- un bon transit sédimentaire (transport des particules en suspension et des charges solides de type sables, graviers, etc.)
- un bon franchissement piscicole (libre circulation des poissons migrateurs, évitement de l'isolement génétique des poissons non migrateurs, possibilité de fuite en cas de pollution locale, etc.).
Le ROE : une base de données
produite par l'Onema
L'Office national de l'eau et des
milieux aquatiques (Onema) a produit un outil de recherche et d'aide
à la décision : le référentiel
des obstacles à l'écoulement (ROE). Il s'agit d'un recensement
systématiques des seuils de moulins, barrages, ponts, écluses,
digues et autres ouvrages hydrauliques.
Au total, pour la dernière version en
date de ce recensement, on compterait près de 80.000 «obstacles
à l'écoulement» sur les rivières françaises (carte ci-contre). Et le
recensement n'étant pas achevé, il est probable que l'on dépassera
les 100.000. Rien d'étonnant à cela puisque l'homme a presque
toujours développé ses cités et ses civilisations autour de la
ressource en eau. En Côte d'Or, on compte par exemple 1351 obstacles
recensés dans la dernière version en ligne du ROE. A l'échelle de
la France, environ la moitié des obstacles sont formés par des
seuils en rivières et des barrages (un barrage commence à partir
d'une hauteur de 2 mètres).
Vous pouvez consulter le ROE sous forme
de carte des rivières, à
cette adresse. (Attention, le rafraîchissement est très lent et
demande un bon débit de connexion). Ou bien sous forme de tableur
Excel, à
cette adresse (télécharger le ROE, en bas. Attention cette
fois, comme il y a des dizaines de milliers d'entrées dans le
tableur de type Excel, ce n'est pas facile de s'y retrouver).
Le ROE, une certaine vision des
ouvrages hydrauliques
Les concepteurs du ROE sont
généralement des chercheurs, ingénieurs ou techniciens en
hydrophysique, hydrobiologie et hydro-écologie. La notion même
d' « obstacle à l'écoulement » pour désigner des
ouvrages hydrauliques témoigne de cette vision issue de leurs
disciplines scientifiques. Mais cette vision est forcément
réductrice, au sens où elle n'envisage qu'une seule dimension des
ouvrages en question. Pour le comprendre, on peut dire que la ville
de Paris est un obstacle à l'écoulement aérodynamique sur le
Bassin Parisien ; mais personne n'aura évidemment l'idée de
qualifier ainsi la capitale française (même si de fait, certains
chercheurs en sciences du climat s'intéressent beaucoup aux
changements de rugosité sous la couche limite!).
On ne peut donc pas réduire un
barrage, un seuil ou un bief de moulin à la seule notion d'obstacle.
Cette vision serait très simplificatrice si elle prétendait résumer
tous les regards possibles sur les ouvrages hydrauliques. Et très
inquiétante si elle devenait le « mono-langage » de
l'administration en charge de l'eau.
Les lois de l'hydrodynamique impliquent
de toute évidence que nos seuils et barrages modifient le régime
des écoulements, donc la circulation des sédiments et celle des
poissons. Ce point n'est pas en question, il relève d'une physique
élémentaire désormais bien établie. Ce qui est plus douteux en
revanche, c'est l'assertion selon laquelle les obstacles à
l'écoulement représenteraient la principale menace pour la qualité
biologique des rivières françaises.
Une présence bientôt millénaire
Les seuils et petits barrages ont connu
un grand développement à partir du Moyen Âge. Aux XIe-XIIIe
siècles, les ouvrages hydrauliques profitent de l'invention de
l'arbre à cames, qui permettait de transmettre l'énergie à toutes
sortes d'instruments mécaniques. Le moulin devient l'usine du
développement agricole et industriel de cette période. Cet usage de
l'eau ne fera que croître jusqu'au XIXe siècle. Si l'obstacle à
l'écoulement représentait la principale pression sur les espèces
piscicoles, il est douteux que nos rivières possèdent encore le
moindre poisson après plusieurs siècles de cette exploitation
intensive de l'énergie hydraulique.
Cela fait bientôt un millénaire que
le régime de l'écoulement des rivières françaises (et
européennes) est soumis à une forte influence anthropique, de même
que son peuplement piscicole. Cette pression adaptative lentement
mise en place a impliqué des évolutions progressives des espèces
présentes dans les cours d'eau. Certaines se sont raréfiées,
d'autres ont prospéré selon qu'elles étaient adaptées ou non au
régime modifié de l'eau (changements de température, vitesse,
minéralisation, oxygénation, etc.). Faute d'archives d'observation
sur une très longue période, il est difficile de statuer sur la
mesure de biodiversité et biocomplexité des biefs et retenues, a
fortiori de déterminer le poids relatif de chaque facteur
d'influence quand on soupçonne un appauvrissement biologique du
cours d'eau.
L'influence progressive des ouvrages
hydrauliques paraît moins dommageable que des pressions plus
récentes et plus brutales : la surexploitation de pêche (surtout en
Occident pendant la phase d'ascension démographique 1750-1950), la
pollution massive par les effluents industriels, agricoles et
ménagers, l'introduction d'espèces invasives et parasites au
détriment des espèces patrimoniales, la multiplication des usages
de l'eau en milieu urbain comme rural. Dans un des articles les plus
cités de la littérature sur la question, David Dudgeon et ses
collègues citent la fragmentation de l'habitat induite par la
modification du flux comme l'un des facteurs de perte de la
biodiversité en eau douce, mais non comme le facteur dominant
(Dugeon
et al. 2006).
Hiérarchiser les risques, et ne pas
se tromper d'urgence
De l'avis général des chercheurs, ces
questions de fragmentation de l'habitat aquatique sont sans doute
importantes, mais elle sont aussi sans commune mesure avec une menace
qui se profile à l'horizon et qui forme un risque de premier ordre
pour la biodiversité : le changement climatique, et ses conséquences
hydrologiques en particulier (modification rapide du cycle de l'eau à
échelle régionale, étiages ou crues plus sévères, acidification
des eaux, etc.).
Encore tout récemment, 22 chercheurs
ont publié dans Nature un article montrant que la menace n°1
sur la biodiversité résidait dans des changements brutaux à seuil
critique, et que parmi ces changements figure notre modification
actuelle du cycle du carbone (Barnosky
et al 2012). Dans cette hypothèse, on ne parle pas de la
raréfaction de quelques espèces sur des cours d'eau, mais bien de
pertes en biodiversité qui seraient comparables aux cinq grandes
extinctions de l'histoire de la Terre.
Toute décision publique est fondée
sur une hiérarchie des risques, des bénéfices et des opportunités.
Concernant les ouvrages hydrauliques, il apparaît que leur capacité
à limiter l'usage des énergies fossiles (donc l'effet de serre) est
un avantage plus important que l'inconvénient éventuel de leur
influence (déjà multiséculaire pour la plupart) sur la
sédimentation ou le peuplement piscicole. C'est du moins une
position que l'on peut déduire logiquement d'un très nombre
d'articles scientifiques publiés ces dix dernières années.
Cela ne signifie pas qu'il faut
accepter de manière conservatrice le statu quo : bien des ouvrages
ne sont pas correctement entretenus (présence du propriétaire et
vannage régulier, ou automatisation), certains sont laissés à
l'abandon. Et dans le cas des barrages, des aménagements peuvent
aisément améliorer la qualité écologique de l'eau.
Se réapproprier le ROE
Le référentiel des obstacles à
l'écoulement est incontestablement un travail utile de l'Onema, et
sa mise à disposition du public est une heureuse initiative, qu'il
faut saluer. Il serait souhaitable que toutes les données primaires
de l'Onema (campagnes de mesures) soient également accessibles, afin
de pouvoir évaluer localement l'évolution récente des espèces sur
les cours d'eau.
Le ROE permettra de débattre de son
usage initialement prévu, à savoir l'état du transit sédimentaire
et de la circulation piscicole. Et des aménagements à fin de
continuité écologique seront bien sûr nécessaires sur les sites
présentant des altérations manifestes du cycle de vie de certains
poissons, ou des processus d'érosion-sédimentation.
Mais pour les associations, dont
Hydrauxois, ce ROE servira également à deux autres usages non
prévus par ses concepteurs : dresser une cartographie du patrimoine
hydraulique régional ; produire un atlas hydroélectrique détaillé,
notamment pour les PCH (petites centrales de puissance inférieure à
500 kW).
Si ROE signifie aujourd'hui référentiel
des obstacles à l'écoulement, cette base pourrait aussi bien
s'appeler « référentiel des opportunités énergétiques »
ou « référentiel des ouvrages en danger ». Car ce
qu'elle décrit, ce sont parfois des ouvrages qui représentent un
héritage patrimonial important, sans être entretenus ni valorisés
; ou des ouvrages qui, produisant une certaine hauteur de chute et/ou
un débit d'eau dévié du lit mineur, permettent une exploitation
hydro-électrique locale.
Estimer le productible en petite
hydroélectricité
Pour ce dernier point, on peut en effet
réaliser une première estimation de puissance hydraulique en
connaissant la hauteur de chute et le débit moyen au droit d'un
ouvrage. La formule est :
ρ.g.H.Q
où ρ
(rho) représente la masse volumique de l'eau (1000 kg/m3), g la
force de gravité (9,81 N/kg), H la hauteur brute (en mètre) et Q le
débit moyen interannuel (en m3), le résultat étant en watt (W). On
peut supprimer la masse volumique de valeur 1000, ce qui donne un
résultat directement en kilowatt (kW)
Le productible final en énergie
électrique est bien sûr plus complexe (il dépend des pertes en
charge, des rendements de chaque élément de production, etc.), mais
la puissance hydraulique brute du débit d'équipement donne déjà
une bonne approximation du potentiel.
Il existe des estimations disponibles,
par exemple dans les Schémas régionaux climat air énergie (SRCAE )
ou dans le travail important réalisé en 2011 par l'Union française
de l'électricité (UFE
2011). Mais la méthodologie est différente et un travail de
terrain mené sur la base des ouvrages hydrauliques existants sera
complémentaire. Elle est aussi pour les associations l'occasion de
découvrir toutes les facettes de leur territoire, certaines étant
encore méconnues.
Un objectif : l'équilibre
Le Code de l'environnement (article
L211-1) précise la pensée du législateur en appelant à une
«gestion équilibrée» de la ressource en eau.
L'équilibre sera le maître-mot d'Hydrauxois et il suppose une prise
en compte multidimensionnelle de la qualité et de la valeur de l'eau
: physique, chimique, biologique et écologique, bien sûr ; mais
aussi historique, patrimoniale, paysagère, sociétale et
énergétique.