSupprimerhttp://www.hydrauxois.org/2020/12/la-gestion-des-etangs-piscicoles-est.html
http://www.hydrauxois.org/2017/03/etudier-et-proteger-la-biodiversite-des.html
Ou encore en lien externe
https://journals.openedition.org/dynenviron/3783?lang=en
Arrêtez de faire croire que les gestionnaires de l'eau ont procédé de manière raisonnée et non biaisée sur les plans d'eau depuis 20 ans : c'est tout simplement faux et largement démontré comme faux. Certes, vous défendez votre métier et n'aimez pas les critiques, mais les décideurs et financeurs de l'eau n'ont pas à se fier à vos seuls dires et doivent désormais examiner de manière bien plus stricte ces sujets.
Les études citées ne contredisent en rien mes propos qui concernent les amphibiens. Le premier lien concerne les oiseaux, sujet que je ne maitrise pas aussi bien que les amphibiens. Le second (qui site Wezel et al 2014) montre que justement, en ce qui concerne les amphibiens, la contribution des étangs n'ont pas vraiment d'impact positif sur la diversité des espèces observées si j'ai bien compris les figures citées dans votre article (avec en moyenne 1.5 espèces pour la diversité alpha).
SupprimerJe maintiens ce que je disais dans mon commentaire précédent, les étangs favorables aux amphibiens ne sont que très rares avec en général seulement quelques espèces pouvant s'y reproduire avec succès (Crapaud commun, Grenouille verte et ponctuellement quelques autres espèces si une queue d'étang bien végétalisée ou des annexes favorables sont présentes).
Le mieux pour les amphibiens ce sont les mares d'où les poissons sont absents, voir des zones humides temporaires comme des prairies inondables par exemple.
Pour ce qui est des oiseaux, plantes etc... c'est un autre sujet, et ce n'est surtout pas le sujet de cet article.
Tout étang est favorable aux amphibiens, mais avec des variables plus moins favorables (des poissons ou pas de poissons, des écrevisses ou pas d'écrevisses, eau en permanence ou eau en intermittence, niveau de pollution, etc.). Il serait stérile de raisonner sur un archétype "l'étang idéal pour amphibien" et de dire que le reste est sans intérêt. C'est justement le travers des gestionnaires.
SupprimerSinon "fishpond + amphibian" donne 7000+ résultats sur Scholar, donc matière à explorer.
Les étangs actuels n'ont qu'un intérêt souvent assez limité dans la conservation de la plupart des espèces d'amphibiens. Je suis d'accord sur le fait que leur favorabilité dépend de nombreux facteurs et qu'ils ne sont pas à négliger totalement, surtout pour certaines espèces très communes (Bufo bufo, Pelophylax sp.,...) voir parfois pour des espèces à fort enjeu patrimonial (sur des étangs le plus souvent bien végétalisés). En attendant, en France c'est ce que l'on considère comme des "mares" qui sont réellement intéressantes pour la conservation de la majorité des espèces d'amphibiens, donc de petits plans d'eau sans organe de vidange et de préférence sans poissons. La plupart des étangs sont malheureusement gérés de manière catastrophique, avec de nombreuses espèces de poissons allochtones qui perturbent fortement le milieu et laisse peu de place aux amphibiens. Certains étangs de pisciculture extensive peuvent par contre être intéressants selon leur gestion. En attendant, si l'on trouve 5 espèces d'amphibiens qui se reproduisent sur un étang c'est très bien, mais sur des mares on peut facilement en trouver une dizaine ... Bref, ce que je veux dire c'est que pour la conservation des amphibiens il vaut mieux préserver et/ou créer des mares plutôt que des étangs, d'autant que beaucoup d'étangs ont été créés sur des zones/prairies qui autrefois étaient inondables et donc servaient à la reproduction des amphibiens. Ensuite, il ne faut pas oublier que les amphibiens fréquentes les mares et étangs (des milieux anthropiques) car ce sont pour eux des milieux de substitutions. Avant ces espèces fréquentaient les marais, prairies humides et inondables, bras morts... des milieux qui ont en majeure partie disparus du fait de nos actions, notamment sur les rivières.
SupprimerLa langue française distingue une mare d'un étang, c'est un fait.
RépondreSupprimerVotre article parle des amphibiens, les liens censés appuyer vos propos parlent des canards et des végétaux... cherchez l'erreur...
Bis repetita : la langue anglaise dans la littérature scientifique emploie "pond" qui peut signifier mare, étang, petit plan d'eau, lac peu profond. La lecture de l'article permet de voir quels sites ont été étudiés et de voir à quels noms cela correspond le mieux. En général, nous utilision l'expression "mare, étang et petit plan d'eau" car cela correspond à la diversité des sites de "pond" étudiés.
SupprimerEt le lien avec les canards et les végétaux?
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