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29/09/2024

"Il n’y a pas de politique de destruction des ouvrages" (en rivière), ose affirmer l'OFB...

Le Figaro magazine se penche sur la destruction massive des seuils et petits barrages associés aux moulins, un sujet qui divise les défenseurs du patrimoine de l'eau et les partisans de la restauration écologique des rivières. Alors que ces ouvrages contribuaient à réguler les cours d’eau, leur disparition suscite de vives réactions. Faut-il sacrifier cet héritage au nom de la continuité écologique? En lisant cet article, on découvre aussi que l'OFB affirme qu'il n'existerait aucune politique de destruction des ouvrages… A ce niveau de déni ou de propagande, que dire?



L’article du Figaro aborde le débat autour de la destruction des petits barrages et des retenues d’eau associés aux anciens moulins en France. Ces structures, autrefois nombreuses (jusqu’à 100 000 au 19e siècle), étaient utilisées pour actionner divers mécanismes et pour réguler les cours d’eau. Cependant, depuis une vingtaine d’années, environ 10 000 de ces retenues ont déjà été détruites, ce qui inquiète les défenseurs de ces ouvrages.

Pierre Meyneng, président de la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins, mène une croisade contre ces destructions, affirmant qu’elles reposent sur une opposition radicale entre l’homme et la nature, sans validation scientifique. Il soutient que les petits barrages ont des fonctions écologiques positives : ils permettent de réguler les débits d’eau, favorisent l’imprégnation des nappes phréatiques et créent des zones calmes propices à la reproduction des poissons.

L’Office français de la biodiversité (OFB) et les agences de l’eau soutiennent quant à eux que la restauration des milieux aquatiques, y compris la suppression de ces seuils, est nécessaire pour rétablir la continuité écologique et favoriser le déplacement des poissons migrateurs. Ils affirment que ces petites retenues favorisent l’envasement, la prolifération d’espèces invasives et peuvent nuire à la qualité de l’eau.

D’autres voix, comme celle du géologue Pierre Potherat, mettent en avant que la suppression de ces seuils barrages a entraîné une accélération des cours d’eau, abaissant leur niveau, asséchant les nappes et tarissant les rivières en période estivale. Selon lui, cela a contribué à la disparition des truites dans des régions où elles étaient autrefois abondantes.

Quelques remarques à propos de cet article.

D'abord, le sujet ne se limite pas aux moulins, même s'ils sont l'un des plus beaux héritages hydrauliques encore présents sur nos rivières ; en réalité, tout le patrimoine hydraulique bâti est concerné, aussi bien les étangs (plus nombreux que les moulins en France) et les retenues de barrage, les canaux traditionnels d'irrigation ou ceux de navigation, le petit patrimoine qui dépend de la capacité des humains à retenir et divertir cette eau (lavoirs, douves, fontaines, etc.).

Ensuite, tout système naturel ou aménagé a des "défauts" ou des "qualités" selon que les humains procèdent à des jugements de valeur. Il est aussi vain de prétendre que les hydrosystèmes des moulins ou étangs sont parfaits ou qu'ils sont catastrophiques. Le sujet est de savoir si nous voulons revenir à une nature sauvage en détruisant toute trace humaine au seul profit d'une faune et d'une flore laissées à elles-mêmes (en particulier dans la vaste ruralité) ou si nous apprécions les interactions humains-milieux en cherchant à les améliorer sur tel ou tel aspect. L'anomalie est ici qu'une minorité aux vues très radicales sur le retour au sauvage a réussi à obtenir une influence disproportionnée  sur des choix publics, alors même que la société n'exprime nullement un désir pour cette radicalité et qu'elle apprécie au contraire les patrimoines humains de l'eau.

Enfin, l'OFB ose affirmer au journaliste : "non, il n’y a pas de politique de destruction des ouvrages". Un tel mensonge est affolant : le ministère de l'écologie pense-t-il que son administration va être respectée en proférant une telle propagande contraire à tous les faits largement documentés, à toutes les actualités de destruction et assèchement que nous commentons semaine après semaine, une réalité reconnue y compris par des audits administratifs "neutres" comme celui du CGEDD en 2016 ? Il y a évidemment une politique active de destruction des ouvrages hydrauliques français et européens, politique qui est soutenue par une fraction militante de l'administration de l'environnement (incluant des chercheurs, des experts, des agents publics des diverses structures de l'eau) et par des lobbies naturalistes ou pêcheurs de salmonidés. En arriver à le nier dit à quel point les tenants de ce choix sont désormais sur la défensive. 

Il est temps de tourner cette page sombre des politiques environnementales et d'abolir réellement la continuité écologique dans sa version destructrice, par des décisions claires à Paris comme à Bruxelles. 

28/01/2024

Incompréhension et colère des citoyens face au blocage de la remise en eau d’un étang

On parle beaucoup du harcèlement normatif venant d'une fraction passablement radicalisée du mouvement écologiste. En voici un exemple en Châtillonnais, où deux associations (Anper-TOS et FNE) viennent de demander l'annulation d'un arrêté préfectoral de remise en eau d'un étang médiéval, très apprécié dans la région. Alors que les données disponibles indiquent le rôle bénéfique de cet étang pour la biodiversité, pour le stockage et la régulation de l'eau, pour l'adaptation climatique, pour la sécurité incendie en plein Parc des Forêts, sans parler de la demande sociale pour les agréments des plans d'eau, les acharnés du retour à la nature sauvage ne veulent rien entendre. Encore des années de procédures en vue, avec pour but manifeste de rendre ingérable les ouvrages hydrauliques et d'appeler à leur destruction. Il faut que cesse ces manoeuvres stériles de division des citoyens autour de l'écologie, à tout le moins que cesse la reconnaissance publique de leur soi-disant intérêt général. Nous publions ci-après le communiqué diffusé par les associations locales défendant cet étang. 


L'étang des Marots quand il était en eau. Y voir un problème pour la biodiversité des milieux aquatiques et humides est aberrant, et relève d'une idéologie où la seule nature acceptable serait une nature sauvage, à l'exclusion de tout milieu créé par des humains, même quand ce milieu a des atouts évidents. Photo AFP Gérard Guittot, tous droits réservés.

Communiqué de presse
Incompréhension et colère des citoyens face au blocage de la remise en eau d’un étang des Marots pourtant demandée par le préfet

Les associations et citoyens membres du collectif de défense et valorisation des étangs des Marots apprennent par voie de presse (Bien Public, 12 janvier 2024) que les associations France Nature Environnement Bourgogne Franche-Comté et ANPER-TOS contestent la remise en eau de l’étang inférieur des Marots, dans le Châtillonnais. 

Ces deux associations ont demandé par voie contentieuse au tribunal administratif l’annulation de l’arrêté préfectoral du 4 août 2023, qui ordonnait cette remise en eau. Il s’agissait d’une procédure normale de la part du préfet puisque les étangs avaient été vidangés voici 5 ans pour une simple inspection des ouvrages hydrauliques, en aucun cas en vue d’une disparition complète des plans d’eau. La mise à sec anormalement prolongée a déjà eu des effets extrêmement dommageables sur les faunes et flores des étangs avec parmi elles des espèces et variétés protégées, ainsi que sur l’hydrologie et sur les usages riverains.

Les associations et citoyens membres de notre Collectif ne comprennent pas les raisons pour lesquelles FNE-BFC et ANPER-TOS s’opposent de la sorte à l’intérêt général du pays châtillonnais, mais aussi à l’intérêt hydrologique et écologique évident des sites concernés. 

Nous rappelons en particulier que

• Les habitants, élus, associations locales de protection de l'environnement et du patrimoine se sont prononcées pour la remise en eau des deux étangs et la restauration de Combe Noire, le recours en justice paraissant davantage motivé par des considérations assez éloignées du territoire concerné, partisanes voire idéologiques, que par la compréhension fine du terrain.

• Les étangs ont une valeur patrimoniale, paysagère, esthétique unanimement reconnue, qui peut devenir aussi dans les prochaines années un atout touristique de découverte de la nature pour le Parc National des Forêts, territoire peu doté en plans d’eau.

• Les étangs et la zone humide qu’ils représentent contribuent activement à la régulation et au stockage de l’eau, phénomènes indispensables en période de changement hydroclimatique, notamment pour le maintien de la ressource en eau de Villiers-le-Duc et Vanvey. Ils contribuent également à l’atténuation des étiages sévères et à l’écrêtage des crues de l’Ource. Ils ont en effet contribué depuis près de huit siècles à saturer en eau le massif rocheux sous-jacent et à favoriser la préservation de taxons patrimoniaux tels que la Ligulaire de Sibérie, qui n’existe, semble-t-il, dans la moitié nord de la France, que sur le seul site du marais de Combe Noire. Cette espèce, habituellement abondante, s’est faite rare en cet été 2023, probablement en lien avec l’assèchement progressif de l’étang, situé au pied du marais.

• La forêt de feuillus du Parc National subit le réchauffement climatique et la remontée du climat méditerranéen vers le nord. Un certain nombre d’essences forestières souffrent à la fois de la montée des températures et du développement de parasites mortels, ce qui fragilise la forêt et la rend plus sensible aux départs de feux. Si nous nous attendons à connaitre de grands incendies de forêt, nous ne savons pas quand. Il faut donc anticiper et rendre nos infrastructures résilientes. Les étangs, ainsi que la zone humide associée, assurent le stockage d’un volume d’eau non négligeable, maintiennent une certaine humidité et servent de pare-feu naturel. Ils offrent ainsi la possibilité de disposer d’une réserve d’eau mobilisable en cas d’incendie ; réserve dotée d’une capacité de puisage par hélicoptère pour intervention rapide sur un rayon de 20 km, et permettent de palier à l’absence de réservoir ou plan d’eau dans le secteur. Cette fonction devient critique dans le Parc de Forêts alors que nous assistons depuis une décennie à la remontée vers le nord des feux de forêts en périodes sèches et caniculaires. Il est donc prévu des aménagements pour rendre la réserve d’eau accessible aux pompiers en cas d’incendies qui ne manqueront pas d’advenir dans un futur proche. Le Châtillonnais deviendra ainsi plus résilient au réchauffement climatique actuel.

• Les digues et chaussées des étangs contrarient la remontée des espèces exotiques et envahissantes vers la tête du bassin versant, où cohabitent des souches de truite sauvage et des écrevisses à pattes blanches. Les relevés historiques dont nous disposons montrent que les truites, chabots, écrevisses patrimoniales ont co-existé sans problème pendant des centaines de générations avec les étangs présents depuis le Moyen Âge. Les études effectuées en 2005 avant l’effacement du complexe des étangs Narlin en 2006/2007 révèlent la présence des écrevisses à patte blanche qui n’est pas due, contrairement aux assertions des associations plaignantes, à un retour après effacement. Inversement, la destruction des seuils, chaussées et barrages favorise le brassage avec les écrevisses américaines et Signal, ainsi que l’intromission génétique avec des souches non endémiques de truites. A noter que l’écrevisse Signal a été rendue responsable de la disparition progressive de l’écrevisse européenne, malgré des tentatives de protection de cette dernière par des expériences menées notamment dans la réserve de Labergement-Remoray dans le Jura et qui se sont soldées par des échecs. En outre, les étangs abritent une biodiversité propre aux milieux semi-lotiques et lentiques et servent de zone refuge et de zone abreuvoir à de nombreux espèces aquatiques, amphibiennes et terrestres. 

• Les étangs sont donc de véritables écosystèmes propres à la conservation de la biodiversité, à gérer comme tels. Ils doivent être associés à une politique volontariste de protection des faunes, flores et milieux remarquables de têtes de bassin. Ces derniers sont aujourd’hui menacés d’extinction locale en raison, non seulement des changements du climat et de son corollaire, les variations de l’hydrologie, mais également en raison de l’arrivée d‘espèces invasives. C’était déjà le souhait formulé dans l’évaluation du Document d’Objectifs du site Natura 2000 de 2014, qui préconisait le maintien des deux étangs en eau.

Pour toutes ces raisons, le Collectif
• exprime l’incompréhension, la lassitude et la colère des citoyens du Châtillonnais et du Parc National de Forêts, sur un dossier qui traîne depuis des années et que certains semblent vouloir faire traîner encore ;
• soutient la décision du préfet et souhaite la rapide remise en eau des étangs avant que les milieux hors d’eau ne continuent de se dégrader de même que les ouvrages hydrauliques ;
• appuie également la décision du préfet de répondre à l’urgence de sécurité et de prévention du risque incendie, au vu de l’étendue des massifs forestiers du Parc National de Forêts, en lien avec l’extrême rareté des plans d’eau et points d’eau dans le Châtillonnais ;
• déplore le recours en justice des associations FNE BFC et ANPER TOS, peu représentées et peu informées au niveau du Châtillonnais, leur suggérant un retrait de cette procédure allant à l’encontre des intérêts écologiques qu’elles sont censées défendre ; cette demande est d’autant plus justifiée que les arguments avancés pour engager cette action en justice sont factuellement inexacts (soi-disant disparition des écrevisses à pattes blanches avant la vidange des étangs et réapparition après, en totale contradiction avec les données d’études du site depuis 25 ans).
• informera, dans l’hypothèse où le recours contentieux serait maintenu, le juge administratif de toutes les données montrant la valeur des étangs et leur rôle bénéfique pour la société comme pour le vivant. 

Dans la plupart des articles publiés par le Bien Public récemment, il n’est jamais évoqué qu’il existe une volonté massive au sein des villages du Chatillonnais et du Parc National de Forêts (volonté démontrée par la signature de la pétition pour la remise en eau des étangs des Marots en 2021) de défendre ce patrimoine écologique et historique venu du Moyen Âge. Ces derniers représentent pour tous les riverains des souvenirs de leur enfance, de pêche, de chasse, de promenades en forêt, d’observation de la faune et de la flore. Leur assèchement a été vécu et continue de l’être comme une véritable blessure qui ne cicatrisera pas tant que la situation actuelle perdurera. 

Collectif de défense des étangs des Marots
ARPOHC, Société Archéologique et Historique du Châtillonnais, Société Mycologique du Châtillonnais, Les Amis d’Aignay-le-Duc et Alentours, Maison Laurentine, Villages Anciens Villages d’Avenir, Société Mycologique d’Is-sur-Tille, Association ARCE , Association Hydrauxois, Société Mycologique de Côte- d’Or, Les Amis du Châtillonnais, Office de Tourisme du Châtillonnais, Fabrique du Millénaire Associa9on Arc, Patrimoine et Culture.

01/11/2023

Les territoires et patrimoines de l'eau, entre nature et société (Serna et Larguier 2023)

La revue Patrimoines du Sud propose une magnifique exploration de l'eau en Occitanie à travers ses héritages patrimoniaux et usages productifs. Le regard des géographes et historiens montre le caractère intrinsèquement hybride de l'eau, à la fois puissance naturelle et construction sociale. 



Murviel-lès-Béziers (Hérault), chaussée du moulin de Réals, 2022.
K. Orengo © Pays Haut Languedoc et Vignobles

Extrait de l'introduction à ce dossier par Virginie Serna et Gilbert Larguier :

"Longtemps axées sur le concept de continuum fluvial, les approches des cours d’eau, tant écologiques que géomorphologiques, archéologiques ou historiques, eurent longtemps un ton classique. Les débits, les profondeurs, les largeurs du cours d’eau ainsi que l’économie des échanges, la batellerie et son équipement associé furent abordés sous l’angle de sa fonction marchande tant en géographie qu’en histoire, la rivière étant perçue comme « un ruban d’eau », un « chemin qui marche1 ». L’ouverture conceptuelle proposée dès 1987 par J.-P. Bravard2 a ouvert le champ de la recherche et la parution de l’ouvrage d’Amoros et Petts3 en 1993 sur les hydrosystèmes fluviaux confirma les axes de la réflexion engagée. La rivière fut alors appréhendée sous une forme nouvelle. Sa liquidité, ses eaux, ses remous, courants et contre-courants, ses mouilles et ses seuils, ses berges, constituèrent autant d’entités à comprendre, à observer dans une lecture patrimoniale du paysage des cours d’eau, chaque structure d’exploitation, chaque équipement venant se poser dans cet espace liquide, produisant lui-même un nouveau paysage culturel.

Dans ce numéro, nous voyons encore autre chose. Nous entrons dans un autre territoire de l’eau, où la masse liquide est conduite, puisée, canalisée, dispersée, épanchée, gardée, distribuée, travaillée. Cette eau travaillée fait paysage en Occitanie et fait de l’Occitanie un grand Territoire de l’eau.

Les territoires de l’eau 
Les territoires de l’Eau sont aujourd’hui, on le sait, des paysages fortement mobilisateurs. L’actualité du changement climatique, la force de l’aménagement du territoire pour un tourisme vert ou bleu, l’engagement des collectivités vers un développement durable témoignent de la qualité patrimoniale de ces espaces historiques. L’expression « Territoires de l’Eau » a été créée en mars 2004, à l’occasion d’une journée d’études à l’Université d’Artois, Arras, par deux géographes4. Leur définition renvoyait à deux dimensions complémentaires. La première s’attachait à la question de l’emprise territoriale de la gestion et des politiques de l’eau. La seconde étudiait l’espace d’influence du secteur de l’eau dans les politiques territoriales. C’est donc par la géographie de la gestion et des politiques publiques de l’eau que le terme est entré. Et la nature de ces enjeux a conduit les auteurs à s’interroger sur l’existence de « territoire(s) pertinent(s) pour cette ressource ».

La définition que nous proposons aujourd’hui des Territoires de l’eau diffère. L’appellation regroupe des espaces où l’eau – stagnante, courante, haute, basse, douce ou saumâtre – apparaît comme l’élément structurant du paysage. On y regroupe les zones humides, les lacs, les rivières (à toutes leurs échelles), les fleuves dans toutes leurs composantes (urbaines ou rurales, bras morts, chenaux secondaires, chemin de halage…), les espaces drainés, irrigués, inondés, inondables, mouillés – au sens commun du mot – humides, comme le fait le terme de wetlands de la Convention de Ramsar6. Les territoires de l’eau rassemblent donc des espaces fortement anthropisés, urbains (les ports, les fronts fluviaux...), ruraux (irrigation et drainage, ...) ou en réseau (les canaux), porteurs d’un patrimoine bâti construit en fonction de la présence (naturelle ou artificielle, permanente ou temporaire) d’une eau maitrisée, nourricière, énergétique ou menaçante. Les constructions de l’eau attachées à ces territoires sont nombreuses, modestes ou d’envergure et marquent par leur diversité, leur rythme et leur pérennité l’ensemble du territoire national.

Les auteurs de ce numéro nous proposent justement de découvrir ces formes des constructions de l’eau en Occitanie. En premier lieu, le patrimoine bâti sous de multiples formes. Autour du « grand » canal, par exemple : le canal d’irrigation, de navigation, les ouvrages de rejet, les épanchoirs, les déversoirs de surface, de fond, rigole de fuite, le tuyau, les écluses et les maisons éclusières, bollards, bajoyers, portes busquées à vantelles, les ouvrages d’évitement, aqueducs et ponts, les limnimètres, bornes de distances, repères de nivellement et les chemins de halage. En second lieu, des paysages agricoles décrits par les termes catalans de regadiu et de seca7, les canaux d’irrigation ; « véritables monument d’irrigation gravitaire » dans le Haut Adour, les canaux d’arrosage avec leur mur de soutènement, les agau. Mais aussi les réservoirs, citernes, fontaines, lavoirs, collecteurs et résurgences ; le moulin et ses infrastructures associées, le béal et la paissière, les gourges, les petits barrages, les clavades…

(...)

On perçoit l’étendue spatiale et thématique des exemples traités – il faudrait encore ajouter l’irrigation de la plaine proche de Montpellier à l’aide de puits à roue et de norias construits à partir du XVIe siècle et menacés aujourd’hui par l’urbanisation galopante, l’eau employée pour inonder les vignes en plaine afin de prévenir les attaques du phylloxera, etc. Ils forment un dossier particulièrement consistant assorti de bibliographies substantielles ainsi que de riches annexes cartographiques et photographiques. Une attention particulière est accordée aux techniques ainsi qu’au vocabulaire, moins connu et souvent difficile à maîtriser car il concerne aussi bien les lieux, les ouvrages, que les matériaux employés, la manière de les disposer et de les utiliser. Une géographie linguistique fine s’esquisse, dont la pérennité est peut-être aussi fragile que celle du patrimoine monumental.

Au-delà de la substance de chaque contribution, leur mérite est de mettre en relief, s’il était besoin encore, la contribution déterminante des installations hydrauliques à la structuration des territoires, depuis les XIIe et XIIIe siècles jusqu’au début du siècle dernier notamment. Il était bienvenu de procéder à des inventaires sur des espaces précisément circonscrits afin de révéler la cohérente densité des équipements, malaisée à déceler de prime abord, même en parcourant les lieux. On voit là combien la mise en exergue d’ouvrages emblématiques tend parfois à occulter la diversité et la richesse du patrimoine hydraulique. Celle-ci ne « coule pas forcément de source »…

Référence : Serna V , Larguier G (2023), Avant-propos. Occitanie, la part de l’eau, Patrimoines du Sud [En ligne], 17 ; DOI : doi.org/10.4000/pds.12050


Neffiès (Hérault), moulin de Julien, le moulin et son réservoir, 2018.
V. Lauras © Les Arts Vailhan

08/09/2022

Des chercheurs proposent de protéger et ré-investir le patrimoine des moulins à eau (Angelakis et al 2022)

Une équipe pluridisciplinaire de chercheurs grecs, allemands, espagnols et iraniens vient de publier dans la revue Water une très intéressante monographie sur l'histoire des moulins à eau et sur les opportunités de les restaurer dans une logique de développement durable de l'Europe. Les chercheurs appellent à protéger et ré-inventer cet héritage productif plutôt que le remettre en question et le détruire, comme l'interprétation maximaliste de certaines règlementations européennes a été tentée de le faire dans la décennie passée.


Les moulins à eau sont inventés au premier siècle avant notre ère, et la technologie connaît une diffusion rapide car elle permet de convertir une énergie naturelle en force mécanique dédiée à de nombreux usages différents – la mouture des céréales panifiables parmi bien d'autres. Andreas N. Angelakis et ses collègues viennent de publier une étude qui synthétise nos connaissances sur cette histoire, mais qui se penche aussi sur l'avenir des moulins à eau, à une époque où l'Europe envisage un développement durable fondé sur l'exploitation de ressources renouvelables.

Voici le résumé de leur travail :

"De nos jours, la réutilisation du patrimoine agricole/industriel bâti est une pratique courante dans le monde entier. Ces structures représentent d'excellents symboles du long passé agricole/industriel. Ces technologies agricoles/hydroélectriques servent également de monuments d'identités socioculturelles, en particulier dans les zones rurales et dans les petites exploitations. 

Un exemple d'une application réussie des technologies agricoles pour les petites exploitations est le moulin à eau. En exploitant l'énergie de l'eau, ils ont été utilisés pour la production traditionnelle de farine et d'autres produits (par exemple, l'huile d'olive) et les travaux nécessitant de l'énergie, avec un rôle majeur dans l'évolution du paysage traditionnel/culturel. Les moulins à eau ont été utilisés pour entraîner un processus mécanique de fraisage, de martelage, de laminage et font partie du patrimoine agricole, culturel et industriel. Pendant environ deux millénaires, la roue hydraulique du moulin vertical a constitué la première source d'énergie mécanique dans de nombreuses régions du monde. Les moulins à eau ont été le premier appareil à convertir les ressources naturelles d'énergie en énergie mécanique afin de faire fonctionner une certaine forme de machinerie. 

La préservation/gestion des moulins à eau est difficile en raison de leur abandon à long terme et du manque d'informations/de connaissances sur leur valeur. Les autres obstacles rencontrés lors de leur modernisation et/ou de leur préservation sont le manque d'incitations économiques suffisantes et des autorisations/législations complexes. 

La durabilité et la régénération des moulins à eau à travers les siècles sont passées en revue pour l'histoire et l'archéologie agricole/industrielle. L'histoire des moulins à eau à l'époque préhistorique et historique, y compris l'ancienne Perse / Iran, la Chine ancienne, l'Inde ancienne, le monde islamique, la Crète vénitienne, l'Europe médiévale, l'Amérique et enfin l'époque actuelle, est discutée. 

Le résultat de cet examen permet de comprendre l'importance de la conservation, de l'optimisation et du développement des moulins à eau. Il aidera à en savoir plus et à réaliser un développement durable/régénérateur pour les petites exploitations en ce qui concerne les crises de l'eau et de l'énergie, actuelles et futures."

Les auteurs soulignent dans la conclusion que dans toute l'Europe, la remise en question des moulins à eau au nom d'une approche naturaliste exigeant le retour à une rivière sans "obstacle" (continuité écologique, libre écoulement) a entraîné une vive réaction de leurs usagers et riverains. Cette image venue d'Allemagne (land de Hesse, 400 moulins menacés) rappelle que le cas n'est pas limité à la France. 

Protestation allemande contre des politiques hostiles aux ouvrages hydrauliques. ("l'hydroélectricité doit rester - stop à la politique environnementale unilatérale! - l'hydroélectricité a besoin d'un avenir en Hesse")

Discussion
Malgré leur rôle important dans l'évolution des bassins versants depuis 2 millénaires, les moulins à eau sont à bien des égards un objet orphelin d'étude scientifique sérieuse. Nous saluons donc ce regain d'intérêt des chercheurs et nous appelons à l'amplifier. 

Certains acteurs sociaux aiment bien se référer à "la science" pour appuyer leur position. Ils oublient cependant que "la science" ne se résume pas à une discipline (par exemple l'écologie de conservation, souvent mise en avant ces temps-ci), et qu'il existe de multiples manières d'envisager la rivière, ses héritages, ses usages. Il nous semble intenable que les bureaucraties publiques de l'Union européenne ou de ses Etats-membres persistent à travailler en silo, avec des expertises déconnectées les unes des autres, des propositions normatives issues de connaissances parcellaires et répondant à des aspirations sociales elles aussi fragmentées. 

L'échec de la politique de destruction des ouvrages hydrauliques reflète avant tout la sous-information des décideurs lorsqu'ils discutent de normes, avant cela le problème de financement équilibré et diversifié des recherches publiques. Une autre étude récente vient ainsi de montrer que les sciences sociales et humanités de l'eau sont incroyablement sous-représentées dans les travaux scientifiques (Wei et Wu 2022). Il n'est pas étonnant qu'une recherche trop biaisée sur ses objets et trop pauvre sur ses angles finisse par inspirer des politiques insatisfaisantes.


Les illustrations sont extraites de l'article, droits réservés.

30/08/2022

Aidez-nous à convaincre le parlement européen de protéger les ouvrages hydrauliques

Des experts militants et lobbies favorables à la destruction systématique des ouvrages hydrauliques ont poussé la direction environnement de la commission européenne à déposer un projet de règlementation appelant notamment au "libre écoulement" des rivières, par quoi il faut entendre en réalité la suppression des plans d'eau, retenues, étangs, lacs et canaux. C'est une folie en pleine crise de l'eau, de l'énergie et du climat, mais les parlementaires risquent de se laisser abuser par les bonnes intentions affichées du texte. Hydrauxois et la coordination Eaux & Rivières humaines passent à l'offensive cette semaine avec une campagne d'information des parlementaires et fonctionnaires européens sur les problèmes, échecs et contradictions de la continuité écologique, ainsi que la nécessaire reconnaissance des écosystèmes anthropiques de retenues et canaux. Mais nous avons besoin de votre aide pour cette campagne, qui dépasse les simples capacités de notre bénévolat!


Les riverains attachés aux ouvrages hydrauliques de moulins, forges, étangs, plans d'eau connaissent désormais la chanson : des bureaucraties lointaines prennent des décisions sans jamais les consulter, et quand ces décisions arrivent sur le terrain, c'est le malentendu et le conflit.

Cette dérive est en train de se reproduire en ce moment même. La commission européenne (DG de l'environnement) a déposé au parlement un projet de "restauration de la nature". Sous ce label anodin, et potentiellement populaire, se cache dans le cas particulier des cours d'eau l'idéologie de la destruction des ouvrages hydrauliques au nom du retour à la rivière sauvage. Les mêmes lobbies et experts militants que nous voyons à l'oeuvre en France agissent au niveau des administrations de l'Union européenne. A défaut de pouvoir convaincre les citoyens du bien-fondé de leurs vues sur le terrain, ils essaient d'imposer des normes surplombantes auprès des pouvoirs centraux. Et de fait, les règlementations européennes s'imposent aux droits nationaux.

Rappelons que la destruction des ouvrages hydrauliques a de nombreux effets pervers : perte de ressource en eau, disparition d'outils de régulation des crues et sécheresses, suppression de capacités hydro-électriques, bilan carbone déplorable, réduction de l'auto-épuration du cours d'eau, disparition d'écosystèmes anthropiques et de services écosystémiques, conflictualité sociale, négation du patrimoine historique, culturel, paysager et industriel.

Concernant les ouvrages ayant un réel impact sur des poissons migrateurs menacés, il existe des solutions ayant démontré une efficacité correcte : gestion de vannes, passes à poisson, rivière de contournement. Il est inutile et contre-productif de tout détruire pour aider les saumons ou les anguilles. 

Face à cette manoeuvre de coulisses, Hydrauxois et la coordination Eaux & Rivières humaines lancent une campagne d'information. Celle-ci a pour but d'expliquer aux parlementaires et fonctionnaires de l'Union européenne :
- les valeurs multiples y compris écologiques des ouvrages hydrauliques,
- les critiques nombreuses menées par des scientifiques contre la représentation d'une "nature" qui serait indépendante de l'humain voire opposée à lui,
- la nécessité de reconnaître les biodiversités et fonctionnalités attachées aux écosystèmes créés par les humains,
- le bilan très controversé de la "continuité écologique" en France, laboratoire de l'échec d'une écologie théorique hors-sol et non construite avec les riverains,
- la nécessité d'imposer la prime normative à la ressource en eau et en énergie en cas de conflit de norme avec des chantiers de restaurations de milieux, eu égard aux crises existentielles que nous affrontons.

Cette tâche appelle un chargé de campagne, étant donné le volume des envois, suivis et animations. Elle dépasse la capacité de notre bénévolat.

Nous vous demandons donc deux types de soutien :
- un don même modeste à Hydrauxois, qui sera financeur principal de l'opération (don par Paypal ci-contre ou par chèque à l'adresse de l'association),
- la communication de tout nom et adresse électronique de décideurs européens de votre connaissance que nous pourrions contacter.

Nos adversaires sont puissants et subventionnés. Mais nous sommes résolus. Nous ne laisserons plus les autres décider à notre place de l'avenir de nos cadres de vie et des enjeux de l'eau. Les ouvrages hydrauliques seront indispensables face aux défis du 21e siècle comme ils le sont depuis des millénaires pour les sociétés humaines : aidez-nous à en convaincre l'Europe ! 

Merci d'avance de votre aide et de la diffusion de ce message.

Premier texte envoyé aux décideurs européens (version FR/EN) : à télécharger (pdf) 



Prise de position sur la proposition européenne de « restauration de la nature » COM(2022) 304 final 

Canaux, moulins, étangs, lacs ne sont pas les ennemis mais les alliés de l’écologie
Un autre regard sur les ouvrages hydrauliques est nécessaire

L’Union européenne envisage une directive de restauration de la nature. Nous nous félicitons des avancées du Pacte vert dont ce projet de régulation est une partie. 

Ce projet de directive comporte notamment des aspects normatifs sur la gestion des ouvrages en rivière. Ces ouvrages sont de diverses natures : gué, seuil de moulin, digue d’étang, aménagements de patrimoine historique, barrages à usages nombreux (énergie, irrigation, eau potable, loisir). Le projet oppose à ces ouvrages l’idéal d’un « écoulement libre ». 

Le texte en l’état pose divers problèmes au regard des connaissances scientifiques et des expériences de gestion des ouvrages hydrauliques. Nous demandons aux parlementaires européens d’en prendre conscience et de faire évoluer les propositions de la Commission.

La nature et l’humain ne sont pas séparés
Le texte préparé par la direction générale de l’environnement de la Commission sépare et oppose d’un point de vue normatif la nature et la société. Tout ce qui est vu comme intervention humaine sur la nature est analysé comme un impact. L’état de référence de la nature est vu comme une nature sans humain, ce qui devient un objectif normatif. Ce point de vue a donné lieu à de nombreuses et croissantes critiques dans la littérature scientifique. Les milieux aquatiques européens sont façonnés de longue date par les activités humaines, de sorte que leur nature actuelle est « hybride », une co-construction naturelle et humaine (Lespez et al 2015, Verstraeten  et al 2017, Brown et al 2018). La notion d’un état de référence est de ce fait problématique, en particulier à l’heure où le changement climatique modifie ce qui était l’état historique antérieur, considéré comme référence naturelle des bassins versants (Bouleau et Pont 2015). L’ontologie naturaliste séparant nature et humain méconnaît la diversité des appropriations et interprétations de l’environnement (Linton et Krueger 2020, Lévêque 2020, Collard et al 2021).

A retenir : davantage que « restaurer la nature », il s’agit aujourd’hui d’améliorer la manière dont les humains et les non-humains co-existent dans des milieux en évolution permanente. La question que l'on doit se poser  est : "quelles natures voulons-nous?" selon des critères écologiques, sociaux, économiques, esthétiques et éthiques.

Les ouvrages en rivière créent aussi des écosystèmes
Un ouvrage hydraulique n’est pas réductible à un « impact » : il crée aussi un nouveau milieu. L’ouvrage est associé à des retenues, canaux, annexes aquatiques ou humides.  Ces milieux ont été appelés dans la littérature scientifique des nouveaux écosystèmes (Hobbs et al 2006, Backstrom et al 2018) ou des écosystèmes culturels anthropiques (Evans et Davies 2018). Il a été récemment suggéré que les petits ouvrages en rivières sont à interpréter comme des écotones, des milieux de transition à gradients environnementaux (Donati et al 2022). On a également souligné que les milieux créés par ces ouvrages (retenues, canaux, zones humides), au nombre de 500 000 pour un pays comme la France, sont aujourd’hui absents du cadre gestionnaire de la directive cadre européenne sur l’eau, souvent orphelins d’études et de gestion (Touchart et Bartout 2020). Dans certains cas, une rivière avec ouvrage entre dans un état écologique alternatif stable : elle ne dispose pas de son ancienne dynamique naturelle, mais réorganise les flux énergétiques, sédimentaires et les communautés biotiques dans une nouvelle configuration (Skalak et al 2017). Des milieux d’origine artificielle ont des effets bénéfiques sur certains aspects de la biodiversité aquatique, que ce soit des canaux (Guivier et al 2019), des réservoirs locaux (Fait et al 2020), des étangs (Wezel et al 2014), des biefs de moulin (Sousa et al 2019), des petits plans d’eau et autres milieux hydrauliques humains (Chester et Robson 2013, Davies et al 2008, Hill et al 2018, Bolpagni et al 2019, Vilenica 2020, Koschorreck 2020, Zamora-Marín et al. 2021).

A retenir : un ouvrage hydraulique n’est pas une pollution ou une disparition de milieux aquatiques et humides, il est créateur de tels milieux et héberge aussi de la biodiversité, parfois supérieure à celle du milieu antérieur. Le changement hydroclimatique accentue le rôle de refuge et ressource que peuvent avoir ces ouvrages, y compris pour une biodiversité terrestre environnante.

Les ouvrages en rivière rendent de nombreux services écosystémiques et sociaux
En analysant un ouvrage hydraulique en rivière comme étant uniquement un impact dont l’idéal serait la suppression, on méconnaît de nombreux travaux scientifiques ayant montré que ces ouvrages peuvent avoir des intérêts économiques et sociaux, mais aussi écologiques. Une recherche a montré que les petits plans d’eau  peuvent remplir jusqu’à 39 services écosystémiques (Janssen et al 2020). 
A titre d’exemples :
• Les ouvrages, même modestes, peuvent apporter une contribution significative à la transition énergétique bas carbone par l’équipement hydro-électrique (Punys et al 2019, Quaranta et el 2022)
• Les ouvrages contribuent à dépolluer les cours d’eau des intrants azote et phosphore (Passy 2012, Cisowska et Hutchins 2016), parfois des pesticides (Gaillard et al 2016, Four et al 2019)
• Les ouvrages et leurs annexes de types canaux, fossés, maintiennent une ligne d’eau en étiage, alimentent les nappes, retiennent l’eau d’hiver, alors que leur suppression a l’effet inverse, incise le lit, accélère l’écoulement (Aspe et al 2014, Maaß et Schüttrumpf 2019, Podgórski et Szatten 2020). Le barrage peut être aussi vu et géré à l’avenir comme refuge face au changement climatique (Beatty et al 2017).
• Les ouvrages sont insérés dans un patrimoine culturel, sociétal et historique qui est un mode de co-existence attentive aux milieux naturels (Lejon et al 2009, Sneddon et al 2017, Dabrowski et al 2022).
• La suppression des ouvrages dans les pays où elle a été fortement soutenue soulève des controverses sociales et produit parfois des résultats discutables (Barraud et Garmaine coord 2017, Bravard et Lévêque 2020).

A retenir : l’ensemble des bénéfices des ouvrages en rivières doivent être analysés avant intervention, avec près de 40 services écosystémiques potentiels pour la société. 

Des évolutions du droit sont nécessaires
A la lumière de ces travaux scientifiques qui confortent l’expérience de terrain des propriétaires, riverains et gestionnaires d’ouvrages hydrauliques, nous sollicitons que plusieurs points soient inscrits dans le projet de loi de restauration de la nature :
• La reconnaissance des écosystèmes anthropiques et culturels par le droit européen, avec nécessité de les étudier et les protéger eux aussi.
• L’obligation de procéder à une analyse complète et sincère des services écosystémiques, non limitée à la biodiversité endémique mais incluant toutes les dimensions socio-écologiques.
• La nécessité de mettre en regard les enjeux de biodiversité avec les enjeux de l’énergie, de l’eau et du climat, la lutte contre le changement climatique (prévention, adaptation) devant avoir priorité normative en cas de conflit de normes.
• L’urgence d’additionner et non opposer les solutions fondées sur la nature et les solutions fondées sur la culture / la technique pour garantir la gestion de l’eau comme ressource, alors que nous faisons face à des épisodes critiques de sécheresse ou de crue.

(Références scientifiques complètes dans le pdf)

26/03/2022

Le manifeste WaVE sur l’avenir du patrimoine lié à l’eau

Cinq chercheurs de l’université Delft des Pays-Bas ont étudié les patrimoines sociaux et historiques de l’eau dans le cadre du projet européen WaVE (Water-linked heritage Valorization by developing an Ecosystemic approach). Ils publient une synthèse de leur étude se terminant par un manifeste sur l’avenir du patrimoine lié à l’eau, que nous traduisons. Pour ces universitaires, le patrimoine lié à l’eau possède la capacité de relier environnement, société, économie tout en montrant son utilité pour les enjeux de ce siècle, à commencer par l’adaptation au changement climatique dans chaque ville, chaque territoire. Un appel à diffuser, notamment auprès des gestionnaires publics de l’eau qui, en France, ont bien trop négligé la dimension historique, patrimoniale, humaine de l’eau. Voire détruisent le patrimoine au nom de modes passagères nourries d'une amnésie culturelle et historique.


L'eau et son patrimoine associé jouent un rôle très particulier dans les villes et les régions d'Europe. Les infrastructures hydrauliques historiques telles que les ponts, les quais et les berges, les installations portuaires, les écluses, les barrages ou les moulins, les paysages urbains et ruraux spécifiques basés sur l'eau, mais aussi les aspects immatériels du patrimoine lié à l'eau, tels que les connaissances sur la gestion de l'eau, les valeurs et traditions, peuvent constituer une base solide pour une approche écosystémique du développement urbain et régional durable. Le patrimoine lié à l'eau est unique à cet égard car il relie les domaines environnemental, économique et social, reflétant les trois piliers de la durabilité. En valorisant le patrimoine lié à l'eau en tant que vecteur de transformation écosystémique des villes et des régions, nous pouvons exploiter son potentiel souvent négligé pour engager diverses parties prenantes, relier stratégiquement les lieux reliés par l'eau et transcender les frontières disciplinaires, administratives et sectorielles. En d'autres termes, l'eau et le patrimoine qui lui est lié peuvent être un puissant vecteur de changement dans les villes et les territoires qui permet de capitaliser sur les pratiques et équipements passés pour faire face aux défis de demain.

Manifeste sur l'avenir du patrimoine lié à l'eau

1 Le patrimoine lié à l'eau est peut-être le plus vulnérable aux impacts du changement climatique, mais il peut aussi nous inciter à développer des solutions basées sur la nature pour l'adaptation au climat, en s'appuyant sur les techniques et les connaissances du passé.

2 Étant donné que l'eau est cruciale pour l'identité locale et représente des valeurs partagées, le patrimoine lié à l'eau est un atout pour sensibiliser les parties prenantes et les citoyens aux impacts du changement climatique et à la nécessité d'adopter l'eau plutôt que de s'efforcer de la tenir à distance.

3 Il est nécessaire de s'éloigner de la prise de décision descendante vers un engagement plus inclusif et ouvert des divers acteurs et groupes sociaux dans la valorisation du patrimoine lié à l'eau pour identifier et saisir les opportunités qu'elle peut apporter à nos villes et régions.

4 Engager les parties prenantes dans la co-exploration du statu quo, la co-conception d'actions de valorisation du patrimoine lié à l'eau et la co-décision sur les stratégies de leur mise en œuvre permet d'identifier de nouveaux potentiels, souvent négligés, et de sortir des sentiers battus pour relever les défis.

5 La co-création de connaissances et de solutions pour la valorisation du patrimoine lié à l'eau est un processus qui nécessite de construire et d'entretenir des relations avec les parties prenantes, qui porte ses fruits en créant des liens et des réseaux qui durent, en soutenant la collaboration à long terme, l'appropriation et l'acceptation sociale des stratégies de valorisation du patrimoine et impacts durables.
 
6 La narration d'histoires sur le patrimoine lié à l'eau est un outil puissant pour galvaniser l'attention et l'engagement des parties prenantes et créer une dynamique pour un changement de grande envergure. La narration sur le patrimoine lié à l'eau doit mettre l'accent sur l'identité du lieu (âme), les valeurs et les liens partagés (confiance), le potentiel du patrimoine à créer des lieux meilleurs et plus vivables (qualité) grâce à l'engagement créatif du public (théâtre), aux interventions et stratégies audacieuses, visionnaires, fortes (courage) qui, ensemble, nourrissent la fierté collective et l'appropriation des stratégies et des politiques.

7 Au lieu d'une approche centrée sur l'humain pour la valorisation du patrimoine lié à l'eau, nous avons besoin d'une approche écosystémique, dans laquelle les connaissances passées et les valeurs patrimoniales informent la conception de nouveaux paysages et voies vers la durabilité. Dans cette approche, l'eau est un élément important reliant les visions de profondes transformations écosystémiques urbaines et régionales aux transitions nécessaires dans les éléments de base des systèmes et des structures urbaines (énergie, mobilité, espaces bleu-vert).

8 Pour réaliser le potentiel du patrimoine lié à l'eau en tant que vecteur de changement écosystémique, nous devons élargir notre compréhension du patrimoine, pour inclure non seulement les bâtiments et les infrastructures, mais aussi le patrimoine culturel immatériel et le patrimoine naturel.

9 Alors que nos sociétés deviennent de plus en plus diversifiées et mobiles, nous devons repenser et enrichir la signification du patrimoine lié à l'eau en nous appuyant sur les contributions de citoyens ayant des valeurs, des origines culturelles et des expériences différentes, et en exploitant le potentiel du patrimoine en tant que vecteur d'inclusion et d'intégration sociale.

10 Le patrimoine, comme l'eau, est toujours en mouvement. Au lieu de le conserver dans son état actuel, nous devons oser l'utiliser pour développer des zones riveraines dynamiques et multifonctionnelles, créer de nouvelles valeurs et de nouveaux usages du patrimoine à travers un processus de développement dans le dialogue, poussant nos villes et nos régions vers un avenir plus durable.

Référence : Dabrowski, M. M., Fernandez Maldonado, A. M., van der Toorn Vrijthoff, W., & Piskorek, K. I. (2022). Key lessons from the WaVE project and a manifesto for the future of water-linked heritage.

20/03/2022

La scandaleuse destruction en cours des étangs du Châtillonnais

Les gestionnaires publics – Office national des forêts, Parc national des forêts de Champagne et Bourgogne, services de l'Etat (DDT, OFB) – sont en train de détruire un par un tous les étangs, retenues, biefs et plans d'eau du Châtillonnais. Leur cible actuelle est formée par les étangs des Marots, un patrimoine naturel, culturel et paysager remarquable. Les riverains sont vent debout contre l'orientation actuelle vers la destruction de ces sites, qui ont déjà été asséchés et laissés sans remise en eau depuis 5 ans. Une pétition est lancée. Hydrauxois se joint au collectif local des associations et riverains pour envisager des actions en justice si ce désastre devait persister. 


Voici bientôt 5 ans, la vidange des étangs des Marots situés en forêt domaniale de Châtillon a été réalisée dans la perspective d’en effectuer le curage et de procéder à la réparation des digues. Les riverains se sont réjouis de cette entreprise qui devait assurer la pérennité de ces petits plans d’eau.

La remise en eau devait être réalisée dans un délai variant entre un et deux ans après la vidange. Or, il n'en fut rien.

Selon les informations recueillies auprès des représentants de l’Office national des forêts, chargé de la gestion des lieux pour le compte de l’État, la poursuite des travaux était subordonnée à la réalisation d’aménagements à effectuer et imposés par la DDT et l'OFB, dont le coût, très élevé, ne pouvait être assuré par l’ONF.

Aujourd’hui, il serait question de l’effacement pur et simple de ces plans d’eau, au titre de la loi sur l’eau et de la continuité écologique, contrairement à ce qui avait été affirmé. Ces effacements feraient suite d’ailleurs à ceux des étangs Narlin, situés un peu en amont, entrepris il y a une quinzaine d’années et à l’effacement, en cours, de celui de Combe Noire, faute d’entretien.

Le parc national des forêts de Champagne et Bourgogne, créé en 2019, vient d'appuyer la démarche d'effacement dans une note officielle publiée ce mois de mars 2022. 


Cette position soulève la stupeur et la colère des riverains. Les populations locales, très attachées à la beauté de la route d’accès à l’abbaye du Val-des-Choux, sont vent debout contre ce projet et demandent de sursoir à son exécution.

En effets, l'assèchement puis l'éventuelle destruction des étangs des Marots représentent :
  • la destruction d'un cadre de vie très apprécié, ces étangs étant fréquentés toute l'année par les riverains (quand ils sont en eau!),
  • l'altération de la recharge hydrologique des nappes et aquifères, dans une région qui connaît désormais des assecs sévères, aggravés par des travaux lourds de recalibrage des lits dans les années 1960-1980,
  • la perte de la biodiversité acquise autour des étangs, cette richesse faunistique et floristique ayant été documentées par des promeneurs passionnés et naturalistes (exemples ci-dessous),
  • l'élimination d'un patrimoine historique remarquable, les plus anciens sites datant probablement du XIIIe siècle,
  • le torpillage de l'attrait touristique et paysager du Parc des forêts, alors qu'une enquête avait montré que les visiteurs sont attirés à hauteur de 4% par les forêts et 44,9% par le milieu aquatique (rivières, plans d’eau, étangs).
La charte du Parc de forêts approuvée par décret du 6 novembre 2019 dit : "le cœur de parc national est avant tout un espace de conservation et de mise en valeur des patrimoines naturels, culturels et paysagers… C’est une 'vitrine' des patrimoines et des savoir-faire, un espace conservatoire de cibles à forte valeur patrimoniale, locale, régionale ou nationale…"

Pour cette raison, le patrimoine à la fois naturel, culturel et paysager des étangs des Marots doit être préservé et restauré dans toutes ses fonctions utiles au vivant et à la société. 

Hydrauxois se joint au collectif local d'associations et de riverains, et engagera si nécessaire des démarches en justice pour empêcher le gestionnaire public de détruire un patrimoine remarquable. Nous appelons déjà à signer la pétition citoyenne en ce sens, qui a reçu plus de 1000 signatures locales en une semaine.


06/03/2022

Le patrimoine hydraulique exceptionnel de Clairvaux sera-t-il détruit?

L’Etat va fermer la prison de Clairvaux, construite sur le lieu d’une abbaye cistercienne. Or, de premiers travaux de diagnostics montrent une ignorance complète de la dimension hydraulique fondatrice du site de Clairvaux, voire envisage la destruction pure et simple des ouvrages répartiteurs créant un vaste réseau annexe de biefs et sous-biefs. L’Etat laisse par ailleurs un site lourdement pollué faute de politique d’assainissement des effluents de la prison. Est-ce le comportement d’exemplarité que l’on attend de la puissance publique? Notre association et ses consoeurs montreront la plus grande vigilance sur ce dossier : la maîtrise de l’eau a fait naître Clairvaux et doit présider à sa renaissance.
 

La prison centrale de Clairvaux, où sont enfermés des détenus à longues peines, va fermer début 2023. La décision avait été annoncée en 2016 par le ministre de la Justice, et ce, malgré de récents travaux de rénovation d’un montant de 12 millions d’euros. 

Ce départ de l’administration pénitentiaire a suscité un projet de reconversion du site de Clairvaux, animé par un comité de pilotage regroupant l’État et les collectivités locales. Le site comprend une trentaine de bâtiments protégés au titre des monuments historiques, sur une surface totale de 27 000 m². La seule restauration du clos et du couvert de ces bâtiments est estimée à 150 millions € : l’enjeu est donc conséquent. Il a donné lieu à de premiers travaux de diagnostics culturels.

Pourtant, une dimension structurante du site semble oubliée : son statut de patrimoine hydraulique cistercien, où l’eau n’est pas un détail mais le guide même de l’édification des lieux. Cet oubli est d’autant plus dommageable que la France compte un réseau d’historiens de l’hydraulique monastique de réputation internationale, notamment à travers les recherches animées par Paul Benoit (voir par exemple Benoit dir 1997Benoit et Berthier dir 1998). 

Bernard de Clairvaux et l’hydraulique cistercienne
L'ordre cistercien est une branche réformée des bénédictins dont l'origine remonte à la fondation de l'abbaye de Cîteaux par Robert de Molesme, en 1098. Communauté vivant à l’intérieur d’une enceinte, les Cisterciens ont  grand besoin d’eau : pour la boisson des moines, pour la cuisson des aliments servis sans graisse, pour évacuer les déchets et les déjections, pour user de la puissance de l’eau à des fins de production de fer avec la première trace de forge hydraulique connu , mais aussi de farine, huile, textile (foulon), tannage (tan). La maison mère Cîteaux et ses quatre premières filles La Ferté, Pontigny, Clairvaux et Morimond se trouvent en Bourgogne et en Champagne. 

Au milieu du XIIe siècle, un peu plus de cinquante ans après la fondation de Cîteaux, les abbayes se reconnaissant dans l’idéal cistercien constituent un ordre très solidement établi. Il connaît une extraordinaire expansion entre 1129 et 1150, au moment où l’action de Bernard de Clairvaux (1090-1153) s’impose en Europe. En 1153, à la mort de Bernard, il existe environ 350 monastères rattachés à l’ordre cistercien, dont une moitié en France (180). Depuis les sites de Bourgogne et Champagne, les abbayes disposent d’équipements hydrauliques.

Paul Benoit rappelle comment l’hydraulique a structuré le travail des cisterciens à Clairvaux (extrait de Benoit 2012) :
« Faute d’eau, ou manque d’eau en quantité suffisante, plusieurs abbayes ont dû déplacer leurs bâtiments, à commencer par Cîteaux implantée tout d’abord en un lieu qui deviendra la grange de la Forgeotte. 
L’exemple le mieux connu est celui de l’abbaye de Clairvaux. Bernard et ses compagnons arrivent en 1115 dans le Val d’Absinthe, vallon parcouru par un ruisseau affluent de l’Aube. Ils construisent sur place un monastère, appelé par la suite Monasterium vetus, qui se révèle dès les années 1130 trop petit pour une communauté en pleine croissance, tant le rayonnement de l’abbé Bernard est alors grand. Les différentes vies du saint montrent le conflit qui naît alors entre une majorité de moines souhaitant se rapprocher de l’Aube et Bernard qui estime l’opération trop coûteuse. La question est traitée sans détour par Arnaud de Bonneval dans la partie de la Vita prima qu’il rédige. Les questions financières mises en avant par l’abbé paraissent à la communauté insuffisantes face aux arguments des compagnons de Bernard, dont celui du cellérier Gérard, frère de Bernard, et selon le Grand Exorde de Cîteaux un véritable technicien. 
Un des aspects majeurs, et sans doute des plus coûteux du projet, consistait à faire venir une dérivation de l’eau de l’Aube dans l’abbaye. Déjà un bief sur l’Aube alimente alors en énergie un moulin situé à Ville-sous-la-Ferté en amont de Clairvaux. Les sources manquent de précision et les vestiges archéologiques s’avèrent peu lisibles du fait de l’entretien pluriséculaire de la dérivation qui alimentait les différents moulins situés dans l’abbaye. On ne sait si l’énorme débit qui conduit l’eau à Ville-sous-la-Ferté dont une part très importante retourne à l’Aube grâce à des vannes avant même d’actionner la roue du moulin, est dû à un travail des moines désireux de s’assurer une quantité suffisante d’eau en période de sécheresse. L’hypothèse est séduisante mais reste une hypothèse. »

Un héritage toujours vivant
Aujourd’hui et comme le montre ces cartes, le complexe hydraulique de Clairvaux est l’héritier de ces travaux commencés par les cisterciens et poursuivis pendant près d’un millénaire, ayant redessiné l’écoulement et la morphologie de la rivière et de ses biefs, afin d’alimenter entre autre une usine hydroélectrique construite à l’intérieur même de la prison.  


 Carte des archives départementales, réseaux hydrauliques de Ville sous la Ferté et Clairvaux.

 

Réseau hydraulique sur base du Plan de dom Milley, 1708

Un avant-projet a été  réalisé pour la communauté de communes de la région de Bar-sur-Aube par le cabinet SEGI en février 2020 (phase 2) avec 5 scénarios : effacement de l’ouvrage de répartition (baisse de 1,5m de la cote d’eau au niveau du moulin) ; démantèlement des vannes de l’ouvrage de répartition (baisse de 1,2m de la cote d’eau au niveau du moulin) ; démantèlement des vannes de l’ouvrage de répartition et ouverture sous le moulin (baisse de 1,7m de la cote d’eau au niveau du moulin) ; contournement de l’ouvrage ; remise en production de l’usine hydroélectrique (moulin). Une étude complémentaire est demandée par le syndicat de rivière SDDEA en  juin 2021.

En l’état, ces travaux diagnostiques posent de graves problèmes légaux.

Depuis 2021, la loi interdit de détruire l’usage actuel ou potentiel des ouvrages hydrauliques dans la restauration de continuité écologique des rivières en liste 2. En particulier les ouvrages de moulins. Donc l’ensemble des solutions visant à l’arasement ou au dérasement des ouvrages du complexe hydraulique de Clairvaux sont hors-la-loi et ne doivent plus faire l’objet du moindre financement public, y compris en études diagnostiques. 

Avant même cette interdiction, en 2016, la loi a introduit la notion de patrimoine dans la gestion durable de l’eau. L'article L 211-1 Code de l'environnement a intégré la disposition suivante : «III. – La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l’utilisation de la force hydraulique des cours d’eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l’article L. 151-19 du code de l’urbanisme.» 

En conséquence, une circulaire (18 septembre 2017) commune entre le ministère de la transition écologique et celui de la culture, a demandé d’établir un socle commun de connaissances, pour notamment intégrer le patrimoine culturel dans les études préparatoires aux travaux de restauration. Le document «Grille d’analyse de caractérisation et de qualification d’un patrimoine lié à l’eau»  ne semble pas avoir été établi et n’apparait pas dans le CCTP de juin 2021. 


Sources : photos SEGI (étude SEGI 2020, décembre 2018)

Indifférence au patrimoine… et à la pollution
Outre son désintérêt pour le patrimoine hydraulique, l’administration d’Etat a montré un manque total d’attention à la pollution. Le ruisseau qui sert d’exutoire à la prison s’appelle «la Merdeuse» : et pour cause, il fonctionne encore comme au temps des moines, n’ayant jamais été raccordé à un assainissement (Ville-sous-la-Ferté dispose pourtant d’une station d’épuration depuis 1992). 

Les riverains témoignent des matières fécales, des déchets, des médicaments. «En 2009, Jean-Jacques Skiba a commencé l'exploitation hydroélectrique du barrage des forges de Clairvaux, en aval de l'endroit où "la Merdeuse" débouche dans l'Aube. Très vite, il fait de drôles de découvertes. "Cela fait dix ans que je ramasse des médicaments, comme de la Dépakine, mais aussi des préservatifs, des milliers de cotons-tiges, des sachets de thé ou de café lyophilisé", énumère-t-il, en précisant que son ouvrage n'arrête pas tout. Cet écologiste revendiqué n'en "revient pas" que franceinfo se penche sur le problème : "J'avais écrit à un média national il y a quelques années et il ne s'était rien passé.» (voir cet article). 

Notre association, l’ARPOHC, la CNERH et la FFAM sont aujourd’hui mobilisées pour suivre ce dossier. La tentative de destruction du patrimoine hydraulique de Clairvaux ou d’assèchement de ses milieux aquatiques ferait évidemment l’objet d’une plainte en justice. Nous souhaitons que les ouvrages hydrauliques soient rattachés, protégés et entretenus pour leurs miroirs d’eau  au même titre que les bâtiments classés monuments historiques du site. L’eau doit être la clé de la renaissance du site comme elle a été la clé de sa fondation cistercienne.

17/11/2021

Vigilance pour préserver le canal d'Elne menacé d'assèchement

L’heure est toujours à la mobilisation pour les amoureux du canal d’Elne, un ouvrage de 17 km édifié au Xe siècle pour irriguer les cultures de la plaine d’Illibéris (d’Elne à St-Cyprien), dans les Pyrénées Orientales. Le schéma d'aménagement du bassin du Tech, validé en 2018, prévoyait de remettre en cause les chaussées de dérivation (rescloses) qui permettent d'alimenter cet ouvrage d'art et tous les services écosystémiques associés. Les citoyens rassemblés dans un collectif de défense de ce système hydraulique et de ses usages ancestraux appellent à une réunion publique d'information et de débat le 23 novembre prochain. La loi interdit désormais la remise en cause de l'usage actuel ou potentiel des ouvrages hydrauliques dans le cadre de la continuité écologique: les préfets doivent l'appliquer de manière stricte. Il est temps de faire cesser une fois pour toutes les conflits permanents alimentés par les dérives des extrémistes négateurs et destructeurs des patrimoines multiples de l'eau. 


Le Canal d'Elne (source)

Appel des riverains du Canal d'Elne 

Canal d'irrigation majeur en plaine du Roussillon, le Canal d’Elne fonctionne grâce à une alimentation gravitaire par l'intermédiaire d'un seuil en rivière (resclosa) qui prélève de l’eau du Tech. A Elne, il se sépare en deux branches d’environ 17 km, vers Latour-Bas-Elne et St-Cyprien. Lié à un vaste réseau de ruisseaux d’écoulement (agulles), cet outil ancestral témoigne de plus de 1000 ans de gestion de l'eau en Roussillon. Vecteur essentiel de l’essor agricole de la plaine d’Illibéris, il participe à l'alimentation des nappes phréatiques quaternaires depuis des siècles. Son tracé suit en grande partie des "paléo-chenaux", c’est-à-dire de très anciens tracés du Tech. L’environnement, l’économie, l’emploi et le patrimoine se rejoignent autour de cet ouvrage précieux.

Le Collectif Canal d’Elne est né en 2018 pour protéger cette infrastructure. À l’origine, plusieurs citoyens se sont mobilisés à l'occasion de la validation du Schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) du Tech, en 2017. Ce texte a mis en lumière les menaces qui pèsent sur les rescloses ancestrales, notamment l'étude “Tech Aval”, lancée en 2015, prescrivant l'abaissement de la resclosa de 1,70 m, afin de répondre au classement “Liste 2” du Tech. L'objectif étant de faciliter le passage des poissons migrateurs et des sédiments, en vertu d'un principe de “Continuité écologique” fort mal interprété. Cette décision inadaptée aurait condamné définitivement le canal, cruellement privé de son alimentation gravitaire en eau. Plus largement, il semble prévisible que l'abaissement de la resclosa affecte gravement les paléo chenaux qui alimentent les nappes phréatiques et renforcent la ressource en eau potable.

Une victoire fragile...

En 2018 et 2019, la population d'Elne et des environs s’est saisie du problème. Le 15 février dernier, le Conseil d'État s'est prononcé sur le décret scélérat du 3 août 2019, qui donnait une portée trop large au principe de continuité écologique, tandis que l'Assemblée nationale et le Sénat ont été saisis, le 10 juin, d'un amendement à la loi "Climat et résilience", qui interdit l’arasement des seuils en rivière alimentant un moulin. Ces avancées sont des victoires pour le Canal d'Elne, mais elles n'excluent pas la vigilance, car des doutes subsistent sur son avenir.

Afin de maintenir la vigilance de la population et de porter à la connaissance de tous les éléments dont le Collectif a été informé, une réunion publique d’information est organisée mardi 23 novembre de 18h à 19h45 au Cinéma René Vautier, 13 Bd Voltaire, 66200 Elne. Les avancées juridiques, les questions en suspens et les enjeux généraux de la gestion de l’eau en Roussillon seront abordés.



31/05/2021

Le gharat, moulin à eau traditionnel de l'Himalaya (Bhatt et al 2021)

Il existe plus de 200 000 moulins à eau traditionnels dans la région de l'Himalaya, connus sous le nom de Gharats. Trois chercheurs analysent leurs usages et livrent quelques réflexions sur leur avenir. 


Extrait de Bhatt et al 2021, art cit, cliquez pour agrandir.

Trois chercheurs indiens (Anupam Bhatt, Dipika Rana, Brij Lal) publient une intéressante étude sur les moulins à eau traditionnels de l'Himalaya indienne. En voici quelques extraits de ce travail :

"La région himalayenne est une plaque tournante de diverses ressources naturelles et ses habitants présentent une grande diversité de cultures, de traditions, d'utilisation des ressources et de pratiques d'intendance avec d'importantes interdépendances entre les écosystèmes et les humains en raison de l'inaccessibilité et de l'hétérogénéité des systèmes de montagne (Bhatt et al. , 2018; Everard et al., 2020; Huddleston et al., 2003). Malgré la richesse des ressources naturelles, la région est habitée par environ 175 millions de personnes qui vivent toujours en dessous du seuil de pauvreté (FAO, 2005; Sharma et al., 2010). Cela est principalement dû aux terrains difficiles, aux risques environnementaux, à la mauvaise communication, aux transports et au faible niveau d'interventions scientifiques et technologiques dans les zones de montagne (Körner et al., 2005; Lal et al., 2019; Rao, 1997). Les habitants des régions de haute montagne ont développé plusieurs technologies indigènes en utilisant les ressources naturelles disponibles localement et leur sagesse traditionnelle. Cela inclut le Charkha (rouet), le Takali (broche) en bois ou en métal, le Khaddi (machine à tisser en bois) et le Gharat (Panchakki / moulin à eau) (Lal et al., 2019; Rana et al., 2020). L'eau est l'une des ressources naturelles très utiles que l'on trouve en abondance dans la région himalayenne (Xu et al., 2009). Cette ressource naturelle est utilisée pour conduire le Gharat et utilisée dans la transformation des céréales alimentaires par les habitants des villages reculés de l'Himalaya. Environ 200 000 moulins à eau ont été signalés dans la région indienne de l'Himalaya, qui reposent encore sur une conception ancienne d'une turbine à impulsion (Anonyme, 2001; Sharma et al., 2008). Le moulin à eau est connu sous différents noms comme "Chuskor" dans l'Arunachal Pradesh, "Rantak" au Ladakh, "Gharat" ou "ghat" dans l'Uttarakhand, mais il est plus populairement connu sous le nom de Gharat dans toute la région indienne de l'Himalaya (Behari & Bhardwaj, 2014; Slathia et al. ., 2018). Aujourd'hui, les moulins à eau traditionnels ont survécu à petite échelle dans les régions rurales du monde comme l'Himalaya, qui desservent les habitants des montagnes jusqu'à ce jour (Vashisht, 2012). Cette technologie simple est encore une source de revenus pour de nombreuses personnes dans les zones reculées qui sont utilisées pour transformer une farine de bonne qualité (Sinha et al., 2008)."

Les auteurs concluent :

"Les Gharats ont toujours été une source de revenus pour les personnes vivant dans les zones reculées de la région himalayenne et une partie intégrante du patrimoine culturel. La présente étude a révélé que bien que nombre de Gharat fonctionnent dans la région de Pangi, ce nombre a considérablement diminué dans la région de Tissa. Plusieurs facteurs environnementaux à technologiques sont responsables de l'augmentation ou de la diminution. Par conséquent, il est urgent de faire revivre les moulins à eau pour sauver la technologie indigène et respectueuse de l'environnement pratiquée depuis des siècles par les peuples autochtones. En cette période de pandémie où le monde se bat contre le covid-19, les gens ont migré vers leurs villages, villes et pays d'origine. Conformément à la résolution adoptée par le Gouvernement indien, communément appelée "Fabriquer en Inde", il est important de trouver d’éventuelles sources de subsistance autochtones pour la population. Il faut en outre restaurer et raviver les techniques traditionnelles en déclin pour la région himalayenne et ses populations autochtones, en plus de prendre d'autres projets à petite échelle pour stimuler l'économie de la nation. (...) La popularisation des produits de montagne de niche en tant que produits de grande valeur et le développement de chaînes de valeur peuvent tirer d'énormes avantages pour les communautés montagnardes. Ainsi, un effort concerté est requis collectivement par le gouvernement, les institutions et le public pour œuvrer à la restauration de ce patrimoine historique."

Référence : Bhatt A et al (2021), Gharat: an environment friendly livelihood source for the natives of western Himalaya, India, Environment, Development and Sustainability, doi: 10.1007/s10668-021-01455-4

14/03/2021

Ne plus laisser les agences de bassin détruire le patrimoine et la ressource en eau des territoires

Nouvelle provocation des agences de l'eau : tous leurs projets de SDAGE 2022-2027 comprennent des appels à privilégier l'effacement des moulins, étangs, canaux et autres ouvrages hydrauliques de notre pays. C'est un mépris affiché des attentes du gouvernement et du parlement pour une continuité apaisée et sans dogme. C'est un scandale démocratique, puisqu'une poignée de personnes nommées par préfet et donc sans légitimité élective prétend imposer des normes absentes de la loi et dilapider l'argent des contribuables. C'est une aberration scientifique, alors qu'aucune étude ne démontre l'implication des ouvrages dans la pollution des rivières ou dans la non-atteinte des objectifs de la directive cadre sur l'eau. C'est une trahison du combat climatique de la France, alors que les efforts doivent être portés sur l'équipement des ouvrages et la protection de tous les milieux en eau, naturels comme anthropiques. Hydrauxois appelle l'ensemble du mouvement des ouvrages, ses acteurs nationaux comme locaux, à organiser la riposte que cette provocation appelle. Les agences de l'eau doivent mener les objectifs posés par les lois françaises comme par les directives européennes, au lieu de leur échec actuel à le faire et de leur gabegie d'argent public. 


A de nombreuses reprises depuis 10 ans, les parlementaires ont signifié leur attachement au patrimoine hydraulique des rivières françaises. Ils ont modifié plusieurs fois la loi (en 2016, en 2017) pour que la destruction des moulins, des étangs, des centrales hydro-électriques et autres ouvrages ne soient pas la solution retenue par les gestionnaires publics de l'eau. Par ailleurs, ils ont inscrit en 2019 dans la loi l'urgence écologique et la nécessité d'intégrer la petite hydro-électricité dans la lutte contre le changement climatique

Après le rapport critique du CGEDD sur la mise en oeuvre de la continuité écologique, le gouvernement a adopté pour sa part un plan pour une politique apaisée de continuité écologique. Ce plan spécifie dans une note notamment adressée aux préfets de bassin et aux DREAL de bassin (donc in fine aux représentants de l'Etat dans les agences de l'eau) : "De nombreuses solutions sont possibles pour restaurer la continuité écologique, et la multiplicité des enjeux doit être prise en compte lors du diagnostic initial. Il n’existe aucune solution de principe. Parce que chaque situation est différente (type de cours d’eau, espèces concernées, usages, qualité de l’eau, qualité du patrimoine, partenaires, disponibilités financières), plusieurs scénarios devront faire l’objet d’une analyse avantages-inconvénients afin de dégager la solution présentant le meilleur compromis."

Les agences de l'eau viennent de présenter en ce mois de mars les 6 projets de SDAGE 2022-2027 en consultation publique. En parfait mépris des attentes du parlement et du gouvernement, ces textes refusent d'admettre qu'il n'existe aucune solution de principe et comportent tous, à des degrés plus ou moins graves, des appels à prioriser la destruction des ouvrages hydrauliques. 

Les extraits ci-après montrent la programmation par les agences de l'eau de la destruction prioritaire des ouvrages. 

"Partout où cela est techniquement et économiquement réalisable, en prenant en compte l'ensemble des enjeux locaux, la suppression ou l'arasement des obstacles, notamment des ouvrages sans usage, est privilégié."

"Les solutions visant le rétablissement de la continuité longitudinale, et en vue de diminuer le taux d'étagement des cours d’eau, s’efforcent de privilégier, dans l'ordre de priorité suivant : l’effacement, le contournement de l’ouvrage (bras de dérivation…) ou l’ouverture des ouvrages par rapport à la construction de passes à poissons après étude. Pour les ouvrages à l'abandon, pour les ouvrages sans usage, l'effacement est donc privilégié."

"La solution d’effacement total des ouvrages transversaux est, dans la plupart des cas, la plus efficace et la plus durable, car elle garantit la transparence migratoire pour toutes les espèces, la pérennité des résultats, ainsi que la récupération d’habitats fonctionnels et d’écoulements libres ; elle doit donc être privilégiée."

"Pour les ouvrages existants et sans usage reconnu par l’administration, l’option d’effacement total sera privilégiée dès lors que l’étude préalable aura démontré la faisabilité technique, économique et réglementaire de cette solution." 

"Aucune solution technique, qu’il s’agisse de dérasement, d’arasement, d’équipement ou de gestion de l’ouvrage, ne doit être écartée a priori. La question de l'effacement constitue une priorité dans les cas d'ouvrages n'ayant plus de fonction ou d'usage, ou lorsque l'absence d'entretien conduit à constater légalement l’abandon de l’usage."

Les maîtres d’ouvrages d’opération de restauration de la continuité écologique, de manière à atteindre les objectifs de réduction du taux d’étagement et de gain de linéaire accessible, s’attachent à privilégier les solutions, dans l’ordre de priorité suivant :
- l’effacement, notamment pour les ouvrages transversaux abandonnés ou sans usages avérés ; c’est en effet le seul moyen permettant de rétablir vraiment la continuité écologique et la pente naturelle du cours d’eau ;
- l’arasement partiel d’ouvrage et l’aménagement d’ouvertures, de petits seuils de substitution franchissables par conception ;(...)

Cette nouvelle provocation des agences de l'eau pose des problèmes graves. 

Dégradation et sous-information des politiques publiques : les agences de l'eau ont des résultats plus que médiocres sur leur obligation d'assurer les objectifs de la directive cadre européenne sur l'eau, dont l'échéance est en 2027. Elles continuent de propager dans les SDAGE des affirmations simplistes sur la qualité de l'eau qui ne mobilisent aucun modèle scientifique d'évaluation des causes de détérioration de cette qualité. Quand de tels modèles sont utilisés par les chercheurs, ils ne trouvent en aucun cas la primo-responsabilité des ouvrages dans les mauvais scores de la DCE. Une abondante littérature scientifique montre que les ouvrages procurent des services écosystémiques et que l'opposition milieu naturel - milieu artificiel ne peut être un critère efficace en écologie. Les agences de l'eau prennent des décisions sur des milieux qu'elles n'étudient même pas sérieusement, voire qu'elles ont fait disparaître de leur nomenclature administrative.

Trahison des engagements climatiques de la France : en appelant à détruire les ouvrages en place et en mettant le maximum d'obstacles à la production hydro-électrique, les agences de l'eau s'engagent désormais contre les objectifs carbone de notre pays. La recherche a montré que des dizaines de milliers d'ouvrages hydrauliques peuvent être équipés et apporter une contribution significative à la décarbonation urgente de l'énergie française. Les agences de l'eau aggravent le bilan carbone du pays et ouvrent la possibilité d'un contentieux à ce titre, pour carence fautive et préjudice, motif pour lequel le gouvernement français a déjà été condamné

Poursuite de la conflictualité sociale sur les rivières : en prenant position en faveur de la destruction préférentielle des ouvrages, ce qui se retrouvera ensuite dans les financements des programmes d'intervention, les agences de l'eau enterrent l'idée de continuité apaisée avec les propriétaires et riverains des ouvrages. Tous les acteurs (dont les agences de l'eau au premier chef) savent très bien que le problème vient du manque de financement des passes à poissons, rivières de contournement et autres solutions non destructrices. C'est donc un mépris affiché des citoyens attachés à leur cadre de vie, l'impossibilité pour les syndicats de rivière d'avoir des budgets qui correspondent aux attentes des habitants, non aux diktats des technocraties.

Absence de légitimité démocratique : les membres des comités de bassin sont nommés par le préfet, et non pas élus. Ils sont très peu nombreux (quelques dizaines) par rapport à la taille et à la diversité des territoires concernés (des milliers de ruisseaux, rivières, plans d'eau). Les associations de riverains, de moulins, d'étangs et plans d'eau, de protection du paysage et patrimoine historique sont exclues de ces comités de bassin. Elles ne sont pas invitées à co-construire en amont des décisions les normes sur les ouvrages, alors qu'elles sont les premières concernées. Les agences de l'eau n'ont donc aucune légitimité démocratique à adopter des normes et des subventions qui dérogent à ce que dit la loi, à ce que demande le parlement et à ce que rappelle le gouvernement. Des chercheurs ont dénoncé la dérive autoritaire dans la gestion de l'eau.

Le temps de la riposte
Il fut peut-être une époque où les dominants pensaient que leurs mots ne prêteraient pas à conséquence, que les citoyens n'y prendraient pas garde, que leur responsabilité ne serait pas engagée. Cette époque n'est plus. Le choix des agences de l'eau est une nouvelle agression contre les ouvrages hydrauliques, contre les rivières, retenues, canaux, plans d'eau et contre leurs riverains. Elle a pour circonstance aggravante qu'elle est commise en toute connaissance de cause, alors que les élus du pays ne veulent notoirement plus de ces gabegies et de ces diversions de l'essentiel. 

Nous appelons donc l'ensemble du mouvement des ouvrages hydrauliques à se concerter et à nous accompagner pour mener les actions suivantes au cours des prochains mois:
  • saisine commune du premier ministre, de la ministre de l'écologie, du comité national de l'eau et des préfets de bassin afin de faire constater et cesser la dérive des agences de l'eau;
  • demande aux parlementaires, qui votent le budget des agences de l'eau dans le cadre de la loi de finances publiques, de procéder à un contrôle de normativité des décisions des agences par rapport aux textes de loi;
  • en cas d'absence d'effet de cette saisine et de refus de retrait des dispositions litigieuses, préparation d'une requête en contentieux contre le ministère de l'écologie et contre les SDAGE pour carence fautive dans la lutte contre le changement climatique, préjudice aux citoyens, mise en danger de la ressource en eau, organisation illégale de l'inégalité des citoyens devant les charges publiques ;
  • enfin au cas par cas et sur les milliers d'ouvrages concernés, préparation d'une procédure standardisée de plainte pour tout refus d'une préfecture et d'une agence de l'eau de financer les solutions constructives au même niveau que les solutions de destruction.
Incapables de cibler les causes de dégradation des rivières, les agences de bassin veulent détruire le patrimoine hydraulique du pays et les conditions d'une gestion durable de l'eau : nous ne les laisserons plus faire.