11/02/2021
Aux sources de la Seine, on tourne la page de la casse brutale et absurde des ouvrages en rivière
04/09/2020
Rivière à sec, déchets dangereux, suspicion d'amiante dans le lit... la casse bâclée du moulin Maître à Châtillon-sur-Seine
La destruction du moulin Maître à Châtillon-sur-Seine a été bâclée : une grenade à main retrouvée en bord de l'eau, des déchets de fibro-ciments dans le lit fortement suspectés de contenir de l'amiante. Par ailleurs, la réserve de pêche en amont est à sec. Les associations Arpohc et Hydrauxois ont saisi l'OFB et la DREAL afin de demander une enquête sur les sédiments probablement dangereux qui risquent d'être dispersés dans la rivière. Une plainte sera déposée si les services de l'Etat ne gèrent pas le suivi de ce dossier. La continuité écologique est bâclée, et elle est surtout une immense erreur à l'heure où un nombre croissant de rivières sont à sec sur les têtes de bassin. L'urgence est de mieux gérer l'eau : les ouvrages anciens doivent être conservés et restaurés à cette fin, ce qui n'exclut pas de les rendre franchissables lors de migrations de poissons. Nous avons besoin de syndicats et d'élus au service des territoires, des milieux et des habitants, pas des exécutants de dogmes absurdes à la mode dans la haute administration hors-sol du ministère de l'écologie.
L'ouvrage du moulin Maître à Châtillon-sur-Seine a été détruit au cours du printemps 2020 par le syndicat mixte Sequana. Ce moulin n'avait plus de maître d'ouvrage et avait perdu son droit d'eau. Les associations Hydrauxois et Arpohc, constatant la perte non réversible du droit d'eau, avait demandé aux services de l'Etat et au pétitionnaire Sequana de prendre en compte la problématique locale de l'eau et de la biodiversité, notamment de faire un choix d'aménagement permettant de conserver si possible un effet de retenue dans le lit ainsi que dans les biefs et sous-biefs formant des zones intéressantes pour la biodiversité ou pour l'expansion de crue.
Hélas, le chantier a été bâclé.
Christian Jacquemin de l'Arpohc a trouvé sur les lieux du chantier des déchets dangereux : une ancienne grenade allemande "Tourterelle" de 1914, posée au bord de la rivière, et surtout de nombreux gravats issus du moulin et suspectés d'être des anciennes plaques de fibres-ciments contenant de l’amiante. Les éléments restant de la toiture sont étalés ou enfouis sous un enrochement superficiel dans le lit de la rivière. Un signalement a été fait en gendarmerie, puis déposé à l'OFB et à la DREAL Bourgogne Franche-Comté. Les associations sont dans l'attente de la réponse des services de l'Etat avant le retour des hautes eaux. Si rien n'est fait, une plainte contre X sera déposée.
Par ailleurs, les travaux ont aggravé et non corrigé les assecs locaux de la Seine, notamment la mise hors d'eau d'une réserve de pêche à l'amont, situé derrière le jardin de la mairie. Il aurait possible de choisir des voies d'alimentation de cette réserve (par exemple, l'eau de la Douix aurait pu être stockée dans le bras de la Seine grâce à la source de la Douix).
Un adhérent de l'Arpohc a réalisé cette infographie montrant l'évolution des assecs et écoulements faibles en Côte d'Or sur la base de mesure Onde. Le graphique parle de lui même. Nul ne sait si les années de sécheresse vont continuer, mais les modèles climatiques disent que c'est une issue probable, des périodes de plusieurs années où il y aura trop d'eau, d'autres où il en manquera.
Dans ces conditions, il est dangereux et irresponsable de promouvoir la destruction des retenues, des biefs, des plans d'eau, ce qui a pour effet de faire circuler plus rapidement les eaux des saisons pluvieuses vers l'océan, au lieu au contraire de retenir l'eau partout sur les bassins versants. Cela non seulement en conservant les ouvrages anciens, mais en ajoutant d'autres solutions fondées sur le stockage en nappe, les zones humides, la végétalisation, les usages intelligents et modérés de l'eau.
La destruction des ouvrages au nom de la continuité écologique est devenue un dogme qui n'a plus rien à voir avec l'intérêt général des riverains et la protection des milieux aquatiques. Ce dogme qui a été formalisé au 20e siècle est désormais décalé par rapport à l'évolution des connaissances et aux enjeux à venir, notamment le risque catastrophique d'intensification des sécheresses au cours de ce siècle. Ces dérives doivent cesser.
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Comment la Fédération de pêche 21 pousse à la destruction des ouvrages de l'Ource: révélations
Dans un courrier à M. le Commissaire enquêteur en date du 20 juin 2017, la Fédération de pêche 21 affirme par la voix de son président que :
"le projet présenté par le pétitionnaire correspond à une action ambitieuse de restauration de la continuité écologique avec l’effacement total des ouvrages structurants sur l’Ource."
Elle ajoute :
"En 2015, la fédération a réalisé un état initial sur l’Ource au droit du projet sur la base de mesures thermiques en continu, d’un diagnostic physique et d’un inventaire piscicole complet. Ce rapport concluait de la façon suivante 'L’Ource à Prusly, affluent rive droite de la Seine, indique une perturbation de l’état piscicole qui se manifeste par un manque de diversité spécifique ainsi que par des effectifs inférieurs au potentiel de ce cours d’eau. La présence d’une succession de barrages le long du cours de l’Ource n’est pas sans conséquence sur l’habitabilité piscicole. En effet, les ouvrages engendrent une stagnation des eaux et donc un réchauffement important des eaux en été, pénalisant les espèces d’eau fraîche comme la truite ou le chabot. Le projet d’arasement permettra donc de rétablir la franchissabilité piscicole, de redynamiser les écoulements ainsi que de diversifier les habitats afin de favoriser les espèces repères du biocénotype comme la truite, l’ombre et leurs espèces d’accompagnement'."
Cette prise de position de la Fédération de pêche 21 appelle quelques commentaires.
Non mise à disposition des documents au public
Nous observons qu'au moment de l'enquête publique, le document cité n'était pas mis à disposition du public, ni sur le site de la préfecture, ni sur le site de la fédération de pêche, ni sur le site du syndicat SMS. Nous avons dû en faire la demande par courrier électronique du 28 juin 2017. Ce document nous a finalement été envoyé.
Choix limitatif de site d'analyse à Prusly-sur-Ource
Concernant le site étudié, le document précise : "Station Prusly-sur-Ource Projet : l’Ource, affluent rive droite de la Seine à l’amont d’un barrage. La méthodologie repose sur le même principe que celle des stations précédentes."
Le plan indique que l'étude a été réalisée sur un seul point de mesure dans la retenue amont d'un barrage. Or, la littérature scientifique en hydrobiologie montre que ce n'est pas ainsi que l'on procède pour faire un état des lieux biologique au droit d'un ouvrage ou d'un tronçon (voir par exemple Le Pichon et al 2016 en France, Tummers et al 2016 au Royaume-Uni, Smith et al 2017 aux Etats-Unis sur un cas similaire d'état initial avant effacement).
En effet, on observe de fortes variations des populations (insectes, poissons, crustacés) selon que l'on prend des mesures à l'amont immédiat d'un ouvrage, à l'aval immédiat d'un ouvrage, dans une zone non directement impactée (quelques centaines de m à l'amont du remous / à l'aval de la chute), ou encore dans le bief de dérivation. Cette variation est très compréhensible : les stations autour d’un ouvrage ne présentent pas les mêmes habitats (vitesse, substrat, ripisylve, température), donc les populations vont se répartir différemment en fonction des besoins de leur cycle de vie et de leur optimum adaptatif.
A retenir : En faisant le choix d'un seul point de mesure à l'amont du barrage, la Fédération de pêche ne donne pas une image exacte de la diversité pisciaire au droit de l'Ource à Prusly. Ce travail ne permet donc pas d'estimer correctement l'enjeu local d'ichtyodiversité et, plus gravement, il donne une image tronquée des populations réellement présentes dans la rivière et dans le bief (non étudié).
Ichtyodiversité réelle (10 espèces) à Prusly malgré le choix d'un seul site non représentatif de la diversité des faciès
Le rapport observe : "Sur l’ensemble de la station, 10 espèces ont été échantillonnées. Parmi celles‐ci, on retrouve la truite ainsi que ses espèces d’accompagnement (chabot, loche, lamproie de planer, vairon) mais également les espèces de la zone à ombre et à barbeau (blageon, chevaine, gardon, goujon)." Le schéma ci-dessous montre la réparation de abondances.
Le rapport signale : "Avec respectivement 514,8 ind/ha en densité numérique et 65,6 kg/ha en biomasse, l’échantillonnage de l’état initial de la station de Prusly-sur-Ource dénonce une faible productivité piscicole sur ce tronçon."
On doit faire observer à propos de la biomasse que :
- il existe une forte variabilité interannuelle des démographies de poissons, donc le bilan d'une seule année ne permet pas de conclusion robuste,
- le choix d'un seul site d'échantillonnage (au lieu de 4 à 6 normalement nécessaire dans le cas d’une analyse d’ouvrage hydraulique) ne permet pas de tirer des conclusions sur la biodiversité du tronçon,
- l'année 2015 a été marquée par une canicule et une sécheresse soutenue sur les bassins Seine et Ource, cette situation étant connue comme défavorable aux poissons.
A retenir : Le travail de la Fédération de pêche sur une seule station d’échantillonnage, pas forcément la plus favorable et certainement pas représentative de la diversité des écoulements au droit de Prusly-sur-Ource, montre la présence de 10 espèces de poissons, dont certaines rhéophiles et migratrices. Cela permet de douter d’un problème de biodiversité pisciaire, d’autant que l’année de prélèvement (2015) a été marquée par une forte sécheresse pénalisante.
Usage peu légitime de la biotypologie théorique de Verneaux
La Fédération de pêche 21 continue de faire usage de la « biotypologie théorique » mise en oeuvre dans les années 1970 par l'hydrobiologiste français Jean Verneaux. Cette méthode consiste à comparer le peuplement actuel d'une station à son peuplement « théorique » tel qu'il a été estimé (par des données datant de 40 à 50 ans) sur une base statistique en fonction de la température, de la pente et de quelques autres propriétés physiques ou chimiques.
Cette méthode de biocénotypologie n'est plus considérée comme valide et est peu citée dans la littérature scientifique peer-reviewed en hydrobiologie. En effet, les calculs menés par Verneaux (1976, 1977) reposaient sur une base d’échantillonnage assez faible par rapport à ce qui se pratique aujourd’hui et le modèle statistique qu'il a proposé, quoique novateur à l'époque, ne décrit qu'une faible part de la variance réelle de répartition des espèces pisciaires dans les rivières. Par ailleurs, l’idée qu’il existerait des successions assez rigides de biocénoses avec des abondances très déterminées a été plutôt remise en cause par l’évolution de la recherche en écologie : on trouve bien sûr des espèces dominantes selon la position des stations dans le linéaire et d’autres facteurs mésologiques, mais il existe une assez forte variabilité spatiale et temporelle, ainsi qu’une dimension stochastique tenant à l’histoire de vie propre à chaque bassin versant. Dès la construction de l’indice de Verneaux 1976, 1977, on pouvait d’ailleurs observer que son modèle ne décrivait qu’un tiers environ des variations réelles d’espèces présentes, soit une valeur prédictive assez faible. L’idée (comme dans le graphique ci-dessus) que des populations « théoriques » calculées par modèle dans les conditions des années 1960 et 1970 aurait une valeur d’information pour nos choix dans les années 2010 n’est pas correcte.
C'est la raison pour laquelle la communauté de recherche française a mis au point au cours des années 2000 et 2010 un indice de qualité piscicole plus robuste : l'indice poisson rivière (IPR, cf Oberdorff et al 2002) devenu indice poisson rivière révisé (IPR+ cf Pont et al 2007, Marzin et al 2014). Voir point suivant sur l’IPR de l’Ource.
Enfin, le premier prédicteur de variation du modèle théorique de Verneaux était (de loin) la température. Donc à supposer que la Fédération de pêche prétende légitime l'usage de ce modèle ancien, elle ne remplit pas correctement son devoir d’information en omettant de préciser que les types théoriques de l’Ource dans les années 2010 ne seront probablement plus ceux des années 2050 et 2100, au regard des évolutions attendues du climat.
A retenir : la biotypologie théorique de Verneaux est un outil désormais daté dans l’histoire de l’hydrobiologie, car les hypothèses l’appuyant (schéma très précis à forte granularité d’abondances théoriques attendues en fonction de traits physiques de la rivière) n’ont pas été confirmées par la recherche. Les scientifiques français ont mis au point des nouveaux outils d’analyse de la qualité piscicole (IPR, IPR+) qui répondent aux pratiques actuelles de la recherche et aux normes de qualité écologique posées par la directive cadre européenne sur l’eau (DCE 2000). Nous déplorons qu’en 2017, des fédérations halieutiques à agrément public continuent de donner une image imprécise et peu pédagogique de ces évolutions des pratiques en ichtyologie. L’information qui en résulte est trompeuse car les rivières ne pourront pas revenir à ou tendre vers des "types théoriques" qui sont de simples modèles.
L'indice de qualité piscicole est de classe de qualité « bonne » à Prusly, même sur la zone d'influence du barrage
Quand la Fédération de pêche 21 utilise l'Indice poisson rivière (IPR) qui sert à définir la qualité piscicole des masses d'eau pour la directive cadre européenne, on constate que la classe de qualité est "bonne".
Or, ce résultat est obtenu dans la seule zone d'influence amont du barrage (sans analyse sur les stations adjacentes) et dans année défavorable (sécheresse 2015). Cela suggère que l'IPR de l'Ource à Prusly serait probablement dans la classe excellente avec un échantillonnage plus représentatif de la diversité des faciès réellement présents autour des barrages.
A retenir : la station de Prusly retenue par la Fédération de pêche 21, quoique la moins favorable en terme de diversité des faciès (amont barrage), est malgré tout en classe de qualité piscicole "bonne" au regard des normes européennes et de l’outil IPR. La diversité pisciaire des autres zones – aval barrage, bief, linéaire non impacté à proximité – n’est pas connue. Ce résultat montre qu’il existe un enjeu poisson assez faible au droit de l’ouvrage, et surtout un risque de perte de diversité car les espèces n’ont pas été étudiées sur l’ensemble des faciès qui vont disparaître à cause du chantier.
Nécessité d’analyser la vie dans les biefs : exemple de la classe IPR « excellente » du bief de Maisey-le-Duc (2011)
La Fédération de pêche 21 a publié en 2011 un état des lieux du bassin de l’Ource. Dans ce précédent travail, il se trouve que la Fédération a analysé le peuplement d’un bief très comparable à celui de Prusly, en l’occurrence le bief de Maisey-le-Duc (voir données et carte ci-dessous.)
Or, on observe que:
- le bief héberge 10 espèces de poissons, notamment une forte population de vairons, mais aussi des truites, chabots, loches franches et blageons,
- la classe de qualité piscicole (IPR) du bief est "excellente", soit la meilleure classe possible.
A retenir : les travaux de la Fédération de pêche montrent que les biefs, comme ceux menacés par le chantier de Prusly-sur-Ource, hébergent de nombreuses espèces de poissons et peuvent être dans la meilleure classe de qualité écologique de l’Indice poisson rivière. Il n’est donc pas acceptable de mettre hors d’eau le bief de Prusly sans un examen préalable de sa biodiversité pisciaire et sans garantir qu’il n’y aura pas perte d’habitats et d'espèces (déjà pour les poissons, mais aussi pour tous les autres assemblages aquatiques et riverains). Il est regrettable que la Fédération, parfaitement informée des résultats antérieurs sur le bief de Masey en IPR excellent, n'ait pas éprouvé la nécessité d'étudier le bief de Prusly et de mettre en garde le SMS contre un chantier précipité.
Au delà des poissons : urgente nécessité d'une refonte des approches par l'Agence française pour la biodiversité
La richesse biologique des rivières et de leurs annexes hydrauliques comme les biefs ou étangs ne se limite pas aux poissons, qui ne représentent que 2% de cette diversité spécifique (Balian et al 2008). En France, il existe néanmoins une forte dominante de l’approche halieutique et ichtyologique datant du Conseil supérieur de la pêche (devenu en 2006 Office national de l’eau et des milieux aquatiques, puis intégré en 2017 dans l’Agence française pour la biodiversité).
Certains chercheurs ont déjà pu faire observer que cette spécialisation halieutique ne donne pas une image complète des milieux aquatiques et de leur évolution. Par exemple Lespez et al 2015 à propos des restaurations de rivière : « l'expertise halieutique domine la restauration écologique sur les autres aspects de la biodiversité (macro-invertébrés, macrophytes etc.) et l'expertise géomorphologique est souvent une part intégrée au projet sur les poissons. La situation s'explique principalement pour des raisons institutionnelles. La dimension scientifique du management des rivières est sous la responsabilité de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), une organisation largement dérivée du Conseil supérieur de la pêche (CSP) où les experts des espèces rhéophiles et lithophiles d'eaux vives, parmi eux des migrateurs, sont principalement représentés ». (Mêmes observations dans la thèse De Coninck 2015.)
Cette situation n’est pas durable et elle n’est pas saine pour nos choix publics sur la biodiversité : l'intervention sur les milieux aquatiques et riverains doit impérativement prendre en compte la végétation, le plancton, les invertébrés, les oiseaux, les mammifères, les amphibiens, etc. Il appartient de notre point de vue au service instructeur de l'Etat (Agence française pour la biodiversité) de mener désormais ces campagnes d'évaluation de la biodiversité, mais aussi de publier des guides méthodologiques complets permettant de mener ce travail sur l'ensemble des espèces dont le cycle de vie dépend des hydrosystèmes.
La politique des rivières et des zones humides ne doit plus être optimisée pour certaines catégories de poissons seulement, dans l’ignorance quasi-complète des autres espèces et biocénoses, y compris la biodiversité acquise dans les hydrosystèmes anthropisés.
En conséquence, le projet de Prusly-sur-Ource devrait être suspendu tant qu’il n’existe pas une analyse complète (y compris ichtyologique) de l’ensemble de l’hydrosystème à l’amont et à l’aval des barrages, ainsi que dans les annexes hydrauliques. Les problèmes écologiques et ichtyologiques ici soulevés ne préjugent pas par ailleurs de l'intérêt de l'hydrosystème aménagé pour le patrimoine, le paysage, l'agrément, le stockage d'eau ou l'énergie.