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31/10/2015

Mortalité en turbine: une modélisation discutable en Loire-Bretagne (Briand et al 2015)

Un travail a été mené sur le bassin de Loire-Bretagne pour estimer la mortalité totale des jeunes saumons (smolts) et des anguilles argentées due aux ouvrages hydro-électriques en activité sur les rivières. Les valeurs de mortalité obtenues vont de 2 à 27% des poissons produits sur le bassin. Nous exposons ici des réserves sur les formules utilisées pour le calcul de mortalité et sur l'absence d'intervalle de confiance dans les résultats du modèle. Minimiser la mortalité piscicole dans les ouvrages hydro-électriques est un vrai enjeu, en particulier si l'on souhaite le plein développement de cette source d'énergie dans les années à venir. Mais il faut au préalable améliorer les connaissances sur les mortalités réelles en conditions d'exploitation, particulièrement pour les petites puissances très peu étudiées à ce jour dans la littérature scientifique. Cette analyse par gradient de puissance est également nécessaire pour adapter les prescriptions réglementaires d'ichtyocompatibilité des installations. 

Une étude sur la mortalité des saumons et anguilles a été produite sur le bassin Loire-Bretagne, avec pour auteurs Cédric Briand (EPTB-Vilaine), Marion Legrand (Loire Grands Migrateurs), Pierre-Marie Chapon (Onema-INRA), Laurent Beaulaton (Onema-INRA), Gaëlle Germis (Bretagne Grands Migrateurs), Marie-Andrée Arago (Onema), Timothée Besse (Loire Grands Migrateurs), Laura De Canet (Loire Grands Migrateurs) et Pierre Steinbach (Onema). Il s'agit d'une modélisation à échelle de bassin versant.


Méthodes et résultats
L’effet des ouvrages hydro-électrique sur la mortalité en dévalaison a été simulé à l’aide d'un modèle de répartition des poissons (saumons en phase smolt, anguilles) et d'un modèle de mortalité en turbine, à l’échelle de Loire-Bretagne (155.000 km2 de rivières). Les productions de smolts ont été évaluées à 100 000, celles d'anguilles à 306.700 (fleuves côtiers de Bretagne), 314.900 (Loire) et 124.400 (fleuves côtiers  de Vendée). Les calculs de mortalité ont été appliqués à 387 des 749 ouvrages de la zone, soit 578 turbines.

Chez les smolts, les taux moyens de mortalité dans les turbines ont été calculé à 17% dans les Kaplan, 20% dans les Francis et une mortalité moyenne de 20% appliquée aux turbines de caractéristique inconnue (43%). Chez les anguilles, les mortalités moyennes dans les turbines ont été établies à 45.8%, 88.5% et 70.8% dans les turbines Kaplan, Francis et indéterminées respectivement.

Pour les saumons, les mortalités sont évaluées à N=26.872 (soit 27%) de la production de smolts en Loire, et N=1 636 (soit 2%) en Bretagne. Pour l’anguille, les mortalités sont évaluées à N=9831 (soit 3.1%) de la production d’anguilles argentées en Loire, N=9418 (soit 3.3%) en Bretagne et N=2687 (soit 2.2%) en Vendée.

Nos observations : un modèle de mortalité perfectible avec une absence peu crédible de marge d'erreur
Notre principale réserve est que le modèle ne produit aucun intervalle de confiance. Par définition, le modèle de production des saumons et anguilles a des incertitudes, celui de mortalité en turbine également. On s'attend donc à trouver une expression de cette incertitude croisée sous la forme d'une marge d'erreur dans les résultats ou, ce qui revient au même, une fourchette à 95% d'intervalle de confiance. C'est la norme en modélisation et cela permet de juger d'un coup d'oeil la robustesse des calculs : il est tout à fait normal d'avoir des incertitudes dans un modèle, mais il est en revanche anormal de ne pas produire une estimation de ces incertitudes. En particulier quand le travail de modélisation possède une visée applicative à destination du décideur.

Si l'on s'en tient à la modélisation de mortalité en turbine (nous n'avons pas examiné le volet piscicole), une raison pour laquelle on ne trouve pas de marge d'erreur est que les formules employées (équations 2.5 à 2.9) sont déterministes, c'est-à-dire qu'elles sont censées donner un résultat exact une fois les paramètres renseignés (et donc un résultat constant à paramètres identiques). Or, ces équations posent divers problèmes :
  • l'équation de mortalité des smolts en Kaplan ne fait pas intervenir la hauteur ni le débit ni la vitesse de la roue (simplement des paramètres constructif comme le diamètre ou le nombre de pales) ;
  • les travaux sur lesquels reposent ces équations – Larinier et Dartiguelongue 1989, Larinier et Travade 2002  – se fondent sur des échantillons assez faibles de turbines, les auteurs reconnaissant en particulier que les sites de petite puissance sont trop peu représentés. Or l'examen de l'annexe J montre que beaucoup d'ouvrages de la zone ont moins de 5 m de hauteur et/ou moins de 10 m3/s de débit d'équipement ;
  • l'équation utilise une transformation angulaire (arcinus) pour normaliser les réponses en pourcentages, mais cette solution peut biaiser les valeurs faibles ou fortes de la distribution qu'elle "étire" (ce qu'observent Larinier et Travade 2002) ;
  • cette même équation est dépendante de la taille du smolt qui a été fixée dans l'étude soit à 15 soit à 18 cm (alors que cette taille varie plutôt in vivo de 10 à 20 cm) ;
  • les travaux cités montrent que les estimations par régression linéaire manquent une partie de la variabilité des mortalités observées (par exemple, R allant de 0.59 à 0.87 chez Larinier et Travade 2002, la première valeur étant celle des jeunes salmonidés en Kaplan, soit le cas le plus fréquent dans le travail ici analysé). 
Avant ces incertitudes liées au calcul de mortalité pour le poisson déjà engagé dans la turbine se pose la question de la répartition des poissons à l'approche des centrales – c'est-à-dire la question du comportement réel des espèces. La formule retenue sur ce point (équations 2.13 et 2.14) est celle d'une mortalité en dévalaison au pro rata du débit turbiné par rapport au débit classé, sans hypothèse particulière sur l'évitement des ouvrages hydro-électriques (du fait de grille, de vibration, de débit d'attrait ou de tout autre facteur d'influence du comportement du poisson in situ). Là encore, on peut tout à fait admettre des simplifications dans un modèle, mais il est plus difficile d'admettre une approche déterministe ne donnant aucune estimation de sa marge d'erreur ou aucune confrontation de ses choix avec des données empiriques de validation.


Améliorer la modélisation par des études in situ sur les petites puissances
Le travail mené par Cédric Briand et ses collègues est une approche intéressante, mais elle manque quelque peu de réalisme… malgré des résultats de mortalité produits à l'unité près. Nous ne partageons donc pas la conclusion selon laquelle "les résultats sont jugés comme suffisamment robustes pour permettre une priorisation des actions au niveau du bassin Loire Bretagne". Comme ce travail est prévu pour être évolutif, nous ne pouvons que souhaiter une amélioration de ses paramétrisations.

Rappelons que sur certains sites de petite puissance (moins de 500 kW), il serait possible de faire des estimations réalistes de mortalité à filet filtrant posé en sortie de turbine, cela en condition réelle d'exploitation de la centrale et de circulation du poisson. A plusieurs reprises lors de concertations passées, il a été souhaité que l'Onema mène des études sur un échantillon conséquent de moulins et usines de petite puissance, afin de produire ces analyses réalistes de mortalité dont il est reconnu qu'elles manquent dans la littérature scientifique. A notre connaissance, aussi bien les syndicats de producteurs (FHE, EAF) que les fédérations de moulins (FFAM, FDMF) seraient disposés à aider au recrutement de sites volontaires pour des tests.

Tant que ce travail ne sera pas mené selon un protocole accepté par les parties, les calculs n'approcheront que pauvrement la réalité sur certaines situations. Notons que cette réserve est parfaitement neutre sur le résultat de telles études par rapport aux calculs de Briand et al 2015 (sous-estimation ou sur-estimation de la mortalité effective en turbine). Mais l'ignorance n'est pas la solution, et comme le souhaitaient M. Larinier et ses collègues, seules des études plus approfondies pourront améliorer le réalisme des modèles.

Référence
Briand C et al (2015), Mortalité cumulée des saumons et des anguilles dans les turbines du bassin Loire-Bretagne, version 0.3.1, 260 p.

Illustrations : en haut, exemple de résultat du modèle de Briand et al. 2015, mortalité des smolts dévalant en Bretagne ; en bas, modèle de filet filtrant pour étude de mortalité in situ. Le protocole le plus réaliste nous paraît l'analyse des mortalités effectives en période migratoire des espèces d'intérêt, sans contrainte sur le poisson (pas d'injection forcée en distributeur), ce qui permet notamment d'évaluer les comportements spontanés d'évitement.

Voir aussi sur Hydrauxois : Mortalité des poissons en turbine, une analyse critique

14/05/2015

Mortalité des poissons en turbine, une analyse critique

Andreas Rick (ingénieur) nous a fait parvenir une intéressante étude critique sur la mortalité des anguilles en turbine telle qu'elle est aujourd'hui considérée par les services instructeurs de l'Onema. Son analyse met notamment en lumière la faible robustesse (voir non significativité) statistique de certains modèles de mortalité présentés comme références. Elle souligne aussi que ces études concernent des sites de puissances importantes, sans commune mesure avec les équipements modestes des moulins. Ce dernier point est un travers fréquent des travaux menés sur l'hydraulique en lien avec l'environnement, travaux qui ont souvent été réalisés sur des grands sites dont l'hydraulicité n'est pas représentative de la problématique des seuils, chaussées et glacis.

A lire : Rick A (2015), Mortalité des anguilles dans les turbines : les conclusions de l’Onema sont-elles robustes et applicables aux moulins ? (pdf)