La coordination Eaux & rivières humaines vient d'écrire aux préfets de bassin Seine-Normandie et Loire-Bretagne, ainsi qu'aux directions des agences de l'eau, afin que le projet scandaleux de SDAGE 2022-2027 soit révisé et que cesse la prime financière à la destruction des ouvrages hydrauliques. Le projet en l'état signifie encore 7 ans de pressions et conflits: tout le monde sait que le sous-financement ou non-financement dogmatique des solutions douces de continuité (passes à poissons, rampes rustiques, rivières de contournement, gestion de vannes) est le noeud du problème depuis le premier plan de continuité écologique en 2009. Ce texte du SDAGE doit théoriquement être adopté par le comité de bassin — dont sont exclus les moulins, étangs, riverains, protecteurs du patrimoine — dès cet automne. Alors même que le ministère de l'écologie prétend à une continuité écologique "apaisée", les services de l'Etat dans les agences de l'eau promeuvent le seul financement maximal aux solutions de casse des moulins, étangs, plans d'eau, barrages. Encore le double discours. Le message de ces fonctionnaires de l'eau est clair: nous préférons détruire votre site. Qu'attendent-ils en face comme réaction, sinon une radicalisation des conflits?
Il est de la plus haute urgence que les fédérations et syndicats exclus des comités de bassin (riverains, moulins, étangs, autoproducteurs d'énergie) saisissent eux aussi le ministère de l'écologie, les parlementaires et les préfets de bassin de cette nouvelle dérive qui signifie l'impossibilité de trouver des compromis sur la plupart des sites classés en liste 2 au titre de la continuité écologique.
Téléchargez le courrier Seine-Normandie et informez vos parlementaires des dérives
Téléchargez le courrier Loire-Bretagne et informez vos parlementaires des dérives
Texte de la lettre (Seine-Normandie)
Monsieur le Préfet coordonnateur de bassin,
Monsieur le Président du comité de bassin,
Madame la Directrice de l’agence de l’eau,
Notre coordination rassemble des associations, syndicats et collectifs de riverains, de propriétaires et d’usagers d’ouvrages hydrauliques de toute nature, concernés au premier chef par les politiques de continuité écologique en long des cours d’eau. Si le gouvernement français a lancé un plan pour une politique apaisée de continuité écologique en 2018, il semble que l’agence de l’eau Seine-Normandie ne souhaite nul apaisement en ce domaine.
C’est en effet avec consternation et inquiétude que nous avons pris connaissance du projet de SDAGE 2022-2027 en cours d’élaboration : celui-ci continue de proposer une prime financière aux effacements d’ouvrages hydrauliques, au lieu d’encourager les équipements (contournements, passes à poissons) et les actes de gestion (restauration toujours non éligible des vannages, par exemple), conformément à l’exigence légale.
Cette orientation est pour nous inacceptable, tant du point de vue de l’apaisement souhaité par le gouvernement et le comité national de l’eau, que du point de vue des exigences légales et des connaissances scientifiques en écologie.
Nous vous demandons de la réviser, au regard des arguments présentés ci-dessous.
1) La prime à l’effacement au lieu de l’aménagement des ouvrages hydrauliques est incompatible avec le plan de politique apaisée de continuité écologique du 28 juin 2018
Dans le plan sus-mentionné, le ministère de la Transition écologique et solidaire a précisé expressément en 2018 :
« le choix de la solution retenue (…) nécessitera bien entendu un diagnostic au cas par cas plus approfondi, prenant en compte les enjeux et les gains écologiques escomptés, les usages dépendant de l'ouvrage, sa dimension patrimoniale, les aspects financiers. Le choix final prendra en compte les échelles de l'ouvrage, du cours d'eau, voire du bassin »
Dans la Note technique du 30 avril 2019 accompagnant la mise en œuvre de ce plan à destination des instructeurs administratifs, il est précisé :
« De nombreuses solutions sont possibles pour restaurer la continuité écologique, et la multiplicité des enjeux doit être prise en compte lors du diagnostic initial. Il n’existe aucune solution de principe. Parce que chaque situation est différente (type de cours d’eau, espèces concernées, usages, qualité de l’eau, qualité du patrimoine, partenaires, disponibilités financières), plusieurs scénarios devront faire l’objet d’une analyse avantages-inconvénients afin de dégager la solution présentant le meilleur compromis. La suppression de l’ouvrage ne sera envisagée qu’avec l’accord du propriétaire, s’il est connu. »
En choisissant de définir par principe l’effacement d’ouvrage comme la solution la mieux financée par l’argent public des citoyens du bassin, l’agence de l’eau opère un choix a priori (donc dogmatique et non empirique), sans souci de connaissance de chaque situation locale du bassin. Elle méconnaît ces instructions du ministère demandant d’examiner au cas par cas ce qui relève de l’intérêt général mais aussi de la qualité locale des milieux formés par les ouvrages hydrauliques.
En cohérence avec la nouvelle orientation gouvernementale de continuité écologique apaisée, la mesure nécessaire est donc le financement maximal accordé à la seule solution qui présente le meilleur avantage, après analyse multicritères, au cas par cas. Cela devra figurer dans le SDAGE.
2) La prime à l’effacement au lieu de l’équipement des ouvrages hydrauliques est incompatible avec les dispositions légales du code de l’environnement
Au cours de cette législature et de la précédente, plus de 200 parlementaires ont dû intervenir auprès du ministère de l’écologie pour rappeler que la loi ne demandait ni dans sa lettre ni dans son esprit la destruction des ouvrages hydrauliques. Chaque fois, ces parlementaires ont dit combien les moulins, étangs, canaux, plans d’eau, lacs de barrage formaient un patrimoine social, valorisant les territoires ruraux, contribuant à l’intérêt général.
A quatre reprises déjà depuis l’adoption de la loi sur l’eau de 2006, les parlementaires sont intervenus pour repréciser la nécessité de protéger et valoriser ce patrimoine hydraulique, tant dans sa dimension culturelle que dans sa dimension énergétique et écologique.
La loi de 2006 expose à propos des rivières classées en liste 2 au titre de la continuité écologique (article L 214-17 code environnement) :
« Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant. »
Vous êtes donc dans une situation paradoxale tant au plan du droit que du respect de la démocratie, où
- le code de l’environnement ne mentionne jamais les options d’effacement, arasement ou dérasement dans l’ensemble des dispositions sur la Trame bleue et la continuité,
- la loi protège tous les ouvrages autorisés dans leur consistance légale de hauteur et débit,
- les parlementaires ont toujours rappelé que la loi demande le respect des ouvrages autorisés sur les cours d’eau et plans d’eau,
nonobstant, les options d’effacement, arasement et dérasement deviennent la préférence d’un SDAGE, à échelle de tout un grand bassin hydrographique.
Une relecture de votre projet devra éclaircir ces contradictions rédhibitoires.
Au-delà de la continuité écologique, le législateur a expressément demandé de respecter les milieux aquatiques et humides (dont font partie en droit et en fait les étangs, plans d’eau, canaux, biefs, lacs), ainsi que les attentes de la société.
L’article L 211-1 code environnement énonce ainsi :
« Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer :
1° La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; (…)
2° La protection des eaux et la lutte contre toute pollution (…);
4° Le développement, la mobilisation, la création et la protection de la ressource en eau ;
5° La valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ;
5° bis La promotion d'une politique active de stockage de l'eau pour un usage partagé de l'eau permettant de garantir l'irrigation, élément essentiel de la sécurité de la production agricole et du maintien de l'étiage des rivières, et de subvenir aux besoins des populations locales ; (…)
III.-La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l'utilisation de la force hydraulique des cours d'eau, des lacs et des mers (…)
L’ensemble de ces orientations législatives interdit de penser que la prime à l’effacement des ouvrages hydrauliques (avec assèchement conséquent de tous leurs milieux en eau) relève de la « gestion équilibrée et durable de l’eau », puisque ces ouvrages sont directement concernés par les enjeux que la loi protège ou promeut.
La seule orientation conforme à la législation sur l’eau est donc le rappel explicite dans le SDAGE de tous les éléments de gestion équilibrée et durable de l’eau qui sont en lien avec les ouvrages hydrauliques. Ces éléments devront être pris en considération dans chaque bassin et chaque analyse d’ouvrage au cas par cas, en vue d’un site géré, équipé, entretenu.
3) La prime à l’effacement au lieu de l’équipement des ouvrages hydrauliques est désormais contredite par les avancées des connaissances scientifiques
Les réformes dites « de continuité écologique », quand elles concernent la question des ouvrages hydrauliques (continuité en long) et des poissons migrateurs, s’inspirent de connaissances du 20e siècle. Pour ces questions d’effacement ou aménagement, elles sont au plan du droit la simple poursuite des dispositions déjà présentes dans la loi pêche de 1984.
Or, la science a considérablement évolué depuis 40 ans, que ce soit l’écologie, la limnologie, la géographie, l’histoire, l’archéologie, les sciences de l’homme, de la société et de l’environnement, toutes ces disciplines qui traitent de l’objet « rivière » comme de l’objet « ouvrage hydraulique ».
Dans l’annexe de la présente lettre, vous trouverez une synthèse de plus de 100 travaux scientifiques récents parus en France et en Europe : ces recherches démontrent qu’il est impossible de partir du principe que l’ouvrage hydraulique est forcément mauvais et que le démantèlement de cet ouvrage est forcément bon.
Au contraire, les travaux des chercheurs montrent que les milieux de ces ouvrages hébergent de la biodiversité, qu’ils augmentent la ressource en eau, qu’ils tendent à épurer des intrants, qu’ils sont le lieu d’échanges sociaux, qu’ils permettent de bénéficier de services écosystémiques. Et inversement, les premiers retours scientifiques sur les effacements incitent à la réserve : on observe des baisses de niveau des nappes, des effets négatifs pour plusieurs compartiment du vivant, des incisions de lit, des renforcements locaux de phénomènes extrêmes (crue, sécheresse). De même, l’analyse sur 40 ans des poissons migrateurs en France ne montre pas de gain significatif : cela pose de graves questions sur les orientations choisies en ce domaine.
La seule orientation conforme aux évolutions des connaissances scientifiques est donc la nécessité de contribuer par les SDAGE a une démarche ambitieuse de connaissances sur les ouvrages hydrauliques et leurs milieux, tout en s’abstenant de définir a priori un financement préférentiel de démantèlement qui peut conduire à des issues négatives pour la biodiversité, la ressource en eau et la société. Le SDAGE devra refléter la diversité et la complexité des conclusions de la science, non les préjugés d’une expertise de nature administrative.
Monsieur le Préfet coordonnateur de bassin
Monsieur le Président du comité de bassin
Madame la Directrice de l’agence de l’eau,
Ni la volonté gouvernementale d’une continuité apaisée, ni l’état du droit de l’environnement ni les conclusions de la recherche scientifique ne permettent donc de justifier le choix du SDAGE de favoriser financièrement la destruction des ouvrages hydrauliques.
Alors que l’état des lieux du SDAGE témoigne du faible avancement de la qualité écologique et chimique des eaux de surface comme des eaux souterraines, nous devons concentrer les efforts publics sur les vrais problèmes de nos bassins versants, et non sur des choix controversés, risquant le plus souvent d’aggraver plutôt d’améliorer la qualité de nos cours d’eau et plans d’eau.
Les associations, collectifs et syndicats membres de la CNERH travaillent sur le bassin à engager les ouvrages hydrauliques dans une transition écologique favorable à l’économie locale, à l’énergie bas-carbone, à la retenue et protection de l’eau, à la conservation de la biodiversité et à l’adaptation au réchauffement climatique.
En leur nom, je me permets de vous demander de considérer ce dire commun et de réviser le projet de SDAGE pour ce qui concerne les ouvrages hydrauliques au service de l’intérêt général du bassin.