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02/11/2024

Démantèlement d’un barrage en Pologne : les choix des autorités environnementales face aux attentes de la population (Habel et al 2024)

Lorsque les autorités polonaises ont décidé de démanteler le barrage de Wilkówka, la population locale s’est sentie exclue du processus. Attachés aux services que l’infrastructure aurait pu offrir, les habitants expriment leur frustration. Une étude universitaire offre un éclairage sur ce choc entre vision environnementale des autorités gestionnaires et aspirations communautaires des populations locales.


Photo de la démolition du barrage, droits réservés, source

L’étude de Michał Habel et de ses collègues explore les perspectives communautaires sur les impacts environnementaux et sociaux liés au premier démantèlement d'un barrage en Pologne, le barrage de Wilkówka. Cet article repose sur des enquêtes auprès de la population locale et des parties prenantes pour analyser les changements perçus des services écosystémiques et la dynamique sociale autour de cette décision controversée. 

Le barrage de Wilkówka était situé dans les Carpates occidentales polonaises, précisément sur le ruisseau Wilkówka, un affluent de la rivière Biała qui se jette dans la Vistule. Construit entre 2009 et 2012, ce barrage en remblai mesurait 10,2 mètres de haut et 106 mètres de long. Son réservoir avait une capacité de 26 500 m³ et avait pour but principal de fournir une régulation des crues et un approvisionnement en eau à la communauté locale. Cependant, dès sa mise en service, de multiples défauts techniques ont empêché son fonctionnement optimal, notamment une instabilité causée par des problèmes de drainage qui ont empêché le remplissage complet du réservoir. Après plusieurs tentatives infructueuses de réparation, les autorités ont décidé de démanteler le barrage, une opération qui s'est déroulée de novembre 2021 à mars 2022.

Dans un premier temps, l’étude souligne que la décision de démanteler le barrage de Wilkówka a suscité un mécontentement général parmi les habitants locaux. En effet, 92 % des répondants ont estimé que cette décision avait été prise sans consultation suffisante, tandis que 62 % ont exprimé leur opposition au démantèlement. Bien que le barrage n’ait jamais pleinement fonctionné en raison de défauts techniques découverts peu après sa construction, les résidents ont développé un attachement rapide à ses services perçus, tels que l’approvisionnement en eau, la régulation des crues et sa valeur symbolique en tant qu’investissement dans la communauté.

L’analyse quantitative montre que 48 % des habitants considéraient l'approvisionnement en eau comme le service le plus important offert par le barrage, tandis que 31 % l'associaient à la protection contre les inondations. De plus, les activités de loisirs autour du réservoir, bien que limitées par l’état partiel de remplissage du réservoir, ont également été perçues comme un atout. Toutefois, la défaillance technique du barrage et le risque d’une catastrophe environnementale étaient des préoccupations majeures pour les autorités nationales et régionales, qui ont jugé nécessaire son démantèlement.

Malgré ces justifications techniques, la communauté locale a exprimé des attentes élevées quant aux services hydrologiques que le barrage aurait pu fournir. Ainsi, l’étude révèle un écart entre les perceptions locales et les décisions administratives : les résidents espéraient que le barrage pourrait être réparé ou reconstruit pour répondre aux besoins en eau et en protection contre les crues, même en dépit des risques environnementaux potentiels. 

Un défaut de gouvernance a aussi été manifeste : "La décision de démanteler le barrage n'a pas fait l'objet de consultation publique. Aucune solution alternative n'a été présentée au public, et toutes les parties prenantes impliquées dans le processus de démantèlement étaient exclusivement des agences au niveau national."

Un autre point crucial de cette étude est la mise en lumière des conséquences anticipées du démantèlement du barrage sur les services écosystémiques. La majorité des répondants (69,3 %) craignaient une diminution de la capacité d'approvisionnement en eau après le démantèlement, tandis que 64,5 % redoutaient une dégradation des services de régulation, notamment la protection contre les crues. De même, plus de 60 % des répondants estimaient que l’esthétique du paysage et le potentiel récréatif de la région en pâtiraient.

En termes d'impact environnemental, les résultats révèlent que la communauté locale ne possédait pas une conscience écologique élevée, les services de soutien tels que la biodiversité et les habitats naturels étant considérés comme moins importants. Les services de régulation, tels que la qualité de l'eau et la régulation du microclimat, n'étaient également pas perçus comme significativement affectés par la construction ou la démolition du barrage.

Discussion
Cette étude illustre les tensions entre les objectifs techniques et environnementaux d’un projet de démantèlement de barrage et les perceptions sociales locales. Les résultats mettent en avant la nécessité d’inclure plus activement les communautés locales dans les processus décisionnels pour des projets similaires, afin de mieux concilier les attentes sociales et les impératifs écologiques ou sécuritiares. Le cas du barrage de Wilkówka démontre comment une infrastructure, même imparfaite, peut rapidement s’insérer dans le tissu socio-économique local, créant des attentes et des résistances face au changement. Nous avons ici le cas extrême d'un barrage récent et ayant un défaut technique de conception, mais il est évident que l'attachement social, usager et paysager est plus fort avec des infrastructures en place depuis des décennies, voire des siècles. 

Au-delà d'une meilleure prise en compte des populations, il s'agit aussi de diversifier l'expertise scientifique qui inspire les décideurs : les facteurs sociaux, culturels et économiques sont partie intégrante de la vision démocratique de l'eau, au même titre que les facteurs biologiques, physiques ou chimiques. Seule une approche multidimensionnelle permet d'exprimer tout ce que des citoyens attendent, et d'opter pour la décision la plus approchante d'un intérêt général au niveau du bassin versant. 

Référence  : Habel M et al(2024), Dammed context: Community perspectives on ecosystem service changes following Poland's first dam removal, Land Degradation & Development, 35(6), 2184–2200. 

24/09/2024

Influence des barrages sur les écosystèmes, la taille compte (Brown et al 2024)

En étudiant des caractéristiques telles que la géomorphologie, la chimie de l'eau, les communautés de poissons, d'invertébrés benthiques et la végétation riveraine, une recherche montre que les petits barrages ont des effets faibles comparativement aux grands. Pourtant, ce sont les petits barrages que les politiques publiques de continuité écologique détruisent en masse, au nom d'une hypothétique restauration des écosystèmes fluviaux, et sans grand intérêt pour les dimensions autres qu'écologiques. Peut-être faudrait-il prendre le temps d'un bilan physique, chimique et biologique des résultats obtenus par ces politiques avant de poursuivre un choix au coût non négligeable et aux impacts sociaux multiples ?



Exemples des systèmes hydrauliques étudiés par les auteurs de l'étude, source Brown et al 2024, art cit.

L’étude menée par Rebecca L. Brown et ses collègues porte sur les effets écologiques des barrages de tailles différentes, en vue de mieux comprendre comment la taille des barrages influence les résultats de leur démantèlement. L’analyse s’est concentrée sur 16 barrages dans la région du Mid-Atlantic, dont la hauteur varie entre 0,9 et 57,3 mètres, et les temps de résidence hydraulique (HRT) varient de 30 minutes à 1,5 an. L’étude a mesuré les effets sur plusieurs caractéristiques écologiques en aval des barrages, incluant la géomorphologie, la chimie de l’eau, la végétation riveraine, les invertébrés benthiques et les poissons.

Les 16 barrages sont répartis dans le sud-est de la Pennsylvanie, le nord-est du Maryland et le nord du Delaware. Chaque site a été choisi en minimisant les facteurs confondants (par exemple, la géologie et le climat). Les variables écologiques mesurées incluaient la température de l’eau, la largeur de la rivière, la morphologie des sédiments, la diversité des organismes aquatiques (périphyton, macroinvertébrés et poissons), ainsi que la diversité et la composition de la végétation riveraine.

Les résultats montrent que les grands barrages ont des effets beaucoup plus marqués sur la géomorphologie en aval. Par exemple, la largeur de la surface de l’eau est significativement plus importante en aval des grands barrages, tandis que les petits barrages ont peu ou pas d’effet. De même, les barrages plus grands ont tendance à réduire la qualité de l’eau, avec une diminution de l'oxygène dissous et une augmentation de la température en aval. Les grands barrages réduisent également les nutriments inorganiques comme l’azote et le phosphore, tout en augmentant les nutriments particulaires.

Les résultats révèlent des différences marquées en termes de composition et de diversité des espèces aquatiques selon la taille des barrages. En aval des grands barrages, la composition des poissons et des périphytons est plus dissemblable par rapport à l’amont, avec une diminution de la diversité des macroinvertébrés et une tolérance accrue à la pollution. En particulier, les grands barrages favorisent les espèces tolérantes à la pollution, tant pour les périphytons que pour les macroinvertébrés. Les chercheurs notent ainsi : "Le nombre total de taxons EPT (Éphéméroptères, Plécoptères, Trichoptères) et la richesse globale des espèces étaient négativement liés au temps de résidence hydraulique (HRT), tandis que le ratio EPT et la diversité de Shannon-Weaver étaient négativement liés à la hauteur du barrage ; tous présentaient des valeurs plus faibles en aval des grands barrages mais montraient peu de changement en aval des petits barrages." Pour les poissons, le signale est moins évident : "Aucune des huit variables concernant les poissons analysées n'a montré de différences fractionnelles significatives entre l'aval et l'amont lorsqu'on considère tous les barrages selon les tests de signe. Cependant, la différence fractionnelle de l'abondance des espèces généralistes était négativement liée à la hauteur du barrage, ce qui indique que les petits barrages avaient une plus grande abondance d'espèces de poissons généralistes en aval."

La végétation riparienne a également montré des réponses différentes selon la taille des barrages. Les grands barrages réduisent le nombre d’espèces invasives en aval, tandis que les petits barrages ont tendance à les favoriser. Cela pourrait être lié à des perturbations hydrologiques plus importantes causées par les grands barrages, empêchant l’établissement d’espèces invasives. Les auteurs notent que certains effets écologiques, comme la taille des sédiments, ne sont pas influencés par la taille du barrage. 
 
Les auteurs concluent que les grands barrages ont un impact beaucoup plus important sur les écosystèmes en aval, et que leur enlèvement pourrait donc offrir des bénéfices écologiques plus significatifs. Les résultats montrent que les petits barrages ont des effets relativement moindres.

Discussion
Les auteurs de cette recherche se placent dans une logique de priorisation des barrages à démanteler, avec un avis favorable à cette politique, comme beaucoup de leurs collègues travaillant en écologie appliquée et faisant donc des choix de valeur a priori sur les formes désirées des écosystèmes. Mais concernant les données analysées, et sans se prononcer sur le choix de détruire ou non des ouvrages hydrauliques, on observe surtout que l'impact des petits ouvrages est assez négligeable par rapport aux grands barrages construits à compter du 19e siècle. Ce résultat a déjà été trouvé dans d'autres recherches sur les sédiments, la ripisylve, les biodiversités bêta et gamma des bassins versants, dès lors que ces recherches prenaient en compte la taille (et parfois l'ancienneté) des ouvrages hydrauliques.

Référence : Brown R. L. (2024), Size-dependent effects of dams on river ecosystems and implications for dam removal outcomes, Ecological Applications, 34(6), e3016. 

07/02/2024

Les effets des barrages sur les poissons migrateurs : ce que disent les données

Claude Delobel, chercheur en informatique et mathématiques appliquées, expert en analyse de données, revient sur un article scientifique récemment paru et dédié à l'influence des barrages sur les poissons migrateurs aux Etats-Unis. Il souligne que la lecture des données disponibles dans cet article doit être correctement hiérarchisée selon les poids des variables analysées. Car si l'on peut tirer une première conclusion d'importance, c'est que les variations actuelles de poissons migrateurs du réseau hydrographique nord-américain ne sont liées que marginalement aux barrages par rapport aux autres facteurs étudiés, en particulier naturels. 


Barrage de Glenn Canyon et réservoir du Lac Powell (source). 


Etude complémentaire de l’article de Dean et al. sur l’influence des barrages sur les poissons migrateurs aux Etats-Unis
Claude Delobel

Le site Hydrauxois (1) fait une analyse de l’article (2) publié en 2023 sur les facteurs qui influencent la richesse en poissons migrateurs dans 9 régions des USA en fonction des barrages sur les cours d’eau. La fragmentation des rivières due à la présence de barrages est un facteur pris en compte en le décomposant en différentes métriques selon la densité des barrages sur un segment de rivière mais aussi en intégrant les effets cumulatifs des barrages sur la totalité du bassin versant aval et amont. D’autres facteurs sont aussi étudiés comme ceux relatifs à l’environnement immédiat d’un segment de rivière en prenant en compte des facteurs naturels du territoire (température, pluviométrie, débit de base, pente) et les facteurs humains dans l’utilisation des sols (urbanisation, nature des cultures, prélèvement en eau, densité des croisements route-rivière). Cette étude est effectuée à grande échelle puisqu’elle porte sur 9 régions des USA avec 45 989 sites d’observations où les données sur les espèces de poissons sont collectées sur une large période de 1990 à 2019. Pour la description des grandes régions et la répartition des espèces on se reportera au site Hydrauxois. 

Le réseau fluvial est modélisé comme un ensemble de segments de longueurs variables dont les extrémités sont des confluences de rivières, des lacs ou réservoirs, les océans ou les grands lacs. A chaque segment est associé localement une portion de territoire qui représente la zone qui draine directement ce segment, mais aussi les surfaces relatives aux bassins versants aval et amont. On pourra ainsi associer à ces surfaces les facteurs naturels ou humains qui les caractérisent. 

Pour étudier ces corrélations multifactorielles entre la diversité des espèces migratrices et les facteurs environnementaux deux techniques informatiques développées à partir des années 2000 sont utilisées : «Canonical Correspondance Analysis » (CCA) et « Boosted Regression Tree » (BRT). Ces techniques permettent de traiter des grandes masses de données et sont particulièrement bien adaptées à la situation. Pour la compréhension de l’analyse BRT et son application en écologie on peut se reporter à l’article (3) sur l’étude des facteurs influençant les populations d’anguille en Nouvelle Zélande. 

Le site Hydrauxois décrit le cadre général de l’étude en ce qui concerne les principales régions des USA et les différentes familles de poissons migrateurs. Il commente les résultats de la première technique utilisée (CCA) sur les 9 régions. Nous reprenons la principale conclusion : «Le premier point remarquable est que le modèle des chercheurs ne parvient à expliquer que 32,7% au mieux de la variance des poissons. Cela signifie que les facteurs pris en compte laissent, selon les bassins, 70 à 90% des variations de poissons sans explication causale décisive. … Le second point est que la part des barrages au sein de la variance expliquée est encore plus faible, même si elle significative dans quatre bassins sur neuf. Il est logique que certains grands barrages non équipés de dispositifs de franchissement dépriment des populations de poissons de migrateurs et favorisent des espèces non migratrices, notamment adaptées aux milieux lentiques ou semi-lotiques de retenues. A l’ère anthropocène marquée par la transformation diffuse et continue des déterminants du vivant, il existe rarement une cause simple pouvant expliquer pourquoi les populations actuelles des espèces divergent de celles des époques précédentes.».
 
Nous souhaitons compléter ces commentaires en examinant l’autre partie de l’article relative à l’utilisation de la technique BRT. Nous verrons qu’elle apporte un éclairage complémentaire et surtout qu’elle met en lumière le rôle prépondérant des facteurs naturels du territoire dans la préservation des espèces migratrices. Cette deuxième technique utilisée est appliquée aux 4 régions de l’est des USA où la fragmentation des rivières est la plus sensible. Le modèle repose sur 14 variables explicatives classées selon trois catégories : les facteurs naturels du territoire, les facteurs humains dans l’utilisation des sols, et les métriques de fragmentation du réseau de rivières : 
  • Facteurs naturels du territoire : surface de drainage du territoire associé au segment local de rivière, index de base de débit, moyenne annuelle de précipitation, moyenne annuelle de température, pente ;
  • Facteurs humains dans l’utilisation des sols : urbanisation, culture des sols, prairie, prélèvement en eau, densité croisement route-rivière ; 
  • Fragmentation du réseau de rivière : densité de barrage sur le segment principal (nombre de barrages par 100 km de longueur), degré de régulation, nombre total de barrages sur le réseau aval, nombre total de barrages sur le réseau amont. 
Analyser et hiérarchiser les rangs des variables prédictives
Le modèle évalue l’importance de ces 14 variables sur une partie des espèces migratrices, les poissons potamodromes (poisson ayant un cycle de vie en eau douce), et les résultats sont rassemblés dans la figure 1 ci-dessous. 
 

Figure 1. Extrait. TABLE 5 Mean rank (mean relative contribution, %) of environmental variables used to predict relative abundances of potamodromous fishes using BRTs in ecoregions of the UMW, SAP, CPL, and NAP within the eastern conterminous USA. 

Pour les 4 régions de l’est des USA dénommées respectivement UMW, SAP, CPL et NAP on trouve pour les 14 variables un premier chiffre qui donne le rang, c'est-à-dire l’importance relative de la variable, puis entre parenthèse le poids relatif de cette variable en %. Plus l’importance relative d’une variable sera grande plus le rang sera important. Rappelons que ces 4 régions correspondent respectivement : UMW, la région des grands lacs, SAP, la région sud des Appalaches, NAP, la région nord des Appalaches, et CPL les plaines de la côte ouest et sud-ouest. 

Les auteurs de l’article font les commentaires suivants. «Le rang le plus élevé des facteurs naturels du territoire est la température annuelle dans les régions NAP et SAP, la surface de drainage pour la région UMW, et la pente de la rivière pour la région CPL. La variable index de base de débit comme les variables surface de drainage et pente ont des rangs similaires dans les régions UMW et CPL. Parmi les facteurs humains, les espèces potamodrome de poisson sont influencées par un sol de type prairie dans les régions UMW et SAP, les sols cultivés dans la région CPL, et le prélèvement en eau dans la région NAP. Le nombre de barrages sur le réseau aval dans les régions SAP et UMW et la densité de barrages sur le segment principal dans les régions SAP et NAP ont des rangs plus déterminants que tous les facteurs humains de l’utilisation des sols. Plus particulièrement, l’influence des barrages sur le réseau amont (degré de régulation et nombre total de barrages sur le réseau amont) est moindre que tous les facteurs anthropogéniques, contrairement à l’influences des barrages sur le réseau aval qui est le facteur déterminant dans ces régions.».

Cette conclusion qui permet aux auteurs d’affirmer que dans trois régions de de l’est des USA (UMW, SAP, NAP) l’influence des barrages dans le réseau aval est plus déterminante que les facteurs humains doit être fortement relativisée, même si elle est réelle. En effet, ce constat est fondé sur la notion de rang d’une variable sans regarder son importance relative par rapport à l’ensemble de toutes les variables, le rang d’une variable peut être élevé alors que son poids relatif est faible. Par exemple la variable nombre de barrages sur le réseau aval pour la région SAP a le rang 5 sur 14, alors que son poids relatif est de 7% de toutes les variables prédictives. 

A partir du tableau de la figure 1, il est possible de le synthétiser en regroupant l’influence des variables par nature, les facteurs naturels du territoire (N), les facteurs humains dans l’utilisation des sols (H) et la fragmentation des rivières par les barrages (R). 


En effectuant ce regroupement il ne faut pas se méprendre sur l’interprétation de ce tableau. Nous n’avons pas fusionné les 5 variables relatives aux facteurs naturels en une seule variable prédictive, nous disons seulement, par exemple, que le poids relatifs de ces 5 variables pour la région UMW est de 60.2%. 

A partir de là, il est important de constater : (1) les facteurs naturels sont prépondérants et majoritaires dans les 4 régions et conditionnent la relative abondance des espèces de poissons potamodrome, (2) dans toutes les régions l’aspect fragmentation des rivières est moins important que les facteurs humains dans l’utilisation des sols, seule dans la région SAP les facteurs humains sont du même ordre de grandeur que les aspects fragmentation. 
 
Certes, ce regroupement nous a fait perdre en finesse, mais il nous a permis de mettre en lumière ce qui est essentiel. Dans toute interprétation d’un modèle il est bon à la fois de raisonner en grandes masses et aussi de se focaliser sur des aspects secondaires. 

La fragmentation figure dans les variables les moins significatives
Comme nous venons de le voir, l’aspect fragmentation existe mais constitue l’ensemble des variables les moins significatives. Toutefois quand nous examinons cet aspect, les 3 variables, densité moyenne d’un segment, nombre total de barrages sur le secteur aval ou amont ont des rôles différents. On constate tout d’abord que la variable relative au secteur amont joue un rôle négligeable, elle intervient au 13e rang sur 14 dans 3 régions UMW, SAP, et NAP, et elle apparait au 10e rang dans la région CPL. La densité moyenne en barrages d’un segment est seulement significative dans les régions NAP et SAP alors que dans les autres régions elle figure au dernier rang. Enfin, l’influence des barrages dans le réseau aval est la variable la plus sensible dans les régions UMW et SAP pour prédire la relative abondance des poissons potamodromes.

Les auteurs de l’article associeraient ce dernier fait à la position relative d’un segment de rivière dans le réseau fluvial, si un segment est en fin de bassin avec une surface de drainage importante : «la taille de rivière augmente, les canaux deviennent de plus en large et profond avec une surface et un volume d’eau offrant des habitats plus complexes pour une plus large diversité d’espèces.». 

La variable qui mesure le nombre de barrages du réseau aval d’un segment donné est dépendante de la position relative de ce segment, elle est d’autant plus grande que le segment est en tête de bassin versant et prend la valeur 0 pour un segment terminal à l’embouchure. Dans le cas des régions UMW et SAP la très grande majorité des segments de rivières sont des affluents directs ou indirects du fleuve Mississipi et la distance moyenne de ces segments à l’embouchure est très grande. En conséquence le nombre de barrages sur le réseau aval est important et peut impacter l’abondance des poissons potamodromes, ce qui pourrait expliquer la sensibilité et l’influence du réseau aval. Toutefois, dans le cas des poissons potamodromes les déplacements se font sur des distances assez courtes selon les espèces, de l’ordre de la dizaine de kilomètres, et restent donc localisés à une très faible zone du cours d’eau par rapport à la longueur totale du réseau hydrographique. En conséquence, l’abondance des poissons potamodromes devraient être plus influencés par la densité moyenne des barrages sur un segment que par l’importance du réseau aval. Il faut aussi constater que dans ces deux régions, UMW et SAP, c’est la surface de drainage qui est le facteur primordial de la diversité en poissons potamodromes. 

Ainsi, nous voyons la difficulté à faire une interprétation d’un phénomène complexe. Pour approfondir cette analyse, il faudrait disposer des graphiques qui décrivent l’effet de chaque variable sur l’abondance des poissons. Même si ces graphiques ne sont pas parfaits, car toutes les variables ne sont pas indépendantes les unes des autres, ce qui est le cas, ils fournissent une base solide à toute interprétation. En général les logiciels BRT fournissent ces résultats, mais ils ne sont pas présents dans l’article. 

Parmi d’autres études qui ont étudié l’influence des barrages sur les populations piscicoles on peut mentionner celle réalisée sur le bassin de la Loire (4) avec un indice de connectivité dépendant de la densité des barrages dans le réseau fluvial. Cette étude avait montré de façon générale une faible corrélation entre l’indice de connectivité et la qualité de l’indice poisson IPR avec toutefois des modulations plus fortes pour les espèces rhéophiles dans les régions où les pentes sont plus fortes sans toutefois mettre en évidence le rôle du réseau aval. De plus cette étude ne prenait pas en compte ni les propriétés naturelles du territoire ni les facteurs humains. 

En conclusion, si cette étude récente sur un vaste territoire comme celui des USA montre bien les difficultés à appréhender une réalité complexe où de multiples facteurs environnementaux interviennent, elle permet de mettre en lumière plusieurs phénomènes en les hiérarchisant les uns par rapport aux autres. Les facteurs naturels du territoire sont les plus importants dans l’abondance des espèces de poisson potamodromes avec en particulier trois facteurs essentiels relatifs à la température, à l’index de base de débit des cours d’eau et la surface de drainage, ceci doit être mis en rapport avec les évolutions climatiques prévisibles. Dans le futur, les conditions optimales de vie des espèces migratrices risquent d’être profondément affectés par ces changements comme ceci est d’ailleurs souligné par les auteurs de l’article. 

Notes
(2) E. M. Dean, Dana M. Infante, Arthur Cooper, Lizhu Wang, Jared Ross. Cumulative effects on migratory fishes across the conterminous United Stares Regional patterns in fish response to river network fragmentation. River Res. Applic. 2023, 39 : 1736-1748.
(3) J. Elith, J. R. Leathwick, T. Hastie. A working guide to boosted regression trees. Journal of Animal Ecology, 77(4), 802-813.
(4) Van Looy K., Tormos T., Souchon Y. Disentangling dam impacts in river networks. Ecological Indicators 37,10-20, 2014. 

A propos de l'auteur
Ancien Professeur des Universités de Grenoble et Paris XI. Ancien Directeur du laboratoire d'Informatique et de Mathématiques Appliquées de Grenoble (IMAG) associé au CNRS. Auteur d'un article sur les indices de connectivités dans les réseaux hydrographiques publié au Colloque de limnologie «étangs et lacs» à l'Université d'Orléans en 2021. Membres des Associations des Riverains de France (ARF) et des riverains de l'Indre et de ses affluents (ARDI). Co-fondateur de la coopérative Force Hydro Centre (FHC) pour le développement des énergies hydroélectriques.

01/12/2022

Comment les grands barrages ont bloqué l’accès des deux-tiers des rivières européennes aux poissons migrateurs (Duarte et al 2021)

Si les barrages des moulins, forges et autres sites de l’hydraulique traditionnelle ont été partiellement franchissables aux poissons migrateurs en phase de montaison, il n’en va pas de même pour les grands barrages massivement construits au 20e siècle. Une publication de chercheurs analyse pour la première fois l’évolution spatiale et temporelle de la discontinuité fluviale par grands barrages sur le réseau hydrographique européen. Elle conclut qu’en l’espace de 60 ans, les deux-tiers de ce réseau ont été bloqués. Dans la mesure où les barrages voient leur importance plutôt renforcée en situation de réchauffement climatique et de transition énergétique, cela pose question sur les objectifs des politiques européennes de restauration et leur niveau de réalisme.


Les grands bassins européens analysés par Duarte et al 2021, art cit, classés selon leur exutoire maritime. 

Les rivières sont fragmentées de longue date par des barrages de toutes dimensions. Cela pose problème en particulier au comportement migratoire de certaines espèces de poissons diadromes (par exemple saumon, anguille), dont le cycle de vie passe d’une phase océanique à une phase continentale ou inversement, avec besoin de nager sur de grandes distances. Mais on manque de donnée concernant la dynamique spatiale et temporelle de la construction des barrages en lien à la connectivité, en particulier ceux de grandes dimensions qui bloquent totalement le franchissement des poissons. Dans quelle mesure la construction de ces grands barrages a-t-elle altéré la connectivité longitudinale des réseaux fluviaux européens? Comment le phénomène a-t-il évolué en Europe tout au long du XXe siècle? 

Gonçalo Duarte et ses collègues ont analysé l’histoire des barrages et leur  implantation spatiale dans le grands bassins fluviaux pour répondre à ces questions. Un grand barrage est défini comme un ouvrage mesurant plus de 15 m de sa fondation à sa crête, ou mesurant de 5 à 15 m mais stockant plus de 3 millions de m3 d'eau. Voici le résumé de leur travail :
« La connectivité longitudinale du fleuve est cruciale pour que les espèces de poissons diadromes se reproduisent et grandissent, sa fragmentation par de grands barrages pouvant empêcher ces espèces d'assurer leur cycle de vie. Ce travail vise à évaluer l'impact des grands barrages sur la connectivité longitudinale structurelle à l'échelle européenne, du point de vue des espèces de poissons diadromes, depuis le début du 20e siècle jusqu'au début du 21e siècle. 

Sur la base des emplacements des grands barrages et de l'année d'achèvement, une multitude de paramètres de dégradation des rivières ont été calculés à trois échelles spatiales, pour six régions océaniques européennes et douze périodes. Le nombre de bassins touchés par les grands barrages est globalement faible (0,4 %), mais pour les grands bassins fluviaux, qui couvrent 78 % de la superficie de l'Europe, 69,5 % de tous les bassins, 55,4 % des sous-bassins et 68,4 % de la longueur du fleuve sont altérés. La dégradation de la connectivité du réseau fluvial est devenue de plus en plus importante au cours de la seconde moitié du 20e siècle et est aujourd'hui spatialement répandue dans toute l'Europe. À l'exception de l'Atlantique Nord, toutes les régions océaniques ont plus de 50 % de la longueur des rivières touchées. Si l'on considère les grands bassins fluviaux, les régions de la Méditerranée (95,2 %) et de l'Atlantique Ouest (84,6 %) sont les plus touchées, tandis que les régions Mer Noire (92,1 %) et Caspienne (96,0 %) se distinguent comme celles dont la longueur fluviale est la plus compromise. 

En 60 ans, l'Europe est passée d'une altération réduite à plus des deux tiers de ses grands fleuves avec des problèmes structurels de connectivité dus aux grands barrages. Le nombre de ces barrières a considérablement augmenté dans la seconde moitié du 20e siècle, en particulier les barrages majeurs à distance décroissante de l'embouchure de la rivière. Actuellement, la connectivité longitudinale structurelle des réseaux fluviaux européens est gravement touchée. Cela concerne toutes les régions considérées, et celles du sud de l'Europe seront confrontées à des défis encore plus importants, étant donné qu'il s'agira d'un futur point chaud pour le développement de l'hydroélectricité et, de manière prévisible, d'une zone plus affectée par le changement climatique. »


Ces graphiques montrent l’évolution de la détérioration de la connectivité structurelle des fleuves européens décennie par décennie depuis la fin du 19e siècle jusqu'au début du 21e siècle. Graphique A, le nombre de grands barrages et la distance moyenne à l'embouchure du bassin pour les barrages principaux (# Mst Dams ; avg_dist_mouth_Mst) et les barrages présents dans les affluents (# Tb dams ; avg_dist_mouth_Tb) tout au long des intervalles de temps considérés. Graphique B, analyse à l'échelle du segment en utilisant trois métriques, le pourcentage de longueur de rivière affectée par un, deux à quatre et cinq barrages ou plus dans le chemin vers le segment de l'embouchure du bassin (%S_aff_length_1, %S_aff_length2-4 et %S_aff_length5+) et à échelle de sous-bassin utilisant deux métriques (%SB_Taff et %SB_Taff). Graphique C, pourcentage de longueur de rivière (%S_aff_length-1, colonnes) altérée et pourcentage de grands bassins altérés (B_aff_Lr, lignes pointillées) dans six régions océaniques. (La France est située pour partie dans le bassin Ouest Atlantique en rouge, pour partie dans le bassin Méditerranée en  orange.)

Discussion
Cette étude permet de situer le poids relatif de la fragmentation des cours d’eau entre la grande hydraulique du 20e siècle et la petite hydraulique qui l’a précédée. On observe que l'impact de la première est nettement plus important que ne le fut celui de la seconde. Ce travail est à mettre en parallèle avec une précédente publication des chercheurs qui, analysant l’histoire de la régression de certains espèces migratrices de poissons (en France), trouvaient que le phénomène s’accélérait surtout au 20e siècle (Merg et al 2020). Il est aussi à lire en complément de la recherche récente montrant que les rivières européennes sont probablement fragmentées par 1,2 million de barrières de toute dimension (Belletti et al 2020).

Gonçalo Duarte et ses collègues assument dans leur publication un angle plutôt naturaliste, qui place la question de la conservation des poissons migrateurs comme principal élément de réflexion sur l’avenir des barrages. Toutefois, leur travail et d’autres permettent d’interroger le réalisme et la désirabilité de cet horizon d’interprétation.

Ces recherches posent en effet question sur le sens que l’on donne aujourd’hui à la politique de restauration de continuité longitudinale en Europe. Les barrages de diverses dimensions sont utiles à la société et ne vont pas disparaître, d’autant que le réchauffement climatique risque de renforcer leur demande en stockage d’eau ou production d’énergie bas-carbone (Kareiva et Caranzza 2017). Même s’il est possible de rendre en partie franchissables des ouvrages, les poissons migrateurs ne pourront probablement pas retrouver l’expansion qu’ils avaient à l’époque où les ouvrages étaient de petite dimension, encore moins à celle du début du Holocène avec des rivières n’ayant que des barrières  naturelles de type barrages de castors, embâcles, chutes, cascades ou torrents. D'autant que les fleuves et rivières ont aujourd'hui bien d'autres impacts, allant de la pollution chimique à la sécheresse hydrologique en passant par l'altération sédimentaire ou l'introduction d'espèces exotiques. Il faut noter que le cycle océanique des poissons diadromes est également perturbé, même si le sujet est moins bien connu étant donné les difficultés d'observation. 

La politique de restauration de continuité longitudinale a des coûts non négligeables. Elle soulève des oppositions sociales, politiques et judicaires quand elle prétend démolir les ouvrages, leurs usages et leurs services écosystémiques. La France a été pionnière dans ce domaine de restauration du fait du fort soutien apporté par l'Etat, mais elle est aussi pionnière dans le retour critique sur l'expérience : les poissons migrateurs ne justifient pas tout du point de vue des populations riveraines ; et la protection de la part endémique de la biodiversité est aussi obligée de composer avec d'autres enjeux des politiques d'intérêt général. Il paraîtrait sage de définir une écologie de conservation des espèces menacées qui se limite à des axes où la continuité est moindrement impactée et plus facile à restaurer. Mais sans espoir à court terme de rendre à nouveau parfaitement transparent à la migration un très vaste linéaire hydrographique. D'autant que le rythme du changement climatique en Europe, plus rapide qu'attendu selon certains chercheurs, est susceptible de redéfinir substantiellement les conditions d'efficacité et faisabilité de la conservation écologique des espèces aquatiques. 

Référence : Duarte G et al (2021), Damn those damn dams: Fluvial longitudinal connectivity impairment for European diadromous fish throughout the 20th century, Science of The Total Environment, 761, 143293

A lire sur le même thème : 

15/09/2022

Barrages, gestion des barrages et sécheresses: précision sur un communiqué de FNE

Dans un communiqué, France Nature Environnement prétend que les suppressions de barrages améliorent la situation en cas de sécheresse. Ce lobby copie-colle un argument selon lequel une étude espagnole aurait montré que les barrages aggravent les sécheresses. Nous détaillons ce que dit exactement cette étude, qui en réalité pointe la question non des barrages eux-mêmes, mais des règles de gestion et partage de l'eau des barrages entre l'amont et l'aval. La même étude signale que les rivières non régulées sont vulnérables à l'aggravation tendancielle des sécheresses, ce qui contredit les assertions de France Nature Environnement – mais confirme la triste expérience des riverains dont les cours d'eau ont été saccagés au nom de la "continuité écologique" et ont subi de plein fouet la gravité de la sécheresse. 


France Nature Environnement a produit un communiqué pour dire que les barrages et plans d'eau ne sont surtout pas une solution aux sécheresses. Et combien il est utile de les détruire sous le vocable flou de la "renaturation". Nous passerons ici sur l'assertion fantaisiste du lobby selon laquelle les riverains de Mayenne, cités dans le communiqué, ont vécu avec joie au bord des rivières où les ouvrages hydrauliques avaient été détruits : la presse régionale a au contraire multiplié pendant l'été les rapports sur les plaintes au bord de ces rivières sans eau lorsque les plans d'eau ont été détruits au nom de la "continuité écologique", alors que le problème a été moins aigu dans celles où ces ouvrages avaient été préservés (voir ici, ici, ici, etc.).  Que des bureaucraties publiques manient une certaine langue de bois pour nier ou euphémiser les conséquences négatives de leurs actions, c'est un peu usuel. Qu'elles trouvent des citoyens complices dans cette négation de la réalité, c'est bien triste.

Ce communiqué comporte l'assertion suivante :
"À l’échelle plus large du bassin, il est également à noter que plusieurs études ont démontré que la présence de plusieurs barrages sur un même cours d’eau pouvait aggraver la sécheresse. En Espagne, pays fortement impacté cette année par les assecs, l’analyse a montré, au regard des sécheresses entre 1945 et 2005, que les épisodes les plus sévères et les plus longs avaient lieu sur les bassins les plus régulés par la présence de barrages."

Il importe de clarifier ce point, surtout que des experts très engagés dans la justification de la politique des agences de l'eau ont aussi fait des affirmations semblables et un peu rapides (voir ce lien). 

Cette assertion sans référence concerne le travail suivant : Lorenzo-Lacruz, J., Vicente-Serrano, S. M., González-Hidalgo, J. C., López-Moreno, J. I., & Cortesi, N. (2013). Hydrological drought response to meteorological drought in the Iberian Peninsula. Climate Research, 58(2), 117-131.

Notons que ce travail est avant tout une caractérisation de le réponse des sécheresses hydrologiques aux sécheresses météorologiques, pas une étude spécifique sur le rôle des barrages. Ceux-ci sont simplement mentionnés dans le cadre des rivières "régulées".

Voilà exactement ce que dit cette étude concernant la question des barrages et de la régulation de l'eau :
"Une tendance récente au développement de différentes approches pour évaluer les sécheresses fluviales se dessine, englobant l'étude des bassins fluviaux perturbés et régulés, qui correspondent à la plupart des grands bassins des pays en développement comme des pays développés. Par exemple, Timilsena et al. (2007) ont évalué des scénarios de sécheresse du bassin du fleuve Colorado (États-Unis), y compris des sous-bassins hydrologiques perturbés. Wu et al. (2008) ont suivi une approche similaire, en utilisant une approche par niveau de seuil et la théorie des parcours pour analyser les sécheresses d'écoulement dans le bassin du fleuve Missouri au Nebrasaka (États-Unis), malgré les nombreux barrages et réservoirs construits pour l'irrigation et d'autres utilisations à l'intérieur du bassin. Wen et al. (2011) ont également évalué les impacts de la régulation et du détournement des eaux sur la nature des sécheresses hydrologiques dans la rivière Murrumbidgee (Australie). Ainsi, inclure les rivières régulées dans l'évaluation des sécheresses hydrologiques devrait être une tâche obligatoire puisque la régulation et la gestion de l'eau peuvent renforcer les sécheresses d'écoulement en aval des barrages. Cela a été démontré dans différents bassins de la péninsule ibérique.
 
Par exemple, Lopez-Moreno et al. (2009) ont évalué les effets d'un grand barrage transfrontalier entre l'Espagne et le Portugal sur les sécheresses hydrologiques dans le bassin du Tage (péninsule ibérique ; IP), montrant comment la nature des sécheresses avait subi de graves changements en aval du barrage d'Alacantara. Ces changements sont associés à une augmentation de la durée et de l'ampleur des épisodes de sécheresse comme conséquence de la gestion du barrage, avec des implications pour la disponibilité des ressources en eau en aval affectant la partie portugaise du bassin. En amont du bassin du Tage, Lorenzo-Lacruz et al. (2010) ont également montré comment l'exploitation de barrages à des fins d'irrigation et de transfert d'eau a modifié le régime naturel de la rivière et augmenté la durée et l'ampleur des étiages en aval, avec des implications sur la disponibilité et la qualité de l'eau à moyen terme. cours de la rivière. Cela a été une grande source de conflits entre les écologistes, les organisations agricoles du bassin et les gestionnaires de l'eau. Ainsi, indépendamment de l'origine des sécheresses fluviales (climatique ou induite par la gestion de l'eau), elles provoquent des impacts négatifs et soulignent la nécessité d'analyser en profondeur les impacts de la gestion de l'eau sur les sécheresses hydrologiques. Les résultats des études citées ci-dessus sont encore plus intéressants que ceux centrés sur les bassins « naturels » puisque des recommandations opérationnelles de gestion de l'eau peuvent en découler. Toutes les études citées ont indiqué que la gestion de l'eau associée à l'exploitation des réservoirs est responsable de l'agrégation temporelle et de l'aggravation des sécheresses hydrologiques en aval des barrages.

Les objectifs de notre étude étaient centrés sur la caractérisation des sécheresses hydrologiques dans la Péninsule ibérique, indépendamment du niveau de régulation des cours d'eau, avec un périmètre limité à l'évaluation des changements observés dans la durée et l'ampleur des sécheresses fluviales. Cependant, étant donné que dans la réalité, les fleuves ibériques sont pour la plupart régulés et affectés par diverses activités humaines, l'inclusion de systèmes régulés est nécessaire pour englober la variabilité et les impacts induits par les barrages sur les changements dans les sécheresses de débit. Ainsi, l'analyse permet de définir des régions hydrologiques indépendantes avec des caractéristiques de sécheresse distinctes (il est à noter que les sécheresses les plus sévères et les plus durables ont été observées dans les bassins à haut degré de régulation)."

Notons d'abord que la corrélation entre niveau de sécheresse et niveau de régulation des rivières n'est pas surprenante, ni concluante en soi : c'est bien dans les zones tendues où l'eau manque le plus que l'on cherche des parades. Les parapluies sont aussi plus nombreux en zone pluvieuse, mais ils ne provoquent pas pour autant la pluie...

Surtout, le point des auteurs n'est pas que les barrages aggravent la sécheresse, mais que la mauvaise gestion de l'eau des barrages peut les aggraver, essentiellement à l'aval. Ce point, largement documenté et à l'origine de conflits nombreux d'usages, signifie que si l'eau est stockée et utilisée à l'excès en amont, notamment pour des usages d'agriculture intensive (ou de tourisme massif), elle peut manquer à l'aval. Mais c'est un problème de gestion du barrage (et des usages de l'eau), pas du barrage lui-même. Il existe aussi de nombreux autres cas où des conventions de gestion permettent le partage bénéfique de l'eau des réservoirs sur l'ensemble du bassin, y compris avec des soucis écologiques d'éviter les assecs complets de rivières (préservation du débit environnemental, zone refuge comme noté par l'étude de Beatty et al 2017). Plusieurs régions auraient d'ailleurs une chute brutale de leur fréquentation touristique si le débit estival des rivières n'était pas soutenu par les réservoirs amont. 

Au demeurant, le même travail souligne que les bassins non régulés par des barrages et réservoirs sont aussi vulnérables aux sécheresses:
"Dans les bassins non régulés, la durée et l'ampleur croissantes de la sécheresse affectent le maintien des débits écologiques et menacent le maintien des écosystèmes riverains et fluviaux. L'absence de réservoirs pour lisser les impacts de la sécheresse sur les débits natureks augmente la vulnérabilité de ces bassins à la survenue de sécheresses."
C'est donc un contensens de dire simplement que le travail de Lorenzo-Lacruz et al. conclut que les barrages aggravent la sécheresse : d'une part ce n'est pas l'objet spécifique de leur étude, comme ils le reconnaissent ; d'autre part c'est le problème de la gestion de ces barrages (de l'eau en général) qui est mentionné dans l'étude ; enfin l'absence de barrages crée aussi de la vulnérabilité. 

Un autre point à rappeler est que l'écologie consiste à tenir compte des contextes : les régions semi-arides (à pluviométrie structurellement déficitaire par rapport à l'évapotranspiration) n'ont pas les mêmes enjeux que les régions tempérées. Une recherche pionnière menée aux Etats-Unis, couplant modèles hydrologiques, modèles climatiques et modèles d’usage de sols montre que dans les zones tempérées et à condition d’éviter l’agriculture intensive la plus consommatrice d’eau estivale, les barrages vont jouer un rôle positif pour limiter les effets des sécheresses hydrologiques et agricoles liées au réchauffement climatique. Cela ne se vérifie cependant pas dans les zones les plus arides et celles qui ont une utilisation excessive de l’eau agricole d’été (voir recension de Wan et al 2018... qui avait déjà été déformée par FNE dans une autre de ses communications). Une telle simulation n’existe pas à échelle de l’Europe. 

Conclusion : qu'un lobby (et parfois aussi bien un chercheur, un expert) ait une préférence pour la nature sauvage quitte à créer des pénuries pour la société, c'est tout à fait entendable en démocratie. Chacun a ses opinions et préférences. Cela ne doit cependant pas mener à travestir le sens exact et le contenu complet des résultats scientifiques. Les exemples de rôle bénéfique des barrages dans la gestion des crues et sécheresses sont innombrables dans le monde, sans parler de leurs nombreux usages sociaux et économiques. Les exemples de conflits d'usages de l'eau ou de mauvaises gestions de barrages sont nombreux aussi. Il convient donc de travailler à réduire ces conflits et à améliorer cette gestion pour le bénéfice du plus grand nombre et de l'environnement. C'est la définition de l'intérêt général et d'une écologie pragmatique, nous semble-t-il. 

A retenir
  • Les barrages ne créent ou n'aggravent pas en eux-mêmes des sécheresses météorologiques ou hydrologiques
  • Une mauvaise gestion de l'eau des barrages peut aggraver des sécheresses hydrologiques, en particulier en aval
  • Des barrages ayant des règles de gestion de l'eau conformes aux enjeux d'intérêt général définis sur chaque bassin versant sont des outils d'atténuation des effets des sécheresses (comme des crues)
  • Des rivières sans outil de gestion sont vulnérables aux aléas climatiques et hydrologiques, qui vont s'aggraver avec le changement climatique
  • La réponse des bassins versants à l'usage des barrages et aux évolutions hydro-climatiques n'est pas la même en zone aride ou tempérée
  • Les barrages ne sont qu'une des options à mobiliser avec d'autres pour stocker l'eau dans tous les bassins versants, ce qui passe aussi par d'autres pratiques sur les sols, les zones humides, les cultures (points sur lesquels nous pouvons avoir des accords avec FNE)
  • Les lobbies de la destruction des barrages en place sont les lobbies de l'aggravation de la pénurie de l'eau et de l'énergie, à ce titre ne sauraient inspirer la norme publique

19/05/2022

Les réservoirs atténuent les effets des crues et sécheresses (Brunner 2021)

Une chercheuse a comparé plusieurs milliers de jauges dans des bassins versants avec ou sans barrages réservoirs aux Etats-Unis. Son travail montre que les rivières régulées ont des crues et des sécheresses moins intenses au niveau local que les rivières non régulées. Au niveau régional, l'effet protecteur se vérifie pour les crues, pas pour les sécheresses. L'usage premier des réservoirs (eau potable, énergie, irrigation, loisir...) n'influence pas le résultat. Ce travail contredit la petite musique militante de certains experts selon laquelle les retenues et réservoirs ne serviraient à rien. Au contraire, la politique publique de l'eau doit développer une vision ambitieuse de stockage, régulation et distribution de l'eau, cela par moyens naturels aussi bien qu'artificiels, les deux stratégies s'additionnant. C'est l'ensemble du bassin de la source à la mer qui doit coordonner cette ambition, afin d'obtenir les effets locaux et régionaux désirés. Face aux risques hydroclimatiques accrus, l'heure n'est pas à l'idéologie, mais à la protection des citoyens, des usages et des milieux. 


Comme l'actualité le rappelle, les sécheresses et les inondations peuvent avoir des impacts prononcés sur les sociétés et les milieux, formant une préoccupation humaine depuis toujours. Les retenues et réservoirs, souvent exploités à des fins différentes (production hydroélectrique, loisirs, irrigation, eau potable), sont une stratégie parmi d'autres pour réduire le risque lié aux crues et sécheresses. 

Manuela I Brunner (Université de Fribourg, NCAR de Boulder, Colorado) a analysé l'effet à grande échelle de réservoirs aux Etats-Unis. Voici le résumé de son travail :

"Les extrêmes hydrologiques peuvent particulièrement impacter les bassins versants à forte présence humaine, où ils sont modulés par l'intervention humaine telle que la régulation par réservoirs. Pourtant, nous savons peu de choses sur la façon dont l'exploitation des réservoirs affecte les sécheresses et les inondations, en particulier à l'échelle régionale. Ici, je présente un vaste ensemble de données de paires de bassins versants naturels et régulés aux États-Unis et j'évalue comment la régulation par des réservoirs affecte les caractéristiques locales et régionales de sécheresse et d'inondation. 

Mes résultats montrent que (1) la régulation des réservoirs affecte les risques de sécheresse et d'inondation à l'échelle locale en réduisant la gravité (c'est-à-dire l'intensité/l'ampleur et le déficit/le volume) mais en augmentant la durée ; (2) la réglementation affecte les aléas régionaux en réduisant la connectivité spatiale des inondations (c'est-à-dire le nombre de bassins versants avec lesquels un bassin co-subit des inondations) en hiver et en augmentant la connectivité spatiale de la sécheresse en été ; (3) l'effet d'atténuation locale n'est que faiblement affecté par la fonction du réservoir, pour les sécheresses comme les inondations. 

Je conclus que les caractéristiques locales et régionales des inondations et des sécheresses sont considérablement modulées par la régulation des réservoirs, un aspect qui ne doit pas être négligé dans les évaluations des aléas ou des impacts climatiques."

La chercheuse observe que les études par modèle ou par observation confirment que les réservoirs jouent des rôles efficaces de régulation de sécheresses ou de crues :

"Il a été démontré que les réservoirs atténuent principalement les sécheresses et les inondations dans différentes parties du monde dans des études basées sur des modèles et des observations (Verbunt et al 2005, He et al 2017, Wang et al 2017, Tijdeman et al 2018). Les études basées sur des modèles simulent le débit naturel avec un modèle hydrologique et comparent ce débit naturel simulé au débit régulé observé. En revanche, les études basées sur l'observation comparent soit les conditions régulées en aval d'un réservoir aux conditions naturelles en amont, soit les conditions avant la construction du barrage aux conditions après la construction du barrage (Rangecroft et al 2019, Van Loon et al 2019). Les études basées sur l'observation sont souvent limitées à quelques bassins versants, tandis que les évaluations à grande échelle sont principalement basées sur des modèles et reposent sur des hypothèses spécifiques concernant la demande en eau et la régulation du débit (Yassin et al 2019). L'effet d'atténuation de la sécheresse des réservoirs a par ex. été démontré dans des études basées sur l'observation pour le Royaume-Uni (Tijdeman et al 2018) et dans des études basées sur des modèles pour la Californie (He et al 2017), en Chine (Tu et al 2018, Chai et al 2019), aux États-Unis (Wan et al 2017) et à l'échelle mondiale (Wanders et Wada 2015) tandis que d'autres études ont signalé une augmentation de la sévérité et de la durée de la sécheresse pour certains réservoirs en Chine (Zhang et al 2015). De même, des études basées sur des modèles et des observations ont montré des réductions des pics d'inondation, par ex. pour le bassin du Rhin, en Italie et aux États-Unis (Verbunt et al 2005, Wang et al 2017, Volpi et al 2018), et dans les volumes d'inondation, par ex. en Thaïlande (Mateo et al 2014)."

Mais Manuela I Brunner fait observer que l'on manque d'analyse à échelle de bassins versants et sur de nombreux ouvrages. La chercheuse a compilé un ensemble de données de paires de bassins versants naturels et régulés en amont et en aval des réservoirs aux États-Unis. Le travail est mené sur la base de 2683 jauges exploitées par l'US Geological Survey (USGS) en distinguant les catégories "presque naturelles" (bassins avec une altération humaine minimale) et "régulés" (avec retenues de stockage).

Ce schéma montre en particulier les effets des réservoirs : à gauche, on voit que les pics et volumes de crues sont réduits (mais la durée allongée car lissée), à droite on voit l'intensité de la sécheresse et le déficit d'eau sont réduits, sans effet clair sur la durée.


A propos de la connexion régionale des sécheresses, la chercheuse précise : "Alors que l'effet réservoir-régulation est principalement positif à l'échelle locale, les dépendances spatiales à la sécheresse peuvent être légèrement renforcées en été, c'est-à-dire que la synchronisation de la sécheresse entre les bassins versants s'intensifie en présence de réservoirs. Cette synchronisation augmente la probabilité de sécheresses généralisées et introduit de nouveaux défis de gestion car les transferts d'eau vers des bassins versants secs à partir d'eau abondante en amont ou de bassins versants voisins peuvent ne plus être réalisables. Cette constatation contraste avec les conclusions de Wan et al (2017) qui ont montré que la gestion de l'eau réduit l'étendue spatiale de la sécheresse, en particulier pendant la saison d'irrigation. Mes résultats suggèrent également de telles diminutions, mais pas pour la saison estivale. L'effet potentiel d'atténuation de la sécheresse peut aussi concerner la pénurie d'eau, comme le montrent des études antérieures qui ont mis en évidence le potentiel des réservoirs pour atténuer cette pénurie (Liu et al 2018, Brunner et al 2019, Kellner et Brunner 2020)."

Il convient donc d'insérer la gestion des retenues et réservoirs dans une stratégie régionale qui, outre les effets locaux bénéfiques, s'assure que l'ensemble du bassin pourra bénéficier d'apport d'eau utile.

Discussion
En ce printemps 2022, la France est à nouveau menacée par la sécheresse, avec un hiver et un printemps peu pluvieux, et des vagues de chaleur précoces. Certains "sachants" et "experts" font entendre dans les médias une petite musique : les retenues ne servent à rien, voire aggravent la situation. Ces propos sont inexacts et dangereux, comme nous l'avions déjà rappelé. Nous demandons au gouvernement, au parlement et aux établissements en charge des bassins versants de développer une politique ambitieuse de retenue et stockage d'eau partout, et par tous les moyens, à fin de régulation des crues et sécheresses risquant de devenir plus graves en période de changement climatique. 

Il n'y a aucun sens à opposer les solutions fondées sur la nature (restauration de zones humides, préservation de forêts et bois, etc.) avec les solutions fondées sur la technique (retenues, canaux, injection en nappe, etc.). Les deux stratégies sont complémentaires. Et la destruction des retenues existantes sur les bassins versants est bien sûr une aberration coûteuse et dangereuse, n'ayant aucune place dans une politique publique. 

Référence : Manuela I Brunner MI (2021), Reservoir regulation affects droughts and floods at local and regional scales, Environ. Res. Lett. 16 124016

07/06/2021

Les écologistes ne tarissent pas d'éloges sur la biodiversité de la retenue artificielle de Montbel

Des mouvements écologistes locaux protestent contre la construction de cabanons au bord du lac de Montbel en Ariège. Leur argument : cette masse d'eau artificielle née d'un barrage mis en eau en 1984 est le lieu d'une riche biodiversité d'oiseaux et de chauves-souris, de mammifères et d'amphibiens. Cette réalité contredit évidemment le dogme de la nature sauvage selon lequel tout milieu créé par les humains est dégradé, sans intérêt écologique et doit être "renaturé" au plus vite par destruction progressive de tous les "obstacles à l'écoulement". A quand une étude systématique de la faune, de la flore et des services écosystémiques attachés aux ouvrages humains dans les bassins versants? 

Le Monde, 6 juin 2021. 

Mise en eau en décembre 1984, la retenue de Montbel en Ariège est un lac artificiel, d’une superficie totale de 550 hectares et d'un volume de 60 millions de mètres cubes d’eau. Elle est destinée à l’irrigation agricole et au soutien d’étiage du fleuve Ariège, de son affluent l’Hers et de la Garonne. Cet ouvrage est aussi équipé d’une usine hydroélectrique et d’une base de loisirs.

Si l'on en croit le discours officiel de l'écologie d'Etat ou de celle de certaines ONG, c'est donc une catastrophe : on intercepte et dérive l'eau d'une rivière naturelle, on crée une masse d'eau qui se réchauffe et s'évapore en été, on a dénaturé et dégradé la vie sauvage... 

Or, le journal le Monde révèle que la réalité paraît assez loin de cette caricature : les groupes écologistes locaux, loin de demander la destruction du barrage et du lac, sont en conflit avec un promoteur qui propose de construire des cabanons sur ses rives. Le motif du conflit? Cela pourrait déranger la faune qui profite de l'écosystème artificiel.

Voilà ce que dit le journal :
"Les associations de défense de l’environnement sont vent debout contre ce concept touristique présenté comme un « éco-domaine » par Coucoo, l’entreprise porteuse du projet. Laurence Bourgeois, membre du collectif de riverains « A pas de loutre », ouvre les hostilités : « Il y a des zones à protéger. Et ce projet ne correspond pas à l’urgence climatique ni à la protection de la biodiversité. » Gilbert Chaubet, porte-parole du comité écologique ariégeois, enfonce le clou. « Ce projet est de la pure urbanisation. Les cabanes dont disséminées sur 2,5 kilomètres et créent de la nuisance par leur fonctionnement », affirme cet Ariégeois pure souche, qui craint que la lumière et le bruit perturbent les animaux.

Car aigrettes garzettes, grandes aigrettes, foulques, grèbes huppés, hérons cendrés et 155 autres espèces viennent se nourrir dans cette zone, se reposer et y nicher en période de nidification. Et, parmi elles, quarante-cinq figurent sur la liste rouge nationale des espèces menacées. La loutre, le triton marbré et la chauve-souris en font partie."

Le journal précise que les entrepreneurs porteurs du projets de cabanons ne sont pas d'accord avec cette lecture:
"«Nous sommes considérés comme des envahisseurs assoiffés d’argent et des bétonniers. C’est dommage, et c’est faux », rétorque Gaspard de Moustier, codirigeant de la société avec Emmanuel de La Bédoyère. L’entrepreneur trentenaire préfère opposer à ses détracteurs des «arguments écologiques et scientifiques», en s’appuyant sur les observations menées par le bureau d’études en écologie Nymphalis. Dans ses conclusions, ce rapport de 150 pages indique que «le projet n’est pas de nature à porter atteinte à l’état de conservation des habitants et des espèces».
Il reste au moins une question à trancher, la présence de la loutre dans la retenue:
"« Existe-t-il, oui ou non, une loutre d’Europe sédentaire [dans cette zone] ? », s’interroge Sylvie Feucher, la préfète de l’Ariège. La société dispose de quatre mois pour faire de nouvelles investigations à l’aide de pièges photographiques."
Une chose est sûre : la diabolisation des ouvrages hydrauliques au prétexte qu'ils créent des milieux artificiels forcément dégradés par rapport aux milieux naturels n'a aucun sens. D'une part, les milieux de ces ouvrages sont progressivement colonisés par le vivant aquatique qui apprécie l'existence d'une masse d'eau (l'opposition nature/humanité est un contresens), d'autre part  les services écosystémiques attendus par les sociétés humaines ne se résument pas au niveau de biodiversité endémique. 

Les écologistes de Montbel ont l'air d'en être persuadés, puisqu'ils défendent le barrage et sa retenue artificielle : pourquoi n'en parlent-ils pas à leurs collègues qui, partout en France, appellent à la destruction des milieux aquatiques et humides issus des ouvrages hydrauliques?