Affichage des articles dont le libellé est Sédiments. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Sédiments. Afficher tous les articles

24/09/2024

Influence des barrages sur les écosystèmes, la taille compte (Brown et al 2024)

En étudiant des caractéristiques telles que la géomorphologie, la chimie de l'eau, les communautés de poissons, d'invertébrés benthiques et la végétation riveraine, une recherche montre que les petits barrages ont des effets faibles comparativement aux grands. Pourtant, ce sont les petits barrages que les politiques publiques de continuité écologique détruisent en masse, au nom d'une hypothétique restauration des écosystèmes fluviaux, et sans grand intérêt pour les dimensions autres qu'écologiques. Peut-être faudrait-il prendre le temps d'un bilan physique, chimique et biologique des résultats obtenus par ces politiques avant de poursuivre un choix au coût non négligeable et aux impacts sociaux multiples ?



Exemples des systèmes hydrauliques étudiés par les auteurs de l'étude, source Brown et al 2024, art cit.

L’étude menée par Rebecca L. Brown et ses collègues porte sur les effets écologiques des barrages de tailles différentes, en vue de mieux comprendre comment la taille des barrages influence les résultats de leur démantèlement. L’analyse s’est concentrée sur 16 barrages dans la région du Mid-Atlantic, dont la hauteur varie entre 0,9 et 57,3 mètres, et les temps de résidence hydraulique (HRT) varient de 30 minutes à 1,5 an. L’étude a mesuré les effets sur plusieurs caractéristiques écologiques en aval des barrages, incluant la géomorphologie, la chimie de l’eau, la végétation riveraine, les invertébrés benthiques et les poissons.

Les 16 barrages sont répartis dans le sud-est de la Pennsylvanie, le nord-est du Maryland et le nord du Delaware. Chaque site a été choisi en minimisant les facteurs confondants (par exemple, la géologie et le climat). Les variables écologiques mesurées incluaient la température de l’eau, la largeur de la rivière, la morphologie des sédiments, la diversité des organismes aquatiques (périphyton, macroinvertébrés et poissons), ainsi que la diversité et la composition de la végétation riveraine.

Les résultats montrent que les grands barrages ont des effets beaucoup plus marqués sur la géomorphologie en aval. Par exemple, la largeur de la surface de l’eau est significativement plus importante en aval des grands barrages, tandis que les petits barrages ont peu ou pas d’effet. De même, les barrages plus grands ont tendance à réduire la qualité de l’eau, avec une diminution de l'oxygène dissous et une augmentation de la température en aval. Les grands barrages réduisent également les nutriments inorganiques comme l’azote et le phosphore, tout en augmentant les nutriments particulaires.

Les résultats révèlent des différences marquées en termes de composition et de diversité des espèces aquatiques selon la taille des barrages. En aval des grands barrages, la composition des poissons et des périphytons est plus dissemblable par rapport à l’amont, avec une diminution de la diversité des macroinvertébrés et une tolérance accrue à la pollution. En particulier, les grands barrages favorisent les espèces tolérantes à la pollution, tant pour les périphytons que pour les macroinvertébrés. Les chercheurs notent ainsi : "Le nombre total de taxons EPT (Éphéméroptères, Plécoptères, Trichoptères) et la richesse globale des espèces étaient négativement liés au temps de résidence hydraulique (HRT), tandis que le ratio EPT et la diversité de Shannon-Weaver étaient négativement liés à la hauteur du barrage ; tous présentaient des valeurs plus faibles en aval des grands barrages mais montraient peu de changement en aval des petits barrages." Pour les poissons, le signale est moins évident : "Aucune des huit variables concernant les poissons analysées n'a montré de différences fractionnelles significatives entre l'aval et l'amont lorsqu'on considère tous les barrages selon les tests de signe. Cependant, la différence fractionnelle de l'abondance des espèces généralistes était négativement liée à la hauteur du barrage, ce qui indique que les petits barrages avaient une plus grande abondance d'espèces de poissons généralistes en aval."

La végétation riparienne a également montré des réponses différentes selon la taille des barrages. Les grands barrages réduisent le nombre d’espèces invasives en aval, tandis que les petits barrages ont tendance à les favoriser. Cela pourrait être lié à des perturbations hydrologiques plus importantes causées par les grands barrages, empêchant l’établissement d’espèces invasives. Les auteurs notent que certains effets écologiques, comme la taille des sédiments, ne sont pas influencés par la taille du barrage. 
 
Les auteurs concluent que les grands barrages ont un impact beaucoup plus important sur les écosystèmes en aval, et que leur enlèvement pourrait donc offrir des bénéfices écologiques plus significatifs. Les résultats montrent que les petits barrages ont des effets relativement moindres.

Discussion
Les auteurs de cette recherche se placent dans une logique de priorisation des barrages à démanteler, avec un avis favorable à cette politique, comme beaucoup de leurs collègues travaillant en écologie appliquée et faisant donc des choix de valeur a priori sur les formes désirées des écosystèmes. Mais concernant les données analysées, et sans se prononcer sur le choix de détruire ou non des ouvrages hydrauliques, on observe surtout que l'impact des petits ouvrages est assez négligeable par rapport aux grands barrages construits à compter du 19e siècle. Ce résultat a déjà été trouvé dans d'autres recherches sur les sédiments, la ripisylve, les biodiversités bêta et gamma des bassins versants, dès lors que ces recherches prenaient en compte la taille (et parfois l'ancienneté) des ouvrages hydrauliques.

Référence : Brown R. L. (2024), Size-dependent effects of dams on river ecosystems and implications for dam removal outcomes, Ecological Applications, 34(6), e3016. 

20/04/2023

Pas d'impact sédimentaire notable d'un seuil en rivière (Rollet el al 2022)

Des chercheurs ont étudié le seuil le plus important du fleuve côtier Gapeau, dans le sud de la France. A l'occasion de trois crues, ils montrent que la retenue de 700 m créée par cette chaussée ancienne ne sédimente pas la charge grossière et évacue les charges plus fines de sables et graviers. Les scientifiques concluent que se focaliser sur les seuils dans ce contexte ne sera pas de nature à recharger en sédiment les côtes et les plages à l'aval, car le déficit sédimentaire a d'autres causes. Leur travail rappelle aussi que la plupart des recherches menées sur la sédimentation dans les ouvrages modestes (seuils, chaussées, petits barrages et déversoirs) ne montrent pas d'effet notable. Soit le contraire de ce qui est affirmé dans le discours du gestionnaire public.



Le seuil de Sainte-Eulalie, étudié par les chercheurs. DR.

Anne-Julia Rollet, Simon Dufour, Romain Capanni et Mireille Lippmann Provansal ont analysé l'impact sédimentaire d'un seuil sur une petite rivière du Sud de la France. Le Gapeau est un fleuve côtier de 47,5 km de long (pente : 0,7 m.m-1) qui draine un bassin versant de 564 km² entre les crêtes montagneuses de la Sainte Baume et de Morières au nord et à l'ouest et la crête montagneuse des Maures à l'est. La rivière s'ouvre au sud sur la plaine et se jette dans la rade d'Hyères. Le bassin versant du Gapeau contient deux sous-bassins aux caractéristiques géologiques contrastées : le sous-bassin versant ouest, où la rivière Gapeau coule sur un substrat calcaire, perméable et favorable à l'infiltration, et  le sous-bassin versant est de la rivière Réal-Martin (principal affluent de la rivière Gapeau), qui coule sur des substrats métamorphiques imperméables. La rivière Gapeau présente un chenal étroit et profond sur la majeure partie de sa longueur ainsi que des berges élevées. Cette morphologie est particulièrement adaptée au transit des flux d'eau et de sédiments. 

Dans la partie aval du Gapeau, le seul ouvrage pouvant piéger les sédiments en transit est le seuil de Sainte Eulalie. Cette chaussée est un ouvrage en maçonnerie de 3,75 m de haut et génère en amont un plan d'eau d'environ 700 mètres de long en régime d'étiage. Sa date exacte de construction est inconnue, mais elle est indiquée sur des cartes de 1896. 

Pour déterminer l'influence du seuil sur la continuité sédimentaire de la rivière, les chercheurs ont suivi l'évolution du stock sédimentaire en amont du seuil de Sainte Eulalie, qui est la principale zone de piégeage. La capacité de piégeage des sédiments du déversoir a été évaluée en analysant les différentiels bathymétriques avant vs après les crues, avec quatre mesures par point pour assurer une marge d'erreur verticale de ± 0,10 m après post-traitement. Trois relevés bathymétriques ont été réalisés pour décrire la mobilité sédimentaire générée lors de crues de trois intensités différentes : débit d'eau instantané de 42 m3.s-1, 57 m3.s-1 et 67 m3.s-1.

Voici le résumé de leur travail :
"Dans les systèmes littoraux et fluviaux en déficit sédimentaire la restauration du transport solide fait aujourd’hui l’objet d’une attention particulière. La suppression d’ouvrages transversaux (seuils, barrages) est parfois préconisée même si l’effet réel   des petits seuils sur le transport de la charge de fond n’est pas démontré dans tous types de contexte. Dans ce cadre, notre étude a pour objectif d’apporter des éléments quantifiés pour (i) documenter l’interruption des transferts sédimentaires grossiers (> sables fins) par un petit seuil sur un système fluvial côtier méditerranéen (le Gapeau), et (ii) discuter la pertinence de sa suppression pour la restauration de la continuité sédimentaire. Ces éléments sont produits partir d’approches croisées de suivis de la dynamique sédimentaire du fond du lit (bathymétrie, traçages sédimentaires, chaines d’érosion et suivis topographiques) et de modélisation de capacités de transport. Nos résultats nous permettent de conclure que le seuil étudié ne semble pas constituer d’entrave physique au transfert de la charge de fond dans la mesure où aucune accrétion nette n’a été observée en amont de l’ouvrage malgré des crues importantes enregistrées durant le suivi. Néanmoins, la mesure indirecte du transport solide montre qu’il n’existe pas ou plus de charriage sur ce cours d’eau qui connait un fort déficit sédimentaire. Ainsi, la suppression de seuil sur le Gapeau serait insuffisante pour atténuer le déficit sédimentaire fluvial et/ou littoral. Il conviendrait plutôt de concentrer la réflexion sur la réalité des entrées sédimentaires et l’efficacité des connexions entre les versants et le chenal."
Les auteurs précisent encore :
"La mesure indirecte du transport sédimentaire a montré que la charge de fond n'est pas (ou plus) transportée le long de la rivière Gapeau (à l'exception d'un peu de transport résiduel de sable et de gravier que nous n'avons pas réussi à quantifier). Le transport sédimentaire mesuré, même lors d'une crue de 5 ans, avait un volume extrêmement faible (456 m3) et était très inférieur à la capacité de transport (20 200 m3). Cette différence indique que la rivière Gapeau présente un important déficit sédimentaire. Nous avons également observé un pavage important du lit de la rivière qui variait de 2,1 à 10,5 en aval de la zone d'étude. Le lit de la rivière Gapeau est ainsi quasi stable lors des crues les plus courantes, et il ne reste qu'une faible coulée sédimentaire composée de sable et de gravier. Ce débit est trop faible pour être détecté par des mesures indirectes de transport sédimentaire, mais nous l'avons détecté lors du suivi de la retenue de Sainte Eulalie.

Des mesures bathymétriques supplémentaires effectuées à l'embouchure de la rivière Gapeau avant et après la crue de décembre 2008 ont indiqué que 1 300 à 1 400 m3 de sédiments (sable moyen à grossier) ont été apportés aux plages (Brunel, 2010; Capanni, 2011). Cependant, ces apports en conditions hydrologiques actives (Q5) ne compensent pas les 2 700 m3.an-1 estimés d'érosion côtière (Capanni, 2011). Ainsi, les apports fluviaux de la rivière Gapeau semblent peu contribuer au trait de côte. Les volumes actuels de sédiments grossiers fluviaux ne sont pas suffisants pour maintenir la rivière en bon état, et le système fluvial du Gapeau présente un déficit sédimentaire sévère malgré la présence du seuil de Sainte Eulalie. Ces éléments soulèvent ainsi des questions sur l'utilité de retirer le seuil pour rétablir la continuité sédimentaire et entretenir le trait de côte. Le déversoir n'entrave pas l'écoulement du sable, dont le volume est beaucoup trop faible pour contrebalancer les déficits côtiers en sable. Sur la base de nos observations du seuil de Sainte Eulalie, nous émettons l'hypothèse que la plupart des autres ouvrages du bassin versant ne gênent pas le transfert sédimentaire soit parce qu'ils sont déjà engorgés soit parce qu'ils n'ont jamais complètement interrompu le transfert sédimentaire. Le seuil de Sainte Eulalie, comme tous les seuils de la rivière Gapeau, était déjà présent dans le « profil des grands efforts hydrauliques » en 1954 (et probablement bien avant). Avant les années 1970, cependant, les données topographiques indiquent qu'aucune incision ou rétraction n'a eu lieu (Capanni, 2011). Les autres ouvrages sont situés en amont dans la zone du bassin versant, dans des contextes aux pentes souvent plus fortes que ceux de Sainte Eulalie, qui est aussi l'ouvrage le plus haut (3,5 m, contre 2,0 m pour les autres). Ainsi, si le seuil de Sainte Eulalie ne stocke pas de charriage, les autres seuils ne le sont probablement pas non plus. Ces observations sont cohérentes avec les résultats de la plupart des études sur l'influence des petites structures sur le transport du charriage dans des contextes géomorphologiquement dynamiques."

Discussion
Le faible effet sédimentaire des petits ouvrages hydrauliques est un trait récurrent des recherches menées sur ce sujet. Dans leur travail, les chercheurs le rappellent : "De nombreuses études ont mis en évidence l'influence des petites structures sur la morphologie des chenaux (Fencl et al., 2015), mais seules quelques études morphologiques se sont concentrées sur l'influence des déversoirs sur la continuité des sédiments grossiers. Les modifications morphologiques qu'entraînent les seuils couvrent souvent une superficie relativement réduite et sont liées soit à un engorgement de l'ouvrage en amont (ex. : sédimentation), soit à une poussée hydraulique en aval (ex. : incision en aval de l'ouvrage, apparition de berges médianes). A ce jour, aucun changement morphologique en aval des seuils n'a été explicitement corrélé au déficit sédimentaire qu'ils ont généré. Les quelques études portant sur l'influence des déversoirs sur la continuité sédimentaire suggèrent qu'ils ne l'influencent pas fortement (Csiki et Rhoad, 2010 ; Pearson et Pizzuto, 2015 ; Peeters et al., 2020 ; Casserly et al., 2021). Les sédiments de charriage peuvent quitter un réservoir lors d'épisodes de débit élevé (Pearson et al., 2011; Casserly et al., 2021) ou après avoir dépassé la capacité de stockage du réservoir (Major et al., 2012). Pearson et Pizzuto (2015) ont suggéré que toutes les fractions granulométriques dans le matériau du lit fourni en amont auraient pu être transportées à travers le réservoir qu'ils ont étudié, le long de la rampe en pente et au-dessus du barrage de 2,5 m, tandis que Peeters et al. (2020) ont observé un transfert sélectif de particules autour de la médiane. Cependant, la réponse des rivières à l'existence à long terme de déversoirs varie considérablement (Csiki et Rhoad, 2010) et dépend principalement des caractéristiques des ouvrages (c'est-à-dire la forme, la hauteur de la crête, la présence ou l'absence de systèmes de vannage), la rivière (c.-à-d. occurrence de grandes crues, taille des sédiments, capacité de l'hydraulique fluviale à transporter les sédiments au-dessus de la crête du déversoir) et les caractéristiques générales du bassin versant (p. ex. densité du déversoir en amont, apport de sédiments disponible) (Pearson et Pizzuto, 2015) . Par conséquent, comprendre l'influence des déversoirs sur les flux de sédiments (et donc la pertinence de les enlever) nécessite une approche de recherche et de gestion différente et plus intégrée que l'approche individualiste qui a été appliquée aux grands barrages (Fencl et al., 2015)."

A rebours du discours public tenu depuis 15 ans pour justifier la destruction des petits ouvrages, ceux-ci ne représentent donc pas a priori un problème grave de transfert sédimentaire. Le même discours public avait déjà menti sur la soi-disant "auto-épuration" des rivières, que les barrages entraveraient alors que l'inverse est vrai (toutes choses égales par ailleurs, une retenue tend à éliminer divers intrants et polluants). La rhétorique est désormais connue : on ne met en avant que des aspects négatifs des ouvrages hydrauliques, quitte à les exagérer voire les inventer dans certains cas, alors que l'on passe sous silence leurs aspects positifs. Cette politique publique partisane et nuisible aux patrimoines des rivières doit cesser.

Référence : Anne-Julia Rollet et al (2022), Is removing weirs always effective at countering the sediment deficit? Case study in a Mediterranean context: the Gapeau River, Géomorphologie : relief, processus, environnement, 28,3, 187-200

30/09/2022

Comment le cycle des sédiments est totalement modifié à l'Anthropocène (Syvitski et al 2022)

A échelle globale, les activités humaines ont augmenté de 215% le flux des sédiments entrant dans les cours d'eau depuis 1950, en même temps qu'elles ont réduit de 49% les sédiments qui arrivent à la mer du fait notamment des extractions de matériaux et de la construction des grands barrages. Des chercheurs proposent aujourd'hui une synthèse de ces données en soulignant combien le cycle des sédiments de l'Anthropocène diffère en ampleur du cycle naturel pré-humain ou pré-industriel. Les grandeurs impliquées rappellent au passage combien les pinaillages des techniciens de rivières sur les minuscules quantités de limon stockées dans les ouvrages anciens de moulins ou étangs sont hors-sol. Il serait bon que les politiques publiques de l'écologie s'appuient sur les vrais ordres de grandeur et non sur des raisonnements déconnectés du schéma d'ensemble. Car à ne pas comprendre les causes et leur poids relatif, on ne maîtrisera pas les effets de nos actions. 

Evolution (mondiale) des flux sédimentaires à l'Anthopocène, art. cit. 

Le cycle sédimentaire est une caractéristique fondamentale du système terrestre : d'un côté il y a formation de montagnes, d'un autre l'érosion physique et chimique par les précipitations, le vivant, les courants, les vagues ou la glace, avec finalement la séquestration des sédiments qui repartent vers le fonds de l'océan. 

Les humains ont collectivement et considérablement modifié les stock et les flux sédimentaires :  gestion des terres cultivées et des pâturages, modification des sols par les bâtis, opérations minières, extraction de sable et de gravier pour les matériaux de construction, etc. Ces activités entraînent des taux d'érosion des sédiments très supérieurs à ceux des cycles naturels pré-humains. L'ingénierie hydraulique a aussi un rôle important: les barrages et leurs réservoirs stockent une fraction substantielle des flux de sédiments, la canalisation des rivières et les transferts entre bassins redirigent de grandes quantités d'eau et de sédiments. Par conséquent, le cycle naturel pré-humain des sédiments est actuellement très altéré, et il est en déséquilibre dynamique.

Jaia Syvitski et ses collègues viennent de publier une estimation du cycle sédimentaire à l'Anthropocène, en prenant comme date de référence 1950, période où l'action humaine s'est accélérée (notamment grâce à la massification de l'usage des énergie fossile dans des machines). Leur chiffrage, dont ils reconnaissent qu'il est une première approximation d'ordre de grandeur, donne une idée de l'ampleur des modifications à l'oeuvre à l'Anthropocène. Le flux massique de sédiments liés aux humains dépasse les 300 milliards de tonnes par an.

Voici les points-clés de leur travail.

"Points clés

• La production de sédiments (approvisionnement) provenant de l'érosion anthropique des sols, des activités de construction, de l'extraction minière, de l'extraction de granulats et de l'extraction de sable et de gravier des côtes et des rivières a augmenté d'environ 467 % entre 1950 et 2010.

• La consommation de sédiments dans l'Anthropocène, y compris la séquestration des réservoirs, le développement des autoroutes, la consommation de charbon et de béton, a augmenté d'environ 2 550 % entre 1950 et 2010.

• Le transport de sédiments de la terre vers l'océan côtier (via les rivières, le vent, l'érosion côtière et la perte de glace) a diminué de 23 % entre 1950 et 2010, tandis que le transport de particules fluviales, y compris le carbone organique, a diminué de 49 % sur la même période. ; les compensations comprennent l'augmentation de l'apport de sédiments par les icebergs et la fonte des glaces.

• S'il n'y avait pas eu séquestration des sédiments derrière les barrages, les rivières mondiales auraient augmenté leurs charges en particules de 212 % entre 1950 et 2010.

• Les impacts de l'anthropocène sur le milieu sédimentaire marin restent mal caractérisés mais, sur la base de la remise en suspension des sédiments des fonds marins issus du chalutage, du dragage et de la poldérisation, le transport anthropique semble avoir augmenté de 780 % entre 1950 et 2010.

• La charge sédimentaire anthropocène de la Terre (apport net de sédiments terre-mer et production de sédiments anthropiques) dépasse 300 milliards de tonnes (Gt) par an, un flux massique qui inclut une faible contribution (<6%) des processus naturels."

Concernant les barrages, les auteurs observent : 

"Les humains ont modifié par inadvertance l'un des plus grands «systèmes» de la Terre, le débit fluvial mondial, qui est essentiel au flux de sédiments continentaux. Aujourd'hui, du fait des retenues artificielles et des déviations, seuls 23 % des fleuves de plus de 1 000 km coulent sans interruption vers l'océan côtier (10,5 % en Europe, 18,7 % en Amérique du Nord)120. Au moins 3 700 grands barrages (≥15 m de hauteur de retenue verticale), qu'ils soient prévus ou en construction, réduiront le nombre de grandes rivières à écoulement libre restantes d'environ 21 % supplémentaires. Plus de 40% du débit fluvial est intercepté par de grands réservoirs. Les grands barrages sont la principale cause de séquestration des sédiments : sur les 58 519 grands barrages recensés, seuls 1,4 % ont été construits avant 1850 (capacité de 6,1 km3) alors que 10 % ont été construits entre 1850 et 1950 (capacité de 685 km3).
 
95,7 % de la capacité totale des réservoirs mondiaux (>15 000 km3) ont été construits après 1950. L'efficacité globale de piégeage des sédiments des réservoirs est passée de 5 % en 1950 à 30 % en 1985. Les grands barrages ont piégé environ 3 200 Gt de sédiments depuis 1950, dont environ 74 % auraient probablement atteint l'océan côtier. La charge particulaire fluviale « potentielle » combine alors les charges fluviales observées avec cette charge potentielle du réservoir, de sorte que la charge fluviale potentielle en 1950 était d'environ 17,8 Gt par an (et proche des taux de fond du Quaternaire) et 55,5 Gt par an en 2010. S'il n'y avait pas de barrages, les sédiments se déverseraient dans les deltas côtiers."

Discussion
On peut débattre du choix de fixer à 1950 la naissance de l'Anthropocène, car en réalité, la recherche scientifique montre que le cycle de l'eau et du sédiment est modifié depuis la sédentarisation néolithique (lire par exemple nos recensions de Brown et al 2018). Ce qui change au fil des générations, c'est d'une part le nombre total d'humains, d'autre part la capacité technologique à manipuler des quantités de matière. La période 1800-présent a montré une accélération de la démographie et de la technologie, donc des évolutions physiques, chimiques et biologiques induites par les humains. Mais en soi, ces évolutions ont commencé au paléolithique et ont connu une première accélération au néolithique, l'enjeu de sédentarité impliquant une croissance de la maîtrise locale des environnements des groupes humains.

La recherche de Syvitski et de ses collègues parle des grands barrages dans l'altération du flux sédimentaire, parce que ces ouvrages qui entravent tout le lit majeur sont conçus pour ne pas être surversés par l'eau, à la différence des petits ouvrages. Il en résulte qu'ils bloquent dans leur réservoir une fraction considérable de la charge solide (sable, gravier, pierres, blocs). L'effet est long à se déployer complètement : les rivières françaises continuent par exemple aujourd'hui de s'ajuster à la politique de construction des grands barrages entre 1850 et 1980, ainsi qu'aux barrages de correction torrentielle qui ont été conçus pour réduire les éboulements rocheux dans les régions montagneuses. Quant aux sédiments qui circulent dans les rivières, ils sont souvent issu de l'érosion de sols agricoles nus en hiver, du ravinement s'exerçant sur des surfaces artificialisées de bassin versants, de nombreux déchets des sociétés industrielles.

Prendre conscience de l'ampleur de ces phénomènes, c'est aussi prendre conscience du simplisme de certaines politiques de continuité écologique sédimentaire. On a vu depuis 15 ans des techniciens de rivières venir discuter avec gravité des niveaux d'envasement ou des déficits granulométriques sur quelques dizaines de mètres autour des moulins, étangs, plans d'eau, usines hydrauliques. Mais faire grand cas de cet épaisseur du trait, sur des systèmes à faible réservoir datant de plusieurs siècles et se réajustant vite à l'équilibre, cela n'a guère de sens par rapport à la réalité des grandeurs physiques impliquées dans le cycle de l'eau et des sédiments à l'Anthropocène. 

Enfin, ce travail aide aussi à comprendre pourquoi les politiques de "renaturation" relèvent souvent de l'imagerie de carte postale et du slogan technocratique : l'évolution des derniers siècles ne permet pas de laisser penser que l'on pourrait restaurer une nature antérieure par quelques interventions impressionnistes sur le paysage. Les changements des cycles des sédiments, de l'eau, du carbone, de l'azote, du phosphore, de la biomasse continentale et de bien d'autres sont profonds. 

Référence : Syvitski J et al (2022), Earth’s sediment cycle during the Anthropocene, Nature Reviews Earth & Environment, 3, 3, 179-196.

17/09/2021

Les petits ouvrages hydrauliques n'entravent pas la continuité sédimentaire (Colm et al 2021)

Les seuils, déversoirs, chaussées et autres petits ouvrages de rivières affectent-ils le transport des sédiments? Pas vraiment, répond une nouvelle étude de chercheurs européens ayant mesuré le transport réel des matériaux grossiers du lit de la rivière au-dessus d'un ouvrage à différents débits. Ce travail confirme d'autres analyses qui invalident l'idée d'une discontinuité sédimentaire notable liée aux petits barrages. Les scientifiques confirment ainsi ce que disaient les riverains de longue date : les sédiments de toute taille se retrouvent à l'amont comme à l'aval des ouvrages de moulins, étangs et autres sites modestes, les crues les plus importantes donnant lieu à des déplacements de matériaux grossiers au-dessus des crêtes, ou par voie latérale parfois. Dommage qu'en la matière, la France et l'Europe prennent des règlementations avant, et non après, le travail complet des scientifiques...


Casserly M. Colm et ses collègues ont étudié un déversoir situé sur une section de la rivière Boro, un cours d'eau de troisième ordre de Strahler à lit grossier, affluent de la rivière Slaney, dans le sud-est de l'Irlande. S'élevant au pied de la montagne Blackstairs dans le comté de Wexford, le Boro draine une superficie de 8,2 km2 au niveau du déversoir d'étude. L'ouvrage a une hauteur de 1,3 m, cf photo ci-dessus.

Voici le résumé de travaux exposant la méthodologie et les principales conclusions :

"Le transport de sédiments grossiers dans les systèmes fluviaux joue un rôle important dans la détermination de l'habitat physique dans les cours d'eau, du potentiel de frai et de la structure de la communauté benthique. Cependant, malgré plus d'une décennie de pression en Europe pour rétablir la continuité des cours d'eau en vertu de la directive-cadre sur l'eau (DCE), il y a eu relativement peu d'études empiriques sur la façon dont les structures au fil de l'eau de basse chute (les déversoirs) perturbent le processus et dynamique du transport de charriage. 

Dans cette étude, nous présentons une enquête sur la façon dont les sédiments grossiers sont transférés à travers un barrage à basse chute via la surveillance en temps réel du transport de charriage sur un déversoir dans le sud-est de l'Irlande. Les valeurs de débit critiques pour l'entraînement des particules sur la structure ont été dérivées de l'utilisation novatrice d'une antenne RFID fixe, associée à un enregistrement continu des niveaux d'eau et des sédiments capturés en aval à l'aide de pièges à sédiments de type fosse. L'antenne RFID fixe a été installée le long d'une crête de déversoir en utilisant à la fois des configurations "dessous" et "dessus" comme moyen de détecter le moment où les traceurs de charriage se sont déplacés au-dessus de la crête du barrage. 

Les résultats montrent que 10 % des traceurs déployés en amont ont été détectés passant par-dessus le seuil, tandis que 15 % supplémentaires non détectés ont été récupérés en aval. ces résultats indiquent que des matériaux de charriage en amont  aussi gros que le D70 (90 mm) peuvent se déplacer sur la structure lors de crues peu fréquentes. Cependant, des recherches approfondies de la zone ensemencée en amont du barrage suggèrent également que jusqu'à 43 % du nombre total peuvent être passés en aval, ce qui indique que les traceurs se sont déplacés sur le déversoir après que l'antenne a été endommagée lors d'un événement de fort débit, ou ont été manqué en raison de la vitesse des particules ou de la collision du signal. De plus, 30 des traceurs restés en amont se sont avérés soit avoir été enfouis en raison de l'afflux ultérieur de sédiments entrant dans le réservoir, soit avoir été remobilisés à travers le matériau de surface. Les valeurs de débit critiques indiquent des modèles de transport sélectifs par taille ainsi qu'une forte corrélation entre le débit de pointe de l'événement et la charge de fond totale capturée en aval. 

Ces résultats fournissent davantage de preuves que les structures à faible chute peuvent éventuellement adopter une morphologie qui permet le stockage intermittent et l'exportation ultérieure de la charge de fond d'un chenal en aval, comme l'ont supposé d'autres auteurs. Sur la base de ces résultats et de ceux d'autres études de terrain récentes, nous présentons un ensemble de modèles schématiques possibles qui offrent une base pour comprendre les façons uniques dont les barrages de basse chute peuvent continuer à perturber le transport des sédiments longtemps après avoir atteint leur capacité de stockage fonctionnelle. Les limites de l'utilisation d'une antenne RFID stationnaire et les recommandations possibles pour de futures études sont discutées."

Ce graphique montre la relation observée entre le diamètre des sédiments (abscisses) et le débit critique de transport pour passer au-dessus du seuil (ordonnées).


Discussion
Des études récentes ont fourni des preuves directes que les ouvrages à faible chute n'agissent pas comme des barrières complètes au transport de sédiments grossiers, des fractions granulométriques jusqu'à la médiane pouvant être transportées en aval (Casserly et al 2020; Peeters et al 2020; Magilligan et al 2021). Il y a donc eu, en ce domaine comme en bien d'autres, un abus de certains gestionnaires des rivières ayant prétendu que les ouvrages présentaient de graves problèmes pour l'équilibre sédimentaire des rivières. 

La continuité sédimentaire peut être un sujet pour des fleuves fragmentés par de grands barrages infranchissables et à forts volumes de réservoir, mais ce n'en est pas un pour les moulins, étangs, plans d'eau et autres ouvrages modestes. Dans ce dernier cas, les périodes de haut débit conservent au cours de l'année une capacité de transport sédimentaire vers l'aval. Il faut donc cesser d'inventer des problèmes là où ils sont inexistants.

Référence : Colm M.  et al (2021), Coarse sediment dynamics and low-head dams: Monitoring instantaneous bedload transport using a stationary RFID antenna, Journal of Environmental Management, 300, 113671

14/09/2020

Pas d'effet sédimentaire notable après la suppression de petits barrages (Collins et al 2020)

Une recherche scientifique a analysé l'effet de la suppression de deux barrages dans un contexte géomorphologique de faible rétention de sédiments de leur retenue. Sans surprise, elle conclut que l'effet local est négligeable. Ces scientifiques alertent sur le fait que les gestionnaires doivent aussi connaître et prendre en compte les résultats négatifs, car tous les chantiers n'ont pas les effets attendus sur des grands barrages à fort volume de retenue (sur lesquels la science s'est largement concentrée depuis 30 ans). Les ouvrages ici étudiés faisaient tout de même 6 et 10 m de haut. Que dire de ceux qui prétendent en France que la suppression de chaussées de moulin de 1 m ou 2 m de hauteur représenterait un enjeu majeur au plan sédimentaire? 


La zone étudiée par Collins et al 2020, art cit.


De nombreuses études physiques sur les effacements de barrages ont ciblé des sites stockant des quantités appréciables de sédiments, en particulier les grands barrages de plus de 10 mètres de haut qui occupent l'essentiel de la littérature scientifique sur la question.

Comme le font remarquer Mathias J. Collins (NOAA), Alice R. Kelley (Université du Maine) et Pamela J. Lombard (US Geological Survey), "ces emplacements ont été choisis parce qu'il y a un grand intérêt pour la façon dont les chenaux réagissent aux rejets massifs de sédiments. Notre site d'étude était inhabituel car il se concentrait sur deux barrages relativement grands (6 et 10 m de haut), les plus bas de la rivière Penobscot, dans le Maine, qui stockaient très peu de sédiments."

Voici le résumé de leur travail :

"La plupart des études géomorphologiques des prélèvements de barrages se sont concentrées sur des sites contenant des quantités appréciables de sédiments stockés. Les réactions des chenaux aux rejets de sédiments suscitent un grand intérêt en raison des effets potentiels sur les habitats aquatiques et riverains, et sur les utilisations humaines de ces zones. Pourtant, derrière de nombreux barrages dans le nord-est des États-Unis et dans d'autres régions du monde, seules des accumulations mineures de sédiments sont présentes en raison de petits bassins de retenue, de la conception et de la gestion des barrages au fil de l'eau (entrant ≈ sortant), du faible rendement en sédiments du bassin versant et / ou des lits du chenal dominés par des sédiments grossiers et / ou du substrat rocheux. 

Les deux barrages les plus en aval de la rivière Penobscot dans le Maine, aux États-Unis, supprimés en 2012-2013, illustrent ces conditions. Les barrages Great Works et Veazie mesuraient respectivement environ 6 et 10 m de haut. Les levés géophysiques préalables au projet ont montré que des substrats grossiers dominaient les lits des réservoirs et que peu de sédiments étaient stockés dans l'un ou l'autre des bassins - fonctions de la géologie du tronçon, de l'histoire du Quaternaire tardif et des barrages en amont. Des relevés transversaux répétés dans chaque bassin, ainsi que dans les tronçons amont et aval, ont été effectués de 2009 à 2015 pour évaluer les réponses morphologiques des chenaux aux prélèvements. La granulométrie et la turbidité du lit-sédiment ont également été mesurées pour caractériser les changements de texture du lit et des sédiments en suspension. 

Les comparaisons de l'enquête avant et après le retrait ont confirmé l'hypothèse que les élévations du lit, la forme des chenaux et les positions de ces chenaux ne changeraient pas substantiellement. Les changements étaient souvent à l'intérieur ou à proximité de notre estimation mesurée d'erreur  aléatoire. Notre étude montre que les changements physiques à grande échelle seront probablement minimes lorsque des barrages contenant relativement peu de sédiments sont retirés des lits de cours d'eau résistants à l'érosion. De nombreux barrages éligibles à l'enlèvement présentent ces caractéristiques, ce qui fait de ces observations une étude de cas importante qui n'est en grande partie pas représentée dans la littérature sur l'effacement des barrages."

Les auteurs soulignent notamment dans le texte un problème connu de la littérature scientifique, la non-publication des résultats négatifs, qui a pour effet d'induire en erreur les praticiens d'un domaine :

"Il est utile de rapporter les résultats sans changement, en particulier dans la science de l'effacement des barrages où les résultats peuvent éclairer la pratique. Les résultats de l'absence de changement sont rarement documentés dans la littérature sur la suppression des barrages, et en fait, de nombreuses études se déroulent sur des sites où des changements sont probables ou attendus, en particulier pour les variables de réponse physique (Bellmore et al 2017; Duda et al 2020). Ainsi, la littérature disponible pour informer les praticiens et les parties prenantes locales peut être biaisée pour suggérer qu'ils devraient s'attendre à des changements lorsque, dans de nombreux cas, ces changements sont peu probables. Que les études d'effacement de barrage ne soient pas représentatives des projets d'effacement à d'autres égards, comme la hauteur des barrages et le cadre géographique, aggrave le problème (Bellmore et al 2017)."

Discussion

La question des discontinuités en long de la rivière se posait déjà à certains gestionnaires à la fin du 19e siècle, mais elle a pris sa réelle ampleur avec la période de construction des grands barrages qui a culminé dans le monde occidental entre 1910 et 1980 (tout en continuant aujourd'hui dans les pays en développement). Par leur blocage complet du lit majeur même en crue et par le volume de stockage dans le réservoir, ces barrages étaient différents des ouvrages plus modestes qui les ont précédés. 

Notre association a toujours fait observer aux gestionnaires publics des rivières en France que leur littérature de référence concernait ces grands ouvrages, et non les chaussées, seuils et petits barrages souvent anciens formant le principal terrain d'effacement, de sorte que les conclusions souvent avancées sur l'impact sédimentaire étaient déplacées. Par définition, un ouvrage qui peut seulement stocker quelques centaines de mètres cubes, qui est surversé et contourné lors des crues morphogènes, qui est présent depuis des siècles et parfois largement comblé dans sa retenue a peu de chance d'avoir un effet très notable sur le bilan sédimentaire du bassin. Une récente étude sur les moulins a confirmé ce point, en soulignant que leur impact sédimentaire a été surestimé (Peeters et al 2020). Inversement, la possibilité qu'il existe des polluants persistants dans des retenues est peu analysée avant la remobilisation des sédiments (Howard et al 2017). Tout cela nourrit l'idée que l'on produit une expertise ad hoc dans les chantiers d'effacement en France, expertise qui exagère les issues positives mais minimise ou écarte les conséquences négatives. Ce n'est pas ainsi que pourra s'installer la confiance dans les choix de gestion des rivières. 

Nous observons hélas! qu'un trop grand nombre de techniciens de rivière voire de bureaux d'études reprennent de manière a-critique l'idée d'un impact sédimentaire important des petits ouvrages et donc d'un gain écologique sur ce compartiment, qui justifierait la dépense publique d'intervention sur les ouvrages et en particulier les coûts d'opportunité des effacements, au lieu de dédier ces ouvrages à des usages utiles pour la société et le vivant. Il faut souhaiter que l'expertise scientifique publique en écologie aquatique, chargée de fonder les politiques sur des preuves convaincantes et de prioriser les enjeux d'intervention sur des bases transparentes, se montre désormais plus précise sur ces sujets. 

Référence : Collins MJ et al (2020), River channel response to dam removals on the lower Penobscot River, Maine, United States, River Research and Applications, e pub, DOI : 10.1002/rra.3700

A lire en complément

L'impact sédimentaire des moulins et petits ouvrages anciens de rivière a été surestimé (Peeters et al 2020)

L'impact sédimentaire de retenues de moulins disparaît rapidement à l'aval (Foster et al 2019)

Héritage sédimentaire: analyser les sédiments des retenues de moulin avant intervention (Howard et al 2017)

06/06/2020

L'impact sédimentaire des moulins et petits ouvrages anciens de rivière a été surestimé (Peeters et al 2020)

Une équipe franco-belge de chercheurs a étudié l'impact sédimentaire des déversoirs anciens sur une petite rivière de Wallonie, le Bocq. Pas moins de 74 ouvrages sont présents sur la rivière, les plus anciens datant du 14e siècle. L'analyse montre que l'impact des déversoirs est très limité spatialement, volumétriquement et en nature des sédiments concernés. Le vieillissement des structures tend à restaurer des transits complets. Ce résultat n'est en rien une surprise pour les riverains de ces ouvrages, qui constatent au fil des crues que le transit des sédiments n'y est pas bloqué. C'est une contradiction scientifique supplémentaire des dogmes de l'administration française sur le soi-disant impact grave des moulins et étangs de nos bassins versants.


Les études sur les grands barrages ont montré que ceux-ci modifient la morphologie de la rivière, notament en retenant des grands volumes de sédiments de toutes dimensions (des vases aux blocs rocheux) dans leurs réservoirs. Mais ces barrages ont des propriétés spécifiques : haute dimension, grand volume de retenue, ancrage sur toute la largeur du lit majeur. Qu'en est-il est des petits ouvrages (moulins, étangs, seuils anti-affouillement) qui sont bien plus nombreux sur les rivières?

Pour le savoir, Alexandre Peeters et ses collègues (université de Paris-CNRS et de Liège UR SPHERES) ont étudié une petite rivière de Wallonie (Belgique), le Bocq. Sa pente est de 2% en moyenne, sa puissance de 30 W/m2. Les ouvrages de cette rivière, dont certains datant du 14e siècle, sont caractéristiques des sites anciens que l'on trouve sur les cours d'eau européens (cf image ci-dessus, extrait de Peeters et al 2020 art cit).  La hauteur des ouvrages va de 40 à 230 cm. Les vannes, quand elles sont présentes, ne sont pas souvent manoeuvrées en raison de l'absence d'usage. Certaines ont disparu.

Voici le résumé de leur travail :

"La restauration du transfert actif de la charge de fond dans les rivières touchées par l'homme a reçu une attention croissante ces dernières années, notamment en réponse à la directive-cadre européenne sur l'eau (DCE), qui exige que la continuité des rivières ne soit pas perturbée par des caractéristiques anthropiques telles que les barrages ou les déversoirs. 

La rivière Bocq (233 km2), un cours d'eau à gradient modéré en Wallonie, en Belgique, possède une ressource hydraulique qui était auparavant largement exploitée avec 74 déversoirs (jusqu'à 2,3 m de haut) sur 43 km. Nous avons examiné les effets de sept anciens déversoirs abandonnés sur le transport de la charge de fond pour trois types de déversoirs différents (définis par la présence et la position du système d'écluse). 

Premièrement, les estimations de volume de la charge de lit stockée dans les réservoirs indiquent que, malgré leur vieillesse, les réservoirs n'étaient pas complètement remplis (entre 25 et 50% remplis par rapport à la capacité volumique du réservoir) et n'ont pas beaucoup évolué depuis 1989-1990. Deuxièmement, l'analyse de la granulométrie du matériau du lit en amont, en aval et à l'intérieur des réservoirs, et les mesures directes du transport des sédiments (particules de scories et cailloux marqués PIT) ont démontré que la charge de fond continue d'être transportée hors du réservoir, même si le piégeage sélectif d’éléments plus grossiers a été observée à l’intérieur du réservoir. Des particules dans la plage de la médiane peuvent passer sur la crête des déversoirs, mais les éléments les plus grossiers ont tendance à rester dans les réservoirs. Cet effet de piégeage est atténué lorsque le déversoir a des vannes de chasse ouvertes ou effondrées qui facilitent le transfert de la charge de fond. Cela indique que les déversoirs agissent comme des barrières qui laissent passer la charge de fond, bien que le cadre géomorphologique individuel joue un rôle principal dans la détermination de la continuité locale des sédiments. 

Ces résultats suggèrent que la connectivité de la rivière est moins affectée qu'on ne le pensait initialement et qu'elle est susceptible d'augmenter au fil du temps à mesure que les vieux déversoirs tombent progressivement en ruine. Cela doit être reconnu lors de la planification des projets d'élimination des obstacles."

Dans leur travail, les auteurs détaillent :

"Les vieux déversoirs abandonnés dans cette étude n'agissent pas complètement comme des pièges à sédiments, et une grande partie de l'approvisionnement grossier en charge de fond peut passer à travers les déversoirs et continuer à être transportée hors du réservoir. Cela a été démontré en estimant les volumes de sédiments stockés dans sept réservoirs, qui n'étaient pas complètement remplis (entre 25 et 50% par rapport à la capacité volumique du réservoir). Ce volume n'a pas beaucoup évolué depuis 1989-1990 pour les trois déversoirs étudiés en détail. De plus, l'analyse de la granulométrie du matériau du lit et l'évaluation des concentrations de particules de scories menées en amont et en aval des réservoirs suggèrent que la charge du lit continue d'être transportée hors du réservoir, à l'exception des clastes plus grossiers piégés dans la partie centrale du réservoir. La partie en aval des réservoirs présentait une rampe à sédiments en pente douce qui facilitait le passage de sédiments de fond de lit plus fins sur la crête du déversoir."

Les chercheurs concluent : "sur 74 déversoirs présents le long du cours de 43 km de la rivière Bocq, seuls 34 d'entre eux représentent encore un obstacle potentiel à la continuité de la charge de fond. Nos résultats indiquent que ces 34 barrières potentielles ne perturbent pas complètement le transfert de la charge de lit. À tout le moins, ils l'empêchent partiellement en raison d'un ralentissement du transport de la charge de lit et d'un piégeage sélectif des éléments les plus grossiers. Par conséquent, l'évaluation de l'effet cumulatif des déversoirs sur la connectivité des rivières à plus grande échelle est une tâche complexe."

Discussion
Les résultats d'Alexandre Peeters et des co-auteurs ne sont pas une surprise pour les riverains des moulins et autres petits ouvrages hydrauliques des rivières. L'examen visuel de ces ouvrages montre que les variations sédimentaires sont très localisées et que les lits aval de la rivière ne sont pas dénués de charge de fond à diverses granulométries. En période de crue, ces ouvrages sont en général noyés et contournés par le flux liquide portant cette charge solide. Leurs réservoirs, de volume modeste, ne sont que partiellement remplis. L'ensemble de ces caractéristiques ne suggère en rien une altération grave des fonctionnalités physiques de la rivière. Par ailleurs outre le diagnostic de site, ce sont les pratiques sur les bassins versants qui changent aussi la charge et la nature des sédiments venant à la rivière. Des reprises forestières ou au contraire des artificialisations (constructions, cultures) vont modifier le flux des sédiments, à diverses échelles de temps, ce qui suppose une étude dynamique et historique du bassin versant (voir le texte de Jean-Paul Bravard, spécialiste de cette question).

Les conclusions de cette recherche sont évidemment très éloignées de la tentative de diabolisation des petits ouvrages hydrauliques par l'administration française et par certains lobbies. On a dit aux élus et aux riverains que ces ouvrages avaient des impacts graves sans jamais mesurer (sauf exception) la réalité sédimentaire et sans relativiser sa portée. Encore moins en s'interrogeant sur les finalités de l'action publique, les métriques superficielles et jargons autoréférents d'une certaine écologie d'Etat remplaçant le débat démocratique sur ce que les riverains attendent finalement d'un cours d'eau. Sortons au plus vite de ces errements, qui mènent à dépenser de l'argent public sur des enjeux écologiques mineurs ou inexistants, mais aussi à détruire un patrimoine d'intérêt pour beaucoup.

Référence : Peeters A et al (2020), Can coarse bedload pass through weirs?, Geomorphology, 359, 107131

A lire également :

03/12/2019

Comment les humains accélèrent l'érosion et le transfert des sédiments depuis 4000 ans (Jenny et al 2019)

Une équipe de chercheurs internationaux de l'Inra et l'Institut Max Planck ont analysé les changements dans l'érosion des sols à travers des dépôts de sédiments lacustres dans plus de 600 lacs à travers le monde. Ils ont montré que l'accumulation des sédiments a ponctuellement augmenté de manière significative voici déjà 4000 ans. A cette même période, le couvert forestier a diminué. Les changements des taux d'accumulation de sédiments au niveau régional sont corrélés aux développements socio-économiques et à l'implantation des populations humaines dans l'histoire, altérant peu à peu les écosystèmes terrestres et aquatiques. Cela pose question sur les effets des évolutions encore plus rapides des usages des sols de nombreux bassins versants depuis un siècle, suggérant que les hydrosystèmes tels que nous les observons sont en phase de réponse dynamique à ces impacts. 


(Extrait de Jenny et al 2019, art cit)

Au cours du Holocène (période naissant à la fin de la dernière glaciation), les modifications anthropiques des bassins versants, comme le défrichement et le brûlis de la végétation, l'expansion agricole et urbaine, ont entraîné des fluctuations rapides des taux d'érosion des sols. On estime que cela a pu accélérer l'érosion de 10 à 100 fois dans certaines régions. Mais il est encore difficile de savoir à quel moment une partie importante de la surface de la Terre est passée des taux d’érosion des sols par cause climatique à des taux dominés par des causes anthropiques.

Jean-Philippe Jenny (Centre alpin de recherche sur les réseaux trophiques et les écosystèmes limniques) et 11 collègues viennent de publier dans la revue PNAS une compilation remarquable d'analyse de sédiments lacustres à travers le monde pour comprendre cette dynamique à long terme des transferts de sédiments (illustration ci-dessus : les sites étudiés).

Voici le résumé de leur recherche :

"L'érosion accélérée des sols est devenue une caractéristique omniprésente dans les paysages du monde entier et il est reconnu qu'elle a des implications importantes pour la productivité des terres, la qualité de l'eau en aval et les cycles biogéochimiques. Cependant, la rareté des synthèses globales prenant en compte les processus à long terme a limité notre compréhension de la période, de l'amplitude et de l'étendue de l'érosion des sols sur des échelles de temps millénaires. Dès lors, nous ne sommes pas en mesure de prédire les réactions de l'érosion des sols aux changements du climat et de la couverture des sols à long terme. 

Ici, nous reconstruisons les taux de sédimentation pour 632 lacs sur la base de chronologies contraintes par 3 980 datations au carbone 14 calibrées afin d'évaluer les changements relatifs des taux d'érosion des bassins versants au cours des 12 000 dernières années. La dynamique estimée de l'érosion du sol a ensuite été complétée par des reconstitutions de la couverture terrestre déduites de 43 669 échantillons de pollen et par des séries chronologiques sur le climat issues du modèle de système terrestre de l'Institut Max Planck. 

Nos résultats montrent qu’une partie importante de la surface de la Terre a déjà bifurqué vers un taux d’érosion des sols provoqué par l’homme voici 4 000 ans. En particulier, les taux inférés d’érosion des sols ont augmenté dans 35% des bassins versants, et la plupart de ces sites ont montré une diminution de la proportion de pollen arboricole, ce qui serait attendu avec un défrichement. Une analyse plus approfondie a révélé que le changement de couverture terrestre était le principal facteur d'érosion présumée des sols dans 70% des bassins versants étudiés. Cette étude suggère que l'érosion des sols altère les écosystèmes terrestres et aquatiques depuis des millénaires, entraînant des pertes de carbone (C) qui auraient pu induire des rétroactions sur le système climatique".

En conclusion de la recherche, les auteurs précisent :

"Ces résultats suggèrent que l'abondance des arbres dans les bassins versants était le principal facteur expliquant les variations temporelles de l'érosion des sols, la déforestation anthropique expliquant l'accélération de l'érosion au cours des derniers millénaires. Nos résultats mettent en évidence l’importance de la grande échelle (en termes de distribution des données lacustres au niveau mondial, mais pas en termes de superficie totale contributive) et des processus à long terme sur l’érosion des sols déduits des taux d'accumulation sédimentaire, et la manière dont les activités humaines ont commencé à agir sur ces processus beaucoup plus tôt que d’autres signatures de l’Anthropocène à l’échelle mondiale, par exemple, l’appropriation humaine du cycle de l’azote depuis 1860. Cette analyse à l'échelle mondiale des archives paléolimnologiques ajoute aux preuves croissantes que les humains augmentent simultanément le transport fluvial de sédiments par l'érosion des sols et réduisent ce flux vers la zone côtière grâce à la rétention des sédiments dans les réservoirs."

Discussion
Beaucoup d'auteurs proposent de nommer notre époque Anthropocène, en raison de l'influence humaine prépondérante sur la planète, et de dater le début de cette époque à la révolution industrielle. Mais d'autres travaux dessinent un portrait plus graduel de cette influence humaine, avec de notables changements perceptibles dès la croissance démographique ayant accompagné la sédentarisation néolithique. Au point que l'Anthropocène pourrait peut-être se confondre avec l'ensemble du Holocène...

Dans une conférence donnée à notre association, Jean-Paul Bravard avait exposé combien la dynamique géo- et hydromorphologique des bassins versants doit s'interpréter sur le temps long, car des impacts croisés à plusieurs échelles spatiales et temporelles s'observent dans ces bassins. Ces travaux en sont une illustration, et ils rejoignent d'autres recherches ayant analysé sur le long terme la morphologie de bassins versants (par exemple Lespez 2015, Verstraeten et al 2017, Brown et al 2018).

Une chose paraît sûre : quand la politique publique de l'eau en France parle de la "circulation des sédiments", elle renvoie à une réalité qui est très modifiée par l'humain, pas seulement à travers l'obstacle à la circulation de ces sédiments (qui focalise l'attention et l'action), mais déjà à travers les sources de ces sédiments dans les bassins versants. Au regard des évolutions agricoles et urbaines accélérées depuis 100 ans, il paraît difficile de mener une gestion sédimentaire de bassin sans analyser les dynamiques des usages des sols et de leurs effets.

Référence : Jenny JP et al (2019), Human and climate global-scale imprint on sediment transfer during the Holocene, PNAS, 116,46,22972-2297.

14/10/2019

L'impact sédimentaire de retenues de moulins disparaît rapidement à l'aval (Foster et al 2019)

Des chercheurs anglais analysent l'évolution historique et le comportement actuel des sédiments au droit de quatre retenues dans des petites rivières du Sussex, certaines étant historiquement associées à des moulins à farine et à fer. Ils montrent que si les retenues limitent la continuité sédimentaire, elles perdent leur pouvoir de piégeage dans le temps. Et les rivières retrouvent de toute façon leur composition en sable dans les quelques centaines de mètres à l'aval des ouvrages. La perturbation reste donc assez négligeable – à supposer que l'existence d'un habitat lentique à fond limoneux soit vue comme une perturbation d'un état antérieur souhaitable et non comme la création d'un nouveau milieu à part entière ayant ses caractéristiques propres. 


L'étude porte sur le bassin versant du fleuve Rother (350 km2) se jetant dans la Manche (entre Kent et Sussex), plus précisément deux sous-bassins versants du Hammer (25 km2) et du Lod (54 km2). Le dénivelé de l’ensemble du bassin va de 240 m à 0,4 m au-dessus du niveau de la mer. Les précipitations annuelles moyennes (1881-2016) sont de 863 mm, les plus fortes pluies mensuelles étant enregistrées en décembre (102 mm) et en novembre (100 mm). L’usage des sols dans l’ensemble du Rother a connu une diminution des prairies et une augmentation des terres arables depuis le début des années 1930. Les deux sous-bassins concernés par l'étude ont nettement plus de terres boisées et moins de terres arables et de prairies que le bassin du Rother dans son ensemble.

Les chercheurs analysent des données pour les deux affluents où des petites retenues d’âge médiéval et d'autres plus récentes existent. Les anciens réservoirs, appelés localement "étangs", ont été construits soit pour moudre la farine, soit pour concasser avec des marteaux le minerai destiné à l'industrie du fer. Les taux de sédimentation depuis un siècle dans ces quatre retenues sont analysés (carotte analysée au Cs137), puis une des retenues est étudiée pour explorer son impact sur les caractéristiques de la taille des particules stockées et en aval. L'analyse paléo-environnementale permet notamment de corréler le piégeage de sédiments à l'intensité des pluies et de l'écoulement.

Premier enseignement : les plans d'eau retiennent une partie de la fraction grossière (sable), même si cette efficacité diminue dans le temps.
"Il est clair que ces petits étangs perturbent la connectivité longitudinale dans les corridors fluviaux, mais leur effet diminue à mesure qu’ils diminuent en profondeur et réduisent l’efficacité de leur rétention. Cependant, même avec des rendements de rétention considérablement réduits, les sédiments les plus grossiers (sable fin) restent dans le bassin ou peuvent même s'y déposer, et ne sont pas acheminés vers le cours d'eau récepteur en aval. Les sédiments immédiatement en aval sont dominés par la fraction fine de limon et d'argile qui n'est pas retenue dans l'étang."
Deuxième enseignement : la connectivité varie selon le débit de pluie et d'amenée dans les retenues.
"La connectivité dépend non seulement de la taille des particules, mais également de l'ampleur du ruissellement qui transporte les sédiments vers les étangs, comme en témoigne la répartition granulométrique de ce qui a été piégé dans le passé".
Troisième enseignement : si l'aval immédiat de la retenue reçoit davantage de limons, la granulométrie de la rivière se reconstitue par d'autres apports grossiers dans les centaines de mètres qui suivent.
"Les différences de granulométrie entre les échantillons en exutoire et ceux plus en en aval montrent que les rivières peuvent reconstituer leur apport en sédiments sur une distance longitudinale relativement courte, probablement à partir d'emplacements proches"
L'impact des ouvrages sur les sédiments est donc contexte-dépendant, tout comme celui sur le vivant: seules des analyses par bassin versant et par ouvrage permettent de mesurer les enjeux.

Référence : Foster IDL et al (2019), A palaeoenvironmental study of particle size‐specific connectivity—New insights and implications from the West Sussex Rother Catchment, United Kingdom, River Research and Applications, doi: 10.1002/rra.3477

Illustration : paysage à l'aval d'une chaussée de moulin dans le bassin du Rother (Lurgashall), travail de Chris Gunns, CC BY-SA 2.0

08/10/2019

Supprimer les ouvrages des moulins à eau incise les rivières et assèche leurs lits majeurs (Maaß et Schüttrumpf 2019)

Deux chercheurs de l'université d'Aix-la-Chapelle montrent que l'implantation millénaire des moulins à eau a modifié progressivement la morphologie des lits mineurs et majeurs des rivières de plaine d'Europe occidentale. Dans ce type de cours d'eau, la suppression des ouvrages de moulin (chaussées, écluses, déversoirs) conduit à des incisions de lit mineur, à des moindres débordements en lit majeur d'inondation (donc des assèchements), à des transferts de sédiments plus fins (plutôt jugés néfastes en colmatage de fond). Ce n'est pas du tout la promesse des gestionnaires publics de rivière en France, qui ont lancé une politique de continuité dite "écologique" sans réelle réflexion sur chaque bassin concerné, et sans anticipation des effets cumulés des choix opérés sur chaque site. Sortons de cette précipitation peu informée et prenons le temps de réfléchir au sens de nos interventions sur les rivières. A l'heure où l'on parle de "prioriser" les cours d'eau à traiter pour la continuité en long, on attend la mobilisation de telles informations scientifiques, et non pas de nouvelles approximations bureaucratiques. 


Un des hydrosystèmes témoins qui a été examiné en support de la modélisation du bassin, site de Volmolen, extrait de Maaß et Schüttrumpf 20019, art cit

Comment le paysage des bassins versants a-t-il été modifié dans l'histoire et quels seront les effets de nos choix actuels d'aménagement, en particulier les options de destructions d'ouvrages en lit mineur (chaussées, déversoirs, petits barrages)?

Anna-Lisa Maaß et Holger Schüttrumpf (université d'Aix-la-Chapelle) ont étudié deux petites rivières, leurs berges, leurs ouvrages et leurs lits majeurs en Europe occidentale: l'une est toujours affectée par des moulins à eau (rivière Geul, sud du Limbourg, Pays-Bas, 57 km, bassin versant 380 km2, débit à la confluence 3,4 m3/s) et l'autre est un cas témoin post-moulin à eau (rivière Wurm, embranchement du Bas-Rhin, Allemagne, 57,9 km, bassin versant 356 km2, débit à la confluence 4 m3/s). La rivière Geul dispose de 19 moulins dont 7 encore en activité permanente ou partielle. La rivière Wurm disposait historiquement d'environ 60 moulins, mais tous ont fini par disparaître pour différents motifs.

La méthode utilisée est la suivante : "Les effets d'un système rivière-moulin sont analysés à l'aide d'équations physiques des effets de remous et de la mobilité des sédiments, associées à des mesures sur le terrain de la pente du chenal et du développement du lit majeur inondable antérieur et postérieur aux moulins à eau, dans deux bassins de plaine très similaires. La morphologie avant la construction du moulin à eau est reconstruite en analysant une couche de lit de gravier visible sur la rive de la rivière Wurm (Allemagne), qui représente le lit historique  pré-moulin (Buchty-Lemke et Lehmkuhl 2018). L'accrétion dans le lit majeur de la rivière Geul (Pays-Bas) est déterminée à l'aide de tapis de pièges à sédiments. La similitude de deux cours d'eau à lit méandré de graviers et lits majeurs limoneux permet d'étudier l'effet des sites en fonctionnement et l'effet de leur suppression, ce qui autorise un degré de contrôle n'étant généralement utilisé que dans les modèles expérimentaux ou numériques." Les chercheurs ajoutent un certain nombre de paramétrages (part du débit dans le chenal principal et les biefs, état d'équilibre morphologique présupposé de la rivière avant la construction des moulins).

Voici leurs principales conclusions
"Les lits majeurs autour des zones de retenue de l'eau sont plus souvent inondées pendant la période d'activité des moulins que ceux précédant leur construction  en raison des niveaux d'eau plus élevés de la retenue au déversoir, ce qui entraîne une sédimentation relativement élevée dans les plaines inondables. Après l'élimination des moulins, les niveaux d'eau ne sont plus surélevés.Dans les chenaux, le débit ralenti en amont des seuils des moulins entraîne le dépôt de sédiments dans la zone de retenue.
La période entre la construction et la destruction des moulins a été si longue que les taux d’inondation du lit majeur et, par conséquent, la sédimentation de ce lit majeur ont diminué en raison de l’augmentation de la hauteur des rives.
Après la destruction des moulins, le flux ne pénètre plus dans le canal usinier, ce qui entraîne une incision dans le fond de la vallée, plus profonde que le dépôt formé pendant la période d'activité des moulins.
La réponse morphologique était si hystérétique que les effets des moulins sont toujours présents dans les systèmes fluviaux d’aujourd’hui.
La comparaison avec d'autres études a montré que les résultats des deux cours d'eau analysés dans la présente étude s'appliquent à de nombreux autres systèmes de lits majeurs en Europe comportant des lits de gravier et des plaines inondables limoneuses, qui ont été ou sont toujours affectés par une succession de moulins à eau ou par d'autres types de barrages, car les conséquences morphologiques globales de l’incision en canal sont indépendantes des conditions spécifiques du site d’étude."


Exemple d'incision après suppression des ouvrages, en bas à droite le lit de gravier montre le niveau ancien de la rivière, extrait de Maaß et Schüttrumpf 20019, art cit


Les chercheurs soulignent notamment le phénomène d'incision, de diminution de la granulométrie des sédiments et de divers effets secondaires indésirables dans les cas étudiés sur la rivière à moulins détruits:

"Après l'effacement du moulin à eau, les hauteurs des berges sont augmentées par rapport à l'état initial sans moulin à eau. Les effets de l'augmentation de la hauteur des berges sur la morphologie fluviale sont similaires à ceux des digues (Hesselink et al. 2003; Frings et al. 2009; Zhang et al. 2017). En raison de l'élévation des lits majeurs, le niveau plein bord du cours d'eau est augmenté dans le chenal principal par rapport aux niveaux antérieurs aux moulins. L'augmentation des niveaux d'eau entraîne une augmentation des contraintes de cisaillement. Cette augmentation de la contrainte de cisaillement du lit conduit généralement à l'érosion des grains fins et à la réduction de la taille des grains du lit de la rivière (Frings et al. 2009). Ici, l'incision est également associée à des problèmes qui persistent aujourd'hui, tels que l'excavation de conduites, le besoin de construction de fondations pour des travaux de génie civil et des problèmes de navigabilité à faible débit, ainsi que l'assèchement de la végétation naturelle dans les lits majeurs encaissés."


Le phénomène d'accrétion (élévation lit et berge) quand les moulins ont été bâtis et celui d'incision quand ils sont détruits, extrait de Maaß et Schüttrumpf 20019, art cit

Enfin, les chercheurs font observer : "La reconnexion de zones inondables en tant que parties naturelles de l'environnement ne serait possible qu'en abaissant les lits majeurs à un niveau plus naturel, ou en augmentant l'altitude du lit de la rivière."

Discussion
Si les analyses des effets morphologiques des grands barrages modernes sont assez répandues, celles portant sur les moulins et étangs anciens sont rares. Le travail de Maaß et Schüttrumpf contribue donc à améliorer nos connaissances encore très lacunaires. Leur résultat confirme que les bassins versants des zones densément et anciennement peuplées comme l'Europe occidentale ne sont pas seulement modifiés par l'âge industriel, mais que leur profil répond à des ajustements déjà millénaires tenant à l'usage de l'eau et des sols autour des rivières. L'anthropocène est donc plus ancien qu'on ne le pense généralement. Ce n'est pas une réelle surprise, l'idée d'une nature qui n'aurait été modifiée que très récemment par l'humain est battue en brèche par de très nombreux travaux d'histoire et d'archéologie environnementales, en particulier dans le domaine des rivières et des zones humides (voir quelques références récentes de recherche à la fin de cet article).

Les conclusions des chercheurs contredisent certains récits tenus par les gestionnaires publics des rivières en France. Même si chaque bassin doit être analysée dans sa morphologie historique et dynamique afin de faire des choix avisés (ce qui n'est pas souvent le cas dans la politique actuelle des syndicats et parcs, faute de moyens et de compétences), le résultat observé par Maaß et Schüttrumpf indique que sur les petites rivières à plaines alluviales, la politique de suppression des ouvrages tendra à inciser les lits, augmenter le transit de sédiments fins, limiter la capacité de débordements en lits majeurs. Ces effets sont donc plutôt négatifs pour la prévention des inondations (moins de débordements en lits majeurs), pour la continuité latérale (moins de milieux humides dans les écotones du lit majeur) et pour le colmatage des fonds. La compensation de ces effets demanderait des coûts sans doute considérables de ré-aménagements des lits majeurs, à supposer que le gestionnaire public trouve la disponibilité foncière pour cela (ces sols riverains sont généralement d'usage agricole et valorisés, voir Riegel 2018).

Une réflexion s'impose donc, et l'on peut regretter que l'Etat français ait décidé de politiques massives de continuité en long (20 000 ouvrages transversaux à traiter en quelques années) dans la précipitation et l'approximation. L'écologie n'est pas un domaine où l'effet d'annonce pour satisfaire quelques clientèles par des symboles donnera de bons résultats. Et la "renaturation" complète de bassins versants est un objectif qui excède aujourd'hui tant le contenu des lois que la capacité de financement des gestionnaires publics et, probablement, le consentement des citoyens. Le gouvernement a lancé récemment une option de "priorisation" des rivières à traiter au titre de la continuité en long : il nous paraît évident que de telles informations morphologiques et sédimentaires sont à mobiliser pour la décision, le choix d'obtenir des lits incisés et des assèchements de rives n'étant pas vraiment un objectif d'intérêt général ou écologique. Mais qui va prioriser au juste? Sur quels attendus scientifique? Depuis quelles concertations avec les acteurs subissant ces effets?

Référence : Maaß AL, H. Schüttrumpf (2019), Elevated floodplains and net channel incision as a result of the construction and removal of water mills, Geografiska Annaler: Series A, Physical Geography, DOI: 10.1080/04353676.2019.1574209

A lire sur le même sujet
Rivières hybrides: quand les gestionnaires ignorent trois millénaires d'influence humaine en Normandie (Lespez et al 2015) 
Héritage sédimentaire: analyser les sédiments des retenues de moulin avant intervention (Howard et al 2017) 
Quelques millénaires de dynamique sédimentaire en héritage (Verstraeten et al 2017) 
Des rivières naturelles aux rivières anthropisées en Europe: poids de l'histoire et choix des possibles pour l'avenir (Brown et al 2018) 

L'avis d'un spécialiste français sur les enjeux sédimentaires
La continuité sédimentaire passe-t-elle par l’arasement systématique des seuils? Une analyse critique (dossier de Bravard 2018) 

24/08/2018

La continuité sédimentaire passe-t-elle par l’arasement systématique des seuils? Une analyse critique

"La continuité amont-aval est un principe bien trop simplifié dans sa mise en œuvre actuelle ; elle devrait faire l’objet de réflexions plus approfondies alors que les projets de déséquipement des rivières sont massifs" : tel est le constat de Jean-Paul Bravard. Ce chercheur compte parmi les scientifiques internationalement reconnus qui ont construit depuis plusieurs décennies les outils de la gestion intégrée des bassins versants. Extraits de son analyse critique de la question sédimentaire au sein de la continuité, où l'auteur produit plusieurs propositions pour refonder les choix publics de continuité sur des priorités scientifiquement mieux établies. 


Un suivi sédimentaire et morphologique local après effacement de barrage, le retenue de Pierre Glissotte dans le Morvan (exemple extrait de Gilet et al 2018). 

Préconisations pour une gestion apaisée de la complexité

4.5.1. Classer les bassins hydrographiques et les cours d’eau actuels par rapport aux flux de sédiments grossiers
Les mesures prises en faveur de la continuité sédimentaires devraient prioritairement classer les rivières en fonction des critères suivants basés sur les principes des bilans sédimentaires:

  • Localisation des entrées sédimentaires dans le système fluvial et estimation des volumes concernés
  • Mesure des transits pour des débits de référence
  • Tendance du bilan depuis un siècle,
  • Perspectives pour les décennies à venir,
  • Exemples de seuils retenant réellement des sédiments utiles à l’aval,
  • Rôle éventuellement positif des seuils de moulins pour maintenir les matériaux dans le linéaire fluvial (à l’exception des barrages)
  • Eventuelle prise en considération des effets du changement climatique sur l’hydrologie et la mobilisation des sédiments du lit.

4.5.2. Promouvoir une recherche scientifique critique
Si la recherche se développe dans le champ des sciences humaines sur les aspects territoriaux et sociaux de l’acceptation de l’arasement de seuils (Barraud et Germaine, 2017), en revanche la recherche pratiquée dans le champ du milieu physique reste encore trop limitée. Une des raisons est que les sources de financement sont réduites et que les chercheurs, sauf exceptions notables, sont contraints de se tourner vers d’autres sujets.

Il conviendrait de multiplier :

  • La recherche sur les liens existant entre les arasements envisagés et l’espace latéral (berges et plaine alluviale) ou « espace de bon fonctionnement ». Cette intégration des perspectives (le chenal et la plaine alluviale/lit majeur) est nécessaire avant toute décision réfléchie.
  • Des recherches fondamentales, c’est-à-dire non finalisées, seules capables de faire avancer des questions dans une perspective scientifique. La question des bilans sédimentaires à plusieurs échelles est la plus importante. Celle des héritages du passé qui pèsent aujourd’hui sur les choix : L. Lespez et al. (2015) interrogent la naturalité des rivières normandes. Les défrichements et les seuils anciens ont favorisé les débordements, donc la sédimentation sur la plaine. ils ont contribué à la chenalisation pendant des siècles. Il ne s’agit pas d’étudier la dégradation cumulative des écosystèmes mais celle de systèmes complexes dans lesquels les héritages sédimentaires interagissent avec les processus (le système déstocke depuis un siècle). La restauration naturelle de rivières à faible énergie est à peu près inaccessible ; il n’est pas possible, faute de disposer d’une énergie suffisante d’espérer « travailler avec la rivière ».
  • L’analyse scientifique de retours d’expérience devrait être menée dans les règles après des arasements de seuils. La procédure en vigueur est souvent minimale quand elle est demandée. Les suivis doivent avoir une durée suffisante et concerner des éléments diversifiés.

4.5.3. Préconisations en matière de conciliation de politiques en apparence contradictoires
Un des aspects fondamentaux du succès de la gestion à venir sera la capacité des gestionnaires à réussir à donner de la cohérence à des politiques qui, dans l’espace des fonds de vallées, paraissent contradictoires et mènent parfois à des conflits. Le « forcing » fait sur la continuité pose la question de la compatibilité de cette dernière avec d’autres démarches :

  • La ralentissement dynamique des crues - La suppression des obstacles transversaux abaisse la ligne d’eau pour le débit moyen et réduit plus ou moins le débit des eaux inondantes à la surface du lit majeur (OCE, 2013). Or des recherches ont été effectuées depuis le milieu du XIXe siècle pour démontrer le bienfait des obstacles dans ce domaine (des seuils, indépendamment des barrages réservoirs ou barrages à pertuis). Des ingénieurs d’état ont encouragé la construction de seuils dans le bassin de la Loire et les Cévennes après la crue de 1856 pour favoriser des débordements dans les hauts bassins et contribuer à réduire les crues. Plus récemment, cette politique a été recommandée par le CEMAGREF à partir de 1992: il s’agit des pratiques du « ralentissement dynamique des crues », les débordements organisés réduisant la vitesse et le volume d’une onde de crue (Oberlin, 1994 ; Desbos, 1997 ; Oberlin & Poulard, 2002 ; CEMAGREF, 2004 ; Degoutte, 2009 ; Poulard et al., 2009). Le ralentissement dynamique s’est d’ailleurs trouvé en contradiction avec la politique du MEDD qui dans les années 1990 a financé la lutte contre les inondations au moyen du nettoyage des chenaux; les encombrements n’étaient-ils pas une forme de version naturaliste du ralentissement dynamique ? Nettoyer les embâcles d’une rivière, c’est aussi supprimer des habitats potentiels (et naturels...), c’est une démarche d’ingénieur.
  • La production énergétique à partir de ressources renouvelables – Afin de réduire les émissions à effet de serre et la dépendance de la Communauté européenne à l’égard des importations d’énergie, la CE a publié la Directive n° 2009/28/CE du 23 avril 2009 ; celle-ci encourage la production d’hydroélectricité, l’eau étant une ressource renouvelable. Les énergies de ce type devraient en principe représenter 20% de la consommation de la Communauté d’ici à 2020. Différentes formules de production sont possibles et l’accroissement de l’efficacité énergétique des ouvrages existants est recommandé. La politique de continuité écologique et les pressions qui s’exercent en sa faveur s’accommodent mal de la transformation de moulins en microcentrales, même si les techniques adoptées sont censées réduire ou supprimer les dommages occasionnés aux espèces (vis d’Archimède, turbines à larges pales et vitesse lente).
  • Plans d’eau et écologie - Les plans d’eau aménagés, notamment les étangs retenus par des seuils ou des chaussées, sont considérés de manière négative dans le cadre du rétablissement de la continuité. Leur réhabilitation passe par leur étude en temps qu’écosystèmes lentiques complexes ou « limnosystèmes » (Touchart et Bartout, 2018). De nature géographique, le limnosystème valorise des biocénoses à gradient vertical du cycle biosynthèse- biodégradation ; les biocénoses des étangs contrastent avec les biocénoses des milieux lotiques à gradient longitudinal. Eléments de nature lentique, les étangs (tout comme les lacs) sont considérés comme étrangers au système fluvial stricto sensu et à la continuité érigée en principe théorique. Que faire par exemple du Lac Léman dans le continuum rhodanien ? Les étangs sont cependant une composante pleine et entière des hydrosystèmes, dotée de vertus propres en matière écologique et porteuse de biodiversité. Touchart et Bartout montrent qu’ils interagissent avec les écosystèmes lotiques d’amont et d’aval ; et en tant qu’isolats favorisant l’endémisme, ils interagissent avec l’ensemble du réseau hydrographique. Les étangs sont aussi un type d’anthroposystème riche, diversifié et porteur d’une histoire (l’archétype en est le système des étangs de la Dombes dont on imagine mal la remise en question).
A télécharger

07/03/2018

Belleydoux : consolider le seuil, revoir le classement de la Semine

La destruction de l'ouvrage de Belleydoux a été stoppée, mais sa ligne de crête a été fragilisée par les premiers travaux. Les mesures au droit du site suggèrent que le transit sédimentaire est moins important que prévu. Et il est reconnu que la rivière Semine est déjà fragmentée par des chutes naturelles, non franchissables en montaison. Notre association souhaite donc des mesures proportionnées au droit de l'ouvrage de Belleydoux et une révision du classement liste 2 de la Semine. Une consolidation du faîte de l'ouvrage est nécessaire pour prévenir les risques posés aux riverains et aux usagers de canyoning, qui apprécient cette chute artificielle s'ajoutant aux chutes naturelles de la rivière et offrant un cadre superbe aux activités de plein air. Des rivières durables valent mieux que des rivières sauvages... 

Le seuil de Belleydoux a fait l'objet d'une opération de démantèlement que notre association juge illégale, car elle modifie plus de 100 m de profil de la rivière sans autorisation ni enquête publique. Une plainte contre la préfecture de l'Ain a été déposée en 2017, en cours d'examen par le tribunal administratif de Lyon.

A la suite de cette plainte, mais aussi de la forte mobilisation des riverains (près de 700 signataires d'une pétition contre le démantèlement) et des usagers (canyoning notamment), la chantier a été stoppé et un cycle de concertation ouvert.

Hélas, les riverains observent que le démantèlement de la première ligne de crête du barrage l'a fragilisé. Comme on le voit sur cette photo, des blocs ont été emportés (à droite) par les crues hivernales.


Notre association se félicite que la concertation reprenne, mais déplore qu'elle n'ait pas eu lieu avant, lors de la construction du projet. Il n'y a aucun avenir sur nos rivières pour des chantiers qui ne sont pas d'abord portés par les riverains en vertu des services qu'ils leur rendent, au lieu d'être imposés par des comités fermés ne représentant qu'une partie des usages, des attentes et des connaissances.

Dans le cas du seuil de Belleydoux, il a été observé ces derniers mois que le transit sédimentaire après démantèlement partiel de l'ouvrage est inférieur aux attentes du maître d'ouvrage (parc naturel régional Haut Jura).

Nous n'en sommes pas particulièrement surpris : les ouvrages anciens comme celui de Belleydoux sont largement atterris, et ils ont donc acquis une certaines transparence sédimentaire : lors de crues morphogènes, le transport solide se fait en surverse de l'ouvrage sans que celui-ci représente un obstacle (contrairement à un grand barrage qui a des capacités de stockage de plusieurs millions de m3 et un parement de hauteur non submersible). Le dossier très sommaire présenté en justification de cet effacement ne démontrait d'ailleurs pas l'existence de déficit significatif altérant des habitats sur un linéaire d'importance, déficit qui aurait été de nature à motiver un démantèlement à financement public.

Par ailleurs et surtout, l'analyse sédimentaire demande un modèle hydromorphologique du bassin entier, et non une approche par site. Le niveau actuel d'équilibre dynamique sédimentaire est différent d'un bassin à l'autre, il s'établit sur long terme (décennies à millénaires) et il dépend de l'état des berges comme de celui des sols du bassin versant. Par exemple, certains bassins sont en situation de déficit d'apports du fait des afforestations faisant suite à la déprise agricole (en ce cas, le lit peu nourri tend de toute façon à s'inciser et s'enfoncer jusqu'au socle crue après crue, faute d'apports suffisants par l'érosion latérale).

On ne peut donc se prononcer sur un enjeu sédimentaire en prenant pour base des règles génériques ni en prenant pour objectif la petite quantité de sédiments contenue dans le remous d'un ouvrage modeste : c'est une approche à échelle bassin qui doit montrer l'existence d'un éventuel enjeu, et modéliser les variations de transit solide selon les hypothèses d'aménagement retenues en lit mineur, mais aussi en lit majeur.


Outre cette question sédimentaire, la rivière Semine est fragmentée de nombreuses chutes naturelles (cf ci-dessus, photos extraites du site descente canyon). Ces discontinuités atténuent considérablement l'enjeu ichtyologique de continuité et rendent peu compréhensible le classement au titre du L 214-17 CE (dont on aimerait connaître la motivation exacte, un courrier d'accès aux pièces du classement va être envoyé au préfet). Fragmentant naturellement le cours de la rivière, ces chutes suggèrent de notre point de vue que l'usage pêche devrait être prioritairement réglementé afin que les populations endémiques de cet hydrosystème isolé par la géologie ne soient pas affectées (évitement des alevinages, no kill, décontamination des matériels de pêche à risque de contamination par la saprolègne, etc.).

Pour la suite, notre association souhaite que la préfecture de l'Ain prononce une exemption de continuité sur l'ouvrage de Belleydoux et retravaille la pertinence du classement de la rivière Semine en liste 2 au titre de la continuité écologique.

Cette issue est autorisée par la circulaire DEVL1240962C du 18 janvier 2013 relative à l'application des classements de cours d'eau en vue de leur préservation ou de la restauration de la continuité écologique.

Le ministère avait pris soin de préciser notamment :
"les mesures à imposer doivent tenir compte de la réalité locale et des enjeux réels des cours d'eau, de l'impact des barrages et de la proportionnalité des coûts par rapport à l'efficacité et aux bénéfices attendus. (…) Le seul  aménagement  de  l'ouvrage  pour  assurer  cette  circulation  dans  le  sens  amont-aval  peut répondre à l'obligation induite par le classement à partir du moment où l'aménagement pour la montaison  n'a  pas  de  justification  écologique  suffisante  comparée  à  son  coût.  De  même, lorsqu'un ouvrage se situe à l'amont immédiat d'une chute naturelle, assurer la montaison peut ne pas avoir de sens écologique ; les mesures permettant d'assurer correctement la dévalaison seront alors suffisantes pour remplir l'obligation liée au classement à ce titre."
"Pour les seuils ne comportant pas de vannages, les prescriptions (déplacement des sédiments, dérasement, arasement, etc.) seront à adapter en fonction de leur impact individuel et de l'effet de cumul de sédiments qu'ils peuvent générer le cas échéant."

Ces conditions particulières de fragmentation par des chutes naturelles et d'enjeu sédimentaire non spécifié sont remplies pour la Semine au droit du seuil de Belleydoux.

Enfin, au regard des risques liés à la destructuration par les crues de l'ouvrage fragilisé - risques pour les riverains et dans la pratique de canyoning -, nous demandons que la ligne de faîte soit consolidée l'été prochain.