01/03/2025

L'hydro-électricité est présumée d'intérêt public majeur, confirme le Conseil d'Etat

Dans son arrêt du 20 décembre 2024, le Conseil d'État a rejeté les recours visant l’annulation du décret du 28 décembre 2023 relatif à l’application de la présomption de raison impérative d’intérêt public majeur pour certaines installations d’énergies renouvelables, en particulier l'hydro-électricité. Les associations requérantes (pêcheurs, écologistes) soulevaient plusieurs moyens tenant à la légalité interne du texte, à sa compatibilité avec le droit de l’Union, à la méconnaissance du principe de non-régression et à d’autres irrégularités substantielles. Retour détaillé sur les points de droit examinés.


Le Conseil d'Etat a examiné un contentieux  portant sur l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 28 décembre 2023 relatif à la production d'énergies renouvelables, notamment hydroélectriques et éoliennes, en raison de son impact sur la biodiversité et la continuité écologique des cours d'eau.

L'affaire regroupe trois requêtes déposées par plusieurs associations halieutique (pêche de loisir), environnementales et de protection des milieux aquatiques. Elles contestaient ce décret en invoquant des irrégularités procédurales (consultation du public insuffisante, absence d'évaluation environnementale, méconnaissance du principe de non-régression) et des vices de fond (incompatibilité avec le droit de l'Union, notamment la directive "habitats", et atteinte à la préservation des cours d’eau).

Le Conseil d'État a rejeté les irrégularité procédurales alléguées et, de manière plus intéressante, a examiné le fond.  

Concernant la légalité interne du décret attaqué, le Conseil d’État rappelle que l’article L. 411-2 du code de l’environnement impose trois conditions cumulatives pour qu’une dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées soit accordée :
  • Absence d’autre solution satisfaisante
  • Absence de nuisance au maintien des populations dans un état de conservation favorable
  • Justification par une raison impérative d’intérêt public majeur
Le décret attaqué fixe les critères selon lesquels certaines installations d’énergies renouvelables sont réputées répondre à cette raison impérative d’intérêt public majeur, sur le fondement de l’article L. 211-2-1 du code de l’énergie. Le Conseil d’État confirme que cette présomption est irréfragable, mais qu’elle ne dispense pas du respect des deux autres conditions relatives aux espèces protégées.

En conséquence, l’argument selon lequel le décret méconnaîtrait le 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement est écarté comme inopérant, car la procédure de dérogation reste applicable dans son ensemble.

Concernant la compatibilité avec le droit de l’Union européenne, le Conseil d'Etat examine d'abord la directive 92/43/CEE (directive Habitats, faune, flore). L’article 16 de cette directive autorise des dérogations aux interdictions de destruction d’espèces protégées sous trois conditions (absence de solution alternative, absence d’impact négatif sur les populations d’espèces, justification par une raison impérative d’intérêt public majeur).

Le Conseil d’État juge que la présomption de raison impérative d’intérêt public majeur instituée par l’article L. 211-2-1 du code de l’énergie et mise en œuvre par le décret n’est pas contraire à cette directive, car elle ne remet pas en cause les autres conditions nécessaires à l’octroi d’une dérogation.

Le conseil d'Etat examine ensuite le règlement 2022/2577 du Conseil du 22 décembre 2022. Ce règlement établit une présomption d’intérêt public supérieur pour les projets d’énergies renouvelables. Il permet même aux États membres de restreindre son application à certaines zones ou technologies spécifiques.

Le décret attaqué s’inscrit pleinement dans cette logique en instaurant une présomption pour certains projets, mais sans supprimer l’obligation de respecter les autres critères environnementaux.Le Conseil d’État considère donc que les requérants ne peuvent utilement soutenir que le décret méconnaît l’article 3 du règlement 2022/2577.

Concernant la directive 2000/60/CE (directive-cadre sur l’eau) et le règlement 1100/2007 sur la reconstitution du stock d’anguilles européennes, le Conseil d’État écarte ces arguments en rappelant que les projets hydroélectriques restent soumis aux exigences de protection écologique des cours d’eau et que le décret ne dispense en rien du respect des règles de continuité écologique ou de préservation des populations d’anguilles.

Ainsi, le décret ne contrevient pas aux objectifs fixés par ces textes européens.

S'agissant du principe français de non-régression du droit de l'environnement, le moyen n'est pas jugé davantage recevable. L’article L. 110-1 du code de l’environnement pose un principe de non-régression, selon lequel la protection de l’environnement ne peut être affaiblie par des mesures législatives ou réglementaires.

Cependant, ce principe ne s’applique pas lorsque le législateur a expressément prévu une dérogation. Or, la présomption de raison impérative d’intérêt public majeur découle d’une loi, et le décret attaqué se contente de préciser ses modalités d’application. Le Conseil d’État juge donc que ce principe ne peut pas être invoqué contre le décret.

Enfin, le Conseil d'Etat examine 6 autres moyens soulevés, pour les écarter.
  • Compatibilité avec l’article L. 411-2 du code de l’environnement : le décret ne dispense pas les projets d’énergie renouvelable de l’ensemble des conditions de dérogation pour destruction d’espèces protégées. Moyen écarté.
  • Atteinte à la continuité écologique des cours d’eau : le Conseil d’État souligne que le décret exclut expressément les installations situées sur des cours d’eau en très bon état écologique ou jouant un rôle de réservoir biologique. L’argument tiré d’une atteinte à la continuité écologique est donc inopérant.
  • Seuil de puissance fixé pour la présomption de raison impérative d’intérêt public majeur 1 MW pour l’hydroélectricité : le Conseil d’État considère que ce seuil est cohérent avec les objectifs de développement de la petite hydroélectricité et la rénovation des centrales. Pas d’erreur manifeste d’appréciation.
  • Référence aux objectifs nationaux plutôt que régionaux pour la programmation pluriannuelle de l’énergie: le décret se base sur les objectifs nationaux, et non régionaux, pour apprécier si un projet répond aux critères de la présomption de raison impérative d’intérêt public majeur. Le Conseil d’État juge que cela ne viole pas la loi et que cette approche est justifiée.
  • Référence à la puissance installée plutôt qu’à la puissance autorisée : le décret prend en compte la puissance déjà raccordée plutôt que celle simplement autorisée pour évaluer si un projet d’énergie renouvelable répond aux objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie. Le Conseil d’État considère que ce choix est rationnel et ne constitue pas une erreur manifeste d’appréciation.
  • Clarté et intelligibilité des dispositions du décret : le décret fixe de manière claire et précise les critères de reconnaissance d’une raison impérative d’intérêt public majeur. Le Conseil d’État rejette donc l’argument selon lequel il serait insuffisamment précis.
Pour conclure, notons que le seuil de 1 MW pour la présomption d'intérêt public majeur d'un projet hydro-électrique n'est guère satisfaisante du point de vue des porteurs de projet, la plupart des projets étant inférieurs à ce seuil de puissance. Si la France et l'Europe veulent réellement accélérer la transition bas carbone et viser une autonomie énergétique stratégique, il faudra réviser le droit de l'eau et de la biodiversité de manière plus substantielle, afin de réellement libérer la petite hydro-électricité et multiplier les projets dans tous les territoires. 

Référence : Conseil d'Etat, arrêt n°492185, 20 décembre 2024 

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