24/10/2024

Repenser l'effet environnemental des étangs par une approche géographique intégrée (Touchart et Bartout 2024)

Parfois perçus comme perturbateurs des écosystèmes fluviaux, les étangs sont aujourd'hui réévalués sous un nouveau prisme. Dans leur étude du Grand Étang de Cieux, Laurent Touchart et Pascal Bartout proposent de dépasser l'approche classique de l'impact thermique pour analyser ces plans d'eau comme des réalités à part entière, intégrées aux réseaux hydrographiques. En introduisant des méthodes novatrices, ils offrent une vision plus nuancée et complète des interactions entre étangs et cours d'eau.

Les auteurs de cet article, Laurent Touchart et Pascal Bartout, sont affiliés au laboratoire CEDETE, département de géographie à l'Université d'Orléans. Ils proposent une approche géographique innovante pour évaluer l'impact thermique des plans d'eau, en prenant comme terrain d'étude le Grand Étang de Cieux, situé en Haute-Vienne (France). Cet étang de grande taille (40 hectares) se situe dans la région du Limousin, une zone particulièrement riche en plans d'eau artificiels, avec plus de 14 677 étangs dans les trois départements de la Haute-Vienne, Corrèze et Creuse. Le plan d'eau est alimenté par quatre tributaires qui se déversent ensuite dans la rivière Vergogne. Les auteurs soulignent l'importance de comprendre les interactions complexes entre les étangs et leur environnement.


L'hydrosystème étudié par les auteurs, extrait de l'article.

Pour analyser les effets thermiques de l’étang, les chercheurs ont utilisé un vaste réseau de thermomètres, installés sur les tributaires, à l'intérieur du plan d'eau et à sa sortie. Ces thermomètres ont collecté un total de 536 552 mesures de température, prises sur une période de plusieurs années, ce qui a permis de créer une base de données unique en son genre pour suivre l’évolution thermique à l’intérieur et à l’extérieur de l’étang. Ils ont appliqué deux nouvelles méthodes pour mesurer l'impact : la pondération des températures des affluents et l'utilisation d'un gradient thermique pour modéliser l'évolution de la température du cours d'eau en l'absence de l’étang.

Les résultats montrent que l’étang réchauffe les eaux en aval, mais de manière plus nuancée que les évaluations classiques. Selon la première méthode, le Grand Étang augmente la température moyenne annuelle de 1,8°C, avec un pic de plus de 4°C pendant l’été. Les auteurs soulignent que ces augmentations sont dues à une modification du régime thermique, en particulier par la réduction de l'amplitude diurne des températures, un effet typique des grands plans d’eau. En revanche, la méthode du gradient thermique montre que jusqu'à un tiers de ce réchauffement serait dû à des facteurs naturels, comme l'évolution spontanée du gradient des cours d'eau d'amont vers l'aval, indépendamment de la présence de l’étang.

Une partie essentielle de la réflexion des auteurs repose sur l’analyse critique du concept d'impact environnemental. Ils argumentent que les étangs sont souvent perçus comme des perturbateurs de l’écosystème naturel, et donc évalués de manière biaisée. En réintroduisant une approche géographique qui prend en compte non seulement l’impact direct des étangs, mais aussi leur rôle dans la dynamique des paysages et des systèmes hydrologiques, ils invitent à repenser ces écosystèmes comme des réalités autonomes et non comme des anomalies à corriger. Ainsi notent-ils : «il s'agirait de penser différemment les problèmes d'impact environnemental, non seulement en prenant plus en compte la question spatiale, mais aussi en ne la compartimentant pas, en n'opposant pas les eaux courantes et dormantes. Cela demanderait de ne plus considérer le plan d'eau comme exclusivement une rupture de cours d'eau, mais comme un limnosystème intégré à l'ensemble du réseau hydrographique.»

Cette étude conclut en proposant que, plutôt que d'être simplement considérés comme des sources d'impact négatif, les étangs devraient être étudiés comme des éléments intégrés et parfois bénéfiques des paysages hydrologiques. Ils démontrent qu’une partie du réchauffement des eaux est en réalité naturelle et qu’il est nécessaire de mieux comprendre les interactions multiples qui régissent ces systèmes complexes.

18/10/2024

La France, championne d'Europe des destructions de seuils et barrages en rivière

Le rapport d'un groupe de lobbies naturalistes confirme que la France est le leader de la destruction d'ouvrages hydrauliques. Une politique pourtant contestée par les riverains et de plus en plus encadrée par la loi en raison de ses effets négatifs sur le patrimoine culturel et paysager, la régulation de l'eau et la transition énergétique. Outre ses coûts à une période où la dépense publique est censée se concentrer sur l'essentiel, et non pas payer des lubies comme le retour à des rivières sauvages.


Données pour l'année 2023, extrait de Dam Removal Europe, ref. cit.

La World Fish Migration Foundation est le coordinateur de la coalition Dam Removal Europe, travaillant en collaboration avec d'autres ONG internationales pour inciter les décideurs à détruire le maximum de barrages sur les rivières d'Europe. Ce groupe de lobbies vient de publier un suivi des effacements de seuils et barrages en Europe.

Voici quelques données statistiques et tendances principales extraites de ce rapport:
  • En 2023, 487 barrières ont été supprimées dans 15 pays européens, marquant une augmentation de 49,8 % par rapport à 2022, où 325 barrières avaient été retirées.
  • 46 % des barrières supprimées étaient des seuils et 36 % des buses. Les barrages représentaient 12 % des suppressions.
  • 78 % des barrières supprimées étaient inférieures à 2 mètres de hauteur, tandis que seulement 2 % dépassaient 5 mètres.
  • La France a été le leader européen de la suppression des barrières, suivie de l’Espagne, de la Suède et du Danemark.
  • Les nouvelles opportunités de financement, notamment par le programme European Open Rivers, ont contribué à cette augmentation.
Ces données contredisent les propos lénifiants de l’administration en charge de l’eau et de la biodiversité et de son ministère qui, régulièrement interpellés par les élus, leur assure qu’il n‘existerait aucune politique de destruction systématique d’ouvrages hydrauliques (voir encore cet exemple récent). Les faits et les chiffres racontent une autre histoire.

Référence : Mouchlianitis FA (2024), 'Dam Removal Progress 2023', World Fish Migration Foundation 

10/10/2024

L'Indice Planète Vivante surestime-t-il l'effondrement des vertébrés ? (Toszogyova et al 2024)

Tous les médias reprennent en ce moment le nouveau chiffre de l'Indice Planète Vivante (LPI pour Living Planet Index), du WWF, devenu un indicateur phare de l'état de la biodiversité mondiale : un déclin de 73 % de l’abondance des populations de vertébrés sauvages en 50 ans. Mais ce chiffre simple serait-il en réalité trompeur ? Dans un article de recherche, Anna Toszogyova et ses collègues dénoncent les biais méthodologiques qui faussent les résultats de cet indice en surestimant les déclins de population de vertébrés. En analysant chaque étape du calcul, ils démontrent que les tendances globales de biodiversité pourraient être bien moins dramatiques qu'annoncé. Ce travail fait suite à d’autres recherches ayant déjà pointé les faiblesses de l’Indice Planète Vivante. Quelques réflexions à ce sujet.


Dans leur recherche,  Anna Toszogyova, Jan Smyčka, et David Storch, publié dans Nature Communications, examine les biais mathématiques dans le calcul de l'Indice Planète Vivante (LPI). Les auteurs y argumentent que certaines méthodologies utilisées pour calculer le LPI provoquent une surestimation des déclins des populations de vertébrés. Voici un résumé des principaux arguments développés dans l'article.

L'Indice Planète Vivante (LPI) est largement utilisé pour estimer les tendances des populations de vertébrés à travers le monde. Il a notamment été adopté par la Convention sur la diversité biologique et par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) pour suivre l'évolution de la biodiversité mondiale. L'indice, publié tous les deux ans, indique que les populations de vertébrés ont diminué de 69 % en moyenne au cours des 50 dernières années dans sa version de 2022 (et de 73% dans sa version de 2024). Cependant, les auteurs soulignent que cette estimation contraste fortement avec d'autres études basées sur les mêmes données, lesquelles montrent une stabilité des populations, avec des augmentations et des déclins qui s'équilibrent. Cela suggère que le LPI pourrait être biaisé et ne pas représenter fidèlement l'état actuel de la biodiversité.

Les auteurs identifient plusieurs biais méthodologiques susceptibles d'induire en erreur. L'un des principaux biais concerne la procédure de pondération des tendances de population par la richesse spécifique des groupes taxonomiques et des régions géographiques. Cette pondération, destinée à ajuster la représentation des espèces, entraîne une surestimation du déclin global. Par exemple, l'indice pondéré par la richesse spécifique montre un déclin 38 % plus important que la version non pondérée. De plus, l'inclusion de séries temporelles très courtes ou de populations qui ne représentent qu'un seul individu dans une région ou un groupe taxonomique accentue cette tendance au déclin apparent.

L'article démontre que le LPI est particulièrement sensible à la présence de quelques populations en déclin extrême. La suppression de moins de 3 % des populations les plus déclinantes inverserait la tendance globale de l'indice, passant d'un déclin à une augmentation globale. Par exemple, «  une seule population de vipère Vipera berus, représentant tout le taxon des herptiles dans le Paléarctique pour la période 1974-1977, a provoqué une diminution de 89,5 % de l'indice pour cette région. » Cela illustre la vulnérabilité de l’indice à de telles fluctuations extrêmes.

Les séries temporelles comportant peu de points de mesure sont plus susceptibles de contenir des erreurs de mesure, ce qui biaise les résultats. Le LPI utilise des séries avec seulement deux points de données par population, ce qui réduit l’exactitude de l'indice et peut provoquer une sous-estimation ou une surestimation des tendances. Les séries temporelles courtes ne peuvent pas capturer fidèlement les fluctuations des populations, et leur inclusion fausse l’indice : « Les séries temporelles comprenant moins de cinq enregistrements conduisent à une diminution de l’indice de 14,3 %, suggérant que l’utilisation de séries temporelles courtes est un facteur clé de la surestimation du déclin »

Un autre biais significatif identifié concerne la gestion des valeurs nulles (zéros) dans les séries temporelles de populations. Pour contourner le problème de division par zéro, le LPI remplace ces valeurs par un très petit nombre, ce qui altère les ratios de croissance interannuelle calculés. La suppression des zéros dans les séries temporelles réduit le déclin apparent de l’indice global de 19,2 %. L’article argue que le traitement des zéros nécessite une approche distincte, car leur inclusion dans le calcul de l’indice fausse les conclusions concernant la stabilité des populations.

Les auteurs proposent des modifications pour améliorer la fiabilité de l'indice, telles que l'exclusion des séries temporelles courtes ou celles contenant des zéros, et la suppression des pondérations. Ils recommandent également d'accompagner le LPI d'une analyse séparée des dynamiques de colonisation et d'extinction des populations pour obtenir un tableau plus équilibré de la biodiversité.

En conclusion, les auteurs montrent que le LPI actuel surestime le déclin des populations de vertébrés en raison de biais méthodologiques et de données incomplètes. Bien qu'ils ne remettent pas en question l'importance du suivi de la biodiversité ni l'existence de son déclin, ils insistent sur la nécessité de revoir les calculs du LPI pour éviter de tirer des conclusions erronées sur l'état de la nature. Ils suggèrent que des ajustements méthodologiques pourraient conduire à un LPI plus fiable, révélant des tendances moins alarmistes mais plus précises des populations vertébrées mondiales.

Discussion
Si le déclin de la biodiversité globale en raison de l’expansion des activités humaines ne fait guère débat, la bonne représentation de ce phénomène dans le débat public est nécessaire. Un chiffre trompeur peut être de nature à démobiliser. Or il existe aussi des critiques antérieures adressées à l'Indice Planète Vivante, avec plusieurs travaux qui ont mis en évidence des problèmes méthodologiques et de biais dans son calcul. Ces critiques antérieures fournissent un cadre important pour comprendre les points faibles de l'indice et la révision méthodologique proposée par Toszogyova et ses collègues dans leur  article.

Buschke et al. (2021) ont montré que le LPI est biaisé par une asymétrie fondamentale dans son calcul. Dans leurs simulations, ils ont constaté que des populations fluctuantes de manière aléatoire, mais symétrique par rapport à leur point de départ, généraient un LPI en déclin. Cela indique que même en l'absence de changement de population, le LPI tend à diminuer. Ce biais résulterait de la méthode de calcul des tendances de population.

Puurtinen et al. (2022) ont critiqué l'utilisation de la moyenne géométrique pour l’agrégation des tendances des populations. Ils ont argué que l’utilisation de cette moyenne conduit à un déclin systématique de l'indice, car les augmentations et les diminutions de population ne sont pas équilibrées sur une échelle arithmétique.

Wauchope et al. (2019) et Hébert et Gravel (2023) ont montré que l’erreur d’échantillonnage dans les séries temporelles courtes et la variabilité due à des facteurs environnementaux peuvent provoquer une sous-estimation ou une surestimation des tendances de population. Ces erreurs d’échantillonnage ont tendance à biaiser l’indice vers un déclin même lorsque les populations sont stables.

Fournier et al. (2019) ont mis en lumière un biais de sélection des populations étudiées dans le LPI. Ils ont constaté que les populations stables ou croissantes sont souvent sous-représentées dans les bases de données, ce qui peut entraîner une surestimation des déclins globaux.

Leung et al. (2020) ont montré que la pondération des régions géographiques et des taxons dans le calcul du LPI peut engendrer une surestimation des déclins, car certaines régions riches en espèces, comme les tropiques, exercent une influence disproportionnée sur l'indice global.
 
Si des manières alarmistes de vulgariser l'érosion de la biodiversité ont le mérite d'éveiller l'attention de certaines franges du public, elles ont aussi des défauts : développement d'un scepticisme sur la science en général et sur les sujets écologiques en particulier, risque de découragement si les efforts pour la biodiversité ne reconnaissent pas la hausse de certaines populations et la renaissance de certaines espèces. Il faudrait donc trouver des manières plus équilibrées de présenter les tendances des populations et les difficultés méthodologiques d'estimation de ces tendances.

Référence
Toszogyova A et al (2024), Mathematical biases in the calculation of the Living Planet Index lead to overestimation of vertebrate population decline, Nature Communications, 15(5295). doi: 10.1038/s41467-024-49070-x.

Références antérieures citées
Buschke, F. T., Hagan, J. G., Santini, L., & Coetzee, B. W. T. (2021). Random population fluctuations bias the Living Planet Index. Nature Ecology & Evolution, 5, 1145-1152.
Fournier, A. M. V., White, E. R., & Heard, S. B. (2019). Site-selection bias and apparent population declines in long-term studies. Conservation Biology, 33, 1370-1379.
Hébert, K., & Gravel, D. (2023). The Living Planet Index’s ability to capture biodiversity change from uncertain data. Ecology, 104, e4044.
Leung, B. et al. (2020). Clustered versus catastrophic global vertebrate declines. Nature, 588, 267-271.
Puurtinen, M., Elo, M., & Kotiaho, J. S. (2022). The Living Planet Index does not measure abundance. Nature, 601, E14-E15.
Wauchope, H. S., Amano, T., Sutherland, W. J., & Johnston, A. (2019). When can we trust population trends? A method for quantifying the effects of sampling interval and duration. Methods in Ecology and Evolution, 10, 2067-2078.

29/09/2024

"Il n’y a pas de politique de destruction des ouvrages" (en rivière), ose affirmer l'OFB...

Le Figaro magazine se penche sur la destruction massive des seuils et petits barrages associés aux moulins, un sujet qui divise les défenseurs du patrimoine de l'eau et les partisans de la restauration écologique des rivières. Alors que ces ouvrages contribuaient à réguler les cours d’eau, leur disparition suscite de vives réactions. Faut-il sacrifier cet héritage au nom de la continuité écologique? En lisant cet article, on découvre aussi que l'OFB affirme qu'il n'existerait aucune politique de destruction des ouvrages… A ce niveau de déni ou de propagande, que dire?



L’article du Figaro aborde le débat autour de la destruction des petits barrages et des retenues d’eau associés aux anciens moulins en France. Ces structures, autrefois nombreuses (jusqu’à 100 000 au 19e siècle), étaient utilisées pour actionner divers mécanismes et pour réguler les cours d’eau. Cependant, depuis une vingtaine d’années, environ 10 000 de ces retenues ont déjà été détruites, ce qui inquiète les défenseurs de ces ouvrages.

Pierre Meyneng, président de la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins, mène une croisade contre ces destructions, affirmant qu’elles reposent sur une opposition radicale entre l’homme et la nature, sans validation scientifique. Il soutient que les petits barrages ont des fonctions écologiques positives : ils permettent de réguler les débits d’eau, favorisent l’imprégnation des nappes phréatiques et créent des zones calmes propices à la reproduction des poissons.

L’Office français de la biodiversité (OFB) et les agences de l’eau soutiennent quant à eux que la restauration des milieux aquatiques, y compris la suppression de ces seuils, est nécessaire pour rétablir la continuité écologique et favoriser le déplacement des poissons migrateurs. Ils affirment que ces petites retenues favorisent l’envasement, la prolifération d’espèces invasives et peuvent nuire à la qualité de l’eau.

D’autres voix, comme celle du géologue Pierre Potherat, mettent en avant que la suppression de ces seuils barrages a entraîné une accélération des cours d’eau, abaissant leur niveau, asséchant les nappes et tarissant les rivières en période estivale. Selon lui, cela a contribué à la disparition des truites dans des régions où elles étaient autrefois abondantes.

Quelques remarques à propos de cet article.

D'abord, le sujet ne se limite pas aux moulins, même s'ils sont l'un des plus beaux héritages hydrauliques encore présents sur nos rivières ; en réalité, tout le patrimoine hydraulique bâti est concerné, aussi bien les étangs (plus nombreux que les moulins en France) et les retenues de barrage, les canaux traditionnels d'irrigation ou ceux de navigation, le petit patrimoine qui dépend de la capacité des humains à retenir et divertir cette eau (lavoirs, douves, fontaines, etc.).

Ensuite, tout système naturel ou aménagé a des "défauts" ou des "qualités" selon que les humains procèdent à des jugements de valeur. Il est aussi vain de prétendre que les hydrosystèmes des moulins ou étangs sont parfaits ou qu'ils sont catastrophiques. Le sujet est de savoir si nous voulons revenir à une nature sauvage en détruisant toute trace humaine au seul profit d'une faune et d'une flore laissées à elles-mêmes (en particulier dans la vaste ruralité) ou si nous apprécions les interactions humains-milieux en cherchant à les améliorer sur tel ou tel aspect. L'anomalie est ici qu'une minorité aux vues très radicales sur le retour au sauvage a réussi à obtenir une influence disproportionnée  sur des choix publics, alors même que la société n'exprime nullement un désir pour cette radicalité et qu'elle apprécie au contraire les patrimoines humains de l'eau.

Enfin, l'OFB ose affirmer au journaliste : "non, il n’y a pas de politique de destruction des ouvrages". Un tel mensonge est affolant : le ministère de l'écologie pense-t-il que son administration va être respectée en proférant une telle propagande contraire à tous les faits largement documentés, à toutes les actualités de destruction et assèchement que nous commentons semaine après semaine, une réalité reconnue y compris par des audits administratifs "neutres" comme celui du CGEDD en 2016 ? Il y a évidemment une politique active de destruction des ouvrages hydrauliques français et européens, politique qui est soutenue par une fraction militante de l'administration de l'environnement (incluant des chercheurs, des experts, des agents publics des diverses structures de l'eau) et par des lobbies naturalistes ou pêcheurs de salmonidés. En arriver à le nier dit à quel point les tenants de ce choix sont désormais sur la défensive. 

Il est temps de tourner cette page sombre des politiques environnementales et d'abolir réellement la continuité écologique dans sa version destructrice, par des décisions claires à Paris comme à Bruxelles. 

24/09/2024

Influence des barrages sur les écosystèmes, la taille compte (Brown et al 2024)

En étudiant des caractéristiques telles que la géomorphologie, la chimie de l'eau, les communautés de poissons, d'invertébrés benthiques et la végétation riveraine, une recherche montre que les petits barrages ont des effets faibles comparativement aux grands. Pourtant, ce sont les petits barrages que les politiques publiques de continuité écologique détruisent en masse, au nom d'une hypothétique restauration des écosystèmes fluviaux, et sans grand intérêt pour les dimensions autres qu'écologiques. Peut-être faudrait-il prendre le temps d'un bilan physique, chimique et biologique des résultats obtenus par ces politiques avant de poursuivre un choix au coût non négligeable et aux impacts sociaux multiples ?



Exemples des systèmes hydrauliques étudiés par les auteurs de l'étude, source Brown et al 2024, art cit.

L’étude menée par Rebecca L. Brown et ses collègues porte sur les effets écologiques des barrages de tailles différentes, en vue de mieux comprendre comment la taille des barrages influence les résultats de leur démantèlement. L’analyse s’est concentrée sur 16 barrages dans la région du Mid-Atlantic, dont la hauteur varie entre 0,9 et 57,3 mètres, et les temps de résidence hydraulique (HRT) varient de 30 minutes à 1,5 an. L’étude a mesuré les effets sur plusieurs caractéristiques écologiques en aval des barrages, incluant la géomorphologie, la chimie de l’eau, la végétation riveraine, les invertébrés benthiques et les poissons.

Les 16 barrages sont répartis dans le sud-est de la Pennsylvanie, le nord-est du Maryland et le nord du Delaware. Chaque site a été choisi en minimisant les facteurs confondants (par exemple, la géologie et le climat). Les variables écologiques mesurées incluaient la température de l’eau, la largeur de la rivière, la morphologie des sédiments, la diversité des organismes aquatiques (périphyton, macroinvertébrés et poissons), ainsi que la diversité et la composition de la végétation riveraine.

Les résultats montrent que les grands barrages ont des effets beaucoup plus marqués sur la géomorphologie en aval. Par exemple, la largeur de la surface de l’eau est significativement plus importante en aval des grands barrages, tandis que les petits barrages ont peu ou pas d’effet. De même, les barrages plus grands ont tendance à réduire la qualité de l’eau, avec une diminution de l'oxygène dissous et une augmentation de la température en aval. Les grands barrages réduisent également les nutriments inorganiques comme l’azote et le phosphore, tout en augmentant les nutriments particulaires.

Les résultats révèlent des différences marquées en termes de composition et de diversité des espèces aquatiques selon la taille des barrages. En aval des grands barrages, la composition des poissons et des périphytons est plus dissemblable par rapport à l’amont, avec une diminution de la diversité des macroinvertébrés et une tolérance accrue à la pollution. En particulier, les grands barrages favorisent les espèces tolérantes à la pollution, tant pour les périphytons que pour les macroinvertébrés. Les chercheurs notent ainsi : "Le nombre total de taxons EPT (Éphéméroptères, Plécoptères, Trichoptères) et la richesse globale des espèces étaient négativement liés au temps de résidence hydraulique (HRT), tandis que le ratio EPT et la diversité de Shannon-Weaver étaient négativement liés à la hauteur du barrage ; tous présentaient des valeurs plus faibles en aval des grands barrages mais montraient peu de changement en aval des petits barrages." Pour les poissons, le signale est moins évident : "Aucune des huit variables concernant les poissons analysées n'a montré de différences fractionnelles significatives entre l'aval et l'amont lorsqu'on considère tous les barrages selon les tests de signe. Cependant, la différence fractionnelle de l'abondance des espèces généralistes était négativement liée à la hauteur du barrage, ce qui indique que les petits barrages avaient une plus grande abondance d'espèces de poissons généralistes en aval."

La végétation riparienne a également montré des réponses différentes selon la taille des barrages. Les grands barrages réduisent le nombre d’espèces invasives en aval, tandis que les petits barrages ont tendance à les favoriser. Cela pourrait être lié à des perturbations hydrologiques plus importantes causées par les grands barrages, empêchant l’établissement d’espèces invasives. Les auteurs notent que certains effets écologiques, comme la taille des sédiments, ne sont pas influencés par la taille du barrage. 
 
Les auteurs concluent que les grands barrages ont un impact beaucoup plus important sur les écosystèmes en aval, et que leur enlèvement pourrait donc offrir des bénéfices écologiques plus significatifs. Les résultats montrent que les petits barrages ont des effets relativement moindres.

Discussion
Les auteurs de cette recherche se placent dans une logique de priorisation des barrages à démanteler, avec un avis favorable à cette politique, comme beaucoup de leurs collègues travaillant en écologie appliquée et faisant donc des choix de valeur a priori sur les formes désirées des écosystèmes. Mais concernant les données analysées, et sans se prononcer sur le choix de détruire ou non des ouvrages hydrauliques, on observe surtout que l'impact des petits ouvrages est assez négligeable par rapport aux grands barrages construits à compter du 19e siècle. Ce résultat a déjà été trouvé dans d'autres recherches sur les sédiments, la ripisylve, les biodiversités bêta et gamma des bassins versants, dès lors que ces recherches prenaient en compte la taille (et parfois l'ancienneté) des ouvrages hydrauliques.

Référence : Brown R. L. (2024), Size-dependent effects of dams on river ecosystems and implications for dam removal outcomes, Ecological Applications, 34(6), e3016.