Le bassin hydrographique Loire-Bretagne
a tiré le premier : le 10 juillet 2012, le préfet du Loiret a
publié le nouveau classement des rivières (voir cet
article pour comprendre les enjeux). La réponse n'a pas tardé : la Fédération française des Associations de sauvegarde des moulins, puis le syndicat de producteurs France Hydro Electricité, qui représente
les petites centrales hydrauliques, ont saisi le tribunal administratif
d'Orléans pour une demande en annulation du classement (communiqué
FHE, pdf). Cette demande est motivée par l'article 211-1 du Code
de l'environnement, qui impose une « gestion équilibrée et
durable de la ressource en eau ». Le classement des
rivières introduit un déséquilibre manifeste puisqu'il contrevient
à deux orientations de même
article de loi : « la
valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier,
pour le développement de la production d'électricité d'origine
renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ; la
promotion d'une utilisation efficace, économe et durable de la
ressource en eau ».
Ainsi,
sur le bassin Loire-Bretagne, un potentiel de développement
hydro-électrique de 390 MW avait été identifié par l'étude
UFE 2011.
Or, le classement en liste 1 de la majorité des rivières de ce
bassin bloquerait le développement de 308 MW, soit 80% du potentiel.
Autant dire que l'énergie propre, durable et compétitive des cours
d'eau de Loire-Bretagne sera réduite comme une peau de chagrin.
On
pourrait objecter que ce blocage vient de la mauvaise volonté des
producteurs, indifférents à l'écologie des rivières. Mais France
Hydro Electricité avait pourtant signé en 2010 la Convention
pour le développement d'une hydro-électricité durable, sous
l'égide du ministère de l'Ecologie. Les parties prenantes
s'engageaient à de nombreux efforts pour moderniser les petites
centrales hydrauliques et notamment les rendre conformes aux besoins
de continuité écologique (transit sédimentaire, franchissement
piscicole). Il est donc faux de prétendre que les petits producteurs
d'hydro-électricité sont indifférents aux enjeux de qualité
physique, chimique et biologique de l'eau : ils en sont au
contraire les acteurs de terrain.
Cet
effort, représentant des coûts importants, a-t-il été consenti en
vain ? Le ministère de l'Ecologie, du Développement durable et
de l'Energie persiste dans une logique maximaliste. Et, surtout, une
logique aberrante.
L'immense
majorité des chercheurs considère aujourd'hui que la menace n°1
sur la biodiversité (y compris aquatique) réside dans l'altération
massive du cycle du carbone et les changements climatiques qu'elle
induit. L'immense majorité des spécialistes de l'énergie considère
que la transition vers des énergies non-fossiles demande de
mobiliser l'intégralité des ressources renouvelables, et
particulièrement les productions électriques qui seront de plus en
plus nécessaires pour remplacer les systèmes thermiques à
combustion. Quant à la qualité biologique des rivières, les
différents indices pour la mesurer (IBGN,
IBD, IBMR...) sont essentiellement sensibles aux pollutions
(effluents agricoles, industriels et ménagers.) Rappelons par
exemple que la France est poursuivie
par la Cour de justice européenne pour son manque d'entrain à
appliquer la directive nitrates.
Il
est donc incompréhensible que le ministère de l'Ecologie valide
aujourd'hui des arbitrages erronés et hérités du précédent
gouvernement, dont chacun sait que le Grenelle fut finalement un
saupoudrage de mesures éparses, souvent symboliques, sans cohérence
de fond et sans compréhension réelle des enjeux à long terme du
développement durable. Combien de conflits juridiques et de
batailles procédurières sur la continuité écologique appliquées
aux rivières seront nécessaires pour faire prendre conscience du
problème et faire entendre raison aux décideurs ?
14/10/2012
12/10/2012
Agenda
Les 13 et 14 octobre prochain,
l'association Passe Pierre organise à Semur-en-Auxois une exposition
sur la
faune et la flore de l'Armançon. Des conférences sont notamment
prévues sur les carpes, les rapaces nocturnes et la biodiversité de
la rivière. Du 8 au 11 novembre, le Salon international du
patrimoine culturel se tient à Paris, au Caroussel du Louvre. La
Fédération française des associations de sauvegarde de moulins
sera présente (stand C14, Salle Gabriel) pour défendre le
« troisième
patrimoine de France », aujourd'hui menacé. Du 20 au 22
novembre, la FFAM participera aussi au Salon
des maires (Porte de Versailles, Paris), où elle remettra le
Prix 2012 « Nos moulins ont de l'avenir ».
10/10/2012
Onema: discours de colloque, discours de terrain
Les Rencontres
de l'Onema n°16 publient le compte-rendu d'un Colloque sur le
thème : L'eau, ingénierie d'un continuum. Ce colloque a
été organisé par le Groupe d’application de l’ingénierie des
écosystèmes (Gaié) et par l'Office de l'eau et des milieux
aquatiques (Onema), les 13 et 14 décembre 2011. La Loi sur l'eau et
les milieux aquatiques de 2006 a indiqué une obligation de résultats
en terme de qualité de l'eau d'ici 2015. Et l'entrée en vigueur de
la Trame Verte et Bleue (TVB) du Grenelle signale que le « continuum
aquatique » sera un élément important de cette qualité de
l'eau, du moins pour le législateur.
L'Onema revient sur les conditions de mise en œuvre de cet objectif qu'il a très largement contribué à promouvoir ces dernières années. Plusieurs passages ont attiré notre attention, et suscité quelques réflexions.
L'Onema revient sur les conditions de mise en œuvre de cet objectif qu'il a très largement contribué à promouvoir ces dernières années. Plusieurs passages ont attiré notre attention, et suscité quelques réflexions.
Le conflit et le désaccord comme
moteurs de l'action...
si une seule vision est sûre de l'emporter ?
si une seule vision est sûre de l'emporter ?
Le compte rendu du colloque note le
rôle du « conflit comme moteur de l'action » :
« Pour être efficace du point de vue écologique, la mise
en place d’un projet devra nécessairement avoir un impact sur des
pratiques en place. Les points de désaccord sont donc
incontournables avant que le projet soit accepté et adapté
localement. En effet, un projet qui n’aurait pas de détracteurs
reviendrait en fait à ne pas changer les choses. L’implication des
citoyens dans la connaissance des problèmes environnementaux est
indispensable pour susciter l’intérêt des politiques publiques,
comme de l’opinion publique, sur la gestion du continuum
aquatique. »
Si le désaccord voire le conflit sont
ainsi fructueux, il ne fait pas de doute que l'Onema est ravi de
travailler en Auxois-Morvan. Car dans les cas où ils en ont été
informés, comme pour le projet-pilote de Semur-en-Auxois, les
propriétaires, riverains et citoyens ont très clairement exprimé
leur désaccord avec la continuité écologique telle qu'elle est
aujourd'hui pratiquée.
Accepter le désaccord est une chose,
en accepter la conséquence en est une autre. La continuité
écologique est trop souvent perçue aujourd'hui comme un diktat, où la conclusion est
posée d'avance et où la concertation est factice : on a tout à
fait le droit d'être en désaccord... à condition expresse de
reconnaître finalement que l'on avait tort ! Il va de soi que
cette vision du désaccord n'a rien à voir avec le caractère
fructueux du débat démocratique entre visions antagonistes.
Le désaccord en question n'est pas
interne à la science, il ne porte pas sur telle ou telle équation
de l'écoulement de l'eau ou du transport de ses charges solides.
Non, il concerne plus fondamentalement la place que doit occuper la
continuité écologique dans la lutte pour la qualité physique,
chimique et biologique de l'eau ; et la compatibilité de la
continuité écologique avec les autres dimensions socialement
reconnues de l'eau : l'eau comme histoire, comme paysage, comme
ressource, comme loisir, etc.
De
tels désaccords ne sont pas solubles dans une décision préfectorale
ni dans un conclave scientifique. Ils sont l'objet de la démocratie
et, disons-le clairement : le débat démocratique sur la
continuité écologique n'a pas eu réellement lieu. Plus
exactement : il n'a pas été présenté dans les termes
normaux d'un débat démocratique où les citoyens et leurs élus,
informés clairement des conséquences concrètes des décisions,
pouvaient accepter ou non ces conséquences. Tout le monde acquiesce
à l'idée abstraite de « diminuer
la fragmentation et la vulnérabilité des habitats naturels »
(art 371.1 C. env., objet de la TVB) ; mais encore faut-il
savoir à quels coûts, selon quelles priorités et avec quelles
conséquences un tel objectif est atteint. Si, lors des débats
parlementaires, il était apparu aux élus que la continuité
écologique signifiait concrètement un choix entre des aménagements
très coûteux ou un effacement (coûteux aussi) du patrimoine
hydraulique français, jamais la réforme n'aurait été votée en
l'état.
En
conséquence, le vrai débat a lieu non pas lors de l'adoption de la
loi, mais lors de son application.
Choix d'actions au service du même
objectif...
mais sur le terrain, le choix est-il si vaste ?
mais sur le terrain, le choix est-il si vaste ?
A propros de cette application sur le
terrain de la continuité écologique, le compte-rendu du colloque se
poursuit par une remarque intéressante sur la nécessité d'un
réalisme dans l'action : « Il convient également de
fixer des objectifs écologiques qui soient compatibles avec une
mise en œuvre d’actions. Par exemple, la suppression des clapets
des moulins est un moyen de restaurer la continuité, mais n’est
pas une fin en soi. Pour ce même objectif, une autre solution
pourra être adoptée dans un autre contexte. »
Il est notable que l'Onema
reconnaisse ainsi la diversité des moyens de parvenir à la
restauration d'un continuum aquatique, et n'envisage pas la
destruction des vannes et biefs des moulins comme la seule voie
possible. Nous ne manquerons de rappeler cette position aux agents de
l'Office en Côte d'Or.
Encore faut-il que cette diversité des
moyens d'actions, vertueusement promue sur le plan des principes, se
retrouve réellement dans les faits et les actes. Pour continuer à
citer le projet-pilote
de continuité écologique de Semur-en-Auxois, initié par
l'Onema, l'Agence de l'eau Seine-Normandie se déclare prête à
soutenir l'effacement d'un barrage à hauteur de 450.000 euros de
subvention (soit la quasi-totalité du coût), mais refuse
actuellement de verser un seul centime d'euro pour construire une
passe à poisson et redimensionner la vanne en vue d'un meilleur
transport sédimentaire.
Cette position est tout à fait
incompréhensible : si la continuité écologique est le vrai
objectif et si l'Agence de l'eau dispose d'un budget pour un
projet-pilote, il n'y a aucune raison de choisir arbitrairement une
solution plutôt qu'une autre. Ce manque de rationalité dans les
choix publics conduit les citoyens à la conclusion suivante :
c'est bien l'effacement du barrage qui est l'objectif, et derrière
lui l'effacement du maximum d'obstacles en rivière.
La supposée pluralité des moyens
d'action au service de la continuité écologique paraît donc un
leurre. Mais dans ce cas, il ne faut pas s'étonner que la politique
de continuité écologique soit conflictuelle : les
administrations de l'eau ne doivent pas tenir un double langage, très
ouvert dans leurs plaquettes publiques et très fermé sur le
terrain.
Accepter l'incertitude et le
caractère expérimental des actions...
tout en soutenant une loi
s'appliquant partout et tout de suite ?
La conclusion du compte-rendu du
colloque ne suscite pas moins d'interrogations. L'Onema écrit
ainsi : « Il faut rester modeste face à la réelle maîtrise
des écosystèmes. Si l’ingénierie cherche à produire des
systèmes contrôlés, ce caractère prévisible est difficilement
compatible avec les processus naturels. Il est nécessaire d’être
prêt à laisser un certain degré d’autonomie aux systèmes,
garder à l’esprit le caractère expérimental des actions
conduites ainsi que du temps pour qu’elles aient un effet, les
écosystèmes pouvant mettre un certain délai à réagir. Le défi
est de réussir à prendre en compte et intégrer la notion
d’incertitude dans les décisions des pouvoirs politiques, mais
également dans les demandes de la société. »
Tout d'abord, l'Onema ne devrait pas
réserver à ses colloques à public restreint cette reconnaissance
sur l'incertitude de ses savoirs et de ses pratiques : tout le
monde a le droit d'en être informé, et il existe même un devoir
d'informer sur les incertitudes et les risques qu'elles impliquent.
Les documents de l'Onema plus souvent
diffusés vers les élus et les citoyens devraient donc préciser
clairement que l'effet exact des obstacles à l'écoulement sur la
biomasse et la biodiversité aquatiques n'est pas mesuré avec un
haut degré de précision. Et que la suppression systématique de ces
obstacles à l'écoulement reste une expérimentation à grande
échelle dont on est bien incapable de simuler par modèle numérique
l'ensemble des effets à long terme. Car si c'était faisable, les
hydrologues auraient réalisé pour les rivières ce que les
climatologues ont fait pour l'atmosphère et l'océan : des
modèles permettant d'analyser les conditions aux limites du système
hydrographique à différentes hypothèses, seule solution pour
évaluer les trajectoires d'évolution (par exemple avec ou sans
obstacles) et probabiliser ainsi les risques de certaines
trajectoires inopportunes. Pour le dire plus clairement : avant
de supprimer à marche forcée des milliers de seuils, glacis et
barrages, prendre la précaution de vérifier qu'il n'existe pas
d'effets indésirables et que les bénéfices écologiques sont proportionnés au coût (un modèle numérique à maille assez
réaliste étant le seul outil pour cela).
Que les spécialistes en
hydromoprhologie et hydro-écologie reconnaissent le caractère
incertain de leur savoir et la dimension expérimentale de leurs
actions est une chose, et plutôt une bonne chose. C'est une grande
qualité d'un chercheur ou d'un ingénieur que de reconnaître ainsi
les limites actuelles de son domaine de travail, au lieu de véhiculer
l'image d'une science toute-puissante et infaillible.
Mais que cette reconnaissance des
incertitudes donne lieu à une loi, un classement des rivières et
une injonction à l'action immédiate à grande échelle sur les
rivières françaises pose des questions importantes. Là encore, la
rationalité des choix publics doit être mise en question : en
vertu de quoi un savoir encore incertain et une pratique encore
expérimentale donnent lieu si rapidement à une loi ? La
sagesse la plus élémentaire ne commande-t-elle pas d'affermir les
connaissances avant de bouleverser les équilibres pluriséculaires
de nos rivières ?
Ces questions sont publiquement posées,
et nous serions bien entendu ravis d'en publier les réponses. Car
c'est cela, le débat démocratique informé permettant aux citoyens
comme à leur élus de se construire une opinion.
05/10/2012
Assises de l'énergie en Côte d'Or
Les Assises
de l'énergie en Côte d'Or se tiendront à Dijon, le jeudi 25
octobre 2012. L'association Hydrauxois participera à la
demi-journée, avec un double objectif. D'abord s'informer des
dispositifs mis en place sur l'Auxois-Morvan dans le cadre de la
transition énergétique : Schéma régional climat, air,
énergie (SRCAE), Plan climat-énergie territorial (PCET), retours
d'expériences sur les projets locaux engagés dans le domaine de
l'énergie. Ensuite, sensibiliser des interlocuteurs (Ademe, Siceco,
élus) au cas particulier de la micro-hydraulique. Par rapport aux
filières biomasse, solaire ou éolienne, la micro-hydraulique est
souvent négligée malgré ses nombreux avantages : technologie
mature, bilan carbone très favorable, empreinte paysagère nulle,
restitution intégrale de l'eau, nombreux sites de production
potentielle sur les rivières, productible quotidien et saisonnier
raisonnablement prévisible (dans une certaine fourchette de
probabilité liée aux variations de pluviométrie). La
micro-hydraulique a aussi des besoins spécifiques en investissement,
équipement et accompagnement des porteurs de projets, car les
niveaux de puissance installable sur l'Auxois-Morvan (quelques
dizaines de kW en autoconsommation à quelques centaines de kW en
vente réseau) déterminent des attentes très différentes.
02/10/2012
Nouveau classement des cours d'eau de 2013: quels enjeux ?
Déjà cette
année dans le bassin Loire-Bretagne, et en 2013 dans l'ensemble de
la France dont notre bassin Seine-Normandie, un nouveau classement
des cours d'eau sera adopté. Les habitants de l'Auxois-Morvan
peuvent consulter le projet de classement de leurs rivières (par
tronçons) sur cette page
de la DRIIE.
Aujourd'hui, 7%
des rivières sont considérées comme en très bon état écologique,
38% en bon état écologique, 38% en état écologique moyen, 11% en
état écologique médiocre et 4% en mauvais état (rapportage
Reportnet-Wise 2009).
Ce classement des
rivières s'inscrit dans le cadre de la « continuité
écologique », promue par la loi sur l'eau et les milieux
aquatiques (LEMA) de 2006, puis les lois Grenelle 1 (2009) et
Grenelle 2 (2010, Trame bleue), interprétations françaises de la
directive-cadre sur l'eau (DCE) adoptée par l'Union européenne en
2000.
Classement des
rivières : un enjeu déjà ancien
L'idée d'un
classement des rivières n'est évidemment pas nouvelle, puisque le
premier classement imposant des échelles à poissons en France date
de la loi du 31 mai 1865. Avant même cette époque, et comme le
signale ce
site, certaines rivières françaises connaissaient les
« passe-lits », plans inclinés à 10-15° de pente
entre la retenue amont et l'aval du seuil, dont l'entretien pouvait
être rendu obligatoire par des coutumes. De même, les échelles à
poissons existaient localement avant la loi de 1865 à des fins de
renouvellement du stock piscicole (image : extrait du Bulletin
de la Société d'agriculture, industrie, sciences et arts du
département de Lozère, 22, 1861, cliquer pour agrandir).
La
loi de 1865 marque néanmoins la prise de conscience du législateur
moderne, et elle signale dans son article 1 : « Des
décrets du Conseil d’État, après avis des conseils généraux du
département, détermineront les parties des fleuves, rivières,
canaux et cours d’eau dans les barrages desquelles il pourra être
établi, après enquête, un passage appelé échelle destiné à
assurer la libre circulation du poisson. » Un
certain nombre de décrets (exemple)
ou décisions interministérielles (exemple,
en bas) vont aboutir soit à l'obligation d'installer les échelles à
poissons, soit à l'interdiction pure et simple de construire des
ouvrages hydrauliques nouveaux sur certains cours d'eau.
D'autres
classements suivront à mesure que les rivières françaises seront
équipés d'ouvrages hydro-électriques remplaçant les ouvrages
hydromécaniques. Le système actuellement en vigueur, appelé à
être modifié prochainement, connaissait les rivières « réservées »
et les rivières « classées ». Ce classement était issu
d'une agrégation de lois ayant commencé en 1919, avec la loi sur
l'énergie hydraulique, suivie par la loi de 1976 sur la protection
de la nature, la loi de 1984 sur la pêche en eau douce, la loi de
1992 sur l'eau (article L232-6 du Code rural, puis article L-432-6 du
Code de l'environnement).
Le premier
enseignement est que le souci du franchissement piscicole est ancien.
Il n'y a pas eu des siècles d'aveuglement suivis d'une lumineuse et
récente prise de conscience, mais plutôt des séries d'ajustement
tentant de concilier les usages hydrauliques et la biodiversité
aquatique.
Liste 1 et
liste 2 : leur signification
Venons-en au
nouveau classement des rivières appelé à entrer en vigueur rapidement. Les
rivières seront désormais classées en deux catégories : liste 1
et liste 2. (Carte ci-dessous : le classement des bassins de
l'Armançon, du Serein et de la Cure, cliquer pour agrandir).
La liste 1
désigne les rivières à préserver, en très bon état écologique,
les tronçons considérés comme réservoirs biologiques, les
rivières à enjeu de migrateurs amphihalins (vivant alternativement
en eau douce et salée, comme le saumon, la truite de mer,
l'anguille, l'alose, les lamproies, etc.). Sur ces rivières, aucun
ouvrage hydraulique nouveau ne sera autorisé et les ouvrages
existants devront se mettre en conformité avec la continuité
écologique, c'est-à-dire assurer le transport sédimentaire et le
franchissement des poissons (montaison, dévalaison).
La liste 2
désigne les rivières à restaurer, en état écologique moyen à
mauvais. Là aussi, les ouvrages hydrauliques existant devront être
mis au norme, mais la construction de nouveaux équipements ne sera
pas interdite a priori.
La classement des
rivières proposé en lien plus haut (pour le bassin Seine-Normandie)
précise, pour chaque tronçon, les espèces d'intérêt, la présence
d'un enjeu migrateur (besoin de franchissement dans le cycle de vie
de certains poissons), l'état sédimentaire (niveau du transport de
charge solide par charriage) et, les cas échéant, des objectifs
précis (existence d'un « axe anguille », connexion avec
un réservoir biologique, reformation de frayères, etc.).
Mise en
application du classement : nécessité du réalisme
Les propriétaires
disposent d'un délai de 5 ans à compter de la publication du
classement des cours d'eau pour mettre leurs ouvrages en conformité
avec les exigences de la préfecture. Concrètement, ce sont les
services de la police de l'eau (DDT, Onema) qui transmettront aux
propriétaires ou exploitants les consignes préfectorales.
Le problème est
le suivant : la continuité écologique peut signifier bien des
choses. Une « ouverture raisonnée des vannes », comme le
proposent beaucoup d'associations de moulins, est par exemple un
moyen de favoriser le transit sédimentaire et la circulation
piscicole en dévalaison, de biefs en biefs. Le propriétaire
s'engage, en fonction de consignes de l'Onema, à actionner le
vannage et à assurer un certain débit à certaines périodes de
l'année où le cycle de vie des espèces le réclame.
Cette hypothèse
serait la plus simple et la plus conforme à l'emploi des moulins,
même si elle implique une présence permanente du propriétaire
– les moulins en « résidence secondaire » devront
trouver des solutions pour respecter le fonctionnement de leurs
ouvrages, de manière pas très éloignée de leur usage historique.
Mais
l'Administration de l'eau peut se montrer plus stricte et réclamer
la pose de passes à poissons. Là encore, il y a des gradients de
complexité dans les équipements demandés.
Le Code de
l'environnement prévoit la circulation des migrateurs vivant
alternativement en eau douce et salée. Ce qui supposerait dans la
région des passes à anguilles, dont la conception présente un
certain coût. Encore l'anguille tolère-t-elle des rampes à pente
forte, et en tête de bassin versant, comme l'Auxois-Morvan, les
individus sont adultes. (Ci-contre : anguille commune d'Europe,
Ron
Offermans, Wikimedia Commons)
En revanche, si
l'Administration exige des passes adaptées à toutes espèces non
amphihalines (Salmonidés d'eau douce et Cyprinidés), la perspective
change complètement : ces dispositifs de franchissement (passe
naturelle « rustique », passe à bassins successifs)
demandent énormément de génie civil en raison de la nécessité
d'une faible pente, faible puissance volumique de l'eau et faible
turbulence de l'écoulement. Le coût devient alors tout à fait
prohibitif pour la plupart des propriétaires. Et, disons-le, assez
aberrant dans la période de grave crise que nous connaissons.
Bref, la mise en
oeuvre du nouveau classement sera affaire de réalisme :
- soit on convient qu'il faut des réformes progressives, raisonnables et soutenues par des subventions quand elles ont des coûts importants sur un site donné ;
- soit on exige des passes disproportionnées en laissant les propriétaires à eux-mêmes et en les menaçant d'amende ou d'effacement de leurs ouvrages.
Dans la seconde
hypothèse, le nouveau classement des rivières sera conflictuel. Ce
n'est évidemment souhaitable pour personne. Et surtout pas pour la
continuité écologique, qui n'a aucune chance de succès dans notre
pays si elle est menée par voie autoritaire et ruineuse.
Eclaircir la
constitution du classement :
une transparence indispensable
une transparence indispensable
Classer chaque
tronçon de rivière française est une bonne chose : encore
faut-il par la suite expliquer et justifier le classement en question
auprès des riverains, et du public en général.
Notre association
demandera en conséquence la publication de la documentation primaire
ayant permis de réaliser le nouveau classement. En effet, si l'on
prend l'exemple du tronçon de l'Armançon de l'aval du barrage du
Pont au confluent avec la Brenne, le classement se contente de
mentionner parmi les espèces concernées par la continuité
écologique les « cyprinidés rhéophiles » (à côté
des anguilles).
Cette expression
pour le moins cryptique ne signifie pas grand chose aux riverains et
propriétaires d'ouvrages, ni aux citoyens en général.
Quand on va sur
la base
documentaire Eau France, la requête sur
« cyprinidés rhéophiles » ne donne que 33 résultats,
dont la plupart ne sont pas spécifiques à ces espèces, et on ne
trouve rien sur les travaux d'analyse et mesure du tronçon
d'intérêt. La base KMAE
de l'Onema ne donne que 16 résultats, dont au moins deux concernent
les rhéophiles (pas spécialement cyprinidés) dans notre région,
un travail de Boet
et al 1991 sur le bassin de l'Yonne, et un
autre de Berrebi
dit Thomas et al 1998 sur le bassin de la
Seine. Ces études ne sont pas récentes, et aucune ne mentionne la
continuité écologique.
Une recherche sur
le mot-clé « Armançon » donne bien 87 résultats sur
Eau France, mais un classement par date ne révèle aucune étude
piscicole récente permettant de connaître le peuplement actuel et
historique des cyprinidés rhéophiles, ni de préciser les besoins
et capacités en franchissement d'obstacles de chacune des espèces.
Les cyprinidés
rhéophiles ne sont qu'un exemple parmi d'autres, sur un tronçon
parmi d'autres. S'il s'agissait de recherche fondamentale ou
appliquée, ces questions ne concerneraient bien sûr que les
chercheurs. Mais voilà, comme le classement des cours d'eau risque
de se traduire localement par des destructions du patrimoine
hydraulique ou des aménagements particulièrement coûteux, ces
questions concernent désormais toute la société.
Par ailleurs,
s'il est tout à fait louable que le Ministère de l'Ecologie et les
Agences de l'Eau s'appuient sur la science, nul n'ignore que la
science est fondée sur la publication de ses résultats et de ses
méthodes : c'est ce qui permet la critique, donc le progrès des
connaissances.
Aussi la parfaite
transparence sur la détermination des espèces demandant des
dispositifs de franchissement sera-telle requise dès le classement
publié.
Les principaux
points de progrès :
« prime à la passe » et autres mesures d'accompagnement
« prime à la passe » et autres mesures d'accompagnement
Le nouveau
classement des cours d'eau et l'obligation de mise en conformité sur
la période 2014-2019 se présentent donc comme un chantier de
travail important, avec plusieurs axes demandant clarification entre
les riverains, propriétaires, associations et administrations de
l'eau.
L'association
Hydrauxois travaillera en particulier les points suivants :
• Rapport
coût-bénéfice écologique : déterminer site par site quelle
solution présente un gain environnemental pour un coût moindre ;
éviter toute application systématique alors que chaque ouvrage sur
chaque tronçon de rivière est un cas particulier ;
• Optimisation
des passes à poissons : travailler avec les ingénieurs pour
proposer des dispositifs de franchissement minimisant le coût du
génie civil tout en conservant le bénéfice écologique attendu ;
• Suivi
d'analyse : équiper un certain nombre de sites de dispositifs
d'observation afin de mesurer les effets réels des aménagements,
ainsi que leurs points faibles en vue d'une amélioration future
(attractivité des passes, effets de luminosité, problèmes de
recirculation, etc.) ; publier les résultats de manière
transparente pour informer le public des gains écologiques
observés ;
• Soutien de
l'Etat : la rivière comme la biodiversité sont des biens
communs, donc l'effort de continuité écologique doit être soutenu
par des subventions publiques, au pro rata des coûts d'équipement
exigés par le demandeur (Etat). D'autant que l'immense majorité des
moulins ne tire aucun revenu de l'énergie hydraulique, contrairement
aux grands barragistes ; le principe d'une « prime à la
passe » sera donc promu ;
• Articulation
de la continuité écologique avec le patrimoine et l'énergie :
la continuité écologique est l'occasion de rappeler aux
propriétaires leur devoir d'entretien du patrimoine historique que
représentent les ouvrages hydrauliques, mais c'est aussi le moment
de leur proposer une aide à l'équipement hydro-électrique, en
conformité avec les plans de transition énergétique que la région
Bourgogne, la France et l'Europe ont engagé ; toute demande de
passe impliquant un génie civil important devra donc être associée
à une analyse de préfaisabilité afin de mutualiser éventuellement
les coûts de la passe et ceux d'un équipement hydro-électrique
(s'il est inexistant au droit de l'ouvrage, sinon une modernisation
de l'équipement existant).
L'association
Hydrauxois défendra cette ligne de propositions auprès des
autorités administratives, techniques et scientifiques en charge de
l'eau sur les bassins de l'Armançon, du Serein et la Cure. Elle la
défendra également auprès de tous les citoyens d'Auxois-Morvan et
de leurs élus, car le risque de destruction du patrimoine rural et
technique de notre région est bien réel (voir l'exemple inquiétant
du projet-pilote
de Semur-en-Auxois). Et elle ne peut évidemment que conseiller
aux propriétaires d'ouvrages hydrauliques de la rejoindre, afin de
peser ensemble dans les négociations à venir.
Inscription à :
Articles (Atom)