Agence de l’eau, office français de la biodiversité, syndicats de bassin, associations naturalistes et fédérations de pêche le promettaient : avec la nouvelle politique dite de continuité écologique visant à effacer les ouvrages en rivières, les poissons migrateurs allaient revenir en masse pour coloniser les cours d’eau. En Bretagne, c’est l’inverse qui se produit pour le saumon : ses mesures de population n’ont jamais été aussi faibles depuis 25 ans. Certains « sachants » devraient donc changer de ton et cesser de jouer les apprentis sorciers sur argent public, car leurs résultats ne sont nullement à hauteur des sacrifices demandés.
Il fut un temps où, dès qu’un saumon atlantique était aperçu dans une zone de bassin versant dont il avait disparu, les gestionnaires de rivière et les médias clamaient le grand retour de la biodiversité, et en particulier des poissons migrateurs. Cet excès d’optimisme est révolu. Sur nombre de bassins en France, le saumon se fait rare. Si quelques individus poussent parfois un peu plus loin dans la rivière quand on y a fait disparaître un barrage, une population de saumon ne s’installe pas pour autant de manière durable et croissante dans le bassin. Ainsi récemment les médias bretons ont commenté le déclin du saumon sauvage (par exemple France 3).
Ce graphique issu de l’Observatoire des poissons migrateurs de Bretagne (source) montre l’évolution régionale du saumon atlantique. Les effectifs en 2023 sont au plus bas depuis le début des mesures (1998) et la tendance des 10 dernières années est baissière.
Cet autre graphique montre les trois stations de mesure sur rivières (Scorff, Aulne, Elorn), avec les mêmes conclusions.
Pourtant, les gestionnaires publics de l’eau, les ONG naturalistes et les fédérations de pêche avaient assuré les décideurs et les citoyens que la restauration de continuité écologique, engagée dès la loi pêche de 1984 et accélérée avec la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006, devait augmenter les habitats favorables aux migrateurs et leurs populations. Il n’en est rien, malgré des centaines de millions d’euros engagés à des destructions d’ouvrages, des constructions de passes à poissons et des recréations de frayères. Le pire étant que les ouvrages détruits sont souvent des patrimoines de dimension modeste (petits moulins traditionnels), dont les données historiques (cf Merg et al 2020) ou les données d’observation (par exemple Newton et al 2017) ont montré qu’ils ne sont pas vraiment des obstacles infranchissables aux saumons.
Ce mauvais résultat en Bretagne n’est guère surprenant. Sur d’autres bassins comme l’axe Loire-Allier, pionnier des politiques en faveur du saumon dès les années 1970, les statistiques sont également médiocres, ce malgré le soutien des empoissonnements de saumons d’élevage (voir cet article). Dans la Normandie voisine de la Bretagne, même observation : il peut y avoir une réponse ponctuelle de poissons migrateurs après un effacement, mais pas de résultat durable et des baisses ensuite (voir cet article)
Un travail scientifique mené sur 40 ans de données en France avait conclu à un bilan mitigé pour les poissons migrateurs, et aucune corrélation claire avec la continuité écologique (Legrand et al 2020). Une autre étude récente sur le saumon atlantique a montré que cette espèce peut disparaître de bassins remplissant des conditions idéales (pas de pollutions, pas d’obstacles) et que la cause probable de ses évolutions démographiques serait à rechercher dans le cycle océanique : réchauffement climatique, changement des courants marins, pêche industrielle… (Dadswell et al 2022, voir aussi Vollset et al 2022).
Le mouvement des riverains et des ouvrages hydrauliques doit donc rappeler aux élus et aux gestionnaires publics de l’eau que
- la destruction des ouvrages en rivière est une politique coûteuse qui affecte de nombreuses dimensions d’intérêt général (patrimoine, paysage, énergie, régulation de l’eau), alors qu’aucun travail scientifique n‘a jamais conclu que l’ouvrage en rivière est le facteur de premier ordre d’une dégradation chimique, biologique, écologique de l’eau, surtout quand on parle d’ouvrages très anciens ayant créé une rivière aménagée avec une nouvelle trajectoire locale des milieux ;
- l’obsession de la continuité en long a trop souvent pris la dimension d’un dogme qui n’est pas justifié par les résultats obtenus, d’autant que d’autres formes de continuités (latérales, temporelles) sont plus importantes pour la biodiversité, la sécurité et l’agrément ;
- les politiques des rivières et des ouvrages doivent être éclairées par tous les acteurs du bassin, pas seulement les ONG naturalistes et les fédérations de pêche qui ont leur vision propre de l’eau, mais ne résument pas ce qu’attend la société civile ;
- il ne faut pas dégrader l’image de la science auprès des citoyens en transformant des recherches appliquées toujours partielles et souvent exploratoires en vérité définitive et exclusive sur les questions de l’eau (un peu de modestie sur la complexité de la réalité et de pluralisme dans les approches scientifiques est bienvenu) ;
- les faibles résultats mais fortes conflictualités des politiques de continuité écologique suggèrent de mettre en pause cette programmation, ayant déjà causé la disparition de milliers d'ouvrages et de leurs retenues, afin d'analyser plus clairement ce qui fonctionne et ne fonctionne pas, pour en comprendre les raisons.