Après les commissions de l’agriculture et de la pêche, la commission environnement du Parlement européen vient de voter le rejet du projet de règlement de restauration de la nature. L’avenir du texte est suspendu à la séance plénière de l’été. Mais quand la «restauration de la nature» prend des formes sectaires et radicales, comme par exemple la destruction du patrimoine hydraulique européen contre l’avis des riverains et en pleine crise hydroclimatique, faut-il s’étonner de la difficulté à trouver de larges compromis ? Quelques réflexions à ce sujet.
La commission environnement du parlement européen vient de voter ce 27 juin 2023 contre le projet de règlement sur la restauration de la nature. Après avoir achevé l’examen article par article, la commission a finalement voté un amendement de rejet de l’ensemble du projet. Quinze jours plus tôt, le 15 juin, les mêmes eurodéputés avaient pourtant voté… contre un tel amendement de rejet ! Dans les deux cas, 44 élus ont voté pour, 44 contre, mais les règles d’identité de vote ont été cette fois favorables au rejet. La suite du texte pourrait se jouer à la séance plénière du parlement, les 10-13 juillet prochains. Même s'il était adopté, il faudrait encore l'avis des gouvernements, dont plusieurs ont émis des réserves sérieuses.
Les politiques de biodiversité doivent réfléchir à l'impasse de l'opposition nature-humanité
Les députés hostiles au projet l’ont été principalement au titre de la mise en danger d’activités comme la pêche ou l’agriculture, à une époque où la question de la souveraineté alimentaire est redevenue de première importance en Europe et dans le monde. Mais au-delà de ces arguments dont la valeur est discutée, cela montre que les politiques de biodiversité ont désormais du mal à trouver une voie aisément majoritaire, contrairement à celles du climat et de l’énergie.
Notre association avait exprimé à l’automne dernier ses plus vives réserves sur le volet «eau» de ce règlement européen de restauration de la nature. Et plus généralement sur sa philosophie sous-jacente, inspirée de chercheurs et d’ONG spécialisés qui tendent à dissocier et opposer la nature et l’humanité.
Nous avons vu en France où mène notamment ce choix sur le cours d’eau : refus de reconnaitre la valeur des ouvrages hydrauliques, indifférence au patrimoine et au paysage, information lacunaire et biaisé des citoyens, pressions et conflits avec les riverains, volonté d’imposer une vision très théorique de la rivière sauvage selon une «référence» pré-industrielle d’une nature qui n’existe plus, destruction inouïe de barrages hydro-électriques et de nombreuses retenues d’eau alors que tous les efforts devraient être concentrés sur l’atténuation et l’adaptation climatiques.
Une certaine écologie de la conservation et de la restauration doit entendre le message. Elle doit travailler davantage avec les sciences sociales et les humanités de l’eau, s’ouvrir davantage à la pluralité des associations et usagers qui, en démocratie, ont aussi le droit de défendre leur vision de la nature.
Mener la bataille européenne pour une autre écologie
L’association Hydrauxois est bien entendu favorable à des mesures permettant de retrouver des fonctionnalités et de sauvegarder des biodiversités dans les écosystèmes. Nous espérons que le règlement sera amendé pour arriver à un équilibre.
Tout programme sur l’environnement doit être co-construit avec les citoyens, en retenant ce qui est accepté et en rejetant ce qui ne l'est pas, d’abord au niveau local concerné et pas par décision lointaine d'une technocratie. Un tel programme doit aussi cesser de raisonner selon un état antérieur idéal du vivant, qui ne reviendra jamais à l’identique, surtout pas en période de changement climatique où les paramètres essentiels du vivant évoluent très vite. Il faut aussi accepter que les milieux changent et sont hybridés de longue date par les humains. Il faut entendre que nos artefacts humains, nos existences humaines, nos animaux et plantes domestiques font aussi partie des biotopes et des biocénoses – rien n’est en fait séparé dans l'évolution de la terre et de la vie. Parfois, les actions humaines ont créé de nouveaux habitats d’intérêt ou de nouvelles biodiversités, augmenté des services écosystémiques. Parfois elles ont des effets essentiellement délétères et doivent alors se modérer.
Enfin, notre association rappelle à ses consoeurs en France et en Europe, amoureuses de tous les patrimoines de l’eau, que la bataille normative se joue à Bruxelles et à Strasbourg. C’est vrai aujourd’hui pour le règlement de restauration de la nature. Ce sera vrai demain pour la révision de la directive cadre sur l’eau. Certaines erreurs ont été commises dans les politiques publiques : il est de notre devoir d’en témoigner auprès des fonctionnaires et des élus, afin de ne plus les répéter et de trouver des moyens plus durables, plus inclusifs, plus intelligents de protection de l’eau et des rivières.
Dossier à télécharger (fr, en) : l'échec français de la restauration de rivière par destruction des seuils et barrages, une leçon pour l'Europe.