29/10/2021
La soutenabilité environnementale de l'hydro-électricité au fil de l'eau (Briones-Hidrovo et al 2021)
10/07/2021
Une retenue d'étang tend à éliminer les pesticides et à livrer une eau moins polluée à l'aval (Le Cor et al 2021)
07/06/2021
Les écologistes ne tarissent pas d'éloges sur la biodiversité de la retenue artificielle de Montbel
"Les associations de défense de l’environnement sont vent debout contre ce concept touristique présenté comme un « éco-domaine » par Coucoo, l’entreprise porteuse du projet. Laurence Bourgeois, membre du collectif de riverains « A pas de loutre », ouvre les hostilités : « Il y a des zones à protéger. Et ce projet ne correspond pas à l’urgence climatique ni à la protection de la biodiversité. » Gilbert Chaubet, porte-parole du comité écologique ariégeois, enfonce le clou. « Ce projet est de la pure urbanisation. Les cabanes dont disséminées sur 2,5 kilomètres et créent de la nuisance par leur fonctionnement », affirme cet Ariégeois pure souche, qui craint que la lumière et le bruit perturbent les animaux.Car aigrettes garzettes, grandes aigrettes, foulques, grèbes huppés, hérons cendrés et 155 autres espèces viennent se nourrir dans cette zone, se reposer et y nicher en période de nidification. Et, parmi elles, quarante-cinq figurent sur la liste rouge nationale des espèces menacées. La loutre, le triton marbré et la chauve-souris en font partie."
"«Nous sommes considérés comme des envahisseurs assoiffés d’argent et des bétonniers. C’est dommage, et c’est faux », rétorque Gaspard de Moustier, codirigeant de la société avec Emmanuel de La Bédoyère. L’entrepreneur trentenaire préfère opposer à ses détracteurs des «arguments écologiques et scientifiques», en s’appuyant sur les observations menées par le bureau d’études en écologie Nymphalis. Dans ses conclusions, ce rapport de 150 pages indique que «le projet n’est pas de nature à porter atteinte à l’état de conservation des habitants et des espèces».
"« Existe-t-il, oui ou non, une loutre d’Europe sédentaire [dans cette zone] ? », s’interroge Sylvie Feucher, la préfète de l’Ariège. La société dispose de quatre mois pour faire de nouvelles investigations à l’aide de pièges photographiques."
08/09/2020
Les lacs et plans d'eau peu profonds rendent jusqu'à 39 services écosystémiques à la société (Janssen et al 2020)
Une nouvelle recherche passant en revue la littérature scientifique montre que les plans d'eau peu profonds (lacs, étangs) peuvent rendre jusqu'à 39 services écosystémiques différents aux riverains, incluant la protection de biodiversité, l'épuration de l'eau, la régulation des débits ou les loisirs. Ces services écosystémiques varient selon les différents états stables que peuvent prendre ces plans d'eau dans leur cycle de vie, en particulier leur niveau trophique (charge en nutriments). Même des milieux eutrophes conservent des intérêts environnementaux. La France accuse un terrible retard dans l'étude de ces milieux lentiques, dont beaucoup sont aujourd'hui menacés d'abandon voire de destruction. La raison principale en est le biais des gestionnaires et autorités en charge de l'écologie aquatique, qui refusent aujourd'hui de prendre sérieusement en compte les nouveaux écosystèmes créés par l'humain et de mesurer quantitativement les services écosytémiques rendus à la société. Au risque d'induire les politiques publiques en erreur.
"Les lacs et étangs d'eau douce sont d'une grande importance pour l'homme en fournissant de l'eau potable et en soutenant de nombreux services écosystémiques dans le monde, y compris certains essentiels comme l'approvisionnement en poissons, crustacés et plantes comestibles pour des centaines de millions de personnes", comme le rappellent Annette B.G.Janssen et 4 collègues en introduction de leur recherche. Dans le classement international des services rendus par les écosystèmes, on reconnaît quatre grandes familles:
- les services de soutien impliquent des fonctions écosystémiques clés, telles que la production primaire, le cycle et la rétention des nutriments, ainsi que la séquestration du carbone,
- les services d'approvisionnement sont des produits de la nature directement obtenus à partir d'écosystèmes, notamment l'alimentation humaine, l'alimentation animale, l'eau potable, l'énergie,
- les services de régulation sont des avantages liés à des processus biophysiques tels que la régulation du climat, la maîtrise des crues et sécheresses, la lutte antiparasitaire,
- les services culturels sont des avantages non matériels (par exemple, des valeurs spirituelles, esthétiques, culturelles) qui facilitent des activités telles que les loisirs, la cohésion sociale, le bénéfice psychologique aux riverains.
Annette B.G.Janssen et ses collègues ont passé en revue la littérature scientifique pour analyser les services rendus par les lacs et plans d'eau selon leur typologie.
Selon des changements anthropiques ou naturels tels que l'apport excessif de nutriments et le changement climatique, les lacs peu profonds peuvent changer de nature et passer d'un état stable à l'autre. Les auteurs exposent : "Un changement d'état est défini comme un changement persistant dans la structure et la fonction d'un système, où les changements dans les producteurs primaires dominants sont les plus apparents (Scheffer et al 2003; Scheffer et Van Nes 2007). Dans les états oligotrophes et mésotrophes, les lacs peu profonds sont généralement dominés par diverses espèces de macrophytes submergées, tandis que dans les états plus eutrophes, les macrophytes flottantes, les macrophytes émergentes ou le phytoplancton peuvent prévaloir (Hilt et al 2018; Kuiper et al 2017; Scheffer et al 2003). En raison de la rétroaction écologique provoquant une résistance aux facteurs externes, ces états sont souvent stables pendant des périodes allant de plusieurs années à plusieurs décennies (Scheffer et Van Nes 2007)."
Les différents états d'un plan d'eau, extrait de Janssen et al 2020, art cit.
Comment les services écosystémiques varient selon les différents états stables que peuvent adopter des plans d'eau peu profonds?
Voici la synthèse de leur recherche :
"Les lacs peu profonds peuvent basculer entre des états stables en raison de facteurs anthropiques ou naturels. Quatre états stables communs diffèrent dans les groupes dominants de producteurs primaires: les macrophytes submergés, flottants ou émergents, et le phytoplancton. Les changements dans la dominante des producteurs primaires affectent les principaux services de soutien, d'approvisionnement, de régulation et d'écosystème culturel fournis par les lacs. Cependant, les liens entre les états des lacs et les services sont souvent négligés ou inconnus dans leur gestion, ce qui entraîne des conflits et des coûts supplémentaires.
Ici, nous identifions les principaux services écosystémiques des lacs peu profonds et leurs liens avec les objectifs de développement durable (ODD), comparons la fourniture de services entre les quatre états de l'écosystème et discutons des compromis potentiels.
Nous avons identifié 39 services écosystémiques potentiellement fournis par les lacs peu profonds. Les macrophytes submergés facilitent la plupart des services de soutien (86%) et culturels (63%), les macrophytes émergents facilitent la plupart des services de régulation (60%), et les macrophytes émergents et flottants facilitent la plupart des services d'approvisionnement (63%). La domination du phytoplancton soutient moins de services écosystémiques et contribue le plus à la fourniture de services (42%).
Les services écosystémiques des lacs peu profonds que nous avons identifiés pourraient être liés à 10 objectifs du développement durable (ODD) différents, notamment la faim zéro (ODD 2), l'eau propre et l'assainissement (ODD 6), les villes et communautés durables (ODD 11) et l'action climatique (ODD13).
Nous avons mis en évidence plusieurs compromis (1) entre les services écosystémiques, (2) au sein des services écosystémiques et (3) entre les services écosystémiques à travers les écosystèmes. Ces compromis peuvent avoir des conséquences écologiques et économiques importantes qui peuvent être évitées par une identification précoce dans la gestion de la qualité de l'eau.
En conclusion, les états stables communs dans les lacs peu profonds fournissent un ensemble différent et diversifié de services écosystémiques avec de nombreux liens à la majorité des ODD. La conservation et la restauration des états des écosystèmes devraient tenir compte des compromis potentiels entre les services écosystémiques et la préservation de la valeur naturelle des lacs peu profonds."
Référence : Janssen ABG et al (2020), Shifting states, shifting services: Linking regime shifts to changes in ecosystem services of shallow lakes, Freshwater Biology, DOI: 10.1111/fwb.13582
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Comment dépasser les mauvaises pratiques actuelles en destruction des étangs et plans d'eau
Idée reçue: "Seuils, digues et barrages nuisent aux services rendus par les écosystèmes, qui demandent des rivières libres"
21/08/2020
Les services rendus par la végétation des rives (Riis et al 2020)
"La végétation rivulaire des systèmes fluviaux est un complexe d'unités de végétation le long du réseau fluvial qui est fonctionnellement lié aux autres composants du système fluvial et à la zone environnante (Naiman et al 2005). C'est un écotone hybride et ouvert: il est hybride parce qu'il résulte de la co-construction par des processus humains et naturels, et il est ouvert parce que la terre bordant les systèmes fluviaux interagit avec la rivière et les processus associés (Dufour et al 2019). La zone riveraine se caractérise donc par une forte variabilité spatiale et temporelle principalement due à des conditions bioclimatiques, géomorphologiques et d'utilisation des terres, qui évoluent toutes dans le temps sous les influences naturelles et humaines. La végétation riveraine dans le contexte de cet article est définie comme la végétation établie dans le lit majeur, c'est-à-dire la partie du paysage terrestre allant de la ligne des hautes eaux vers les hautes terres, où les nappes phréatiques élevées influencent la végétation et le sol (Naiman et al 1993 )."Cette ripisylve a connu de nombreuses dégradations à l'ère moderne :
"La végétation rivulaire a la capacité de fournir une quantité de services écosystémiques disproportionnée par rapport à son étendue dans le paysage (par exemple, Sweeney et Newbold 2014) en raison de ses caractéristiques d'écotone et des ses fonctions écologiques (Capon et al. 2013). Cependant, la végétation rivulaire est soumise à une pression importante due à une série d'activités anthropiques, telles que la modification du régime de perturbation, la régulation du débit des cours d'eau par les barrages, la pollution, le changement d'affectation des terres, la récolte du bois, le détournement de l'eau, l'exploitation minière, la déforestation, et aux espèces envahissantes (par exemple, Goodwin et al 1997, Poff et al 2011). En Europe, on estime que 80 % des habitats riverains naturels ont disparu au cours des 200 dernières années (Naiman et al 1993). La perte de végétation riveraine est généralement immense dans les pays développés ; par exemple, elle a diminué de 85 à 95 % en Californie, en Arizona et au Nouveau-Mexique, la plupart des pertes étant attribuées au pâturage (NRC 2002). À l'inverse, des efforts croissants sont entrepris pour récupérer la ripisylve avec un succès variable selon la restauration (par exemple, introduction active de plantes hydrogéomorphiques, reconversion des plaines d'inondation, contrôle du pâturage et des espèces envahissantes (González et al 2015)."L'article donne un aperçu des services écosystémiques fournis par la ripisylve en adoptant une approche structurée pour identifier ces services, décrire leurs caractéristiques et classer leur importance. La tableau ci-après détaille chaque service dans quatre principaux types de végétation rivulaire (herbacées, forêts, forêts humides, zones humides).
Les services jugées les plus importants sont ainsi:
- la fourniture d'habitats à d'autres espèces, dont celles permettant le biocontrôle des invasives
- le filtrage de divers polluants
- la séquestration du carbone
- le contrôle de l'érosion
- la régulation des crues et rétention de l'eau
- le dépôt des sédiments dans le lit majeur
En conclusion, les auteurs regrettent que les projets de restauration écologique ignorent trop souvent la végétation des berges et rives :
"La sévère dégradation mondiale des écosystèmes d'eau douce a constitué une menace majeure pour le services écosystémiques des zones riveraines et de leur végétation. Cette tendance négative a continué d'augmenter au cours des siècles et plus sévèrement depuis 1950, même si les implications économiques sont graves (par exemple, en raison des dommages causés par les inondations), et dans de nombreux endroits, cette tendance négative pourrait même s'intensifier en raison du changement climatique ( par exemple, Capon et al 2013). Par conséquent, la restauration de la plaine d'inondation et de la ripisylve représenterait une pratique importante pour atténuer les effets de cette dégradation et dans de nombreux endroits; cela se produit déjà. Néanmoins, nous considérons qu'actuellement, la plupart des projets de restauration aquatique visent uniquement à améliorer l'habitat ou la qualité de l'eau, mais risquent de manquer d'autres services écosystémiques important".Référence : Riis T et al (2020), Global overview of ecosystem services provided by riparian vegetation, BioScience, 70, 6, 501-514
16/08/2020
Même en sécheresse et canicule, les inconscients dénigrent et détruisent les retenues d'eau
« Bien sûr qu’il faut retenir l’eau, mais dans les sols, pas en surface où une bonne part va s’évaporer par fortes chaleurs, affirme l’hydrogéologue Christian Amblard, directeur de recherche honoraire au CNRS et vice-président du Groupe scientifique de réflexion et d’information pour un développement durable et de l’association Preva (Protection de l’entrée des volcans d’Auvergne). Des études récentes ont conclu que les pertes sur les lacs de l’Ouest américain peuvent atteindre 20 % à 60 % des flux entrants, c’est considérable. D’autres, réalisées en Espagne, ont conclu que dans les régions les plus équipées de barrages, les sécheresses sont deux fois plus intenses et plus longues. »
Les retenues d’eau assèchent les tronçons de rivières situés en aval, détruisent les écosystèmes, noient les zones humides. La problématique est la même pour les grandes bassines, explique-t-il en substance. « C’est donc une hérésie totale de faire passer les ressources en eau souterraines en surface au profit de seulement 6 % des terres équipées pour être irriguées », conclut-il.
Son point de vue est partagé par nombre d’hydrologues. Ainsi Florence Habets, chercheuse en hydrométéorologie (directrice de recherche CNRS et professeure attachée à l’Ecole normale supérieure) déclarait-elle au Monde, à l’été 2019 : «Le moyen le plus efficace de garder la ressource hydrique, ce sont les nappes et les sols qui se gorgent de volumes conséquents et les transfèrent vers le sous-sol. Augmenter nos capacités de stockage avec l’idée que nous pourrons poursuivre les mêmes activités, les mêmes cultures aux rendements fantastiques, est un leurre (…). En outre, le remplissage de ces infrastructures en automne peut contribuer à augmenter la durée des pénuries.»
Chaque année, sécheresses et canicules se répètent désormais. Chaque année, nous avons droit aux mêmes éléments de langage de la part de certains experts et médias. Nous avions déjà exprimé l'an passé notre irritation face à la manière dont les choses sont présentées.
Les chercheurs Inresta et Onema ont produit entre 2013 et 2016 une synthèse sur les effets cumulés des retenues (Carluer et al 2016). L'une de leurs principales conclusions est que le sujet est aujourd'hui très mal traité par la recherche en dehors du cas particulier des grands barrages-réservoirs. On manque des données physiques de mesure (rétention, infiltration, évaporation) sur les différents types de retenues, de géologie et d'hydrologie. A dire vrai, on ne sait même pas combien de plans d'eau sont présents sur les territoires, car la directive cadre européenne et son interprétation française les ont fait disparaître du radar (Touchart et Bartout 2020).
Le schéma suivant, extrait de cette expertise de 2016, rappelle que les retenues ont aussi un rôle d'infiltration de l'eau vers les sols et les nappes, ce qui est encore plus vrai quand ces retenues dérivent des canaux (servant à l'irrigation, l'énergie, l'agrément selon les cas) et donc multiplient les occasions d'échange hydrologique.
Si le but est de stocker et répartir (en surface, en sol, en nappe, en croissance végétale) les eaux excédentaires de l'autonome au printemps pour affronter de la meilleure manière possible les étés, comment les réseaux de retenues et de canaux peuvent-ils être jugés inutiles? Pourquoi réduire la question à la sécheresse agricole - certes, première cause de consommation d'eau en été -, alors que la sécheresse hydrologique a aussi comme enjeu la présence locale d'eau partout pour le vivant et pour la société? Les poissons des petites rivières et leurs riverains, les villages traversés par des biefs, les étangs et leurs habitants n'ont-ils pas eux aussi droit à la considération?
Voici 2 ans, huit scientifiques ont fait tourner des modèles climatiques et hydrologiques pour analyser la possible évolution des sécheresses au 21e siècle, en distinguant la sécheresse météorologique (défaut de précipitations), la sécheresse agricole (sols secs), la sécheresse hydrologique (baisse des nappes et débits). Leur travail (encore provisoire car les modèles doivent s'améliorer) montre que les épisodes de sécheresses devraient globalement s'aggraver dans la plupart des régions du monde, surtout aux latitudes moyennes comme la France et l'Europe. Plus on émet de gaz à effet de serre, plus l'impact sera fort: la prévention par transition énergétique est donc déjà une première nécessité. Les auteurs montrent aussi que l'on peut conjurer les sécheresses agricoles, mais au risque d'aggraver les sécheresses hydrologiques si l'usage de l'eau est localement excessif, notamment pour l'irrigation. Il devient donc indispensable d'avoir une vue précise de la ressource en eau de chaque bassin et de ses connexions à l'aval, tant pour les besoins de la société que pour la préservation des milieux aquatiques (Wan et al 2018).
Des travaux récemment parus montrent que la préservation des retenues de moulins, d'étangs ou de plans d'eau a des intérêts pour la gestion de l'eau. Or ces milieux sont aujourd'hui détruits et asséchés au nom d'une continuité écologique exigeant que toute l'eau passe dans le lit mineur et ne soit plus retenue, même si cela élimine des milieux aquatiques et humides en place comme des plans d'eau ou des canaux. Le résultat est souvent la discontinuité hydrique en été, avec des lames d'eau faibles offrant peu de refuge au vivant, voire des assecs éliminant toute vie aquatique.
Deux chercheurs de l'université d'Aix-la-Chapelle montrent que l'implantation millénaire des moulins à eau a modifié progressivement la morphologie des lits mineurs et majeurs des rivières de plaine d'Europe occidentale. Dans ce type de cours d'eau, la suppression des ouvrages de moulin (chaussées, écluses, déversoirs) conduit à des incisions de lit mineur, à des moindres débordements en lit majeur d'inondation (donc des assèchements), à des transferts de sédiments plus fins (plutôt jugés néfastes en colmatage de fond) (Maaß et Schüttrumpf 2019).
Une étude de quatre chercheurs de l'université d'Orléans sur un site à étang artificiel et zone humide naturelle du Limousin montre que le bilan hydrique d'un étang en terme d'évaporation est meilleur que celui de la zone humide. Les scientifiques soulignent que leur observation va à l'encontre des discours tenus par certains gestionnaires publics de l'eau, qui militent aujourd'hui pour la destruction des retenues et canaux au nom de la continuité écologique, de la renaturation ou du changement climatique (Al Domany et al 2020).
Deux chercheurs polonais ayant étudié l'effet morphologique, sédimentaire et hydrologique de moulins présents depuis 7 siècles sur une rivière notent que leur abandon s'est traduit par une perte de la capacité de rétention locale d'eau dans les nappes et de la rétention globale d'eau de surface dans le bassin versant (Podgórski et Szatten 2020).
Dix chercheurs européens ont tiré la sonnette d'alarme : les milieux aquatiques et humides anthropiques (d'origine humaine), qui représentent 90% des plans d'eau et 30% des surfaces en eau de l'Europe, ont été purement et simplement effacés du radar de la directive cadre européenne sur l'eau et de sa mise en oeuvre par chaque pays. Or, quoique créés par les humains, ces milieux ont des effets sur les cycles biogéochimiques, sur les services écosystémiques et sur la biodiversité (Koschorreck et al 2020).
Dans une récente revue, trois chercheurs soulignent que les besoins en eau des sociétés ont peu de chance de décroître à horizon prévisible, et que chaque bassin se retrouve confronté à la question d'un stockage optimal de l'eau (Eriyagama et al 2020). Cette optimalité concerne la forme des stockages, pouvant être concentrée/centralisée ou au contraire plus ou moins distribuée:
L'optimalité exige aussi de prendre en compte ensemble les dimensions écologiques, sociales et économiques des choix démocratiques :
De tels travaux sont nombreux (lire les textes référencés en bas de cet article). On en vient donc à se demander : est-ce au nom d'une idéologie, ou d'un pouvoir bureaucratique, que certains dénigrent les retenues d'eau? Quand vague de chaleur après vague de chaleur les milieux aquatiques français seront asséchés, tandis que l'administration aura bloqué les projets de retenues et détruit celles qui existent au nom du dogme de la continuité prétendument "écologique", ces acteurs prendront-ils la responsabilité de leurs propos?
La question de l'eau est cruciale pour le vivant, avec un grand nombre d'espèces de milieux aquatiques et humides déjà sous pression, en état vulnérable. Elle est cruciale pour la société qui devra affronter des étés de plus en plus chauds et stressants. Elle est cruciale pour l'économie, dont des pans entiers sont à l'arrêt si les ressources sont taries. Il ne faut plus penser cette question selon des oppositions anciennes entre "naturel" et "artificiel" : des retenues gérées de manière écologiquement responsable, conçues ou aménagées pour ne pas entraver la circulation d'espèces qui en ont besoin, font partie des solutions. Ce n'est qu'un des outils d'une plus vaste panoplie. Mais un outil à assumer et utiliser.
Réponse à quelques idées reçues
Idée reçue #04: "Les ouvrages hydrauliques nuisent à l'auto-épuration de la rivière"
Idée reçue #09 : "Seuils, digues et barrages nuisent aux services rendus par les écosystèmes, qui demandent des rivières libres"
Idée reçue #10 : "Etangs et retenues réchauffent toujours les rivières et nuisent gravement aux milieux"
Idée reçue #16: "L'évaporation estivale des retenues nuit fortement aux rivières"
Idée reçue #17: "L'effacement des ouvrages hydrauliques permet de s'adapter au changement climatique"
Orientations pour une gestion durable de l'eau
Sécheresses et conditions climatiques extrêmes: les risques sont-ils correctement pris en compte dans la gestion des rivières?
Trois bilans à mener sur les bassins versants pour anticiper les crises de demain
Hausse des pluies extrêmes en France et rôle des ouvrages hydrauliques
Face aux sécheresses comme aux crues, conserver les ouvrages de nos rivières au lieu de les détruire
Le gouvernement doit cesser de négliger le rôle des plans d'eau, biefs et zones humides
27/07/2020
Le moulin est devenu un patrimoine naturel autant que culturel
Les moulins ont été souvent valorisés par leurs acheteurs et par leurs associations comme un patrimoine historique, technique et culturel. Et pour cause, ils sont un témoignage exceptionnel du passé, des générations qui ont nourri la France et construit par leur travail l'économie du pays. Les moulins furent depuis deux millénaires les usines à tout faire des communautés humaines de chaque bassin versant : farines, huiles, tissus, métaux, bois, papiers, électricité... tout pouvait être transformé avec un moteur hydraulique à roue, puis à turbine. Et cela reste vrai aujourd'hui pour tous les moulins encore producteurs, ou le redevenant.
Un autre attrait des moulins à eau est évidemment paysager, l'agrément du bord de rivière. Certes, les crues sont difficiles à vivre, même si les anciens avaient l'habileté de surélever leurs biefs un peu à l'écart de la rivière, et de conserver un rez-de-chaussée inondable en connaissance des caprices de l'eau. Hors ces risques propres à toute propriété riveraine, la présence de l'eau est une joie de tous les jours pour ceux qui en ont la sensibilité.
Mais le moulin ne peut être seulement habité et vécu comme témoignage historique et agrément paysager. Aujourd'hui, les propriétaires de moulin doivent ajouter une nouvelle dimension : l'écologie du site.
Ce point n'est pas toujours familier à tous. Le plaisir de l'eau comme paysage n'est pas la connaissance de l'eau comme milieu. Or, le moulin a des effets sur l'eau-milieu. Ici il va accumuler des sédiments, là ralentir des écoulements, la gestion des vannes modifiant ces paramètres. Les premiers bâtisseurs en étaient parfois conscients, au moins partiellement, par empirisme. On voit par exemple de-ci de-là des chaussées empierrées fort anciennes dont la crête du côté de l'ancrage en rive opposée au moulin est abaissée : c'était la "passe à poissons" intuitive des bâtisseurs de l'époque, l'endroit où l'eau verse préférentiellement et où la chute s'annule vite quand la rivière gonfle. Ayant parfois oublié cela, le propriétaire en lien avec l'administration a pu remettre au 20e siècle la crête de son ouvrage "au cordeau" uniforme du niveau légal... mais cet oubli d'une culture de la nature au profit d'une rectitude réglementaire ne fut pas forcément un gain environnemental.
Penser et gérer le moulin comme milieu à part entière
Plus encore, le moulin est un milieu écologique à part entière. Il doit aujourd'hui être envisagé, mais aussi revendiqué et géré, comme un patrimoine naturel autant que technique.
Cette conclusion provient d'une évolution majeure de la connaissance en écologie des 30 dernières années: peu importe qu'un habitat soit d'origine artificielle ou naturelle, humaine ou non-humaine, l'important est d'examiner les fonctionnalités et les biodiversités de cet habitat. Exemples de fonctionnalités : le moulin va collecter une partie des eaux de crue ou rehausser la hauteur de nappe. Exemples de biodiversités : le moulin va héberger des poissons, oiseaux, mammifères, invertébrés, végétaux dans ses parties aquatiques et rivulaires. Le moulin crée bien sûr un milieu modifié, comme l'étang ou le plan d'eau, mais cela reste un milieu biophysique ayant certaines propriétés adaptés à certains vivants.
La "nature" entendue comme ce qui serait totalement indemne d'une influence humaine n'existe plus, sinon comme construction intellectuelle fausse. Il n'y a que des milieux présentant des gradients de modification. Même les tronçons de rivière qui coulent en amont et en aval de l'emprise directe du moulin sont des milieux eux aussi modifiés, comme leurs berges.
Les scientifiques discutent aujourd'hui pour savoir si notre époque géologique se nomme Anthropocène, c'est-à-dire l'époque où l'être humain a modifié par son action de grands cycles biogéochimiques (carbone, azote, phosphore, uranium, eau, répartition des espèces...). Or si cette période est reconnue, le moulin pourrait sûrement figurer comme son ancêtre : en s'installant avec l'étang et la forge au fil de l'eau dès l'Antiquité, il témoigne de la lente fusion de l'humain et du non-humain sur les rives. C'était à la période "calme" de l'Anthropocène, la période des changements modestes et ajustements délicats, c'était avant la "grande accélération" d'après 1945 qui a dégradé les milieux. Des chercheurs l'ont montré en France, en Belgique, en Angleterre, en Allemagne, en Pologne, aux Etats-Unis : les petits ouvrages ayant émergé au long des siècles sont partie intégrante de la dynamique morphologique et biologique de leurs bassins. Les effets sur l'énergie de l'eau, le transport des sédiments, l'apparition d'habitats ont créé des nouveaux écosystèmes, parfois appelés écosystèmes culturels. Des espèces ont pu refluer, d'autres se sont installées.
Ce lien entre nature et culture est parfois oublié ou ignoré: il faut le réveiller. Le percevoir, le comprendre, l'entretenir. C'est vrai chez certains propriétaires, plus portés à la dimension historique ou technique, mais c'est vrai aussi chez les gestionnaires publics des rivières. Aujourd'hui, le ministère de l'écologie et le ministère de la culture travaillent en parallèle sur la question des moulins. Les uns ne voient que la nature, les autres que la culture, alors que la réalité est hybride. Les uns ou les autres raisonnent en terme de "concession" (un peu pour la nature ou un peu pour la culture?), alors que le moulin doit être vu comme un socio-écosystème intégré. Il s'agit de savoir comment, au droit du moulin, le complexe nature-culture uni en une seule réalité peut évoluer. Et non pas de dire que l'on accorde la primauté à ceci ou cela.
Toutes les associations de moulins doivent aujourd'hui diffuser chez leurs adhérents cette nouvelle culture écologique, qui ne manquera pas de prendre de l'importance dans les politiques publiques et dans les choix privés. Car la ressource en eau, le maintien de la biodiversité, la lutte contre les pollutions, l'atténuation du changement climatique, ce sont les enjeux de notre siècle. L'attention portée à la nature et l'attention portée à la culture se nourrissent aux mêmes désirs : veiller, protéger, valoriser, transmettre. Les propriétaires de moulins, en raison du patrimoine dont ils ont la charge, ont vocation à devenir exemplaires.
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15/07/2020
Les scientifiques appellent à explorer d'urgence les "trésors cachés" mais négligés des milieux aquatiques d'origine humaine (Koschorreck et al 2020)
"Les plans d'eau artificiels comme les fossés, les étangs, les déversoirs, les réservoirs, les échelles à poissons et les canaux d'irrigation sont généralement construits et gérés de manière à optimiser leurs objectifs. Cependant, ces systèmes aquatiques créés par l'homme ont également des conséquences imprévues sur les services écosystémiques et les cycles biogéochimiques. Les connaissances sur leur fonctionnement et les éventuels services écosystémiques supplémentaires sont médiocres, en particulier par rapport aux écosystèmes naturels.
Une analyse SIG indique qu'à l'heure actuelle, seuls ~10% des eaux de surface européennes sont couvertes par la directive-cadre européenne sur l'eau et qu'une fraction considérable des systèmes exclus sont probablement des systèmes aquatiques créés par l'homme. Il existe un décalage évident entre la possible importance élevée des plans d'eau d'origine humaine et leur faible représentation dans la recherche et les politiques scientifiques.
Nous proposons un programme de recherche pour dresser un inventaire des écosystèmes aquatiques d'origine humaine, soutenir et faire avancer la recherche pour approfondir notre compréhension du rôle de ces systèmes dans les cycles biogéochimiques locaux et mondiaux ainsi que pour identifier d'autres avantages pour la société. Nous soulignons la nécessité d'études visant à optimiser la gestion des systèmes aquatiques d'origine humaine compte tenu de toutes leurs fonctions et à soutenir des programmes conçus pour surmonter les obstacles à l'adoption de stratégies de gestion optimisées."
Dans le détail, les chercheurs rappellent que la directive européenne sur l'eau (DCE) a centré ses analyses sur une fraction des écoulements naturels, mais du même coup ignoré l'analyse et le suivi de nombreuses réalités hydrologiques :
"la DCE ne couvre qu'une fraction des eaux de surface existantes. Une première estimation utilisant des bases de données publiques révèle qu'environ 90% des masses d'eau douce européennes (lacs, rivières, ruisseaux) ne relèvent pas de la DCE, ce qui indique un grand manque d'informations en termes de nombres, de superficie, de volumes, d'hydrologie , biogéochimie, écologie et services écosystémiques des systèmes d'eau douce. Notre analyse montre que les rapports de la DCE couvrent environ 70% de la superficie des eaux de surface européennes et ne parviennent pas spécifiquement à traiter les petits plans d'eau, qui sont connus pour avoir un impact conséquent sur les cycles biogéochimiques (Holgerson et Raymond 2016). Surtout, bien qu'il vise à inclure les fonctions et les exigences des écosystèmes écologiques et sociétaux, la DCE ne parvient pas à aborder certains aspects, tels que les processus fondés sur l'eau qui contribuent aux émissions de gaz à effet de serre (GES) (Moss et al. 2011). Le fait que les plans d'eau artificiels soient pour la plupart exclus de la proposition de règle américaine sur la qualité de l'eau (EPA 2015) montre que nos conclusions ne se limitent pas à l'Europe."
A propos des étangs, ils soulignent par exemple :
"Bien que le but principal des étangs d'aquaculture soit la production, ils fournissent également diverses autres fonctions de l'écosystème telles que la régulation des inondations, la régulation du climat, le maintien de la complexité structurelle et la biodiversité dans le paysage et / ou la rétention des sédiments, de la matière organique, des nutriments et micro-polluants et peuvent être utilisés pour les loisirs (Boyd et al. 2010; Gaillard et al. 2016; Four et al. 2017). Les objectifs de chaque étang peuvent entrer en conflit les uns avec les autres, le compromis le plus courant entre les besoins de maximiser la production de poisson et les besoins de bonne qualité de l'eau, les manipulations de l'eau et les services écosystémiques (Pechar 2000; Verdegem et Bosma 2009)."Ou encore à propos des seuils (déversoirs) et petits barrages :
"les petits plans d'eau artificiels dérivés des déversoirs sont extrêmement actifs en termes de processus biogéochimiques, modifiant profondément la structure et le fonctionnement des écosystèmes fluviaux loin en aval de leur emplacement (Fencl et al. 2015). Ils abritent un certain nombre de services écosystémiques offrant des avantages à la société comme la production d'électricité, les infrastructures d'irrigation ou les loisirs (Winemiller et al. 2016). Cela est particulièrement vrai dans les pays arides et semi-arides, où les lacs naturels de plaine sont rares, et les écosystèmes créés par l'homme tels que les déversoirs sont souvent les seules caractéristiques lacustres du paysage."Au final, les chercheurs observent une carence des connaissances scientifiques sur ces milieux aquatiques artificiels
"Nous avons identifié ici un certain nombre de lacunes importantes dans les connaissances:Pour y remédier, les auteurs insistent sur la nécessité de développer une analyse scientifique rigoureuse:
- Les informations sur l'abondance et la couverture surfacique de ces systèmes sont encore insuffisantes. Ces informations sont à la base d'une mise à l'échelle des effets.
- Les informations sur le cycle biogéochimique dans ces systèmes sont médiocres. On ne sait pas dans quelle mesure le fonctionnement biogéochimique de ces systèmes de plans d'eau artificiels est comparable ou s'écarte des systèmes naturels.
- Les multiples services socio-écologiques fournis par les différents plans d'eau créés par l'homme doivent être identifiés.
- Les options de gestion et leur interaction avec et effet sur la biogéochimie ne sont pas suffisamment explorées."
"Sur la base de cette analyse, nous proposons un programme de recherche:Discussion
- Soutenir la construction d'un inventaire des différents systèmes. Les approches prometteuses sont l'utilisation de bases de données publiques intégrant des données de télédétection et des flux de travail, et des réseaux de capteurs distribués in situ.
- Soutenir et faire avancer la recherche pour approfondir notre compréhension de la biogéochimie des systèmes d'eau artificiels. Les études sur les émissions de gaz à effet de serre et la dynamique des nutriments sont particulièrement pertinentes.
- Soutenir la recherche sur l'identification des avantages pour la société, y compris les pêcheurs, les agriculteurs, l'industrie, les agences gouvernementales, les utilisateurs récréatifs et les visiteurs qui ne relèvent pas de la fonctionnalité immédiate de ces systèmes.
- Soutien sécurisé aux études visant à l'optimisation de la gestion des systèmes d'eau d'origine humaine compte tenu de la fonctionnalité immédiate de ces systèmes ainsi que de leurs autres services.
- Soutenir et faire progresser les programmes conçus pour surmonter les obstacles à l'adoption de stratégies de gestion optimisées."
Le travail de Matthias Koschorreck et de ses collègues n'est pas isolé. Un nombre croissant de chercheurs pointe que les représentations ayant alimenté le directive cadre sur l'eau de 2000 en Europe (ou la loi sur l'eau de 2006 en France) sont incomplètes. Le paradigme de l'eau comme milieu naturel devant se comprendre par approche biophysique exclusive est défaillant à inspirer une politique publique équilibrée. D'une part, il ignore la dimension sociale de l'eau et des services rendus par des écosystèmes. D'autre part, il méconnaît plusieurs millénaires d'occupation des bassins versants ayant non seulement modifié les fonctionnements naturels des rivières, mais aussi créé d'innombrables milieux anthropiques, que l'on appelle souvent des "nouveaux écosystèmes" (voir par exemple Chester et Robson 2013, Sneddon et al 2017, Hill et al 2018, Clifford et Hefferman 2018, Evans et Davis 2018, Mooij et al 2019, Touchart et Bartout 2020).
L'ignorance de ces milieux aquatiques et humides d'origine humaine est problématique car elle prive leurs propriétaires privés comme les gestionnaires publics d'informations qui pourraient être utiles à une meilleure gestion au plan de préservation de l'eau, du bilan carbone, de la dépollution ou encore de la conservation de la biodiversité. Elle est encore plus critique dans des pays comme la France où une politique d'Etat autoritaire a considéré que tout ouvrage hydraulique est un problème a priori au regard d'une naturalité ou fonctionnalité idéale des cours d'eau, ce qui a produit à partir de 2009 un engagement public (financier et règlementaire) en faveur de la destruction de ces ouvrages et de leurs milieux (réforme dite de "continuité écologique").
A de multiples reprises, nous avons alerté les préfets, les agences de l'eau, l'office de la biodiversité, le ministère de l'écologie et les parlementaires sur le manque de connaissance de ces milieux et sur le caractère bâclé des études d'impact qui en sont faites (voir ce guide pour des études de terrain plus conformes aux observations de la science contemporaine et non à des vues essentiellement halieutiques, voir cet article sur les biais d'expertise qui n'intègrent pas les dimensions multiples de l'eau). Certains font évoluer peu à peu leur discours, comme des agences de l'eau cessant de considérer tout ouvrage hydraulique comme problème en soi (à défaut d'engager activement leur analyse socio-écologique, hélas). D'autres se braquent au contraire sur des choix faits dans les années 1990 dont on mesure pourtant les limites épistémologiques et les oppositions suscitées. Il est temps de remettre à jour la politique de l'eau en France, en l'adaptant aux connaissances en évolution rapide. C'est d'autant plus nécessaire que le changement climatique, plus intense que prévu selon certains modèles, est en train d'imposer son agenda et de faire de l'eau un enjeu majeur en Europe. Face à ce défi, le programme consistant à simplement valoriser un état antérieur de la nature et à condamner toute artificialisation est insatisfaisant. Et dangereux.
Référence : Koschorreck M (2020), Hidden treasures: Human-made aquatic ecosystems harbour unexplored opportunities, Ambio, 49, 531–540
24/06/2020
Sauver le lac de la Roche-Qui-Boit de la destruction sur ordre de l'administration
Texte de la pétition:
Sauver l'habitat de la Loutre d'Europe en baie du Mont Saint Michel !
À l'heure où les enjeux liés à l'environnement, la biodiversité, sont de plus en plus présents dans les débats publics, la présence de la loutre d'Europe, espèce protégée, dans le lac de la Roche-qui-Boit mais aussi au pied du barrage de la Roche-qui-boit jusqu'au moulin de Quincampoix.. est confirmée et rendue publique en Juin 2019 par arrêté préfectoral - source
Cette information cruciale n'a été communiquée ni à Chantal Jouanno au ministère de l’environnement en 2009 ni à Nicolas Hulot en 2018 lorsque la décision fut prise d'araser les barrages de la Sélune.
L'un des arguments phares sur laquelle s'appuie cette décision est l'impossibilité pour les poissons migrateurs de circuler librement. Tout cela omettant totalement l'existence d’un piégeage permettant de répondre à la montaison des poissons présents à l'aval de la Roche-qui-Boit, piégeage analogue à ce qui existe depuis 10 ans sur la Garonne - voir la vidéo
Au delà d'être devenu l'habitat naturel de la loutre, le lac de la roche-qui-boit se trouve être un véritable atout face aux différentes menaces liées au réchauffement climatique. Ce lac est plurifonctionnel. Il répond à la sécurité des sécheresses et de certaines inondations. En effet, les barrages ont l'avantage de ralentir les inondations et d'être utiles pour les prévenir - un petit rappel historique. De plus, l'appauvrissement des sols agricoles, l’arasement des talus et l'urbanisation grandissante depuis plus d'un siècle place plusieurs villages alentours, habitants, agriculteurs, ouvriers, intérimaires, entreprises, bétails sous la menace de crues et de glissements de terrains qui seraient plus importants et plus violents si le barrage n’existait pas. Et tout cela sans compter toute la faune et la flore qui se sont parfaitement réapproprié ce nouvel écosystème créé par le barrage et qui sont aujourd'hui condamnées à disparaître. Ce n'est pas seulement la loutre, c'est tout cet écosystème que nous cherchons à préserver, tout ce qui se développe depuis tant d'années autour de celui ci.
La biodiversité est aujourd'hui notre meilleure assurance vie !
La loutre animal protégé
Il serait tout à fait paradoxal d'amener cette affaire au pénal dans l'espoir de réussir à faire classer le lac de la Roche-qui-Boit, habitat des loutres d'Europe, au patrimoine historique, culturel et solidaire. En effet en France la loi est claire : Détruire ou enlever les œufs ou les nids des animaux des espèces protégées, Mutiler ces animaux, les tuer ou les capturer, et perturber intentionnellement ces animaux dans leur milieu naturel est passible de 3 ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende.
Dans le cas où l'infraction serait commise au cœur d'un parc naturel, l'amende est doublée. Sur le plan pénal les entreprises, ouvriers, intérimaires qui participeraient à la destruction de l’habitat de la loutre risquent gros (bande organisée)
« Le fait de commettre les infractions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 415-3 du présent code en bande organisée, au sens de l'article 132-71 du code pénal, est puni de sept ans d’emprisonnement et 750 000 € d'amende. » - Source
La police judiciaire de l'environnement
Plus que jamais nous devons faire preuve de solidarité et notamment envers la nature. Aidez nous à faire entendre cet appel au Ministère de la Transition Écologique et Solidaire et ainsi à préserver le lac et le barrage de la Roche-Qui-Boit et leur précieuse biodiversité.
Pour plus d'informations ou pour toute demande n'hésitez pas à nous contacter : lesloutresdelarochequiboit@gmail.com
Pour signer cette pétition et soutenir la défense de la Roche-Qui-Boit, c'est ici
20/06/2020
Qui va définir les services environnementaux justifiant des paiements? (Kolinjivadi 2020)
L'évaluation des projets de PSE repose sur la notion de "conditionnalité", ce qui signifie que les paiements aux utilisateurs des terres dépendent de la preuve que le SE (par exemple, une meilleure qualité de l'eau) a été atteint ou, plus fréquemment, que l'utilisation convenue des terres selon les pratiques qui servent de base à l'accord a été mise en œuvre. Que les projets de PSE atteignent ou non leurs objectifs, le cadre de ces accords et les relations homme-nature qu'ils représentent ont de nombreuses ramifications cachées, et même insidieuses. Ce sont ces préoccupations que cette intervention aborde.
Les relations sociales intimes entre les gens et leur territoire
Dans son essai de 2014, "Qu'est-ce que la terre?" l'anthropologue Tanya Murray Li a écrit sur la façon dont la «terre» est assemblée en «ressource» par un réseau sophistiqué de scientifiques, d'investisseurs, de techniciens, de responsables gouvernementaux et d'acteurs non gouvernementaux. Grâce aux efforts de ces experts, la «terre» et «l'eau» deviennent des ressources tangibles à gouverner par l'attribution de droits de propriété. Pourtant, la terre, et en fait l'eau, ne sont pas des objets solides qui peuvent être, selon les mots de Li, enroulés comme une natte. Ils offrent ce qu'elle appelle des «opportunités» [affordance] ou des relations sociales intimes entre les gens et leur territoire. Ces opportunités reflètent la notion d'abondance et elles sont imprégnées de cultures qui ont généré des interactions significatives avec l'environnement vivant et non vivant, à des moments et des endroits spécifiques, et à travers des histoires de mémoire collective transmises depuis des temps immémoriaux. Un attachement ou un sentiment d'appartenance à la terre et aux eaux crée des identités sociales, qui à leur tour façonnent les possibilités infinies qu'offre la terre. Tout comme la matérialité fluide de l'eau elle-même, les opportunités qui caractérisent les relations homme-nature sont toujours émergentes, toujours transformantes, mais toujours présentes.
Lorsque les avantages de la terre ou de l'eau pour les personnes sont définis comme des services écosystémiques (SE) «d'approvisionnement», «régulateurs» ou «culturels», un certain degré de cette intimité et de la fluidité matérielle et sociale des relations homme-nature devient fixé artificiellement dans le temps et l'espace. Bien que cela puisse être fait pour des raisons politiques et économiques, les relations émergentes de ces "opportunités" sont disciplinées en catégories stériles rendues lisibles pour cartographier et attribuer des valeurs monétaires à des bassins versants plus "multifonctionnels". Les résultats écologiques sont ensuite évalués par la modélisation technique et la manipulation de ces catégories SE abstraites et proclamés comme une "science" à part entière, approuvés et légitimés par le biais de forums scientifiques et politiques comme le Groupe d'experts intergouvernemental sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Dans le processus, la diversité épistémologique et ontologique est réduite à des constructions sociales faciles à catégoriser comme SE. Cette objectivation est largement imposée par un lien entre des universitaires du Nord, des agences d'aide multilatérale et des consultants financés par le Nord. Cela signifie que l'injustice et l'iniquité dans les politiques de "services écosystémiques" seront à la base de leur fonctionnement, plutôt que quelque chose qui peut être résolu par une conception et une mise en œuvre plus inclusives.
Le PSE va encore plus loin dans cette violence épistémique. Après avoir déjà présumé que les SE sont des réalités scientifiques objectives qui peuvent être identifiées, mesurées, cartographiées et accordées sans équivoque, les systèmes de PSE tentent d'engager des négociations entre les utilisateurs des terres et de l'eau en introduisant des incitations idéalement alignées sur le coût d'opportunité économique de leur "livraison." Ce qui a commencé comme une reconnaissance des formes intimes de connexion et de relations avec la terre et l'eau se termine par leur objectivation en tant qu'ES et, par la suite, l'échange de ces valeurs par des incitations économiques.
Cela ne signifie pas que les paiements ne peuvent pas être avantageux. Ils peuvent l'être s'ils engendrent de nouveaux types de relations sociales qui se fondent sur l'intendance de la terre et de l'eau. Les facteurs qui conduisent à ces résultats potentiellement positifs refléteront la manière dont les incitations répondent aux besoins individuels et collectifs des utilisateurs des terres et de l'eau. Cependant, en supposant que des paiements peuvent être effectués pour "fournir" efficacement des moyens de subsistance, on n'apprécie pas le déroulement dynamique des relations homme-nature qui sont continuellement mises en place. De telles relations ne peuvent pas être "livrées" car elles sont immédiatement modifiées dès qu'elles sont objectivées et inscrites dans une transaction PES conditionnelle. Une bonne analogie ici est l'amitié. Une amitié émerge souvent spontanément de l'attention et de l'affection. Mais que se passe-t-il si une amitié n'est faite pour "exister" qu'à la remise conditionnelle d'une liste de contrôle de ce qui compte comme amitié? Cette amitié changerait sûrement son caractère dans le second par rapport au premier.
Ainsi, la question se pose alors: si les SE sont créés par un cadre d'experts externes qui tentent de traduire les ressources foncières et l'eau profondément situées et souvent intangibles en "ressources" plus facilement manipulables, par exemple, "la gestion des bassins versants", alors qu'arrive-t-il aux affinités qui se perdent dans cette traduction? Qu'arrive-t-il aux régimes fonciers coutumiers fonciers et hydriques qui impliquent diverses manières de connaître la terre et l'eau, et qui ne peuvent pas être compris comme des "ressources" économiquement excluables ou rivales comme le sont des constructions comme les crédits de carbone ou les permis d'échange de la qualité de l'eau? Ainsi, l'impératif d'exiger la conditionnalité dans les PSE modifiera inévitablement les opportunités qui façonnent et sont elles-mêmes façonnées par les pratiques socioculturelles. Cette altération peut risquer de déposséder les gens de ces avantages ou elle peut en générer de nouveaux; mais leur caractère changera inévitablement malgré tout.
Des experts "externes" déterminant les services ou une autonomie culturelle?
Cette nuance est à peine reconnue par les théoriciens du PSE, qui restent déterminés à privilégier la stricte conditionnalité écologique à la «prestation des SE» par-dessus tout, avec peu de considération pour l'équité sociale ou la justice. La perversité de la conditionnalité réside dans la séquence: a) identifier d'abord les avantages de la nature pour des personnes spécifiques (plus souvent déjà prédéterminés comme SE par des "experts" externes) et ensuite b) licencier efficacement ces mêmes personnes en exigeant que les avantages de cette nature soient prioritaires avant tout pour assurer la soi-disant efficacité écologique des PSE. Cela est particulièrement problématique lorsque les catégories de SE ne sont même pas à discuter dans des mécanismes de financement durable à grande échelle financés par le Nord comme le Fonds vert pour le climat. Les mécanismes de financement internationaux comme REDD + qui tentent de «regrouper» les SE, pour la séquestration du carbone, la qualité de l'eau et la biodiversité, tournent déjà et traitent des SE abstraits, limitant la discussion uniquement à la manière dont la conditionnalité peut être réalisée plus efficacement.
Les SE peuvent en effet servir d'outil pédagogique pour illustrer à quel point les usages de la terre et de l'eau sont plus que ce qui semble à première vue. Mais pour certaines personnes, en particulier les communautés autochtones qui ont maintenu des relations relativement harmonieuses avec leurs terres et leurs eaux, cette reconnaissance et cette codification n'ont pas besoin d'être explicitées - et surtout pas par les "experts" du Nord. En plus de perpétuer les héritages coloniaux peu recommandables dans la hiérarchisation des connaissances occidentales sur les autres, cela peut avoir l'effet contre-intuitif de réifier les relations socio-écologiques qui existent, qui existent. De telles relations n'ont pas besoin d'être expliquées et simplifiées dans des récits occidentaux, et encore moins regroupées en paiements conditionnels alignés sur les coûts d'opportunité économiques.
Si les érudits et les praticiens de (P)SE sont prêts à céder leur place ici, ils pourraient en venir à percevoir comment les négociations incitatives sont monnaie courante pour les utilisateurs des terres et de l'eau naviguant constamment entre le désir d'une plus grande autonomie culturelle sur leurs terres et leurs eaux et les impératifs des ouvertures de l'État et du marché, qui les obligent à considérer les opportunités de la terre et de l'eau comme des «ressources». Une plus grande attention aux premiers peut aider à identifier comment les incitations peuvent favoriser une plus grande cohésion sociale et une meilleure appropriation de la génération d'opportunités nouvelles sur la terre et l'eau. Cependant, tant que la communauté (P)ES continuera de poursuivre ce dernier, l'injustice et l'iniquité dans ces programmes et politiques seront à la hauteur.
Vijay Krishnan Kolinjivadi
Vijay est chercheur post-doctoral à l'Institut des politiques de développement (IOB) de l'Université d'Anvers (Belgique). Écologiste de formation et titulaire d'un doctorat sur les dimensions sociopolitiques de la gestion intégrée des ressources en eau, ses recherches se concentrent sur les intersections de l'économie écologique et de l'écologie politique pour comprendre la complexité socio-écologique. Il effectue des recherches théoriques et empiriques sur les initiatives des PSE depuis plus d'une décennie.
Référence: Li, T.M. (2014), What is Land? Assembling a resource for global investment. Transactions of the Institute of British Geographers 39, 4, 589-602.
Source de ce texte (anglais) Les intertitres sont de la rédaction.
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