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20/10/2020

Participez à l'inventaire du patrimoine industriel de l'eau en Auxois-Morvan

Le pays d'Auxois-Morvan mène une mission d'inventaire du patrimoine industriel de son territoire, ce qui inclut le patrimoine hydraulique (moulins, forges, usines à eau). Vous pouvez participer à ce travail qui permettra de connaître et valoriser la longue histoire de nos rivières.

Les limites géographiques de la mission sont celles du pays d'Auxois-Morvan, avec 6 communautés de communes (Montbardois, Saulieu Pays d’Alésia et de la Seine, Pays d’Arnay-Liernais, d’Ouche et Montagne, Terres d’Auxois). Cela concerne donc les rivières à l'Ouest de la Côte d'Or : bassins d'Armançon, Brenne, Oze, Ozerain, Serein, Tournesac, Argentelet, etc. 

Voici la carte du territoire concerné :


Notre association vous propose de participer à cet inventaire en envoyant au chargé de mission du Pays les informations dont vous disposez, soit sur votre ouvrage, soit sur d'autres si vous avez étudié certains sites.

Il vous suffit de remplir la fiche ci-après, même de manière incomplète (un ouvrage = une fiche). Tout document jugé utile peut aussi être joint. N'hésitez pas à diffuser à des voisins propriétaires d'ouvrage dans la zone.

Fiche patrimoine hydraulique Auxois-Morvan

Illustration en haut : le barrage de l'ancienne usine hydro-électrique de Semur-en-Auxois, sur l'Armançon. Ce site fut à l'origine un moulin foulon, créé au 15e siècle. Il a connu cinq siècle de production d'énergie sous différentes techniques et pour différents enjeux économiques locaux, avant de devenir un site de promenade et détente. La commune porte un projet de relance d'une production d'énergie bas-carbone. 

21/04/2018

Quelques observations sur les invertébrés du Cousin

Le Parc naturel régional du Morvan a engagé ces dernières années des opérations de destruction ou d'aménagement d'ouvrages hydrauliques sur la rivière Cousin, affluent de la Cure et de l'Yonne. Le financement Life+ a permis d'organiser un suivi de certains sites (effacement d'ouvrage). Le résultat sur les invertébrés est paru, on attend celui sur les truites. Il ressort de l'étude des insectes, vers et crustacés que la rivière est déjà en bon ou très bon état sur le linéaire en dehors de l'emprise directe des ouvrages (soit 80%). Et que les types d'invertébrés que l'on rencontre au fond de la rivière évoluent localement quand on passe d'une retenue lentique à un écoulement lotique... ce qui n'est pas franchement une surprise. La question posée aux citoyens est donc de savoir si l'on veut persister à dépenser des millions d'euros et faire disparaître le patrimoine moulins-étangs pour ce genre de résultats.

Le tableau ci-dessous montre les scores 2015 et 2016 de l'indice biologique global normalisé (IBG), l'indice invertébrés multimétriques (I2M2), de plusieurs mesures de biodiversité (indice de Shannon-Weaver, richesse taxonomique, nombre de taxons).



Sept points de mesure sont représentés :

  • en haut (COUS1 et COUS2), deux stations de référence, peu perturbées, n'ayant pas connu de changement,
  • en bas (COUS 3 à COUS7), cinq stations ayant fait l'objet de travaux de restauration écologique.

Précision initiale : il a été montré (voir cet article) que le calcul de ces indices de qualité invertébrés possèdent une certaine incertitude de mesure (pouvant aller jusqu'à 20%). Pour les bonnes pratiques des bureaux d'études, et conformément aux usages en science, il serait souhaitable de donner des résultats avec marge d'erreur et intervalles de confiance, afin de voir s'ils sont significatifs. C'est aussi une pédagogie utile pour le public.

Concernant les stations de référence, on observe une certaine variabilité naturelle. Par exemple, le score I2M2 de l'aval Méluzien perd 10 points d'une année l'autre, soit 10% de son amplitude totale. Autre exemple : la richesse taxonomique telle que calculée au sein de l'I2M2 baisse et passe de bon à moyen sur les deux sites non impactés.

Ce point rappelle au demeurant qu'un suivi écologique sur un site restauré s'effectue normalement sur la base d'un état initial de référence de plusieurs années antérieures aux travaux. Il existe pour des raisons climatiques, hydrologiques et stochastiques (aléatoires) des variations naturelles d'une année sur l'autre. Donc une année seule ne suffit pas à définir un état initial, en particulier à caractériser une pression.

Concernant les stations ayant fait l'objet de restauration, on constate dans l'ensemble une amélioration des scores IBG et I2M2. Ce n'est pas le cas cependant pour l'I2M2 qui baisse sur deux stations, tout en restant en très bon état, et sur une troisième (aval Templiers) en perdant une classe de qualité. Le gain le plus clair s'observe en amont Michaud. Ailleurs, l'indice de richesse taxonomique ne montre pas d'évolution claire. Il y a des gains de taxons, mais du même ordre de grandeur que les variations naturelles sauf l'amont Michaud.

Que nous disent finalement ces résultats ?

Sur les stations qui ne sont pas dans l'influence des remous liquides d'étangs ou de moulins, soit 80% du linéaire total du Cousin, on observe une rivière déjà en bon état ou très bon état du point de vue des indices invertébrés. Sur les stations dans l'influence des moulins, les indices sont déjà bons ou très bons dans 3 cas sur 5 en 2015. Ils s'améliorent en 2016 dans 4 cas sur 5. Au final, cela signifie que l'on a gagné quelques insectes, crustacés et vers sur quelques centaines de mètres de rivière, alors que rien n'indique par ailleurs un stress global sur les populations d'invertébrés du Cousin.

Enfin, une observation de méthode. Les indices de qualité invertébrés sont construits de telle sorte qu'ils accordent un poids prépondérant à des invertébrés normalement présents sur les milieux d'eau courante des stations dites de référence. Ce sont en particulier certains assemblages d'espèces (plécoptères, trichoptères, ephéméroptères) qui forment la majorité des groupes indicateurs de qualité. Mais une retenue de moulin ou d'étang n'est précisément pas un milieu lotique naturel. Le fond est limoneux, le courant lent, les substrats davantage colmatés. Ce type de milieu héberge lui aussi du vivant, mais il ne sera pas optimal pour les mêmes espèces que la "référence" lotique. Si l'on utilisait d'autres indicateurs (par exemple l'indice oligochètes de bio-indication des sédiments), on n'observerait pas les mêmes résultats, et on ne déduirait pas les mêmes conclusions. Le choix de certains indices sera donc par construction toujours défavorable à l'évaluation biologique d'un milieu lentique de retenue dans une rivière de tête de bassin. Il revient à formaliser de manière savante une tautologie : quand on modifie un milieu, on modifie sa composition biologique. Personne n'en doute, mais il reste à savoir en quoi ces variations représentent un problème écologique sérieux pour la rivière, et au-delà de l'écologie un problème d'intérêt général appelant des investissements assez conséquents d'argent public.

Imaginons qu'une personne vous dise : nous devons avoir la même quantité et qualité d'insectes sur chaque mètre carré de rivière, et pour cela nous allons modifier les propriétés riveraines sur tout le linéaire, donc le profil d'écoulement et le paysage de la vallée. Vous seriez peut-être un peu dubitatif sur la motivation d'un tel projet, sur son coût public et son rapport à l'intérêt des citoyens. Pourtant, c'est un des objectifs que semble se donner le Parc naturel du Morvan dans sa gestion de la rivière Cousin - comme le font au demeurant tous ses autres confrères des établissements de bassin appliquant les directions actuellement choisies à Paris ou Bruxelles dans le domaine de l'hydromorphologie. L'analyse du suivi des invertébrés montre qu'en détruisant des retenues et étangs, on peut gagner des classes de qualité d'insectes sur un plan très local, au regard des bio-indicateurs choisis qui assimilent de toute façon la qualité biologique à la "naturalité" lotique d'un écoulement. Mais dans l'ensemble, la rivière Cousin est déjà en bon état ou en très bon état sur la plupart des sites, même avant travaux, et les gains observés restent, sauf exception, assez négligeables par rapport à la variabilité naturelle du vivant. Continuons donc ce suivi sur les chantiers réalisés, mais stoppons toute destruction nouvelle de site afin d'examiner les résultats à plus long terme et d'engager un débat démocratique sur le rapport coût-bénéfice de ces travaux pour les citoyens comme pour les milieux.

Référence : Suivis scientifiques et bilan des actions de restauration de la continuité écologique sur le Cousin Aval – 2016 – Life+ « Continuité écologique » - LIFE10 NAT/FR/192 – Action n°E3-2016-1-3, rapport, décembre 2016, 168 p.

08/04/2018

Quand la nature crée toute seule des obstacles à l'écoulement des rivières

Dans les têtes de bassin versant, souvent présentées comme des enjeux forts pour la continuité écologique — comprendre en général : enjeu halieutique pour la pêche à la truite —, la nature crée spontanément de nombreux obstacles à l'écoulement : chutes, cascades, barrages d'embâcles... Mais que fait la police de l'eau?

Les ruisseaux et rûs du Morvan ont la réputation d'être des "pépinières" pour la reproduction des truites, qui viendraient y frayer pour ensuite grossir dans le cours principal des rivières. Quelques relevés de l'Onema avaient plaidé en ce sens au cours des années 2000, sans que l'on sache vraiment si cette observation est généralisable et confirmée par des mesures stables dans le temps.

En circulant le long de ces ruisseaux et rûs, on est cependant frappé par les nombreux obstacles à la circulation du poisson que la nature y place.



Sur un ruisseau affluent du Cousin (ci-dessus), on a ainsi dénombré pas moins de 15 obstacles sur 200 m, formés soit de roches imposant des petites cascades, soit de barrages d'embâcles, de hauteur supérieure à 20 cm (et atteignant jusqu'à 85 cm). Le ruisseau étant par définition à faible puissance hydraulique, plusieurs de ces obstacles sont dénués de fosse aval profonde (creusée par l'eau au pied d'une chute) qui permettrait d'améliorer la capacité de saut (le poisson prend élan dans cette zone d'appel).

Si l'on en croit l'article R214-109 du code l'environnement, "constitue un obstacle à la continuité écologique, l'ouvrage entrant dans l'un des cas suivants : 1° Il ne permet pas la libre circulation des espèces biologiques, notamment parce qu'il perturbe significativement leur accès aux zones indispensables à leur reproduction, leur croissance, leur alimentation ou leur abri ; 2° Il empêche le bon déroulement du transport naturel des sédiments ; 3° Il interrompt les connexions latérales avec les réservoirs biologiques ; 4° Il affecte substantiellement l'hydrologie des réservoirs biologiques."

Pour arriver à des règles d'instruction, l'article R214-1 du même code suggère que l'obstacle à la continuité écologique commence à 20 cm de hauteur (cas demandant une déclaration à la préfecture) et s'aggrave au-delà de 50 cm de hauteur (cas demandant une autorisation).

Nous en déduisons que la nature construit par elle-même de nombreux obstacles à l'écoulement, sans demander l'autorisation à la préfecture. Si les écoulements des ruisseaux morvandiaux étaient soumis à instruction des agents de l'AFB-Onema, ils ne seraient probablement pas autorisés... et ne parlons pas du saut du Gouloux!


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01/01/2018

Le Morvan des loups et des moulins au temps de Vauban

Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban (1633-1707) est né à Saint-Léger-de-Fougeret, devenu Saint-Léger-Vauban en 1867, et possédait des terres autour de Bazoches. Des ses Oisivetés, l'ingénieur consigne ses observations et réflexions sur la France qu'il parcourt, et notamment sur les terres de son enfance. Voici quelques pages sur le Morvan des moulins, des étangs de flottage, des taillis et des loups à la fin du XVIIe siècle. On y note l'exploitation précoce des eaux et des bois. Aujourd'hui, les moulins et étangs sont toujours présents sur les rivières du Morvan, les loups ne sont pas encore revenus durablement dans ses forêts.


En, janvier 1696, Vauban rédige sa Description géographique de l'élection de Vézelay, contenant ses revenus, sa qualité, les mœurs de ses habitants, leur pauvreté et richesse, la fertilité du pays et ce que l'on pourrait y faire pour en corriger la stérilité et procurer l'augmentation des peuples et l'accroissement des bestiaux.

En voici un extrait sur le Morvan de la fin du XVIIe siècle. On y constate que les eaux et forêts sont déjà exploitées à cette époque, dans un milieu humain par ailleurs pauvre et peu développé économiquement.

Le pays est partout bossillé comme nous avons déjà dit, mais plus en Morvand qu'ailleurs. Les hauts, où sont les plaines, sont spacieux, très-pierreux et peu fertiles. Les fonds le sont davantage, mais ils sont petits et étroits. Les rampes participent de l'un et de l'autre, selon qu'elles sont plus ou moins roides, et bien ou mal cultivées.

Le pays est fort entrecoupé de fontaines, ruisseaux et rivières, mais tout petits comme étant près de leurs sources.

Les deux rivières d'Yonne et de Cure sont les plus grosses , et peuvent être considérées comme les nourrices du pays, à cause du flottage des bois. On pourrait même les rendre navigables, l'une jusqu'à Corbigny et l'autre jusqu'à Vézelay; ce qui serait très-utile au pays. Les petites rivières de Cuzon, de Brangeame, d'Anguisson, du Goulot, d'Armanée sont de quelque considération pour le flottage des bois.

Il y a encore plusieurs autres ruisseaux moindres que ceux-là, qui font tourner des moulins, et servent aussi au flottage des bois, quand les eaux sont grosses, à l'aide des étangs qu'on a faits dessus. On en pourrait faire de grands arrosements qui augmenteraient de beaucoup la fertilité des terres et l'abondance des fourrages, qui est très-médiocre en ce pays-là, de même que celle des bestiaux, qui y croissent petits et si faibles qu'on est obligé de tirer les bêtes de labour d'ailleurs, ceux du pays n'ayant pas assez de force; les vaches même y sont petites, et six ne fournissent pas tant de lait qu'une en Flandre, encore est-il de bien moindre qualité.

Il y vient très-peu de chevaux, et ceux qu'on y trouve sont de mauvaise qualité et propres à peu de chose, parce qu'on ne se donne pas la peine ni aucune application pour en avoir de bons, les paysans étant trop pauvres pour pouvoir attendre un cheval quatre ou cinq ans; à deux ils s'en défont, et à trois on les fait travailler, même couvrir, ce qui est cause que très-rarement il s'y en trouve de bons.

La brebialle y profite peu, parce qu'elle n'est point soignée ni gardée en troupeaux par des bergers intelligents, chacun ayant soin des siennes comme il l'entend; elles sont toutes mal établées, toujours à demi dépouillées de leur laine par les épines des lieux où elles vont paître, sans qu'on apporte aucun soin ni industrie pour les mieux entretenir.

Bien qu'il y ait quantité de bourriques dans le pays, on n'y fait pas un seul mulet, soit faute d'industrie de la part des habitants, ou parce qu'ils viendraient trop petits.

Pour des porcs, on en élève comme ailleurs dans les métairies et chez les particuliers, mais non tant que du passé, parce qu'il n'y a plus ni glands, ni faînes, ni châtaignes dans le pays où il y en avait anciennement beaucoup.

Il y aurait assez de gibier et de venaison, si les loups et les renards, dont le pays est plein, ne les diminuaient considérablement, aussi bien que les paysans qui sont presque tous chasseurs directement ou indirectement.

Les mêmes loups font encore un tort considérable aux bestiaux, dont ils blessent, tuent et mangent une grande quantité tous les ans, sans qu'il soit guère possible d'y remédier, à cause de la grande étendue des bois dont le pays est presqu'à demi couvert.

Nous distinguerons ces bois en trois espèces, savoir, en bois taillis, bois de futaie et bois d'usage. Il y a 60 à 70 ans que la moitié ou les deux tiers de ces bois étaient en futaie; présentement il n'y a plus que des bois taillis où les ordonnances sont fort mal observées. Les marchands qui achètent les coupes sur pied, abattent indifféremment les baliveaux anciens et modernes, et n'en laissent que de l'âge du taillis et sans choix, parce qu'ils se soucient peu de ce que cela deviendra après que les ventes seront vidées et leurs marchés consommés.

Il n'y a plus de futaie présentement; et c'est une chose assez étrange que, dans l'étendue de 54 paroisses, où il y a plus de 37,000 arpents de bois, il ne s'y en soit trouvé que 8.

Les bois d'usage dont il y a quantité en ce pays-là, sont absolument gâtés, parce que les paysans y coupent en tout temps à discrétion, sans aucun égard, et, qui plus est, y laissent aller les bestiaux qui achèvent de les ruiner.

Il arrive donc que, par les inobservations des ordonnances , dans un pays naturellement couvert de bois, on n'y en trouve plus de propre à bâtir, ce qui est partie cause qu'on ne rétablit pas les maisons qui tombent ou qu'on le fait mal ; car il est vrai de dire que les bois à bâtir n'y sont guère moins rares qu'à Paris : on ne sait ce que c'est que gruerie, grairie, tiers et danger dans cette élection.

Les pages de Vauban rappelle aussi la pauvreté extrême dans laquelle vivaient les classes inférieures de son temps, avec par exemple une consommation de viande limitée à quelques jours par an :

Le pays en général est mauvais, bien qu'il y ait de toutes choses un peu ; l'air y est bon et sain, les eaux partout bonnes à boire, mais meilleures et plus abondantes en Morvand qu'au bon pays. Les hommes y viennent grands et assez bien faits, et assez bons hommes de guerre quand ils sont une fois dépaysés; mais les terres y sont très-mal cultivées, les habitants lâches et paresseux jusqu'à ne pas se donner la peine d'ôter une pierre de leurs héritages, dans lesquels la plupart laissent gagner les ronces et méchants arbustes. Ils sont d'ailleurs sans industrie, arts, ni manufacture aucune, qui puissent remplir les vides de leur vie, et gagner quelque chose pour les aider à subsister, ce qui provient apparemment de la mauvaise nourriture qu'ils prennent; car tout ce qui s'appelle bas peuple ne vit que de pain d'orge et d'avoine mêlées, dont ils n'ôtent pas même le son, ce qui fait qu'il y a tel pain qu'on peut lever par les pailles d'avoine dont il est mêlé. Ils se nourrissent encore de mauvais fruits, la plupart sauvages, et de quelque peu d'herbes potagères de leurs jardins, cuites à l'eau, avec un peu d'huile de noix ou de navette, le plus souvent sans ou avec très-peu de sel. Il n'y a que les plus aisés qui mangent du pain de seigle mêlé d'orge et de froment.

Les vins y sont médiocres, et ont presque tous un goût de terroir qui les rend désagréables.

Le commun du peuple en boit rarement, ne mange pas trois fois de la viande en un an, et use peu de sel, ce qui se prouve par le débit qui s'en fait. Car si douze personnes du commun peuvent ou doivent consommer un minot de sel par an pour le pot et la salière seulement, 22,500 personnes qu'y y a dans cette élection en devraient consommer à proportion 1,875, au lieu de quoi ils n'en consomment pas 1,500, ce qui se prouve par les extraits du grenier à sel. Il ne faut donc pas s'étonner si des peuples si mal nourris ont si peu de force. A quoi il faut ajouter que ce qu'ils souffrent de la nudité y contribue beaucoup, les trois quarts n'étant vêtus, hiver et été, que de toile à demi pourrie et déchirée, et chaussés de sabots dans lesquels ils ont le pied nu toute l'année. Que si quelqu'un d'eux a des souliers, il ne les met que les jours de fêtes et dimanches.

Référence : Vauban, Sébastien Le Prestre (1633-1707 ; marquis de), Oisivetés, Tome 1-3 , éditées par le Cel Antoine-Marie Augoyat et publiées par J. Corréard (Paris), 1842.

80 000 moulins en France au temps de Vauban?

Dans son Projet de capitation sur le pied du denier quinze, levé indifféremment sur tout ce qui a moyen de payer, Vauban note à propos des moulins de France :  "Il y a dans le royaume plus de 80,000 moulins qu'on peut estimer 200 livres de rente chacun, l'un portant l'autre; sur quoi réglant la capitation sur le pied du denier vingt, parce que ce sont de mauvais biens, cet article monterait à huit cent mille livres, ci.. 800,000 J'estime qu'il y a du moins dans le royaume cette quantité de moulins, et même plus par rapport aux observations que j'en ai faites". Toutefois, Vauban ne donne aucune indication sur la manière dont il parvient à ce chiffre, que l'on doit donc prendre comme une approximation. Les statistiques de la Révolution (enquête sur les subsistances) puis des services hydrauliques de l'Etat donneront 100 000 à 110 000 moulins en France au XIXe siècle, chiffres cohérents avec l'estimation de Vauban 100 à 150 ans plus tôt. Ces chiffres, auxquels il faudrait ajouter les ouvrages de navigation et les étangs piscicoles, rappellent l'ancienneté des modifications morphologiques des rivières françaises.

Illustration : en haut Corot, Chaumière et moulin au bord d'un torrent (1831) ; en bas, Jacob van Ruisdael, Deux moulins à eau et une écluse près de Singraven (1650).

05/12/2013

Ecrevisses du Morvan: les vraies causes de leur disparition

A l’heure où l’on parle de restaurer la qualité environnementale des cours d'eau, le cas des écrevisses est particulièrement emblématique. Ces crustacés d’eau douce ont longtemps été des mets de choix et les anciennes générations se souviennent encore de leur abondance en rivière.  Les écrevisses autochtones ont aussi besoin d’une eau en bonne santé : absence de pollutions, bonne oxygénation, diversité des écoulements.  Elles sont donc un biomarqueur de la qualité chimique et écologique des milieux aquatiques.

Il existe aujourd’hui trois espèce d’écrevisses autochtone en France : l’écrevisse dite à pieds rouges (Astacus astacus Linné),  l’écrevisse dite à pieds blancs (Austropotamobius pallipes Lereboullet), l’écrevisse de torrent (Austropotamobius torrentium Schrank). L’écrevisse à pattes grêles (Astacus leptodactylus Eschscholtz), parfois considérée comme espèce française, est en réalité originaire d’Europe de l’Est. Rivières, étangs et lacs ont été colonisés par trois autres espèces importées du continent nord-américain : l’écrevisse américaine (Orconectes limosus Rafinesque), l’écrevisse de Californie ou écrevisse du Pacifique (Pacifastacus leniusculus Dana), l’écrevisse rouge de Louisiane (Procambarus clarckii Girard). A partir du milieu des années 2000, on a identifié une septième espèce, pour la première fois dans le Doubs : Orconectes juvenilis Hagen (Chucholl et Daudey 2008). Elle aussi est originaire d’Amérique du Nord (Kentucky, Indiana).

La situation des écrevisses est marquée par un déclin des espèces autochtones tout au long du XXe siècle, et une expansion rapide des espèces importées (Collas, Julien et Monnier 2007). En particulier, les écrevisses de Californie et du Louisiane ont un comportement agressif, une bonne résistance aux pathologies et une capacité à s’adapter à des milieux aquatiques variés. Elles peuvent donc entrer facilement en compétition avec les espèces autochtones dans leurs dernières niches écologiques préservées. Les espèces nord-américaines sont notamment porteuses saines de la peste de l’écrevisse (aphanomycose, infestation par le parasite Aphanomyces astaci).

Aujourd’hui, on trouve encore en Bourgogne l’écrevisse à pieds blancs dans 128 ruisseaux sur 593 échantillonnées. L’écrevisse à pieds rouges n’est plus présente que dans deux ruisseaux et deux étangs. Les quatre espèces importées ont en revanche colonisé les cours d’eau. (Lerat, Paris et Baran 2006). Une étude menée plus spécifiquement sur le Morvan par Jérôme Mahieu et Laurent Paris a permis de mesurer avec précision l’évolution des populations d’écrevisse (Mahieu et Paris 1998). L’écrevisse américaine a été introduite dès les années 1920, l’écrevisse du Pacifique dans les années 1970, l’écrevisse des torrents dans les années 1980 et l’écrevisse de Louisiane semble apparaître dans les années 1990.

Les écrevisses autochtones à pieds blancs et pieds rouges subirent une première vague de mortalité en Morvan dans les années 1870 et 1880, avec semble-t-il l’apparition de l’aphanomycose. Mais elles survécurent. La comparaison entre les relevés de 1940 et de 1997 montre qu’au cours de la seconde partie du XXe siècle, les écrevisses à pieds blancs ont disparu de près de la moitié de leur ancienne aire de répartition, et les écrevisses à pied rouges des trois-quarts (voir schéma ci-contre).

L’analyse de causes de cette disparition permet de déceler plusieurs facteurs :
- concurrence des espèces importées ;
- maladies (outre la peste des écrevisses, on signale la maladie de porcelaine ou thélohaniose) ;
- apparition de nouveaux étangs dédiés à la pêche de loisir (avec concentration fer et ammonium, réchauffement d’eau, zones propices aux écrevisses importées) ;
- sylviculture (sapin de Noël notamment) avec recul des feuillus, destruction de ripisylve, utilisation d’engins à moteur et usage massif de phytosanitaire ;
- pollution par produits chimiques agricoles ou sylvicoles et rejets domestiques diffus (eaux usées) ;
- braconnage et surpêche, introduction de carnassiers des étangs (brochets, perches).

Le point qui mérite d’être souligné en conclusion, c’est le rôle a priori nul ou marginal joué par les moulins dans l’évolution des populations d’écrevisses morvandelles. En effet, quasiment tous les moulins de Nièvre, Yonne et Côte d’Or sont antérieurs à la Révolution française. Les modifications d’écoulement induites par leurs seuils et chaussées sont donc anciennes, et ne sont pas corrélées au déclin rapide observé au cours des 100 dernières années. Nous disions en introduction que les écrevisses sont emblématiques : élément familier et menacé de notre patrimoine aquatique, elles illustrent bien les vraies causes d’altération des rivières, mais aussi l’absence de discernement des politiques publiques actuelles de continuité écologique.

Références
Chucholl C, T Daudey (2008), First record of Orconectes juvenilis (Hagen, 1870) in eastern France: update to the species identity of a recently introduced orconectid crayfish (Crustacea: Astacida), Aquatic Invasions, 3, 105-107.
Collas M, C Julien, D Monnier (2007), La situation des écrevisses en France. Résultats de l'enquête nationale réalisée en 2006 par le Conseil Supérieur de la Pêche, Conseil Supérieur de la Pêche, Délégation régionale de Metz, 42 p.
Lerat D, L Paris, P Baran, Statut de l’écrevisse à pattes blanches Austropotamobius pallipes Lereboullet, 1858) en Bourgogne : bilan de 5 années de prospection, Bull Fr Pêche Piscic, 380-381, 867-882.
Mahieu J, L Paris (1998), Les écrevisses en Morvan, Cahiers scientifiques du Parc Naturel Régional du Morvan, 1, 68 p.