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06/11/2019

Désinformation du SAGE de la Tille sur le potentiel hydro-électrique du bassin versant

Les schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE) doivent intégrer une estimation du potentiel hydro-électrique du bassin versant. Les rédacteurs du SAGE de la Tille, aujourd'hui en enquête publique, ont volontairement exclu toutes les puissances de moins de 100 kW dans cet exercice. C'est un mépris de la recherche européenne ayant montré que 90% des sites de moulins et usines hydrauliques équipables se situent dans cet horizon de puissance. C'est un mépris de la nouvelle loi nationale "climat et énergie" qui encourage la "petite hydro-électricité". C'est un mépris du conseil d'Etat ayant posé que la modestie de la puissance d'un moulin ne pouvait pas être un argument contre l'intérêt de son équipement. Il faut cesser de désinformer le public et de retarder l'engagement de la France dans la politique bas-carbone dont tout le monde souligne désormais l'urgence. L'abandon de la production des usines hydrauliques a été une parenthèse uniquement liée à l'abondance fossile du 20e siècle: cette parenthèse se renferme, les ouvrages doivent retrouver leur vocation énergétique séculaire. 



Le SAGE (schéma d'aménagement de gestion de l'eau) de la Tille est soumis à enquête publique du 14 octobre au 18 novembre 2019 (site de la préfecture).

L’article R 212-36 code de l’environnement prévoit que l’état des lieux des SAGE comprend une évaluation du potentiel hydroélectrique par zone géographique.

Les rédacteurs du projet de SAGE de la Tille ont procédé à cet exercice de manière particulièrement critiquable (voir document PAGD partie 1, pages 39 et suivantes).

Le tableau de la page 40 donne la puissance équipée en 2011, alors que le texte reconnaît que d'autres ouvrages produisent, comme à Champdôtre (52 kW depuis 2015, image ci-dessus) ou Beire-le-Châtel (142 kW depuis 2017). Aucun effort n'a manifestement été fait pour analyser la situation réelle ni pour contacter des associations impliquées sur le sujet (Adera, Hydrauxois) ou des établissements publics ayant soutenu des relances (Ademe) et continuant de le faire.

Le projet de SAGE étudie "le potentiel d’installations nouvelles sur des ouvrages existants" et précise:
"seuls des aménagements potentiels de plus de 100 kW ont été considérés".
Cette position relève de la désinformation : une étude de chercheurs européens a montré que 90% du potentiel hydro-électrique français de relance des sites existants se placent sur des puissances à moins de 100 kW (voir les travaux de Punys et al 2019). L'intérêt des moulins n'est jamais dans leur puissance unitaire, mais toujours dans leur nombre (et dans le fait qu'ils sont déjà présents sans créer de nouveaux impacts). Evacuer le nombre, la puissance cumulée, l'équivalent consommation pour les habitants du bassin, c'est donc taire l'information essentielle.

Les nombreux sites du bassin de la Tille (plus de 80 ouvrages présents sur l'ensemble Tille, Ignon, Venelle, Norges, Crône, Arnisson selon l'évaluation environnemental du SAGE) se situent ainsi pour la plupart dans cette gamme de puissance des moins de 100 kW. Mais 1 kW de puissance hydraulique peut faire l'électricité hors-chauffage d'un foyer pratiquant des économies d'énergie, donc un moulin modeste de 50 kW peut représenter 50 foyers. Dans des villages peu peuplés, c'est déjà une part du chemin vers les territoires zéro carbone.

Les rédacteurs du SAGE choisissent donc une soi-disant "méthodologie" qui consiste à exclure l'essentiel du potentiel énergétique des rivières : qu'est-ce qui leur permet de propager de tels biais, de donner de si mauvaises informations au public et aux décideurs?

Nous pourrions croire à la simple ignorance, mais le texte se poursuit par des approches purement négatives, témoignant en fait de la répugnance manifeste à analyser cette source d'énergie. Ainsi :
"Le schéma régional Climat, Air, Energie de Bourgogne ne compte d’ailleurs que très peu sur l’hydroélectricité pour atteindre son objectif de 23 % d’énergie renouvelable dans le mix énergétique"
On appréciera le parti-pris : le schéma cité soutient bel et bien l'énergie hydraulique, mais on se permet de dire que c'est "très peu". Le SRCAE a prévu une augmentation de l'hydro-électricité dans la région, et c'est bien cela qui compte. Les objectifs du schéma sont les suivants pour les petites puissances: "micro-hydraulique : 2,5 MW supplémentaires installés en 2020, 5 GWh produits en 2020".

Vient ensuite la ritournelle de la comparaison à l'éolien :
"A titre de comparaison, le parc éolien du Pays de Saint-Seine, situé à une vingtaine de kilomètres au nord ouest de Dijon est constitué de 25 éoliennes de 2MW chacune. 4 à 5 de ces éoliennes disposent donc à elles seules d’une puissance équivalente au potentiel brut technique de tout le bassin versant". 
Qu'est-ce que des considérations sur l'éolien viennent faire dans un document sur l'eau? Qui prétend encore que le besoin de remplacement de l'énergie fossile (plus de 70% de l'énergie finale consommée en France, pour rappel) pourra être assuré par une seule source renouvelable (ou autre)? A quoi riment des comptes d'apothicaires où l'on refuse de considérer une source d'énergie car la voisine serait plus abondante? Faut-il interdire un panneau solaire, un méthaniseur, une pompe à chaleur sous prétexte que c'est moins qu'une éolienne? Est-ce que cette mentalité consistant à dire "pas chez moi" et "le voisin le fera bien" représente ce que l'on attend d'un texte public sur l'enjeu eau-énergie pour demain?

Par ailleurs, la loi française "énergie et climat" vient à l'automne 2019 de poser expressément "l'état d'urgence écologique et climatique" tout en décidant que la politique de la France soutient "la petite hydro-électricité". Six mois plus tôt, dans l'arrêt "moulin du Boeuf" 2019, le Conseil d'Etat a censuré la position de l'administration qui considérait "que la contribution de la «petite hydroélectricité» au développement des énergies renouvelables serait par nature insignifiante et que l’objectif de valorisation économique de l’eau ne serait pertinente que pour de gros projets, ce qui n’est pas l’objectif défini par le législateur".

Plusieurs projets de relance hydro-électrique sont à l'étude sur le bassin versant de la Tille. Ces projets auront besoin du soutien public et de l'encouragement citoyen, pas de l'ignorance et de l'indifférence (voire de l'hostilité de certains lobbies et de l'entrave de certaines administrations).

Les scientifiques et les politiques le disent tous: la France comme le reste du monde est en état d'urgence climatique, nous devons nous mobiliser pour supprimer notre dépendance au fossile et pour éviter un réchauffement dangereux pour la société comme pour le vivant. Nous ne pouvons plus fuir cette responsabilité, ni nous dire que d'autres le feront à notre place. La vocation des ouvrages hydrauliques est de recevoir un équipement énergétique en autoconsommation ou en injection réseau, en particulier les ouvrages de moulins, forges et autres usines à eau qui ont été conçus à cette fin dans le passé. Le seul motif d'abandon de la production sur ces sites a été l'abondance fossile du siècle passé. Mais ce temps est révolu et l'énergie des rivières doit de nouveau être mobilisée.

25/06/2018

Du tritium dans les rivières bourguignonnes et comtoises (Eyrolle et al 2018)

Un groupe de chercheurs vient de montrer que les rivières du bassin rhodanien contiennent du carbone 14 et du tritium "technogéniques", c'est-à-dire issus des activités humaines. En l'occurrence des centrales nucléaires, mais aussi des industries horlogères, qui usaient du tritium comme matière radioluminescente déposée sur les éléments de l'affichage horaire et permettant leur lecture dans l'obscurité. La Tille, l'Ognon, le Doubs, la Loue montrent des concentrations localement élevées. Pas d'affolement, car ces dépôts sédimentaires de faible activité ne semblent pas radiotoxiques au plan sanitaire pour l'homme. Mais cette contamination rappelle que nos rivières actuelles reflètent un lourd héritage industriel dont les effets retard sont loin d'être tous compris. Aussi qu'il vaut toujours mieux analyser des sédiments avant de les remobiliser dans le cas d'un effacement d'ouvrage, ce que les préfectures négligent bien trop souvent. 

Frédérique Eyrolle et ses collèges (IRSN, Université Rouen-Normandie) résument ainsi les principales découvertes issues de leurs travaux :

"Le tritium (3H) et le carbone 14 (14C) sont des radionucléides d'origine naturelle (cosmogénique) qui ont également été introduits dans l'environnement par l'homme depuis le milieu du siècle dernier. Ce ne sont donc pas seulement des composés qui ont été récemment libérés dans l'environnement et ils ne constituent pas une menace sanitaire reconnue en raison de leur faible radiotoxicité. Cependant, ils occupent une place importante parmi les préoccupations actuelles car ils sont déversés dans l'environnement par l'industrie nucléaire en grande quantité par rapport à d'autres radionucléides. Ces deux radionucléides intègrent en partie la matière organique au cours des processus métaboliques (c'est-à-dire la photosynthèse) conduisant à des formes organiquement liées que l'on peut trouver dans les sédiments. 

Les analyses du tritium organiquement lié (OBT) réalisées sur les sédiments du Rhône et de ses affluents indiquent un marquage tritium significatif et historique des particules sédimentaires tout au long du Rhône, ainsi que dans plusieurs affluents du nord, notamment l'Ognon et la Tille (affluents de la Saône), le Doubs et la Loue (affluent du Doubs) et la rivière Arve. Les niveaux enregistrés (de 10 à plus de 20 000 Bq/L) sont très probablement liés à la présence de particules tritiées synthétiques (tritium technogène), utilisées autrefois dans les ateliers d'horlogerie. Bien que les niveaux globaux de contamination diminuent du nord au sud dans le bassin versant du Rhône et s'estompent avec le temps, en raison notamment de la décroissance radioactive du tritium, cette source de contamination du tritium technogène dans les bassins versants du Rhône n'est pas négligeable. 

Les analyses de carbone 14 montrent que les sédiments du Rhône affichent généralement des niveaux de 14C proches des valeurs de référence atmosphériques (231 Bq·kg-1 de C en 2015) voire plus basses dans la plupart des cas, et présentent un marquage sporadique et faible près des installations nucléaires. Les niveaux bas du 14C dans les sédiments du Rhône sont très probablement liés aux contributions solides des affluents drainant des zones riches en matière organique fossile, donc dépourvues de 14C."

Cette carte donne le niveau de concentration du tritium organiquement lié dans le bassin rhodanien, où l'on observe notamment les plus fortes concentrations en tête de bassin bourguignonne et comtoise.


Extrait d'Eyrolle et al 2018, art cit, droit de courte citation

Et les auteurs concluent :

"Dans le Rhône, la présence de tritium sous forme organique de composés synthétiques (tritium technogène) comme le carbone organique fossile devrait modifier les taux d'assimilation du tritium et du carbone 14 dans la chaîne alimentaire. Les composés synthétiques et le carbone fossile sont peu biodégradables. Les voies d'introduction et les taux d'assimilation de ces deux composants pour les organismes aquatiques devraient différer de ceux associés classiquement à des formes organiquement liées aux matières organiques naturelles (pour le tritium) et à celles associées au carbone organique biosphérique (pour le 14C), ce qui augmente les conséquences potentielles sur les taux effectifs d'assimilation par la chaîne alimentaire. Une analyse plus détaillée de ces composés organiques, notamment ceux présents dans le bassin versant du Rhône, permettrait de mieux comprendre les processus de transfert du tritium et du 14C dans les différents composants environnementaux abiotiques et biologiques et l'estimation de l'étiquetage environnemental nucléaire dans les cours d'eau mondiaux."

Discussion
Même si les quantités concernées par le travail de Frédérique Eyrolle et de ses collègues ne représentent pas un risque aiguë de radiotoxicité, leur recherche rappelle la contamination diffuse des rivières à l'âge industriel, par toutes sortes de composés synthétiques issus des activités humaines. Cette tendance s'est renforcée à l'époque de la "grande accélération" (Steffe et al 2015), depuis les années 1950, dont les rivières actuelles sont les héritières. La meilleure compréhension de ces pollutions et contaminations est indispensable pour juger correctement des causes cumulées et enchevêtrées de dégradations biologiques observées sur certains cours d'eau, et faire les choix susceptibles de restaurer un bon niveau de biodiversité. Subsidiairement, cet héritage industriel est parfois oublié des gestionnaires actuels… mais pas des sédiments qui en gardent la mémoire! Quand des projets d'effacement de barrage avec remobilisation des sédiments sont planifiés, la vérification de leur composition chimique devrait être une stricte obligation posée par les préfectures. Ce point est trop souvent négligé, hélas (voir aussi Howard et al 2017).

Référence : Eyrolle F et al (2018), A brief history of origins and contents of Organically Bound Tritium (OBT) and 14C in the sediments of the Rhône watershed, Science of The Total Environment, 643, 1, 40–51

19/12/2015

Histoire des rivières de la Tille et de la Bèze

Syndicats et EPTB n'ont pas tous les mêmes oeillères. L'EPTB Saône & Doubs, avec qui notre association avait déjà débattu dans des conditions de bonne ouverture d'esprit, a décidé de mobiliser un regard historique sur les pratiques des habitants et la place de l’eau sur les bassins versants. Deux rivières sont concernées, la Tille et la Bèze. Ce travail de Vincent Ricau nous apprend bien des choses sur l'histoire de ces rivières, de leur peuplement humain et de leurs aménagements hydrauliques. Les premiers drainages et transports d'eau des Romains, vite suivis par l'implantation des moulins au haut Moyen Âge, témoignent de l'ancienneté des modifications du bassin versant. Le XXe siècle a accéléré ces changements, en particulier avec l'intensification et la mécanisation des pratiques agricoles. L'étude montre comment certains usages évoluent au fil des siècles. Les moulins, qui furent jadis des usines bruyantes pleines d'activité, sont souvent devenus de paisibles demeures ou des instruments de valorisation paysagère. Le partage de ces réflexions sur le temps long des usages humains de l'eau, mais aussi la persistance des ouvrages et paysages produits par ces usages, nous paraît aujourd'hui un antidote indispensable à l'amnésie de certains tenants de l'ingénierie écologique, focalisés sur la fonctionnalité des milieux naturels et incapables de s'ouvrir aux autres dimensions de la rivière. Apprécions l'héritage des siècles passés, réfléchissons aux différentes modalités de sa valorisation et gardons-nous de céder à l'éphémère enthousiasme des modes.
Lien pour télécharger l'étude

13/12/2014

Elle tourne! Première vis d'Archimède en activité en Bourgogne

La vis d'Archimède, dite aussi vis hydrodynamique, est un procédé de production d'hydro-électricité apparu voici une quinzaine d'années.  Notre association y a consacré un dossier complet (voir ici). En ce mois de décembre 2014, la première vis d'Archimède bourguignonne a commencé à injecter ses MWh sur le réseau. Elle est située à Champdôtre sur la Tille. Bravo au maître d'oeuvre de ce vaste chantier, le dynamique Paul Joliet, et à l'Ademe pour son fidèle soutien aux énergies renouvelables de nos territoires. Ci-dessous, photos du site. A comparer avec celles de notre dernière visite à l'automne.

13/09/2014

Chantier de la vis d'Archimède de Champdôtre (21)

A l'invitation de l'ADEME, l'association Hydrauxois a participé parmi une douzaine de maîtres d'ouvrages à la visite du chantier de la vis d'Archimède de Champdôtre (21), sur la Tille. Les visiteurs ont pu appréhender les enjeux de génie civil d'une restauration énergétique : batardeau avec mise à sec du barrage et du bief, pose de nouvelle vannes motorisée (sur 20 m), construction du radier de la vis et confortement des parements du bief… La vis aura une puissance d'environ 50 kW, relativement modeste mais en charge une grande partie de l'année à sa puissance nominale. La pose de la vis elle-même est prévue en octobre pour une première injection réseau d'ici novembre. Avec le chantier sur le débit réservé de la centrale de Brienon-sur-Armançon (89), Champdôtre sera l'une des deux premières vis hydrodynamiques en Bourgogne. (Voir le dossier de l'association sur cette technologie).


23/02/2014

Qualité piscicole de la Tille et réflexions sur l'Indice poissons rivière (IPR)

La France doit répondre devant l’Union européenne de la qualité chimique et écologique de ses rivières (directive-cadre sur l’eau 2000, DCE 2000). Dans le compartiment biologique, la qualité piscicole d’un cours d’eau est mesurée par l’Indice poissons rivière (IPR). L’IPR consiste à mesurer l’écart entre la composition du peuplement sur une station donnée, observée à partir d’un échantillonnage par pêche électrique, et la composition du peuplement attendue en situation de référence, c’est-à-dire dans des conditions très peu ou pas modifiées par l’homme.

Dans le cadre de la réalisation d’une étude d’opportunité hydro-électrique pour la Commune de Rémilly-sur-Tille, notre association a été amenée à rechercher les IPR disponibles pour la Tille (photo ci-dessous, la rivière en aval du barrage communal).


Quelques rappels préalables sur cette rivière : son bassin versant (1300 km2) est à 90% situé sur la Côte d’Or et 10% sur la Haute Marne. La rivière a un linéaire total de 82,7 km de sa source à la confluence avec la Saône. L’Ignon, la Venelle et la Norges sont les principaux affluents de la Tille. Ce bassin versant est l’objet de cultures céréalières et parfois d’occupations humaines denses (région dijonnaise, sous-bassin de la Norges).

Du point de vue des ouvrages hydrauliques, le bassin versant de la Tille comptait 81 ouvrages à l’époque des relevés de Cassini (XVIIIe siècle), pour 69 aujourd’hui. Sur la Tille même, le nombre d’ouvrages s’établit à 25 (SOGREAH 2010).

Sur 9 données IPR, 7 indiquent une qualité bonne ou excellente
Sur la période 2001-2011, dont les données sont publiquement disponibles, on compte 9 relevés de l’Indice poissons rivière sur la Tille : à Marey-sur-Tille en 2006, à Cessey-sur-Tille en 2008 et 2010, à Til-Châtel en 2007, 2009 et 2011, à Champdôtre en 2007, 2009 et 2011.

Le graphique ci-dessous montre les scores IPR correspondant. Sur ces 9 scores IPR, 2 sont en qualité mauvaise, 5 de qualité bonne, 2 en qualité excellente. Les stations de Champdôtre (à l’aval) et de Til-Châtel (à l’amont) sont notamment en qualité bonne ou excellente sur toutes les mesures.


En faisant hypothèse que le score IPR est un reflet précis de la qualité piscicole d’une rivière, on peut observer que la forte présence historique et actuelle des ouvrages hydrauliques n’est pas associée à une dégradation importante de la rivière. En particulier, la bonne qualité piscicole à Til-Châtel (amont) est notable : la plupart des ouvrages hydrauliques de la Tille étant considérés comme infranchissables (plus de 0,5 m), on aurait dû observer un gradient de dégradation de plus en plus marqué vers la source, avec des espèces pouvant dévaler mais non remonter. Or, il n’en est rien.

On observe en passant  un problème : doit-on exiger pour la qualité piscicole au sens de la DCE 2000 un IPR bon ou excellent sur chaque point de mesure d’une rivière? Ou peut-on tolérer que l’indice soit bon à certains endroits et mauvais à d’autres? A-t-on vérifié lors de la construction de l’IPR la variation spatiale naturelle de la biomasse et de la biodiversité? On imagine aisément que chaque hectare de cours d’eau ne comporte pas exactement la même répartition ni la même densité d’espèces, donc la mesure pour être précise doit intégrer une marge d’erreur ou une échelle qualitative d’incertitude.

Mais on peut faire une autre hypothèse, à savoir que l’IPR est un indice problématique d’évaluation de la qualité d’une rivière.

Quand on regarde de plus près les scores, on s’aperçoit en effet qu’ils peuvent varier presque du simple au double sur une courte période de temps : de 17,0 à 10,2 à Cessey-sur-Tille entre 2008 et 2010, de 11,9 à 6,4 entre 2009 et 2011 à Champdôtre.  La mesure d’une grandeur doit être proportionnée à sa variabilité spatiale et temporelle : si une population de poissons est stable, une mesure rare (par exemple annuelle ou quinquennale) suffit à l’estimer ; si elle présente une forte variabilité (naturelle ou forcée par un facteur externe quelconque), la fréquence de la mesure doit être augmentée. Le seul moyen de mesurer cela est de constituer des séries assez longues pour analyser la variance et l’écart-type des résultats, leur dispersion étant la mesure de stabilité du phénomène (et/ou de la robustesse de l’indice censé quantifier le phénomène).

Questionner la notion de "peuplement naturel" de référence
La présente étude amène donc à questionner le rôle exact des obstacles à l'écoulement dans l'évolution de la qualité piscicole. Mais elle conduit aussi à s'interroger sur la valeur de l'Indice Poissons Rivière.

Les tentatives de classement des cours d'eau sont anciennes (voir Wasson 1989 pour une revue en langue française). La plus ancienne est la capacité biogénique de Léger (1909), la plus récente l'IPR (2001) et entre celles-là on trouve de nombreuses autres d'autres : les niveaux de Ricker (1934), les quatre zones de Huet (1949) rapportées à la largeur, profondeur et pente, les trois zones benthiques d'Ilies et Botosaneanu (1963), les 10 niveaux biotypologiques de Verneaux (1976), etc.

Le dernier indice en date est l'IPR (en anglais FBI pour Fish Based Index), mis au point entre 1996 et 2001, normalisé AFNOR en 2004 et choisi pour répondre aux exigences d'analyses biologiques de la directive-cadre européenne sur l'eau. Du point de vue méthodologique, l'IPR ne se distingue guère de ses prédécesseurs. «La version normalisée de l’IPR prend en compte 7 métriques différentes. Le score associé à chaque métrique est fonction de l’importance de l’écart entre le résultat de l’échantillonnage et la valeur de la métrique attendue en situation de référence. Cet écart (appelé déviation) est évalué non pas de manière brute mais en terme probabiliste  (…) Les modèles de références ont été établis à partir d’un jeu de 650 stations pas ou faiblement impactées par les activités humaines et réparties sur l’ensemble du territoire métropolitain.» (Belliard et Roset 2006, voir aussi Oberdorff et al 2001 et 2002 pour la construction).

La notion de même de « zone » cohérente de grande dimension a été activement critiquée et fait toujours l'objet de débats théoriques en écologie des milieux aquatiques. La succession  rapide des « échelles de mesure » dans chaque pays et les critiques que chacune d'elles soulève invariablement – y compris l'IPR qui, à peine normalisé, est entré en phase de révision –  suggère une interrogation plus fondamentale sur la capacité de toute échelle à permettre une comparaison efficiente entre deux masses d'eau ou même deux stations d'une même masse d'eau.

Chaque biotypologie ou zonation identifie des paramètres qui influent bel et bien le peuplement piscicole, même si cette influence varie. Mais la prédictibilité de la présence d'une espèce exigerait un modèle multiparamétrique d'une grande complexité puisque tous ces paramètres devraient y figurer, ainsi que toutes les interactions entre ces paramètres. Au final, cela revient à considérer que chaque rivière, voire chaque tronçon d'une rivière possède son identité physique, chimique, trophique, morphologique, etc. de sorte que la comparaison par étalonnage manque souvent son objet.

C'était déjà la conclusion tirée par H.B.N. Hynes dans une célèbre lecture à Stuttgart en 1975 où, ayant montré à partir de l'exemple d'un cours d'eau de vallée la chaîne des déterminations physiques de productions de particules minérales et organiques formant la base du système trophique, le chercheur concluait : «Ces relations sont importantes et elles sont si complexes qu'elles défieront la plupart des efforts. Elles rendent clair en revanche que chaque cours d'eau est comme un individu, et donc pas vraiment aisé à classifier» (Hynes 1975). En introduction,  il rappelait malicieusement «Dieu n'est pas plus taxonomiste qu'il n'est mathématicien, ce qui est une illusion écologique».

Depuis bientôt quarante ans que ces remarques ont été formulées, le débat n'est pas clos dans la communauté savante.

Une autre critique, sur le plan épistémologique, concerne l'idée même d'une "naturalité" du peuplement piscicole. De nombreux travaux ont montré (par exemple Tales 2009 en Seine-Normandie) que les espèces aujourd'hui présentes sur nos bassins hydrographiques sont très souvent importées par l'homme, et non pas "naturelles" au sens d'issues directement de l'état des cours d'eau au sortir de la dernière glaciation. De surcroît, viser la parfaite naturalité des cours d'eau ("renaturation") exigerait non seulement de supprimer les obstacles à l'écoulement, mais également de stopper l'intégralité des effluents agricoles, industriels et domestiques, les empoissonnements des fédérations de pêche, les canalisations, etc, bref d’éliminer toute présence et influence humaines.

En conclusion, à retenir
- Malgré la présence importante et ancienne d’ouvrages hydrauliques réputés infranchissables, la qualité piscicole de la Tille mesurée par l’IPR est, dans la majorité des mesures disponibles sur la période 2006-2011, «bonne» ou «excellente».

- Ce constat permet de douter de l’importance des seuils et barrages dans la dégradation des rivières, en particulier de leur volet piscicole. L’impact cumulatif des ouvrages aurait dû aboutir à un IPR mauvais sur l’ensemble du linéaire, ce qui n’est pas le cas.

- Le score d’IPR calculé au même lieu présente cependant une variance notable dans le temps, ce qui pose question sur la robustesse de l’indice et de sa mesure.

- Plus largement, les typologies de rivières présentent des biais méthodologiques et épistémologiques. Cela explique que, malgré plus d’un siècle de réflexion scientifique, aucune de ces typologies n’est parvenue à s’imposer pour ses qualités descriptives et prédictives.

- La notion même de «naturalité» d’un cours d’eau, qui est à la base des comparaisons paramétriques de l’IPR et des autres biotypologies, devrait être questionnée car toutes les civilisations sédentaires utilisent et modifient les masses d’eau depuis sept millénaires. Un indice conçu pour le rapportage à court terme à l’Union européenne devrait a minima inclure une pondération associée à la densité humaine de peuplement le long de la rivière, donnant une vision plus réaliste de ce qui est faisable ou non à l’horizon 2015, 2021 et 2027.

- Plus fondamentalement encore, certains hydrobiologistes considèrent chaque rivière comme un «individu» ayant des propriétés physico-chimiques et une histoire éco-biologique (incluant l’influence anthropique) singulières. Si cette hypothèse est exacte, normaliser la biomasse et la densité spécifiques attendues est un exercice dénué de sens.

- D'un point de vue très pratique, et pour les rivières classées en liste 2 en 2012-2013, la DDT et l'Onema devront produire les IPR disponibles aux maîtres d'ouvrages qui leur en font la demande. L'ambition des aménagements devant être proportionnée au gain environnemental attendu, une rivière en bon ou excellent état piscicole (au sens de l'IPR et de la DCE 2000) ne requiert pas des dispositifs très coûteux puisque la franchissabilité piscicole n'y est pas un facteur dégradant du bon état écologique. Dans les cas où l'IPR est mauvais, une analyse détaillée des causes de dégradation devra être produite par l'autorité en charge de l'eau.

Références
Belliard J, Roset N (2006), Indice Poissons Rivière (IPR). Notice de présentation et d’utilisation, CSP-Onema, 22 p.
EPTB Saône & Doubs (2010), Etat des lieux. Dossier de candidature au contrat de bassin de la Tille, 60 p.
Oberdorff TD et al (2001), A probabilistic model characterizing riverine fish communities of French rivers: a framework for environmental assessment, Freshwater Biology, 46, 399-415
Oberdorff TD et al (2002), Adaptation et validation d’un indice poisson (FBI) pour l’évaluation de la qualité biologique des cours d’eau français, Bull. Fr. Pêche Piscic, 365/366, 405-433.
Oberdorff TD et al (2002), Development and validation of a fish-based index (FBI) for the assessment of rivers “health” in France, Freshwater Biology, 47, 1720-1735.
SOGREAH – EPTB Saône & Doubs (2010), Restauration physique des milieux aquatiques et gestion des risques d’inondations sur le bassin versant de la Tille, 203 p.
Tales E (dir) (2009), Le peuplement de poissons du bassin de Seine, CNRS programme Piren-Seine.
Wasson JG (1989), Eléments pour une typologie fonctionnelle des eaux courantes. I. Revue critique de quelques approches existantes, Bull Ecol, 20, 2, 109-127