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17/03/2025

AquiSeuil, un outil pour évaluer l’impact de l’effacement des seuils sur les nappes

Mieux vaut tard que jamais : près de vingt ans après la loi sur l'eau de 2006, le gestionnaire public admet que l'effacement des seuils et barrages peut avoir des effets négatifs sur le stockage de l'eau dans le sol et les nappes. A la demande de l'Office français  de la biodiversité (OFB, le Bureau des ressources géologiques et minières (BRGM) a développé un outil analytique pour obtenir une première estimation de ces conséquences. 

L’effacement ou l’arasement d’un seuil en rivière entraîne une modification du niveau d’eau et des échanges entre la rivière et la nappe d’accompagnement. Ces transformations peuvent impacter les prélèvements en eau souterraine ainsi que la préservation des milieux aquatiques et humides. Face aux incertitudes liées à ces effets, le BRGM et l’OFB ont développé l’outil AquiSeuil, une solution de modélisation permettant d’anticiper les conséquences d’un arasement de seuil sur le niveau de la nappe phréatique.

Basé sur un modèle mathématique intégré à un macro Excel, AquiSeuil simule la distribution de la charge hydraulique dans l’aquifère avant et après l’effacement d’un seuil. Il permet ainsi une première évaluation des impacts hydrauliques, facilitant la prise de décision pour les gestionnaires de l’eau et les acteurs de la restauration des cours d’eau.

L’outil a été testé sur plusieurs cas d’étude, comme l’abaissement de seuils sur le Gardon d’Anduze ou encore la suppression du barrage de Milltown aux États-Unis. Ces simulations ont permis de mieux comprendre les dynamiques souterraines et d’évaluer les conséquences sur l’alimentation en eau potable et la gestion des ressources hydriques.

Référence : Dewandel B, Lanini S, Frissant N (2024). Impact hydraulique de l’effacement d’un seuil en rivière sur la nappe d’accompagnement. BRGM/OFB.

Extraits de l'introduction du manuel sur l'état de l'art

"L’édition la plus récente de la Commission Internationale des grands barrages (2023; https://www.icold-cigb.org) contient des informations sur 51 325 grands barrages (ouvrages supérieurs à 15 m de haut). Les références mondiales sur les petits barrages (<15 m) sont plus rares, les États-Unis (USACE, 2008) ont référencé 2,5 millions de petits barrages (moins de 1,8 m de haut) et 80 000 barrages moyens (plus de 1,8 m de haut). En Europe (sans la Russie), European Rivers Network estime le nombre de petits barrages (moins de 15 m de haut) à des centaines de milliers. Dans le monde, Lehner et al. (2011) estiment qu’il pourrait y avoir plus de 16 millions de ces petits barrages. Grands ou petits, les barrages et les seuils sont donc des structures omniprésentes des systèmes fluviaux.

Ces ouvrages assurent la régulation des crues, la production d’énergie hydroélectrique, une partie de l’approvisionnement en eau douce, des activités récréatives, etc., mais de nos jours, la suppression des barrages et des seuils suscite un intérêt croissant. Cet intérêt est motivé par les impacts écologiques et sociaux de tels ouvrages, les conditions de sécurité associées au vieillissement des barrages pour éviter leur rupture et l’appréciation des valeurs sociétales liées à des rivières saines et assurer leur continuité écologique (par exemple World Commission on Dams, 2000 ; Pejchar et Warner, 2001 ; Bednarek, 2001 ; Johnson et Graber, 2002 ; Collins et al., 2007 ; Graf, 2005). Ainsi, la suppression des barrages ou des seuils est souvent considérée comme un moyen de restaurer la continuité des cours d’eau et le transport des sédiments, d’améliorer leur état au sens de la continuité écologique, de faire revenir un cadre végétal plus pastoral, mais aussi de favoriser des activités récréatives comme la pêche ou le rafting. Cependant, la suppression des barrages peut avoir des impacts écologiques négatifs à court terme en raison de l’augmentation potentielle de la charge sédimentaire dans le cours d’eau (libération subite de sédiments accumulés dans le plan d’eau), qui peut provoquer l’étouffement et l’abrasion de divers biotes et habitats, la libération de sédiments contaminés ou augmenter le risque d’inondations à l’aval (Bednarek, 2001 ; Roberts et al., 2006).

Bien que la prévision des impacts suite à la mise en place ou la suppression de barrages ait historiquement suscité l’intérêt des chercheurs depuis plusieurs décennies dans des domaines variés : régime d’écoulement des rivières, écosystèmes, transport sédimentaire, processus géomorphologiques, dynamique des nutriments, végétation riveraine (ripisylve), impacts économiques et sociaux, peu d’attention a été portée à leur impact sur les eaux souterraines (Farinacci, 2009 ; Berthelote, 2013 ; Servière, 2021 ; Li et al., 2023).

Le plan d’eau créé par le barrage génère généralement un dôme piézométrique au droit du plan d’eau (Figure 1) qui peut s’étendre sur plusieurs kilomètres en amont et en aval de ce dernier (Berthelote, 2013). Par conséquent, la suppression du barrage peut créer une baisse du niveau des eaux souterraines, réduire la productivité des puits de pompage implantés dans la nappe d’accompagnement ou les assécher, ou encore assécher les zones humides créées par la hausse du niveau de la nappe (USDA, 2010 ; Learn, 2011 ; Berthelote, 2013).

Dès lors, l’arasement ou l’effacement d’un seuil en rivière entraîne l’abaissement du plan d’eau de surface (et sa vidange) et modifie les échanges entre la rivière et la nappe. Ces changements peuvent s’avérer problématiques pour la pérennité des prélèvements en eau souterraine et/ou la pérennité des écosystèmes dépendant de l’aquifère d’accompagnement. Les fortes incertitudes sur les impacts potentiels de l’arasement d’un seuil conduisent parfois à renoncer à son arasement ou son effacement.

L’influence des plans d’eau sur les eaux souterraines et sur les interactions nappe-rivière peut être évaluée à l’aide d’observations de terrain et de modélisations numériques pour quantifier les flux d’eau souterraine, le transport de contaminants ou les effets des barrages de surface pour repousser l’intrusion d’eau salée (Girard et al., 2003 ; Constantz et Essaid, 2007 ; Ashraf et al., 2007 ; Berthelote, 2013 ; Chang et al., 2019 ; Åberg, 2022 ; Fang et al., 2022 ; Li et al., 2023). Cependant, la modélisation numérique nécessite un grand nombre d’observations sur le terrain qui ne sont pas disponibles dans la plupart des contextes. Par conséquent, dans ces cas, une approche plus simple est nécessaire pour modéliser l’impact sur les eaux souterraines lié à la suppression des barrages, qui peut être basée sur des solutions analytiques. Bien qu’un modèle analytique ne puisse pas représenter les interactions du plan d’eau ou du cours d’eau avec l’aquifère avec le même degré de détail qu’un modèle numérique, il peut s’avérer être un outil utile pour examiner l’influence de divers facteurs et obtenir des estimations en adéquation avec la quantité et la qualité des données disponibles. De plus, comme sa mise en œuvre nécessite bien moins de données qu’un modèle numérique, son application en est largement facilitée.

L’impact des fluctuations du niveau d’eau d’une rivière, d’un lac ou d’une mer sur le niveau des eaux souterraines est un problème théorique bien connu. Sa formulation mathématique conduit à un ensemble d’équations différentielles pour lesquelles des solutions analytiques peuvent être trouvées dans divers ouvrages et autres publications scientifiques. Une partie de ces solutions sont présentées au § 3. Bien que ces solutions soient développées pour des situations hydrogéologiques variées : nappes infinies à chenalisées, cours d’eau de longueur infinie, plan d’eau rectangulaire isolé, lit du cours d’eau partiellement colmaté, etc., aucune solution analytique n’a été proposée pour évaluer la répartition spatiale de la charge hydraulique induite par un plan d’eau créé par un barrage ou un seuil, ou ses modifications dues à sa suppression ou son nivellement. Pour ressembler le plus possible aux conditions d’un cas réel (Figure 1), une telle solution doit pouvoir prendre en compte à la fois les interactions « plan d’eau-aquifère » et celles entre le cours d’eau et l’aquifère en amont et en aval du plan d’eau, et le fait que les échanges ne sont pas nécessairement parfaits et identiques au niveau du plan d’eau et du cours d’eau. De plus, la solution doit également tenir compte du fait que la hauteur du niveau d’eau dans le plan d’eau varie dans l’espace."

13/03/2025

Un ingénieur des Ponts et Chaussées ayant compris l’intérêt des retenues d’eau (Belgrand 1846)

En 1846, M. Belgrand, ingénieur des Ponts et Chaussées, publie une étude détaillée de l’infiltration et de l’écoulement des eaux pluviales dans les terrains granitiques et jurassiques du bassin supérieur de la Seine. Il note l’intérêt des étangs et retenues de moulins pour réguler le débit des rivières en période de crue ou de sécheresse, déplorant que l’administration de son époque soit (déjà) frileuse quand il s’agit de créer de tels aménagements. Qu’aurait dit M. Belgrand s’il avait assisté à l'actuelle et aberrante politique de destruction massive des retenues humaines, cela alors même que le changement climatique devrait renforcer notre vigilance sur la régulation de l’eau  ? 


L’ objectif de l’auteur est d’établir le degré de perméabilité des formations géologiques du bassin de Seine amont et leurs effets sur le régime des cours d’eau, la conception des ouvrages hydrauliques et l’aménagement des vallées. Il s’oppose aux méthodes alors utilisées par certains ingénieurs et plaide pour une approche fondée sur des observations rigoureuses.

Belgrand distingue trois grands groupes de terrains selon leur perméabilité :
  • Les granites et le lias sont globalement imperméables, entraînant un ruissellement rapide des eaux de pluie. Les crues sont intenses, et les cours d’eau sont bien alimentés en période humide, mais connaissent de fortes variations saisonnières.
  • Les terrains oolithiques inférieurs (calcaire à entroques, grande oolithe, forest marble) sont très perméables. L’eau s’infiltre massivement et n’atteint presque pas le réseau hydrographique en surface, ce qui provoque la disparition estivale de ruisseaux et rivières.
  • L’Oxford-clay présente une perméabilité intermédiaire : l’eau s’infiltre partiellement, et l’alimentation des rivières dépend des caractéristiques locales des formations argileuses.
Il note que ces différences ont des implications majeures sur le tracé et l’alimentation des canaux de navigation, la gestion des crues et l’irrigation, l’urbanisme et les ouvrages d’art, avec nécessité d'approches adaptées aux caractéristiques hydrologiques locales.

Belgrand recommande plusieurs mesures pour améliorer la gestion des eaux :
  • Construire des réservoirs et des barrages dans les terrains imperméables (granite, lias) pour retenir les eaux de crue et mieux répartir les débits.
  • Éviter les canaux sur terrains oolithiques où l’eau s’infiltre trop rapidement.
  • Privilégier les prairies naturelles plutôt que le reboisement (jugé peu efficace) dans le lias pour stabiliser les sols et limiter les pertes par évaporation.
  • Maintenir ou restaurer les étangs et retenues d’eau dans le Morvan, qui jouent un rôle clé dans la régulation hydrologique.

Extrait : 

« Autrefois les petites vallées granitiques du Morvan étaient toutes preservee5 par une multitude d’étangs où les crues venaient s’emmagasiner ; dans la partie supérieure des vallées ; où le terrain a peu de valeur, il existe encore un grand nombre de ces étangs.

Les plus importants servent presque toujours de biefs à des moulins qui marchent d’une manière continue pendant les sécheresses, et alimentent ainsi les petits cours d’eau situés en Aval qui, sans cela, seraient promptement mis à sec; mais, depuis quelques années, la conversion des étangs en prairies a pris beaucoup d’extension, et on en a desséché un grand nombre.

C'est là un grand mal bien autrement désastreux que le déboisement et qu’il faudrait arrêter promptement, en donnant à l’administration les pouvoirs nécessaires (note).

Il faudrait aussi encourager le rétablissement des anciens étangs, dont les digues existent toutes encore, et la création de nouvelles retenues , surtout en amont de riches prairies. C’est la seule méthode certaine de régulariser les petits cours d’eau dans les terrains granitiques.

Mais dans le lias et les marnes supra-liasiques , sans doute par suite du prix élevé des terrains, il existe peu d’étangs, et il ne serait pas prudent d’en établir un grand nombre, en raison de la grande quantité de vase qui s’y rassemblerait et de l’insalubrité qui pourrait en résulter pour le pays (voir la note L).

Cependant ces terrains, par cela même qu’ils sont très fertiles, ont besoin plus que les autres d’un préservatif. Combien n’y voit-on pas de riches prairies qu’un faible ruisseau couvre tous les deux ou trois ans , au moment des récoltes , d’un torrent d’eau et de boue! Le moyen d’arrêter ce fléau serait bien simple. Il suffirait en effet de construire en amont de la prairie une digue d’étang avec des moyens de décharge tels que dans les saisons où les crues n’ont aucun inconvénient, l’eau s’écoulât sans difficultés et sans former d'amas; mais au printemps et jusqu’au moment des récoltes , toutes les issues seraient fermées, à l’exception d’une vanne de fond assez grande pour laisser échapper les eaux ordinaires , mais insuffisante pour l’écoulement des crues dès qu’elles deviendraient dangereuses. On perdrait sans doute les récoltes sur une certaine étendue en amonts mais en établissant la digue avec intelligence, cette perte serait infiniment moindre que celle d’aval qui aurait eu lieu sans cela.

Dans l’état actuel de notre législation sur les cours d’eau, la réalisation des améliorations que je signale serait sans doute bien difficile et rencontrerait de nombreux obstacles même de la part des propriétaires intéressés. .

Chacun reconnaît aujourd’hui l’insuffisance et les inconvénients de cette législation , et nous ne voyons pas pourquoi, lorsque par une étude consciencieuse , des enquêtes, etc., on aurait reconnu qu’un ruisseau dangereux peut être maîtrisé par l’établissement de deux ou trois barrages, on ne pourrait pas forcer par un règlement d'administration publique, les propriétaires intéressés à faire les dépenses d’établissement de digues et les acquisitions de terrains nécessaires, dût-on recourir à l’expropriation.

(note) Il est vraiment singulier que l'administration qui, avec raison, empêche l'établissement d'une retenue d'eau lorsqu’elle peut nuire au moindre des riverains , ne puisse s'opposer à la destruction d'un étang ; qui, dans certains cas, préserve les récoltes d'immenses prairies, d'une ruine certaine.  »

Source : Conseil général des Ponts et Chaussées (1846), Annales des Ponts et Chaussées. Mémoires et documents relatifs à l'art des constructions et au service de l'ingénieur. N°153, « Études hydrologiques dans les granites et les terrains jurassiques formant la zone supérieure du bassin de la Seine », par M. Belgrand, ingénieur des ponts et chaussées.

Référence Gallica, notice 

28/03/2023

Les seuils et ouvrages en rivière aident à stocker l'eau face aux sécheresses

Un ouvrage en lit mineur de rivière ralentit, retient et infiltre l'eau. C'est vrai pour les ouvrages de castors comme pour ceux des humains. Le mouvement de défense des ouvrages hydrauliques le sait bien, mais il affronte un déni totalement aberrant de la part des pouvoirs publics en charge de l'eau et de la biodiversité, qui s'obstinent à nier, minimiser ou invisibiliser les intérêts des seuils et barrages.  Toutefois, lors d'une audition au Sénat, c'est la pdg du Bureau des ressources géologiques et minières (BRGM) qui a cru bon rappeler aux parlementaires les règles élémentaires de l'hydrologie, et notamment ce rôle des seuils. Les élus vont-ils en tirer la conclusion qui s'impose, à savoir valoriser et non plus vandaliser ces ouvrages? 



En février dernier, le Sénat a créé une mission d’information intitulée : "Gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement". Le 15 mars, cette mission auditionnait les experts en hydrogéologie du Bureau de recherches géologiques et minières.

A cette occasion, une mise au point intéressante a été faite : "Sur un sujet qui est polémique dans le domaine de l'eau, sur le sujet des obstacles ou seuils en rivières, quand il y a des seuils l'eau stagne un peu et donc cela s'infiltre davantage", a expliqué Michèle Rousseau (présidente-directrice générale du BRGM), en faisant le panorama des possibilités d'amélioration du stockage de l'eau en France métropolitaine.

En fait, ce phénomène est connu. Dans le monde naturel de l'aire européenne et nord-américaine, ce sont les barrages en série de castors qui jouent ce rôle de création de multiples retenues par petits barrages, et tous les travaux étudiant le phénomène concluent que ces aménagements ont un bilan hydrologique positif, tant pour l'infiltration dans les sols que pour les débordements par rehausse de niveau de la lame d'eau (voir nos publications sur le thème castor).  

Les propriétaires ou riverains de retenues et de biefs observent eux aussi le phénomène : si le niveau est baissé un certain temps par ouverture de vanne, alors le niveau des puits baissent, comme celui des éventuelles zones humides d'accompagnement à eau affleurante de type mare, prairie humide. Au demeurant, quand un projet d'aménagement de seuil concerne une retenue en zone de captage, des relevés piézométriques sont faits et la conclusion est immanquablement que le niveau du captage va baisser en cas d'effacement de la retenue et d'abaissement de sa ligne d'eau. On peut aussi lire la remarquable monographie de l'ingénieur public Pierre Potherat, qui a documenté le rôle des ouvrages dans le cas particulier des bassins sédimentaires des sources de la Seine et de l'Ource (voir cette recension). 


Ces constats n'ont rien d'extraordinaire, ils relèvent de lois bien connues en hydrostatique et hydrodynamique depuis le 19e siècle.

Ce qui est assez extraordinaire en revanche, c'est la politique de déni de ces réalités par les politiques publiques de l'eau, qui sont en France et pour partie en Europe arcboutées sur le nouveau dogme de la "continuité écologique", vu sous l'angle de l'effacement des ouvrages humains et du retour à une supposée "naturalité" de type sauvage. 

Refusant de reconnaître le moindre élément négatif de ce choix public, ces politiques passent sous silence le rôle des ouvrages dans la rétention et régulation de l'eau. Elles ne parlent immanquablement que de l'évaporation – comme si une zone humide naturelle ou une prairie ou une forêt n'évaporaient pas aussi en été, par un étonnant miracle physique! En fait, des travaux de recherche scientifique ont quantifié toutes ces évaporations et montré qu'elles sont du même ordre de grandeur, voire pire dans le cas de milieux naturels (cf Al Domany et al 2020).

La politique de continuité écologique est devenue le faux-nez d'une écologie assez radicale et polémique, dont la philosophie sous-jacente entend diaboliser et interdire la présence humaine au bord des rivières. Non seulement elle est nuisible à la régulation de l'eau alors que nous affrontons une multiplication des risques crues et sécheresses, mais elle heurte de nombreuses autres dimensions qui concourent à l'intérêt général et au bénéfice des riverains : patrimoine historique, culturel et paysager, production d'énergie renouvelable locale, réserve incendie, stockage pour abreuvement et irrigation, adaptation climatique, usages partagés. 

Nous demandons donc à nouveau à l'administration eau et biodiversité de respecter le choix parlementaire plusieurs fois réaffirmé de la nécessité de préserver, valoriser et exploiter les ouvrages hydrauliques, au lieu d'envisager leur effacement au nom d'un idéal non légal et non légitime de retour à la rivière sauvage. Nous demandons également au financeur public de solvabiliser les aménagements écologiques de ces ouvrages, qui optimisent certaines dimensions environnementales (franchissement piscicole, transit sédimentaire) sans en perdre les avantages. Nous demandons enfin une politique positive et intelligente des ouvrages hydrauliques, car l'amélioration de leur gestion et la responsabilisation de leur propriétaire sont un vrai enjeu public, bien plus nécessaire que la tentative d'ores et déjà ratée de détruire et assécher ces biens utiles. 

22/03/2023

La complexité des relations nappes-rivières dans les crues et sécheresses (Pelletier et Andréassian 2023)

En ces temps de sécheresse hivernale laissant craindre un été très sec, on parle beaucoup de la question des nappes. Une étude menée par des hydrologues montre que la relation entre nappe, crue et sécheresse est toutefois complexe et dépend de la géologie locale. Le travail distingue 5 sous-groupes selon le niveau de corrélation entre l’état de l’eau souterraine et le comportement de l’eau de surface, notamment lors des événements extrêmes qui inquiètent les riverains. Un travail utile pour rappeler d’une part la nécessité de données informant les politiques de l'eau, d’autre part le besoin d’étudier l’eau dans chaque bassin, et non par des excès de généralités. 


Diversité géologique des aquifères et réseau des piézomètres.

Les rapports du GIEC préviennent de longue date : les événements hydrologiques extrêmes seront plus intenses et/ou plus fréquents dans un climat modifié disposant de davantage d’énergie pour évaporer et transporter l'eau tout en modifiant les cycles régionaux de circulation océanique et atmosphérique. Pour s’adapter, il faut anticiper. Et pour anticiper, il faut disposer de modèles efficaces des crues et sécheresses, incluant aussi l’eau invisible qui est dans les nappes souterraines. Antoine Pelletier et Vazken Andréassian (Ecole des Ponts, U. Paris Saclay) ont posé une brique de ce travail en analysant les relations entre aquifères, crues et sécheresse dans des bassins représentatifs de la diversité géologique de la France métropolitaine. 

Voici le résumé de leur étude :
« Le rôle des aquifères dans les événements hydrologiques extrêmes a été souligné dans divers contextes, tant pour les crues que pour les étiages. De nombreux aquifères sont surveillés par des réseaux de piézomètres, qui mesurent le niveau piézométrique : là où de longues chroniques sont disponibles, une analyse conjointe avec les séries de débits observés est possible. Pourtant, les données de niveaux piézométriques sont rarement utilisées en modélisation hydrologique de surface, à cause de la grande complexité des relations nappes–rivières. Nous proposons ici une simple étude de corrélation entre les extrema annuels de la piézométrie et du débit, entreprise sur un ensemble de 107 bassins versants et 355 piézomètres, répartis sur l’ensemble du territoire de France métropolitaine. Avec cette étude, il est possible de distinguer les aquifères où la piézométrie est corrélée uniquement avec les crues, uniquement avec les étiages, avec les deux ou avec aucun des deux. Cette catégorisation ouvre de nouvelles opportunités pour caractériser la relation nappe–rivière, ce qui peut être crucial pour comprendre les événements hydrologiques extrêmes. »
L'analyse en sous-groupes selon le contexte géologique montre des schémas divers : certains aquifères d'échelle régionale ont une réponse univoque à la fois aux événements d'étiage et de haut débit, tandis que d'autres ne répondent qu'à un type d'événement, et certains ne semblent pas suivre une trajectoire liée à des événements fluviaux. 

Voici les 5 groupes de relation nappe-rivière identifiés :
  • groupes à fortes corrélations pour les sécheresses et les inondations : mélasse du Dauphiné et craie picarde ;
  • groupes à fortes corrélations pour les crues et comportement incertain pour les sécheresses : plaine d'Alsace, craie de Champagne et de Bourgogne, craie du Nord, Jurassique du Bassin parisien ;
  • groupes à fortes corrélations pour les sécheresses et comportement incertain pour les crues : aquifères tertiaires du bassin parisien, craie normande, aquifères du bassin secondaire aquitain ;
  • groupe à faibles corrélations pour les sécheresses et les inondations : graves du graben de la Dombes et de la Bresse ;
  • groupes au comportement incertain à la fois en crue et en sécheresse : sables crétacés du bassin parisien, aquifères triasiques et soubassements, aquifère multicouche cénozoïque, craie du bassin ligérien.
Les auteurs observent : « la mise en place d'une modélisation couplée fleuve/eaux souterraines est généralement une tâche complexe et conséquente et ce type d'analyse préalable permet d'évaluer la pertinence d'un tel établissement à des fins de modélisation opérationnelle, comme la prévision des crues et des sécheresses. Par exemple, la remarquable corrélation entre les faibles niveaux d'eau souterraine et les événements de sécheresse hydrologique dans la région de la Beauce et de son aquifère tertiaire montre la nécessité d'inclure dans un modèle la composante souterraine du cycle de l'eau — voir, par ex. Flipo et al. [2012] pour un exemple de modélisation couplée. Un autre cas intéressant est la nappe de craie, du fait de la variabilité spatiale de son comportement – elle a été identifiée comme le principal habitat des monstres hydrologiques [Le Moine et Andréassian, 2008], c'est-à-dire des bassins versants dans lesquels l'écoulement est particulièrement difficile à simuler et prédire  pour les modèles hydrologiques. La zone de craie peut également bénéficier d'approches de modélisation utilisant des informations sur le niveau des eaux souterraines, mais pas dans toutes les régions. Il est également à noter que plusieurs aquifères, bien que d'importance majeure pour les ressources en eau régionales, présentent des relations équivoques avec les eaux de surface, par exemple les sables du Perche du Cénomanien et les grès du Trias vosgien.»

En conclusion, ils soulignent la nécessité d'avoir une politique cohérente d'acquisition de données pour nourrir des politiques de l'eau informées et adaptatives : «Comme dernière recommandation, nous encourageons le développement de mesures de niveau des eaux souterraines à long terme et à haute fréquence dans les bassins hydrographiques jaugés, pour que les hydrologues de surface puissent mener des études approfondies de modélisation couplée.»

Référence : Pelletier A, V  Andréassian (2023), An underground view of surface hydrology: what can piezometers tell us about river floods and droughts?, Comptes Rendus. Géoscience, 355,S1, 1-11