L’exploitation de la forge d’Aisy-sur-Armançon est mentionnée au XVIe siècle, la métallurgie en petit atelier étant plus ancienne encore dans la région (elle est attestée dès l’époque celtique puis romaine). Le minerai de fer, assez abondant en gisements de surface (Châtel-Gérard, Nuits, Etivey), permet l’exploitation en bas, puis en haut fourneau.
La forge est située au bord de l’Armançon, et quelques siècles plus tard au bord du canal de Bourgogne qui la longe. Dans les années 1760, le comte de Buffon étudie longuement les forges d’Aisy grâce à l’aide des maîtres des forges locaux, Rigolley et Humbert, et il y effectue des expériences sur le fer. Ces études l’aideront à concevoir son propre projet de grande forge, dans le village situé à quelques kilomètres d’Aisy qui porte son nom. Buffon évoque Aisy dans sa correspondance et son Histoire naturelle.
Le bâtiment actuel, en brique et moellon, date du XIXe siècle. Entre 1800 et 1845, la métallurgie bourguignonne connaît son apogée, avant un rapide déclin. Ses hauts fourneaux représentent alors 15% des équipements français. Mais lors de la concentration industrielle (associations et fusions menant notamment à l’émergence de la société anonyme du Chatillon-Commentry-Neuves-Maisons, ancêtre d’Usinor), les forges les moins productives sont abandonnées. Augusta Hure écrit en 1919 : «A Aisy, la forge, qui date de la seconde moitié du XVIe siècle, était vers 1848 en chômage complet; les deux hauts-fourneaux qui employaient les minerais d'Etivey et de Châtel-Gérard ont cessé leurs feux en 1850; ils donnaient de la fonte envoyée pour la plus grande partie à Ancy-le-Franc. Deux forges marchaient très peu et produisaient du gros fer seulement ; elles ont été éteintes définitivement en 1851. L'usine employait 30 ouvriers.» Cette usine sera employée ensuite à d’autres usages. Le bâtiment est aujourd’hui occupé en habitation privée.
On observe en rivière les aménagements hydrauliques autour de la forge (trois premières photos, cliquer pour agrandir).
Sources :
Association interuniversitaire de l’Est (1972), L'industrie, facteur de transformations politiques, économiques, sociales et culturelles, Actes du colloque de Metz, Paradis-Lunéville, 169.
CNRS, Oeuvres de Buffon en ligne .
Hure A (1919), Origine et formation du fer dans le Sénonais. Ses exploitations et ses fonderies dans l’Yonne, Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de l’Yonne, 33-106
Veyssière-Pomot (sans date), La grande forge de Buffon, publication Grande forge de Buffon Côte d’Or, 2
01/02/2013
28/01/2013
Bilan hydrologique et écologique du Serein
Après l'Armançon et la Haute-Seine, notre association continue le tour d'horizon des bassins hydrographiques de le Bourgogne occidentale. Nous avons demandé à l'Agence de l'Eau Seine-Normandie les travaux les plus récents disponibles sur le Serein : il s'agit d'un mémoire de fin d'études AgroParisTech, réalisé en 2011 par Semah Majdouba sous la direction de MM. Bastien Pellet (Agence de l'eau) et Thierry Rieu (AgroParisTech). Le travail reprend les données disponibles dans la littérature récente et propose une analyse «pression-impact-état» des eaux superficielles (à l'exclusion, donc, des nappes phréatiques).
370 mètres de dénivelé
Le bassin versant du Serein couvre une surface de 1388 km2, située pour un tiers en Côte d'Or dans sa partie amont et pour deux-tiers dans l'Yonne dans sa partie médiane et aval. Le Serein s'écoule sur 186 km, de sa source à Beurey-Bauguay (458 m d'altitude) jusqu'à sa confluence avec l'Yonne à Bassou (88m), soit un dénivelé de 370 mètres. Il reçoit sur son cours une soixantaine d'affluents, le plus souvent des rus et ruisseaux.
La partie amont du linéaire du Serein coule des massifs du Morvan aux dépressions de l'Auxois et de la Terre Plaine. La géologie y est dominée par le socle cristallin du Morvan, datant de l'ère primaire. Les sols sur granites et roches volcaniques les plus en amont précèdent l'apparition en aval de schistes, argiles, limons et calcaires. Les climats changement également sur le linéaire : la partie amont connaît l'influence orographique du Morvan, avec des précipitations plus importantes au long de l'année, des épisodes convectifs à précipitation intense plus fréquents, des températures moyennes plus froides en hiver comme en été.
Des étiages sévères
Du point de vue hydrologique, le Serein est marqué par une forte variabilité : on enregistre ainsi sur la station de Chablis 15m^3/s de différence entre le flux mensuel le plus faible (août, 2 m^3/s) et le plus élevé (février, 17 m^3/s). L'étiage peut être particulièrement sévère. Dans la station amont de Bierre-les-Semur, le débit minimal sur 3 jours consécutifs (VCN3) peut être de 13 litres par seconde seulement, le débit mensuel le plus bas calculé sur 5 ans (QMNA5) s'établissant à 38 litres.
Semah Majdouba souligne que l'absence d'entretien des ouvrages hydrauliques à ces périodes d'étiage peut poser des problèmes compte-tenu de l'augmentation de la demande en eau domestique et agricole. Il serait à cet égard nécessaire d'aller plus loin et de modéliser l'étiage avec ou sans ouvrages, car ceux-ci permettent aussi des réserves d'eau aux mois les plus secs.
A ces étiages parfois sévères répondent des crues à débits conséquents : 57, 68 et 91 m^3/s pour les temps de retour à 5, 10 et 50 ans, sur la station amont de Bierre-les-Semur. Les années 1910, 1955 et 1998 ont connu les épisodes de crue les plus marqués des annales récentes.
Etat chimique et écologique : données et résultats
Concernant la qualité des eaux du Serein, l'étude de S. Majdouba rappelle qu'une soixantaine de mesures d'évaluation sont exigibles par la directive-cadre sur l'eau. Le Serein étant divisé en 22 masses d'eau différentes (auxquelles s'ajoutent 7 autres pour ses affluents principaux), ces mesures devraient être disponibles sur chacune d'elles. C'est loin d'être le cas. Ainsi, 13 masses d'eau du Serein n'ont pas d'évaluation de leur état chimique (ni en mesures réelles ni en avis d'expert). En mesures biologiques, 3 masses d'eau seulement ont un indice poisson rivière (IPR), 9 ont un indice diatomées (IBD) et 17 ont un indice biologique global normalisé (IBGN).
Cette absence de mesures est parfois compensée par des «avis d'expert» sur certains tronçons de la rivière, mais comme nous l'avons déjà souligné, un expert fut-il excellent connaisseur de la rivière et de ses abords ne peut évidemment pas décréter des concentrations de nitrates dans l'eau, des taux d'oxygène dissous ou des concentration d'une espèce piscicole à l'hectare. Tout cela demande des prélèvements de contrôle et des analyses.
Par ailleurs, le mémoire de S. Majdouba précise pour l'état chimique (41 substances) que la masse d'eau est réputée en bon état «lorsque l'ensemble des paramètres est en bon état ou en état inconnu». Cela pose un évident problème méthodologique : par définition, «l'état inconnu» sur une substance chimique ne permet pas d'inférer que son niveau de concentration est bon, quand bien même on connaît la concentration d'autres substances.
Ces réserves étant faites, l'auteur donne l'estimation de l'état écologique du Serein sur 21 masses d'eau en fonction des données partielles disponibles sur mesures ou avis d'expert. 5 sont bon état écologique, 5 en état moyen, 4 en état médiocre et 7 en état mauvais. Les données déclassantes dont le plus souvent le carbone organique, l'oxygène dissous, les matières en suspension et l'azote (pour la physico-chimie), l'IBGN et l'IBD (pour la biologie).
Les pressions sur la rivière
Le bassin du Serein est un territoire rural, et dans l'ensemble assez pauvre. Les 115 communes riveraines ne dépassent pas 30.000 habitants au total, avec une densité quatre fois plus faible que la moyenne nationale. Aucune commune ne dépasse 3000 habitants, pas même les lus peuplées (Saulieu, Hery ou Chablis).
Agriculture (élevage bovin, céréaliculture) et viticulture représentent les principales activités du territoire. Elles occupent plus de 13.000 hectares soit environ 60% du bassin versant. Les altérations d'origine agricole sont l'apport en nutriment ponctuel ou diffus, l'excès de carbone organique rapporté par l'auteur à l'élevage.
On compte aussi 42 sites industriels, dont 90% sont liés au domaine des vins et spiritueux dans le Chablisien. Les stations d'épuration des eaux usées (STEP) sont au nombre de 42 sur l'ensemble du linéaire, mais elles sont presque toutes à l'aval. Le réseau hydrographique du Serein recevrait en moyenne et chaque jour 138 kg de matières en suspension, 194 kg de matières organiques oxydables, 45 kg d'azote et 9 kg de phosphore au niveau des STEP. Ces valeurs sont pour les sites industriels de 172 kg (MES), 448 kg (MOx), 10,7 kg (Pt) et 6,6 kg (Nt). S'y ajoutent pour la source industrielle des métaux, phtalates, biphényles, phénols, HAP, pesticides.
Hydromorphologie et ouvrages hydrauliques
Du côté de l'hydromorphologie, les quatre impacts sont l'absence fréquente d'arbres en bord de rivière (ripisylve), la rectification du linéaire (suppression des méandres pour faciliter les travaux agricoles), la présence d'ouvrages hydrauliques dont beaucoup non entretenus, les piétinements de berges par les bovins.
L'auteur ne consacre que trois paragraphes aux seuils de moulins et aux étangs, pour signaler que l'Agence de l'eau se propose de financer la suppression de leurs retenues et biefs. Curieusement, la « mise en place » des moulins est située dans les années 1950 et 1960, en même temps que les travaux agricoles pour rectifier les cours d'eau. Les moulins du bassin du Serein sont bien entendu plus anciens. L'observation du cadastre napoléonien montre qu'ils étaient plus nombreux au XIXe siècle qu'ils ne le sont aujourd'hui, la rivière ayant déjà emporté naturellement un certain nombre de seuils progressivement érodés.
Au demeurant , le mémoire n'insiste pas particulièrement sur le rôle des seuils dans l'hydromorphologie : l'absence de ripisylve, la rectification du linéaire et le piétinement des berges sont considérés comme les principales altérations dégradantes.
En conclusion
• Sur le bassin du Serein comme précédemment celui de l'Armançon et celui de la Haute Seine, on observe que les autorités en charge de l'eau n'ont toujours pas procédé à l'ensemble des mesures chimiques, physicochimiques et biologiques permettant d'évaluer la qualité de l'eau et ses facteurs dégradants. Les premières décisions devraient donc viser à compenser ce défaut de connaissances, faute de quoi les actions de restauration écologique de la rivière n'auront aucune garantie d'efficacité et de résultat.
• Les analyses des paramètres disponibles suggèrent que les altérations de la rivière et de ses effluents proviennent d'abord des effluents agricoles, industriels et domestiques, ainsi que de l'altération morphologique par rectification et suppression de la ripisylve.
• Les ouvrages hydrauliques – barrages et digues formant des étangs ou seuils de moulins – ne sont brièvement mentionnés dans l'étude et ne paraissent pas provoquer d'autres perturbations que très locales (tendance à l'envasement en retenue, hausse locale de température). Le seul travail récent fourni par l'Agence de l'eau ne permet donc pas de conclure que l'arasement de ces ouvrages figure parmi les actions prioritaires – ni même nécessaires – à l'atteinte d'un bon état écologique du bassin du Serein.
Référence : Majdouba S (2011), Analyse pression-impact-état des eaux superficielles du bassin hydrographique du Serein, AgroParis-Tech, Agence de l'Eau Seine-Normandie, 62 p. + annexes
Illustrations (cliquer pour agrandir) : de bas en haut 1) A la source du Serein, dans la vallée de Beurey-Bauguay. 2) Le seuil du moulin des Issards, près de La Motte-Ternant. 3) Le Serein amont, exemple d'érosion de berge sans ripisylve et de zone de piétinement par bétail. 4) Cadastre napoléonien, secteur de Nord de Précy-sous-Thil, quatre moulins en activité au début du XIXe siècle.
370 mètres de dénivelé
Le bassin versant du Serein couvre une surface de 1388 km2, située pour un tiers en Côte d'Or dans sa partie amont et pour deux-tiers dans l'Yonne dans sa partie médiane et aval. Le Serein s'écoule sur 186 km, de sa source à Beurey-Bauguay (458 m d'altitude) jusqu'à sa confluence avec l'Yonne à Bassou (88m), soit un dénivelé de 370 mètres. Il reçoit sur son cours une soixantaine d'affluents, le plus souvent des rus et ruisseaux.
La partie amont du linéaire du Serein coule des massifs du Morvan aux dépressions de l'Auxois et de la Terre Plaine. La géologie y est dominée par le socle cristallin du Morvan, datant de l'ère primaire. Les sols sur granites et roches volcaniques les plus en amont précèdent l'apparition en aval de schistes, argiles, limons et calcaires. Les climats changement également sur le linéaire : la partie amont connaît l'influence orographique du Morvan, avec des précipitations plus importantes au long de l'année, des épisodes convectifs à précipitation intense plus fréquents, des températures moyennes plus froides en hiver comme en été.
Des étiages sévères
Du point de vue hydrologique, le Serein est marqué par une forte variabilité : on enregistre ainsi sur la station de Chablis 15m^3/s de différence entre le flux mensuel le plus faible (août, 2 m^3/s) et le plus élevé (février, 17 m^3/s). L'étiage peut être particulièrement sévère. Dans la station amont de Bierre-les-Semur, le débit minimal sur 3 jours consécutifs (VCN3) peut être de 13 litres par seconde seulement, le débit mensuel le plus bas calculé sur 5 ans (QMNA5) s'établissant à 38 litres.
Semah Majdouba souligne que l'absence d'entretien des ouvrages hydrauliques à ces périodes d'étiage peut poser des problèmes compte-tenu de l'augmentation de la demande en eau domestique et agricole. Il serait à cet égard nécessaire d'aller plus loin et de modéliser l'étiage avec ou sans ouvrages, car ceux-ci permettent aussi des réserves d'eau aux mois les plus secs.
A ces étiages parfois sévères répondent des crues à débits conséquents : 57, 68 et 91 m^3/s pour les temps de retour à 5, 10 et 50 ans, sur la station amont de Bierre-les-Semur. Les années 1910, 1955 et 1998 ont connu les épisodes de crue les plus marqués des annales récentes.
Etat chimique et écologique : données et résultats
Concernant la qualité des eaux du Serein, l'étude de S. Majdouba rappelle qu'une soixantaine de mesures d'évaluation sont exigibles par la directive-cadre sur l'eau. Le Serein étant divisé en 22 masses d'eau différentes (auxquelles s'ajoutent 7 autres pour ses affluents principaux), ces mesures devraient être disponibles sur chacune d'elles. C'est loin d'être le cas. Ainsi, 13 masses d'eau du Serein n'ont pas d'évaluation de leur état chimique (ni en mesures réelles ni en avis d'expert). En mesures biologiques, 3 masses d'eau seulement ont un indice poisson rivière (IPR), 9 ont un indice diatomées (IBD) et 17 ont un indice biologique global normalisé (IBGN).
Cette absence de mesures est parfois compensée par des «avis d'expert» sur certains tronçons de la rivière, mais comme nous l'avons déjà souligné, un expert fut-il excellent connaisseur de la rivière et de ses abords ne peut évidemment pas décréter des concentrations de nitrates dans l'eau, des taux d'oxygène dissous ou des concentration d'une espèce piscicole à l'hectare. Tout cela demande des prélèvements de contrôle et des analyses.
Par ailleurs, le mémoire de S. Majdouba précise pour l'état chimique (41 substances) que la masse d'eau est réputée en bon état «lorsque l'ensemble des paramètres est en bon état ou en état inconnu». Cela pose un évident problème méthodologique : par définition, «l'état inconnu» sur une substance chimique ne permet pas d'inférer que son niveau de concentration est bon, quand bien même on connaît la concentration d'autres substances.
Ces réserves étant faites, l'auteur donne l'estimation de l'état écologique du Serein sur 21 masses d'eau en fonction des données partielles disponibles sur mesures ou avis d'expert. 5 sont bon état écologique, 5 en état moyen, 4 en état médiocre et 7 en état mauvais. Les données déclassantes dont le plus souvent le carbone organique, l'oxygène dissous, les matières en suspension et l'azote (pour la physico-chimie), l'IBGN et l'IBD (pour la biologie).
Les pressions sur la rivière
Le bassin du Serein est un territoire rural, et dans l'ensemble assez pauvre. Les 115 communes riveraines ne dépassent pas 30.000 habitants au total, avec une densité quatre fois plus faible que la moyenne nationale. Aucune commune ne dépasse 3000 habitants, pas même les lus peuplées (Saulieu, Hery ou Chablis).
Agriculture (élevage bovin, céréaliculture) et viticulture représentent les principales activités du territoire. Elles occupent plus de 13.000 hectares soit environ 60% du bassin versant. Les altérations d'origine agricole sont l'apport en nutriment ponctuel ou diffus, l'excès de carbone organique rapporté par l'auteur à l'élevage.
On compte aussi 42 sites industriels, dont 90% sont liés au domaine des vins et spiritueux dans le Chablisien. Les stations d'épuration des eaux usées (STEP) sont au nombre de 42 sur l'ensemble du linéaire, mais elles sont presque toutes à l'aval. Le réseau hydrographique du Serein recevrait en moyenne et chaque jour 138 kg de matières en suspension, 194 kg de matières organiques oxydables, 45 kg d'azote et 9 kg de phosphore au niveau des STEP. Ces valeurs sont pour les sites industriels de 172 kg (MES), 448 kg (MOx), 10,7 kg (Pt) et 6,6 kg (Nt). S'y ajoutent pour la source industrielle des métaux, phtalates, biphényles, phénols, HAP, pesticides.
Hydromorphologie et ouvrages hydrauliques
Du côté de l'hydromorphologie, les quatre impacts sont l'absence fréquente d'arbres en bord de rivière (ripisylve), la rectification du linéaire (suppression des méandres pour faciliter les travaux agricoles), la présence d'ouvrages hydrauliques dont beaucoup non entretenus, les piétinements de berges par les bovins.
L'auteur ne consacre que trois paragraphes aux seuils de moulins et aux étangs, pour signaler que l'Agence de l'eau se propose de financer la suppression de leurs retenues et biefs. Curieusement, la « mise en place » des moulins est située dans les années 1950 et 1960, en même temps que les travaux agricoles pour rectifier les cours d'eau. Les moulins du bassin du Serein sont bien entendu plus anciens. L'observation du cadastre napoléonien montre qu'ils étaient plus nombreux au XIXe siècle qu'ils ne le sont aujourd'hui, la rivière ayant déjà emporté naturellement un certain nombre de seuils progressivement érodés.
Au demeurant , le mémoire n'insiste pas particulièrement sur le rôle des seuils dans l'hydromorphologie : l'absence de ripisylve, la rectification du linéaire et le piétinement des berges sont considérés comme les principales altérations dégradantes.
En conclusion
• Sur le bassin du Serein comme précédemment celui de l'Armançon et celui de la Haute Seine, on observe que les autorités en charge de l'eau n'ont toujours pas procédé à l'ensemble des mesures chimiques, physicochimiques et biologiques permettant d'évaluer la qualité de l'eau et ses facteurs dégradants. Les premières décisions devraient donc viser à compenser ce défaut de connaissances, faute de quoi les actions de restauration écologique de la rivière n'auront aucune garantie d'efficacité et de résultat.
• Les analyses des paramètres disponibles suggèrent que les altérations de la rivière et de ses effluents proviennent d'abord des effluents agricoles, industriels et domestiques, ainsi que de l'altération morphologique par rectification et suppression de la ripisylve.
• Les ouvrages hydrauliques – barrages et digues formant des étangs ou seuils de moulins – ne sont brièvement mentionnés dans l'étude et ne paraissent pas provoquer d'autres perturbations que très locales (tendance à l'envasement en retenue, hausse locale de température). Le seul travail récent fourni par l'Agence de l'eau ne permet donc pas de conclure que l'arasement de ces ouvrages figure parmi les actions prioritaires – ni même nécessaires – à l'atteinte d'un bon état écologique du bassin du Serein.
Référence : Majdouba S (2011), Analyse pression-impact-état des eaux superficielles du bassin hydrographique du Serein, AgroParis-Tech, Agence de l'Eau Seine-Normandie, 62 p. + annexes
Illustrations (cliquer pour agrandir) : de bas en haut 1) A la source du Serein, dans la vallée de Beurey-Bauguay. 2) Le seuil du moulin des Issards, près de La Motte-Ternant. 3) Le Serein amont, exemple d'érosion de berge sans ripisylve et de zone de piétinement par bétail. 4) Cadastre napoléonien, secteur de Nord de Précy-sous-Thil, quatre moulins en activité au début du XIXe siècle.
13/01/2013
Sur la vis d'Archimède
La vis d'Archimède, mise au point voici près de 2500 ans, a été utilisée dès l'Antiquité pour élever l'eau à des fins de pompage, drainage et irrigation. Depuis une quinzaine d'années, parfois sous le nom de «vis hydrodymanique», elle est aussi utilisée pour produire de l'énergie dans les petites centrales micro-hydroélectriques.
Il n'existait aucune synthèse en français sur la vis d'Archimède. Hydrauxois propose de combler cette lacune par une première étude historique et technique sur ce dispositif. Vous y apprendrez que l'origine exacte de la vis d'Archimède reste un sujet controversé chez les historiens, qu'elle a suscité le questionnement des plus grands savants – Vinci, Galilée, Euler, Bernoulli, Navier... –, que l'une des premières intuitions sur son usage en mode de production d'énergie vient d'un ingénieur français des Ponts-et-Chaussées (M. Pattu), au début du XIXe siècle, et bien d'autres choses encore.
Hydrauxois a également fait un tour de la littérature hydraulique récente pour recueillir des premières données qui intéresseront les petits producteurs d'électricité : mode de fonctionnement, origines connues des pertes de charge, dimensionnement, problèmes rencontrés dans les premières vis installées en Europe, caractère ichtyophile de la vis, etc. Nous remercions chaleureusement Dirk Nuernbergk (Université Drexel, Philadelphie), Chris Rorres (Université Drexel, Philadelphie) et Aloïs Lashofer (Université des ressources naturelles et science de la vie de Vienne) pour la mise à disposition de leurs travaux.
Bonne lecture !
A télécharger : Hydrauxois (2013), La vis d'Archimède. De l'irrigation antique à l'énergie moderne, 18 p. (env. 1,9 Mo, pdf)
Il n'existait aucune synthèse en français sur la vis d'Archimède. Hydrauxois propose de combler cette lacune par une première étude historique et technique sur ce dispositif. Vous y apprendrez que l'origine exacte de la vis d'Archimède reste un sujet controversé chez les historiens, qu'elle a suscité le questionnement des plus grands savants – Vinci, Galilée, Euler, Bernoulli, Navier... –, que l'une des premières intuitions sur son usage en mode de production d'énergie vient d'un ingénieur français des Ponts-et-Chaussées (M. Pattu), au début du XIXe siècle, et bien d'autres choses encore.
Hydrauxois a également fait un tour de la littérature hydraulique récente pour recueillir des premières données qui intéresseront les petits producteurs d'électricité : mode de fonctionnement, origines connues des pertes de charge, dimensionnement, problèmes rencontrés dans les premières vis installées en Europe, caractère ichtyophile de la vis, etc. Nous remercions chaleureusement Dirk Nuernbergk (Université Drexel, Philadelphie), Chris Rorres (Université Drexel, Philadelphie) et Aloïs Lashofer (Université des ressources naturelles et science de la vie de Vienne) pour la mise à disposition de leurs travaux.
Bonne lecture !
A télécharger : Hydrauxois (2013), La vis d'Archimède. De l'irrigation antique à l'énergie moderne, 18 p. (env. 1,9 Mo, pdf)
10/01/2013
Etat écologique des rivières: quand l'indice de confiance masque l'absence de mesures
En novembre dernier, le Commissariat général du développement durable avait consacré un numéro spécial de sa publication mensuelle aux évaluations de l'état des masses d'eau françaises, dans le dispositif prévu par la directive-cadre européenne sur l'eau. Comme le document mentionnait une qualification de l'état écologique de 98% des masses d'eau en France, nous nous sommes enquis auprès du Commissariat du sens de ce chiffre assez flatteur. Voici la réponse du CGDD.
«Faute de pouvoir réunir une surveillance de l'ensemble des critères... »
«Comme indiqué pages 23 et 24 de l'évaluation faite par la Commission, la France a transmis un état écologique qualifié sur près de 98% de ses masses d'eau de surface (658 sur 873 pour les artificielles et fortement modifiées, 10611 sur 10650 sur les naturelles). La qualification de cet état doit effectivement se faire sur des critères biologiques, hydromorphologiques et physico-chimiques, conformément aux règles d'évaluation.
La surveillance de ces critères ne peut être menée de manière complète sur chacune des 11523 masses d'eau répertoriées. L'état est alors qualifié en utilisant le plus possible les résultats issus de la surveillance mais peut se faire également à dires d'expert, par connaissance des pressions s'exerçant sur la masse d'eau.
Dans ce cas, comme indiqué dans notre chiffre et statistiques n°367, au sein de la méthodologie page 10 : "Un niveau de confiance est associé à l'évaluation de l'état écologique car les données peuvent ne pas être encore suffisantes à ce stade".
Cet aspect n'a pu être développé dans la publication. Le niveau de confiance associé à l'évaluation de l'état est effectivement bien souvent "moyen" ou "bas" en France, que ce soit pour le bon ou le mauvais état écologique, faute de pouvoir réunir une surveillance de l'ensemble des critères à la date de l'évaluation.»
Un indice de confiance subjectif
Une évaluation «à dires d'expert» n'a hélas pas grand sens. La mesure de l'état écologique d'une rivière doit en effet intégrer des analyses très précises qu'il est impossible de produire sans des prélèvements de contrôle et des analyses in situ ou en laboratoire. Aussi bonne soit la connaissance des pressions « visibles » par un expert, il ne peut évidemment décréter sur cette base très minimale l'état exact des macrophytes, des diatomées, de la faune macrobenthique ou piscicole, pas plus qu'il ne peut s'assurer de l'absence de métaux lourds ou pesticides, du niveau d'eutrophisation par nitrates et phosphates ni des paramètres physicochimiques de la rivière (température, oxygène, pH, etc.) et de ses abords (substrat, berge, ripisylve). (Voir cet article sur l'ensemble des mesures nécessaires.)
Le «niveau de confiance» est donc un concept assez trompeur en la matière. Dans le domaine technique et scientifique, un intervalle de confiance correspond généralement à une donnée statistique précise (une mesure mathématique de l'imprécision dans l'estimation d'une grandeur par un échantillon). Ici, la confiance est une donnée beaucoup plus subjective : un simple arbre de décision précisé dans l'annexe 11 de la directive du 25 janvier 2010 entre trois niveaux (faible, moyen élevé).
Plutôt que d'admettre l'absence de mesures précises des déterminants de l'état écologique de nos rivières, on préfère réputer cet état écologique «défini» sur la plupart des masses d'eau avec un artifice de confiance qui, à l'examen, ruine la valeur même de cette définition. On sait que la Commission européenne n'est pas tellement dupe du subterfuge. Par ailleurs, ce constat ne sera pas sans conséquence pour la mise en œuvre de la politique de continuité écologique consécutive au classement des cours d'eau.
Il serait en effet étonnant que l'autorité en charge de l'eau ordonne l'effacement ou l'aménagement d'un ouvrage hydraulique sur une rivière dont la même autorité n'est pas capable de produire les mesures d'état écologique, pourtant exigées depuis 12 ans par l'Union européenne et indispensables pour décider de la priorité des actions utiles aux milieux aquatiques. Cette politique décidée en l'absence de preuve sur le poids relatif des facteurs d'altération environnementale des rivières soulèverait une forte indignation démocratique, compte-tenu des effets secondaires négatifs de l'effacement de seuil sur l'économie, le patrimoine et l'énergie. En outre, le droit prévoit que l'effacement ou l'aménagement de seuil peut être considéré comme «charge spéciale et exorbitante» (C env 241-17). Ordonner une mesure dont on est incapable de démontrer la nécessité et d'anticiper l'effet serait assurément spécial et exorbitant...
Information sur l'eau: encore un effort pour la transparence
Au-delà, il faut rappeler l'article 7 de la Charte de l'Environnement qui a depuis 2004 une valeur constitutionnelle en France : «Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.»
En général, on ne se demande pas si sa rivière voit le «transport de sa charge solide altéré par un obstacle longitudinal à l'écoulement» (et autres propos hydromorphologiques centrés sur l'effacement des seuils comme pinacle de la qualité de l'eau), on s'inquiète d'abord de savoir si elle est polluée par des effluents domestiques, industriels ou agricoles.
Aujourd'hui, un citoyen n'a aucun moyen d'accès simple à ces mesures d'état écologique du cours d'eau dont il est riverain, de sorte que l'article 7 sur le droit à l'information environnementale est vidé de sa substance. Il paraît pourtant que nous vivons à «l'ère de l'information» et qu'il n'a jamais été aussi simple de rendre accessibles les données sur les terminaux numériques. En 2013, cette révolution de la transparence et de l'accessibilité n'a pas encore atteint les rivières françaises, dont l'information reste pour le moins... turbide.
Référence : CGDD (2012), Mise en œuvre de la directive-cadre sur l'eau, position de la France en Europe en 2009, Chiffres & Statistiques, 367, novembre.
«Faute de pouvoir réunir une surveillance de l'ensemble des critères... »
«Comme indiqué pages 23 et 24 de l'évaluation faite par la Commission, la France a transmis un état écologique qualifié sur près de 98% de ses masses d'eau de surface (658 sur 873 pour les artificielles et fortement modifiées, 10611 sur 10650 sur les naturelles). La qualification de cet état doit effectivement se faire sur des critères biologiques, hydromorphologiques et physico-chimiques, conformément aux règles d'évaluation.
La surveillance de ces critères ne peut être menée de manière complète sur chacune des 11523 masses d'eau répertoriées. L'état est alors qualifié en utilisant le plus possible les résultats issus de la surveillance mais peut se faire également à dires d'expert, par connaissance des pressions s'exerçant sur la masse d'eau.
Dans ce cas, comme indiqué dans notre chiffre et statistiques n°367, au sein de la méthodologie page 10 : "Un niveau de confiance est associé à l'évaluation de l'état écologique car les données peuvent ne pas être encore suffisantes à ce stade".
Cet aspect n'a pu être développé dans la publication. Le niveau de confiance associé à l'évaluation de l'état est effectivement bien souvent "moyen" ou "bas" en France, que ce soit pour le bon ou le mauvais état écologique, faute de pouvoir réunir une surveillance de l'ensemble des critères à la date de l'évaluation.»
Un indice de confiance subjectif
Une évaluation «à dires d'expert» n'a hélas pas grand sens. La mesure de l'état écologique d'une rivière doit en effet intégrer des analyses très précises qu'il est impossible de produire sans des prélèvements de contrôle et des analyses in situ ou en laboratoire. Aussi bonne soit la connaissance des pressions « visibles » par un expert, il ne peut évidemment décréter sur cette base très minimale l'état exact des macrophytes, des diatomées, de la faune macrobenthique ou piscicole, pas plus qu'il ne peut s'assurer de l'absence de métaux lourds ou pesticides, du niveau d'eutrophisation par nitrates et phosphates ni des paramètres physicochimiques de la rivière (température, oxygène, pH, etc.) et de ses abords (substrat, berge, ripisylve). (Voir cet article sur l'ensemble des mesures nécessaires.)
Le «niveau de confiance» est donc un concept assez trompeur en la matière. Dans le domaine technique et scientifique, un intervalle de confiance correspond généralement à une donnée statistique précise (une mesure mathématique de l'imprécision dans l'estimation d'une grandeur par un échantillon). Ici, la confiance est une donnée beaucoup plus subjective : un simple arbre de décision précisé dans l'annexe 11 de la directive du 25 janvier 2010 entre trois niveaux (faible, moyen élevé).
Plutôt que d'admettre l'absence de mesures précises des déterminants de l'état écologique de nos rivières, on préfère réputer cet état écologique «défini» sur la plupart des masses d'eau avec un artifice de confiance qui, à l'examen, ruine la valeur même de cette définition. On sait que la Commission européenne n'est pas tellement dupe du subterfuge. Par ailleurs, ce constat ne sera pas sans conséquence pour la mise en œuvre de la politique de continuité écologique consécutive au classement des cours d'eau.
Il serait en effet étonnant que l'autorité en charge de l'eau ordonne l'effacement ou l'aménagement d'un ouvrage hydraulique sur une rivière dont la même autorité n'est pas capable de produire les mesures d'état écologique, pourtant exigées depuis 12 ans par l'Union européenne et indispensables pour décider de la priorité des actions utiles aux milieux aquatiques. Cette politique décidée en l'absence de preuve sur le poids relatif des facteurs d'altération environnementale des rivières soulèverait une forte indignation démocratique, compte-tenu des effets secondaires négatifs de l'effacement de seuil sur l'économie, le patrimoine et l'énergie. En outre, le droit prévoit que l'effacement ou l'aménagement de seuil peut être considéré comme «charge spéciale et exorbitante» (C env 241-17). Ordonner une mesure dont on est incapable de démontrer la nécessité et d'anticiper l'effet serait assurément spécial et exorbitant...
Information sur l'eau: encore un effort pour la transparence
Au-delà, il faut rappeler l'article 7 de la Charte de l'Environnement qui a depuis 2004 une valeur constitutionnelle en France : «Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.»
En général, on ne se demande pas si sa rivière voit le «transport de sa charge solide altéré par un obstacle longitudinal à l'écoulement» (et autres propos hydromorphologiques centrés sur l'effacement des seuils comme pinacle de la qualité de l'eau), on s'inquiète d'abord de savoir si elle est polluée par des effluents domestiques, industriels ou agricoles.
Aujourd'hui, un citoyen n'a aucun moyen d'accès simple à ces mesures d'état écologique du cours d'eau dont il est riverain, de sorte que l'article 7 sur le droit à l'information environnementale est vidé de sa substance. Il paraît pourtant que nous vivons à «l'ère de l'information» et qu'il n'a jamais été aussi simple de rendre accessibles les données sur les terminaux numériques. En 2013, cette révolution de la transparence et de l'accessibilité n'a pas encore atteint les rivières françaises, dont l'information reste pour le moins... turbide.
Référence : CGDD (2012), Mise en œuvre de la directive-cadre sur l'eau, position de la France en Europe en 2009, Chiffres & Statistiques, 367, novembre.
04/01/2013
Les seuils et barrages nuisent-ils à l'auto-épuration des rivières? Quand l'Onema contredit... l'Onema
Dans sa brochure grand public sur la continuité écologique (Onema 2010), l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques compte parmi les effets négatifs des seuils « une diminution de la capacité auto-épuratrice du cours d’eau ». Cette assertion est appuyée par une référence à un travail de Namour 1999 (une thèse de doctorat, que nous n'avons pu nous procurer). Cet argument des seuils, glacis, radiers et autres petits barrages empêchant l'auto-épuration des cours d'eau est assez fréquemment entendu. Il avait été opposé l'an dernier à la Commune de Semur-en-Auxois par le syndicat de rivière Sirtava et son bureau d'études Cariçaie.
Qu'en est-il au juste ?
Pour répondre à cette question, on dispose d'une référence intéressante : trois chercheurs de l'Onema et du Cemagref (aujourd'hui Irstea) ont produit en 2011 une synthèse des références disponibles sur cette question de l'auto-épuration en lien avec l'hydromorphologie (Oraison et al 2011). Leur travail s'adosse à plus de 70 références scientifiques dont la grande majorité date des années 2000. Il est donc plus complet et plus à jour que la référence choisie par l'Onema pour s'adresser au grand public.
Auto-épuration, eutrophisation : quelques rappels
L'auto-épuration désigne la capacité d'un cours d'eau à éliminer des substances nocives pour la vie aquatique. Le phénomène concerne principalement des nutriments, et notamment les molécules dérivées de l'azote et du phosphore qui sont les principaux responsables de l'eutrophisation. Cette eutrophisation s'inscrit dans le cycle normal de certains plans d'eau. Par exemple un lac totalement naturel sera initialement oligotrophe (pauvre en nutriments), avec une eau très pure et une biomasse faible. Ce lac accumule des matières organiques, qui le feront passer au stade mésotrophe, puis eutrophe. En fin de vie, il devient un marécage et se comble définitivement. (Pour une approche générale voir, outre l'article commenté, Dégrémont 1989 ou Schriver-Mazzuoli 2012).
L'eutrophisation désigne cependant le forçage artificiel et d'origine humaine du contenu en nutriments azotés et phosphorés des rivières. L'excès provient principalement de l'agriculture pour l'azote (engrais, lisier), de l'agriculture, de l'industrie et des effluents domestiques d'épuration pour le phosphore (chimie, parachimie, agro-alimentaire). Si azote, phosphore et matière organique sont indispensables à la vie (base de la chaîne trophique), leur excès induit un déséquilibre en cours d'eau et notamment un excès de végétation (prolifération algale) qui diminue l'oxygène disponible, produit parfois des toxines et nuit globalement à la biodiversité des milieux aquatiques. La charge en nutriments tend à se transporter vers l'aval, et les zones estuariennes et littorales souffrent souvent d'accumulations importantes.
On observe par exemple dans la courbe ci-contre extraite de l'étude que la biodiversité des macro-invertébrés d'un cours d'eau (ordonnées, le nombre de genres) connaît un maximum pour une certaine concentration de phosphore (entre 0,1 et 0,3 mg/l, en abcisses) : le défaut comme l'excès ne seront pas des conditions optimales.
Les trois voies
de l'auto-épuration
Comme on le sait, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme dans la nature. Une rivière peut éliminer des excès de molécules par trois voies d'auto-épuration :
- l'échange physique, qui peut être un transfert gazeux vers l'atmosphère ou un transfert solide vers le sol (sédimentation et adsorption des particules en suspension) ;
- l'échange biologique et chimique, par voie bactérienne ou végétale, aboutissant à la minéralisation des substances concernées ou à leur transformation (absorption par des racines d'arbes en berge, nitrification et dénitrification bactériennes) ;
- l'exportation, qui peut être naturelle (par exemple les émergences d'éphémères qui ont consommé des communautés bactériennes dans leur première phase de vie) ou humaine (faucardage, curage).
Les auteurs rappellent ainsi les travaux de Newbold sur le cycle de vie des molécules, ayant montré qu'en moyenne et sur un petit cours d'eau forestier, une molécule dissoute va parcourir moins de 200 mètres.
Cycles de l'azote et du phosphore
Les cycles biogéochimiques de l'azote et du phosphore sont assez différents. L'azote se caractérise par une phase gazeuse (di-azote atmosphérique) importante dans son cycle, que l'on peut résumer très sommairement ainsi : di-azote > ammoniaque > nitrites > nitrates > di-azote. Un moyen très efficace d'éliminer l'azote en excès des rivières est donc de le transformer en gaz, ce que font des bactéries spécialisées dans la consommation de nitrites et de nitrates (outre le di-azote gazeux, ces bactéries produisent des oxydes nitrique et nitreux). Le processus est appelé dénitrification. L'azote peut aussi être assimilé, adsorbé ou exporté.
Le phosphore en revanche ne connaît pas la phase gazeuse de l'azote, et son élimination est donc plus difficile. Il peut se minéraliser et se sédimenter en phosphates par réactions avec divers ions (fer, aluminium, calcium, etc.), mais ce processus demande des conditions complexes : une eau à la fois calme (pour ne pas transporter rapidement le phosphore) avec de l'oxygène disponible (pour nourrir l'oxydoréduction), deux conditions qui sont rarement remplies de façon simultanée (les eaux stagnantes sont plutôt hypoxiques ou anoxiques, c'est-à-dire pauvres en oxygène dissous). Pour le phosphore (et en partie pour l'azote), l'auto-épuration la plus efficace se fera au niveau des berges, des lits majeurs et des plaines inondables : les rivières y déposent une partie de leurs nutriments en excès lors des crues, et le retrait des eaux permet des processus d'infiltration, adsorption et sédimentation.
Mécanismes complexes,
résultats parfois négatifs de la restauration hydromorphologique
Qu'il s'agisse d'études de terrain ou de modèles, les chercheur de l'Onema et d'Irstea soulignent l'extrême complexité des cycles de l'azote et du phosphore, avec une grande diversité de conditions pour comprendre la capacité auto-épuratrice des rivières. Outre la charge imposée par les activités humaines en intrants, entrent en ligne de compte des facteurs aussi divers que les variations de débit, la nature du substrat, la présence et la largeur de la ripisylve, la nature de la couverture du sol et de la végétation, la forme des écoulements latéraux et longitudinaux, le climat, l'occupation anthropique des sols.
La conséquence en est que l'intervention humaine pour accroître les capacités auto-épuratrices des rivières n'a aucune garantie de résultats, d'autant qu'azote et phosphore demandent des conditions assez différentes voire antagonistes d'élimination. Federica Oraison et ses collègues observent ainsi : «L'évaluation des bénéfices apportés du point de vue des nutriments par la restauration hydromorphologique reste difficile : on observe des variations importantes des résultats obtenus positifs ou négatifs, parfois pour une même méthode. Les expériences montrent tout de même des voies d'exploration à approfondir».
Parmi ces voies, on peut citer : la triple bande en berge (zone arborée non exploitée, zone arbustive exploitée, zone herbacée) formant une zone tampon, la reconnexion des voies secondaires et plaines alluviales, la ralentissement du débit par restauration de méandres améliorant la sédimentation, le retour des arbres et végétations sur une bande rivulaire ou plus large (ripisylve) permettant un stockage direct et un apport organique. Mais ces solutions restent dans une large mesure expérimentales et, comme le rappellent les auteurs, sans garantie de résultat à ce jour.
La meilleure solution reste donc de ne pas sur-solliciter les capacités auto-épuratrices des rivières, c'est-à-dire de limiter avant tout la pollution chimique à la source. Hélas, la France est loin du compte comme en témoigne la procédure de la Commission européenne contre notre pays pour sa mauvaise application de la directive nitrates.
Seuils et barrages : des effets négatifs sur l'auto-épuration observés après arasement
Qu'en est-il des seuils et barrages? Le thème est abordé dans un court paragraphe de l'étude – ce qui ne témoigne pas vraiment du caractère central de la question pour l'auto-épuration des cours d'eau – et il se trouve que dans la seule étude de suivi citée par les auteurs (Ahearn et Dahlgren 2005), le résultat a été négatif.
L'effacement d'un seuil de 3 m formant une retenue de 13.000 m^2 a ainsi rendu la zone exportatrice de phosphore et d'azote par remobilisation des sédiments. Federica Oraison et ses collègues sont donc obligés de conclure : «Les études post-arasement sont souvent trop récentes ou de trop courte durée pour observer un retour à un fonctionnement non influencé par les travaux». Une conclusion rejointe dans un autre travail récent de Jean-René Malavoi et Damin Salgues : «La cinétique d’épuration est modifiée sans que l’on sache réellement aujourd’hui si les conséquences sont positives ou négatives sur la qualité de l’eau.» (Malavoi et Salgues 2011).
On peut cependant observer que rien, dans le travail des chercheurs, n'indique que les seuils pourraient avoir un effet aggravant sur l'auto-épuration.
Dans le cas de l'azote, c'est même le contraire qui paraît probable au regard de la description physico-chimique et biologique de la dénitrification. Celle-ci demande des écoulements variés, des débits plutôt lents que rapides et des zones anaérobies, trois conditions qu'apportent justement les seuils, glacis et petits barrages de rivière au droit de leur retenue. Le gain est moins manifeste pour le phosphore car si le dépôt particulaire en eaux calmes est favorable, les conditions anoxiques de fond ne le sont pas pour l'oxydoréduction.
Il faut ajouter qu'une retenue de bief bien entretenue conduit à l'exportation de la rivière des nutriments lors des travaux de curage des sédiments. (Sur ce point, il est tout à fait exact que certains propriétaires d'ouvrages manquent à leur devoir d'entretien et la "reconquête des bonnes pratiques hydrauliques" aurait un effet plus directement bénéfique que certains choix de "reconquêtes des milieux aquatiques" à l'assise scientifique encore fragile et au résultats inégaux, voire contreproductifs.)
Inversement, une accélération du débit consécutive à l'arasement systématique des seuils (moindre dissipation de l'énergie cinétique dans les turbulences) formerait une condition défavorable, puisque les nutriments rejoindraient plus rapidement les fleuves et les estuaires, avec une moindre opportunité de métabolisation ou sédimentation.
En conclusion
Si l'on résume les enseignements de cette publication Onema / Cemagref permettant de répondre à la question posée en titre, à savoir le rôle des seuils dans l'auto-épuration :
• les biefs et retenues semblent jouer le rôle d'une "zone tampon" contribuer à stocker des effluents et à en éliminer certains par échanges gazeux / sédimentaires (ou extraction) ;
• leur effacement peut conduire à une aggravation de l'eutrophisation à court terme, éventuellement à long terme ;
• la vitesse d'écoulement du flot est un facteur déterminant de l'auto-épuration et son accélération par suppression des obstacles transversaux à l'écoulement aggraverait plutôt les choses ;
• les opérations de restauration hydromorphologique sont encore à ce jour très expérimentales et la littérature scientifique montre qu'elles donnent parfois des résultats négatifs sur l'auto-épuration ;
• la diminution des intrants (pollution chimique à la source) reste le principal enjeu pour les rivières.
Comme nous avons déjà pu le déplorer à plusieurs reprises (ici et ici), l'Onema tient un double discours selon qu'il s'adresse au grand public et aux décideurs d'un côté, aux chercheurs et ingénieurs de l'autre. Toute autorité en charge de l'environnement a un devoir d'information impartiale, exhaustive et pluraliste des citoyens : on observe que dans le cas de la suppression des seuils et barrages à fin de continuité écologique, ce devoir est manifestement sacrifié à la justification purement politique de mesures précipitées.
Bien qu'il n'existe à ce jour aucune démonstration scientifique du rôle négatif des seuils dans l'auto-épuration des rivières, et même quelques indices d'un rôle positif, les syndicats de rivière reprennent souvent sur le terrain ce message qu'ils ont entendu sous sa forme simplifiée et non-argumentée. De la même manière, sur les fonds publics des Agences de l'eau et des communes, ces syndicats promettent fréquemment de renforcer l'auto-épuration de la rivière par sa restauration hydromorphologique, alors que les études de terrain comme les modèles incitent à la prudence et la modestie. Ainsi qu'au discernement et à la bonne hiérarchie des priorités dans la dépense d'argent public. (Pour un exemple parmi d'autres en Côte d'Or d'un enthousiasme auto-épurateur un peu déplacé au regard des travaux que nous venons de commenter, voir par exemple Smeaboa 2010 pour le plan Ouche, p.34).
Sur le fond, et c'est bien cela qui importe, le principal problème reste la qualité de nos rivières. La France n'est pas aujourd'hui en état de la garantir, et si l'on en croit le jugement des experts européens, elle n'est pas même en état de la mesurer correctement. Sur les masses d'eaux analysées, les pollutions chimiques restent un problème majeur, malgré les efforts consentis pour les combattre (voir par exemple le diagnostic des bassins Armançon et Haute-Seine). Les Agences de l'eau viennent d'annoncer, avec leur 10e Programme 2013-2018, une dépense de 1,9 milliard d'euros pour la continuité écologique : au regard du retard français dans les conditions de base de qualité chimique et écologique que l'Union européenne juge prioritaires pour l'eau, cet arbitrage doit faire de toute urgence l'objet d'un débat démocratique.
Références citées
Ahearn DS, RA Dahlgren (2005), Sediment and nutrient dynamics following a low-head dam removal at Murphy Creek, California, Limnol. Oceanogr., 50, 6, 1752-1762.
Dégrémont (1989), Memento technique de l'eau.
Malavoi JR, D Salgues (2011), Arasement et dérasement de seuils. Aide à la définition du cahier des charges pour les études de faisabilité. Compartiments hydromorphologie et hydroécologie, Onema-Cemagref.
Namour P. (1999). Auto-épuration des rejets organiques domestiques. Nature de la matière organique résiduaire et son effet en rivière, Lyon 1, Université Claude Bernard, 164
Onema (2010), Pourquoi rétablir la continuité écologique ?, Journées d'information du 5 mai 2010.
Oraison F, Y Souchon, K Van Loy (2011), Restaurer l'hydromorphologie des cours d'eau et mieux maîtriser les nutriments : une voie commune ?, Onema-Cemagref.
Schriver-Mazzuoli L (2012), La gestion durable de l'eau, Dunod.
Smeaboa (2010), SAGE et contrat de rivière de la vallée de l'Ouche, Diagnostic.
Qu'en est-il au juste ?
Pour répondre à cette question, on dispose d'une référence intéressante : trois chercheurs de l'Onema et du Cemagref (aujourd'hui Irstea) ont produit en 2011 une synthèse des références disponibles sur cette question de l'auto-épuration en lien avec l'hydromorphologie (Oraison et al 2011). Leur travail s'adosse à plus de 70 références scientifiques dont la grande majorité date des années 2000. Il est donc plus complet et plus à jour que la référence choisie par l'Onema pour s'adresser au grand public.
Auto-épuration, eutrophisation : quelques rappels
L'auto-épuration désigne la capacité d'un cours d'eau à éliminer des substances nocives pour la vie aquatique. Le phénomène concerne principalement des nutriments, et notamment les molécules dérivées de l'azote et du phosphore qui sont les principaux responsables de l'eutrophisation. Cette eutrophisation s'inscrit dans le cycle normal de certains plans d'eau. Par exemple un lac totalement naturel sera initialement oligotrophe (pauvre en nutriments), avec une eau très pure et une biomasse faible. Ce lac accumule des matières organiques, qui le feront passer au stade mésotrophe, puis eutrophe. En fin de vie, il devient un marécage et se comble définitivement. (Pour une approche générale voir, outre l'article commenté, Dégrémont 1989 ou Schriver-Mazzuoli 2012).
L'eutrophisation désigne cependant le forçage artificiel et d'origine humaine du contenu en nutriments azotés et phosphorés des rivières. L'excès provient principalement de l'agriculture pour l'azote (engrais, lisier), de l'agriculture, de l'industrie et des effluents domestiques d'épuration pour le phosphore (chimie, parachimie, agro-alimentaire). Si azote, phosphore et matière organique sont indispensables à la vie (base de la chaîne trophique), leur excès induit un déséquilibre en cours d'eau et notamment un excès de végétation (prolifération algale) qui diminue l'oxygène disponible, produit parfois des toxines et nuit globalement à la biodiversité des milieux aquatiques. La charge en nutriments tend à se transporter vers l'aval, et les zones estuariennes et littorales souffrent souvent d'accumulations importantes.
On observe par exemple dans la courbe ci-contre extraite de l'étude que la biodiversité des macro-invertébrés d'un cours d'eau (ordonnées, le nombre de genres) connaît un maximum pour une certaine concentration de phosphore (entre 0,1 et 0,3 mg/l, en abcisses) : le défaut comme l'excès ne seront pas des conditions optimales.
Les trois voies
de l'auto-épuration
Comme on le sait, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme dans la nature. Une rivière peut éliminer des excès de molécules par trois voies d'auto-épuration :
- l'échange physique, qui peut être un transfert gazeux vers l'atmosphère ou un transfert solide vers le sol (sédimentation et adsorption des particules en suspension) ;
- l'échange biologique et chimique, par voie bactérienne ou végétale, aboutissant à la minéralisation des substances concernées ou à leur transformation (absorption par des racines d'arbes en berge, nitrification et dénitrification bactériennes) ;
- l'exportation, qui peut être naturelle (par exemple les émergences d'éphémères qui ont consommé des communautés bactériennes dans leur première phase de vie) ou humaine (faucardage, curage).
Les auteurs rappellent ainsi les travaux de Newbold sur le cycle de vie des molécules, ayant montré qu'en moyenne et sur un petit cours d'eau forestier, une molécule dissoute va parcourir moins de 200 mètres.
Cycles de l'azote et du phosphore
Les cycles biogéochimiques de l'azote et du phosphore sont assez différents. L'azote se caractérise par une phase gazeuse (di-azote atmosphérique) importante dans son cycle, que l'on peut résumer très sommairement ainsi : di-azote > ammoniaque > nitrites > nitrates > di-azote. Un moyen très efficace d'éliminer l'azote en excès des rivières est donc de le transformer en gaz, ce que font des bactéries spécialisées dans la consommation de nitrites et de nitrates (outre le di-azote gazeux, ces bactéries produisent des oxydes nitrique et nitreux). Le processus est appelé dénitrification. L'azote peut aussi être assimilé, adsorbé ou exporté.
Le phosphore en revanche ne connaît pas la phase gazeuse de l'azote, et son élimination est donc plus difficile. Il peut se minéraliser et se sédimenter en phosphates par réactions avec divers ions (fer, aluminium, calcium, etc.), mais ce processus demande des conditions complexes : une eau à la fois calme (pour ne pas transporter rapidement le phosphore) avec de l'oxygène disponible (pour nourrir l'oxydoréduction), deux conditions qui sont rarement remplies de façon simultanée (les eaux stagnantes sont plutôt hypoxiques ou anoxiques, c'est-à-dire pauvres en oxygène dissous). Pour le phosphore (et en partie pour l'azote), l'auto-épuration la plus efficace se fera au niveau des berges, des lits majeurs et des plaines inondables : les rivières y déposent une partie de leurs nutriments en excès lors des crues, et le retrait des eaux permet des processus d'infiltration, adsorption et sédimentation.
Mécanismes complexes,
résultats parfois négatifs de la restauration hydromorphologique
Qu'il s'agisse d'études de terrain ou de modèles, les chercheur de l'Onema et d'Irstea soulignent l'extrême complexité des cycles de l'azote et du phosphore, avec une grande diversité de conditions pour comprendre la capacité auto-épuratrice des rivières. Outre la charge imposée par les activités humaines en intrants, entrent en ligne de compte des facteurs aussi divers que les variations de débit, la nature du substrat, la présence et la largeur de la ripisylve, la nature de la couverture du sol et de la végétation, la forme des écoulements latéraux et longitudinaux, le climat, l'occupation anthropique des sols.
La conséquence en est que l'intervention humaine pour accroître les capacités auto-épuratrices des rivières n'a aucune garantie de résultats, d'autant qu'azote et phosphore demandent des conditions assez différentes voire antagonistes d'élimination. Federica Oraison et ses collègues observent ainsi : «L'évaluation des bénéfices apportés du point de vue des nutriments par la restauration hydromorphologique reste difficile : on observe des variations importantes des résultats obtenus positifs ou négatifs, parfois pour une même méthode. Les expériences montrent tout de même des voies d'exploration à approfondir».
Parmi ces voies, on peut citer : la triple bande en berge (zone arborée non exploitée, zone arbustive exploitée, zone herbacée) formant une zone tampon, la reconnexion des voies secondaires et plaines alluviales, la ralentissement du débit par restauration de méandres améliorant la sédimentation, le retour des arbres et végétations sur une bande rivulaire ou plus large (ripisylve) permettant un stockage direct et un apport organique. Mais ces solutions restent dans une large mesure expérimentales et, comme le rappellent les auteurs, sans garantie de résultat à ce jour.
La meilleure solution reste donc de ne pas sur-solliciter les capacités auto-épuratrices des rivières, c'est-à-dire de limiter avant tout la pollution chimique à la source. Hélas, la France est loin du compte comme en témoigne la procédure de la Commission européenne contre notre pays pour sa mauvaise application de la directive nitrates.
Seuils et barrages : des effets négatifs sur l'auto-épuration observés après arasement
Qu'en est-il des seuils et barrages? Le thème est abordé dans un court paragraphe de l'étude – ce qui ne témoigne pas vraiment du caractère central de la question pour l'auto-épuration des cours d'eau – et il se trouve que dans la seule étude de suivi citée par les auteurs (Ahearn et Dahlgren 2005), le résultat a été négatif.
L'effacement d'un seuil de 3 m formant une retenue de 13.000 m^2 a ainsi rendu la zone exportatrice de phosphore et d'azote par remobilisation des sédiments. Federica Oraison et ses collègues sont donc obligés de conclure : «Les études post-arasement sont souvent trop récentes ou de trop courte durée pour observer un retour à un fonctionnement non influencé par les travaux». Une conclusion rejointe dans un autre travail récent de Jean-René Malavoi et Damin Salgues : «La cinétique d’épuration est modifiée sans que l’on sache réellement aujourd’hui si les conséquences sont positives ou négatives sur la qualité de l’eau.» (Malavoi et Salgues 2011).
On peut cependant observer que rien, dans le travail des chercheurs, n'indique que les seuils pourraient avoir un effet aggravant sur l'auto-épuration.
Dans le cas de l'azote, c'est même le contraire qui paraît probable au regard de la description physico-chimique et biologique de la dénitrification. Celle-ci demande des écoulements variés, des débits plutôt lents que rapides et des zones anaérobies, trois conditions qu'apportent justement les seuils, glacis et petits barrages de rivière au droit de leur retenue. Le gain est moins manifeste pour le phosphore car si le dépôt particulaire en eaux calmes est favorable, les conditions anoxiques de fond ne le sont pas pour l'oxydoréduction.
Il faut ajouter qu'une retenue de bief bien entretenue conduit à l'exportation de la rivière des nutriments lors des travaux de curage des sédiments. (Sur ce point, il est tout à fait exact que certains propriétaires d'ouvrages manquent à leur devoir d'entretien et la "reconquête des bonnes pratiques hydrauliques" aurait un effet plus directement bénéfique que certains choix de "reconquêtes des milieux aquatiques" à l'assise scientifique encore fragile et au résultats inégaux, voire contreproductifs.)
Inversement, une accélération du débit consécutive à l'arasement systématique des seuils (moindre dissipation de l'énergie cinétique dans les turbulences) formerait une condition défavorable, puisque les nutriments rejoindraient plus rapidement les fleuves et les estuaires, avec une moindre opportunité de métabolisation ou sédimentation.
En conclusion
Si l'on résume les enseignements de cette publication Onema / Cemagref permettant de répondre à la question posée en titre, à savoir le rôle des seuils dans l'auto-épuration :
• les biefs et retenues semblent jouer le rôle d'une "zone tampon" contribuer à stocker des effluents et à en éliminer certains par échanges gazeux / sédimentaires (ou extraction) ;
• leur effacement peut conduire à une aggravation de l'eutrophisation à court terme, éventuellement à long terme ;
• la vitesse d'écoulement du flot est un facteur déterminant de l'auto-épuration et son accélération par suppression des obstacles transversaux à l'écoulement aggraverait plutôt les choses ;
• les opérations de restauration hydromorphologique sont encore à ce jour très expérimentales et la littérature scientifique montre qu'elles donnent parfois des résultats négatifs sur l'auto-épuration ;
• la diminution des intrants (pollution chimique à la source) reste le principal enjeu pour les rivières.
Comme nous avons déjà pu le déplorer à plusieurs reprises (ici et ici), l'Onema tient un double discours selon qu'il s'adresse au grand public et aux décideurs d'un côté, aux chercheurs et ingénieurs de l'autre. Toute autorité en charge de l'environnement a un devoir d'information impartiale, exhaustive et pluraliste des citoyens : on observe que dans le cas de la suppression des seuils et barrages à fin de continuité écologique, ce devoir est manifestement sacrifié à la justification purement politique de mesures précipitées.
Bien qu'il n'existe à ce jour aucune démonstration scientifique du rôle négatif des seuils dans l'auto-épuration des rivières, et même quelques indices d'un rôle positif, les syndicats de rivière reprennent souvent sur le terrain ce message qu'ils ont entendu sous sa forme simplifiée et non-argumentée. De la même manière, sur les fonds publics des Agences de l'eau et des communes, ces syndicats promettent fréquemment de renforcer l'auto-épuration de la rivière par sa restauration hydromorphologique, alors que les études de terrain comme les modèles incitent à la prudence et la modestie. Ainsi qu'au discernement et à la bonne hiérarchie des priorités dans la dépense d'argent public. (Pour un exemple parmi d'autres en Côte d'Or d'un enthousiasme auto-épurateur un peu déplacé au regard des travaux que nous venons de commenter, voir par exemple Smeaboa 2010 pour le plan Ouche, p.34).
Sur le fond, et c'est bien cela qui importe, le principal problème reste la qualité de nos rivières. La France n'est pas aujourd'hui en état de la garantir, et si l'on en croit le jugement des experts européens, elle n'est pas même en état de la mesurer correctement. Sur les masses d'eaux analysées, les pollutions chimiques restent un problème majeur, malgré les efforts consentis pour les combattre (voir par exemple le diagnostic des bassins Armançon et Haute-Seine). Les Agences de l'eau viennent d'annoncer, avec leur 10e Programme 2013-2018, une dépense de 1,9 milliard d'euros pour la continuité écologique : au regard du retard français dans les conditions de base de qualité chimique et écologique que l'Union européenne juge prioritaires pour l'eau, cet arbitrage doit faire de toute urgence l'objet d'un débat démocratique.
Références citées
Ahearn DS, RA Dahlgren (2005), Sediment and nutrient dynamics following a low-head dam removal at Murphy Creek, California, Limnol. Oceanogr., 50, 6, 1752-1762.
Dégrémont (1989), Memento technique de l'eau.
Malavoi JR, D Salgues (2011), Arasement et dérasement de seuils. Aide à la définition du cahier des charges pour les études de faisabilité. Compartiments hydromorphologie et hydroécologie, Onema-Cemagref.
Namour P. (1999). Auto-épuration des rejets organiques domestiques. Nature de la matière organique résiduaire et son effet en rivière, Lyon 1, Université Claude Bernard, 164
Onema (2010), Pourquoi rétablir la continuité écologique ?, Journées d'information du 5 mai 2010.
Oraison F, Y Souchon, K Van Loy (2011), Restaurer l'hydromorphologie des cours d'eau et mieux maîtriser les nutriments : une voie commune ?, Onema-Cemagref.
Schriver-Mazzuoli L (2012), La gestion durable de l'eau, Dunod.
Smeaboa (2010), SAGE et contrat de rivière de la vallée de l'Ouche, Diagnostic.
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