Les 2e Rencontres régionales de l’hydro-électricité en Bourgogne ont été un franc succès, avec plus d’une centaine de participants. Il faut d’abord en féliciter les organisateurs, Bourgogne Energies Renouvelables et l’Ademe. L’association BER illustre ainsi sa forte implication dans l’animation de la petite hydro à l’échelle régionale. Et l’Ademe, comme l’a rappelé Lilian Geney en tribune, confirme le soutien efficace qu’elle procure aux porteurs de projets sur toutes les gammes de puissance. Plusieurs producteurs (Paul Joliet, Frère Guillaume, Philippe Bourotte) ont d’ailleurs témoigné de ce soutien à des restaurations de moulins ou d’usines dans l’Yonne comme dans la Côte d’Or.
L’Agence de l’eau Seine-Normandie portera la responsabilité de l’échec de la continuité écologique
La première partie de la journée a été consacrée à une tentative de conciliation entre la continuité écologique et l’énergie hydro-électrique. Hélas, on est encore (très) loin du compte. Emeric Bussy (DREAL) comme Mathieu Moes (Agence de l’eau Seine-Normandie) ont persisté à véhiculer en tribune des idées fausses, tenant plus de l’idéologie que de la science : il a par exemple été affirmé sans aucune preuve que les problèmes morphologiques liés aux seuils et barrages sont l’une des causes principales de déclassement de la qualité écologique des rivières de Bourgogne ou de Seine-Normandie. Cette assertion est infondée : aucun modèle hydrologique complet n’a jamais été conçu pour estimer le poids respectif des facteurs dégradants de la qualité de l’eau et pour valider sa robustesse sur un jeu de mesures transversales / longitudinales assez complètes. Les travaux scientifiques les plus récents suggèrent qu’en réalité, les obstacles à l’écoulement ont un effet relativement faible sur les milieux aquatiques (voir Van Looy et al 2014) comme sur le respect futur de nos obligations réglementaires vis-à-vis de l’Europe (voir Haase et al 2013). Et il en va de même sur l'auto-épuration des rivières, à propos de laquelle les chercheurs de l'Onema ont pris des positions beaucoup plus mesurées que ne le laisse entendre le discours de propagande que continue de tenir M. Moes dans ses présentations publiques.
Par ailleurs, Mathieu Moes a confirmé la politique absurde et inéquitable de l’Agence de l’eau Seine-Normandie, consistant à ne financer des passes à poissons que sur une faible hauteur des coûts (40 %) et dans des conditions extrêmement strictes (subventions limitées aux ouvrages dits « structurants », soit moins de 5 % des ouvrages en rivières classées L2). Tout le monde sait (à commencer par les services instructeurs de l’Etat, DDT et Onema) que ce refus de financer la continuité écologique nourrit un ressentiment de plus en plus fort chez les riverains et ne peut qu’aboutir à des contentieux et conflits d’ici 2018, les maîtres d’ouvrage n’étant pas solvables à hauteur des aménagements demandés tout en n’ayant aucune envie de céder au chantage inadmissible à l’effacement de leur bien. L’Agence de l’eau portera donc la responsabilité de l’échec de la politique de continuité écologique, comme elle porte déjà celle de l’échec dans la lutte contre les pollutions chimiques depuis 50 ans.
Le Sirtava oublie de préciser quelques détails peu reluisants sur ce qui se passe réellement en rivière…
La stratégie des syndicats de rivières (Vincent Govin, Sirtava), dont le financement dépend essentiellement des Agences de l’eau, ne fait que répercuter sur le terrain cette déplorable orientation. Vincent Govin s’est flatté de la présence d’un représentant EAF à la Commission locale de l’eau du SAGE de l’Armançon, ce qui est tout à fait exact. Il a omis de mentionner que la politique d’effacement du Sirtava lui a valu un soulèvement massif des élus, des associations et des citoyens de Semur-en-Auxois, entraînant en 2013 l’abandon de projet de destruction du barrage communal. Et que depuis cette date, le président du Sirtava ne daigne répondre ni aux courriers électroniques ni aux courriers recommandés de notre association, ce qui indique assez précisément ce qu’il faut penser de la prétendue « démocratie de l’eau » et de la supposée « concertation » à l’œuvre sur nos rivières. En dehors de quelques effacements en catimini dans la région de Cry et de Tonnerre, le Sirtava n’a pas le commencement d’une stratégie publiquement assumée sur le traitement des dizaines de seuils classés L2 du bassin versant de l’Armançon...
Pour ce qui du thème de l’énergie proprement dite, Bruno Charpentier (DREAL) a rappelé les chiffres de convergence issus de l’étude UFE-Ministère de l’écologie. En création de nouveaux sites, le potentiel de la Bourgogne est de 6,9 MW en puissance et 24,5 GWh/an en productible énergétique. En équipement de sites existants, les chiffres sont de 26,0 MW et 92,0 GWh/an.
Mais ces chiffres sont très partiels car l’étude UFE-Ministère exclut les puissances inférieures à 100 kW. Or, 80 % des 4000 moulins et usines hydrauliques que compte la Bourgogne ont moins de 100 kW (voir à ce sujet l’analyse du cas de la Côte d’Or par notre association). C'est dans ces petites puissances de 1 à 100 kW que se situe le plus gros potentiel de développement de l'hydro-électrcité bourguignonne, et non pas dans la limitation contre-productive de la réflexion publique à quelques aménagements EDF, VNF ou centrales de moyenne puissance. Hélas, l'Etat s'est lui-même enfermé dans le dogme de l'effacement des seuils de moulins, de sorte qu'il est condamné au déni de réalité ou à la schizophrénie quand il évoque par ailleurs la possible contribution de la petite hydro à la transition énergétique.
La transition énergétique demande de changer le logiciel dans les mentalités
Comme l’a rappelé le président de BER, la transition énergétique ne peut réussir que par un changement de modèle et de mentalité, notamment une prise en main par les particuliers et les collectives de l’autonomie énergétique dans les territoires. Un moulin même modeste peut produire de l’énergie pour plusieurs familles, contribuer à la décarbonation du chauffage et du transport. Il ne s’agit donc pas d’entretenir l’illusion que quelques grandes centrales (en hydro mais aussi en éolien, biomasse, solaire) suffiront à relever le défi. C’est le concept même de « centrale » qui est en question à travers la dissémination et l’auto-appropriation des moyens de production énergétique (voir par exemple ce que peut produire un modeste moulin bourguignon).
Pour développer cette énergie hydraulique, encore faut-il un cadre législatif et réglementaire accueillant. Ce n’est pas toujours le cas et Maître Jean-François Remy, avocat et producteur d’hydro-électricité, s’est attaché à décrire une dizaine de procédures judiciaires récentes montrant des désaccords d’interprétation entre les services de l’Etat et les propriétaires porteurs de projets. Me Remy a également signalé que deux fédérations de moulins portent au Conseil d’Etat une requête en annulation du nouveau décret de juillet 2014 qui modifie notamment le régime des droits d’eau fondés en titre. Du point de vue du droit, un des points remarquables de la continuité écologique comme de la transition énergétique est que les textes législatifs, ayant théoriquement plus de poids car émanant des débats de la représentation nationale, sont régulièrement dépassés voire vidés de leur substance par des textes réglementaires et des interprétations administratives ultérieures. De là l’impression d’une « bureaucratie de l’eau » dont les décisions opaques et parfois brutales ne respectent pas toujours le principe de gestion équilibrée et durable de l’eau pourtant inscrit par le législateur dans le Code de l’environnement.
Visite de la centrale de Brienon-sur-Armançon
Après une matinée de débats, l’après-midi a été consacrée à la visite du chantier de la centrale de Brienon-sur-Armançon, propriété de Bruno Chatillon, Laurent Maciaszek et Laurent Jacquel, membres du Bureau d’études Jacquel & Chatillon. Déjà équipée de trois turbines, cette centrale devait être aménagée à fin de continuité écologique, car elle est située sur un tronçon de l’Armançon classé Liste 2 au titre de l'art. 214-17 C env. L’aménagement a consisté à modifier les grilles de la centrale (élargissement de la section d’entrée, prise d’eau ichtyocompatible avec 20 mm d’écartement entre les barreaux pisciformes de la nouvelle grille), à construire une passe à poissons et une goulotte de dévalaison, à équiper le débit minimum biologique d’une vis d’Archimède. Cette dernière, conçue par Ritz-Atro, est censée tourner 8000 heures par an pour une production de 450 MWh/an (équivalent de consommation électrique hors chauffage de 150 foyers).
Les propriétaires ont souhaité faire de cette centrale une vitrine de l’excellence écologique. L’excellence a cependant un coût : plus de 1,1 M€ pour le chantier, ce qui est très élevé si l’on rapporte à la seule puissance installée de la vis (les équipements écologiques ne produisent aucun revenu et ils tendent plutôt à limiter le productible). Le temps de retour sur investissement dépasse les 14 ans malgré 50 % de subventions publiques.
La centrale de Brienon-sur-Armançon représente un bel effort qu’il convient de saluer, mais elle illustre aussi très bien le problème des réformes actuelles de continuité écologique : très coûteuses en argent public et privé, elles ne sont pas généralisables pour le petit millier de seuils et barrages classés de la région Bourgogne ; très complexes dans leur mise en œuvre en raison de l’hypervigilance technique et réglementaire des services instructeurs de l’Etat, elles découragent bon nombre de propriétaires de se lancer dans la modernisation écologique et énergétique de leur bien.
Au final : un grand bravo à l’Ademe et à BER pour leur soutien à la petite hydro dans un contexte difficile. Mais les problèmes de fond persistent et l’interprétation actuelle de la continuité écologique est incompatible avec le plein développement de l’énergie hydraulique.
Photographies : visuels de l'assemblée et du chantier de Birenon-sur-Armançon. Merci à Gérard L. pour les photos de la passe et de la vis.
02/11/2014
31/10/2014
Pétition pour soutenir le Moulin Maurice à Saint-Marc-sur-Seine
Après le Moulin du Boeuf à Bellenod-sur-Seine, c'est le Moulin Maurice de Saint-Marc-sur-Seine qui est en danger et qui risque de fermer son activité. Notre association participera aux côtés des élus locaux à la recherche d'une solution constructive. Pour donner du poids à notre action, soutenez massivement la pétition lancée par les derniers meuniers en activité de la Seine Amont. A voir aussi : reportage France 3 Bourgogne. Nous comptons sur vous !
28/10/2014
Décret du 1er juillet 2014: nouvelle tentative de l'Etat pour liquider les droits d'eau fondés en titre
Depuis 1790, les droits d’eau fondés en titre sont reconnus par l’Etat français et protégés par une jurisprudence administrative constante du Conseil d’Etat. On entend par « fondé en titre » le droit réel d’usage permettant à un moulin ou une usine d’exploiter la puissance de l’eau, pourvu que l’établissement existe de fait avant 1790 (abolition des droits féodaux) sur les rivières non domaniales, avant 1566 (Edit de Moulins) sur les rivières domaniales.
La copieuse jurisprudence des juridictions administratives montre que ce droit d’eau fondé en titre a fait l’objet de nombreuses et régulières attaques. Pourtant, le Conseil d’Etat a toujours maintenu avec fermeté le principe de protection de ce droit contre les manoeuvres abusives et arbitraires qui l’ont menacé au fil du temps. La haute juridiction a même consolidé ce droit d’eau fondé en titre en posant les conditions les plus strictes à son annulation pour cause de ruine ou de non-entretien.
Cette interprétation juridique forgée par deux siècles de réflexion des plus éminents de nos magistrats administratifs sera-t-elle maintenue ? Nous le saurons bientôt puisque plusieurs associations de moulins et de riverains se sont réunies pour déposer au Conseil d’Etat deux requêtes en annulation du décret n° 2014-750 du 1er juillet 2014 harmonisant la procédure d'autorisation des installations hydroélectriques avec celle des installations, ouvrages, travaux et activités prévue à l'article L. 214-3 du code de l'environnement.
Deux articles surtout mis en cause
Sont particulièrement en cause deux dispositions de ce décret. L’article 7 pose une nouvelle exigence : «Le confortement, la remise en eau ou la remise en exploitation d'installations ou d'ouvrages existants fondés en titre ou autorisés avant le 16 octobre 1919 pour une puissance hydroélectrique inférieure à 150 kW sont portés, avant leur réalisation, à la connaissance du préfet avec tous les éléments d'appréciation». L’article 17 stipule : «Sauf cas de force majeure ou de demande justifiée et acceptée de prorogation de délai, l'arrêté d'autorisation ou la déclaration cesse de produire effet lorsque l'installation n'a pas été mise en service, l'ouvrage n'a pas été construit ou le travail n'a pas été exécuté ou bien l'activité n'a pas été exercée, dans le délai fixé par l'arrêté d'autorisation, ou, à défaut, dans un délai de trois ans à compter du jour de la notification de l'autorisation ou de la date de déclaration.»
L’article 7 entend ainsi soumettre la reprise d’une production d’énergie sur un ouvrage de droit fondé en titre à l’appréciation (subjective) de l’autorité administrative, alors même que le principe du droit fondé en titre consiste à soustraire l’ouvrage de cette obligation générique d’autorisation – tout en respectant bien sûr les dispositions légales et règlementaires du droit de l’eau et de l’environnement.
L’article 17 quant à lui, interprété lato sensu pour les fondés en titre et non les seuls autorisés, aboutirait à prononcer la déchéance et l’annulation du droit d’eau au seul motif qu’il n’y a pas «activité» sur l’ouvrage hydraulique pendant 3 ans. Quant à savoir ce que le rédacteur entendait par «activité»… on appréciera le caractère très flou de ces textes – un flou auquel on reconnaît la patte si caractéristique de la Direction de l’eau et de la biodiversité du Ministère de l’Ecologie depuis une dizaine d’années.
Détruire le droit d'eau d'abord, détruire l'ouvrage ensuite
Que l’on assiste à une enième tentative de « liquider » les droits d’eau fondés en titre n’a rien de très étonnant, puisque les technocraties gestionnaires des rivières ont depuis longtemps ce supposé archaïsme dans la ligne de mire de leur prétendue modernité. Que cette tentative se masque de l’alibi d’une « modernisation » et « simplification » de l’action publique a quelque chose de pathétique, puisque les dispositions envisagées reviennent de toute évidence à alourdir un peu plus la complexité règlementaire qui assomme déjà toute initiative en rivière. Mais ce n’est pas comme si la parole publique restait crédible et audible après tant de contradictions entre ses dires et ses faits.
Pendant ce temps-là, le Ministère de l’Ecologie fête en grandes pompes et avec force langue de bois les 50 ans de la politique de l’eau – 50 ans d’échec et de dégradation sans précédent de la qualité de nos rivières. Mais tout n’est-il pas supposé aller mieux quand, après avoir détruit leur droit d’eau, on pourra détruire les ouvrages hydrauliques eux-mêmes ? Les technocraties gestionnaires s’en sont d’ores et déjà auto-persuadées, ce qui est d’autant plus simple qu’enfermées dans leurs bureaux et ne se parlant plus qu'à elles-mêmes, leurs élites n’ont pas trempé la botte dans un bief depuis longtemps.
Il reste qu’avant d’envoyer une pelleteuse dans une rivière d’Auxois-Morvan contre la volonté d’un maître d’ouvrage, il coulera encore beaucoup d’eau.
Photographies : destruction du barrage de La Mothe (Ellé, Finistère) en 2013 avec engins mécaniques en rivière malgré le référé en cours d’un tiers riverain et l’interdiction de cette pratique par l’arrêté préfectoral d’effacement, le tout sous les yeux des services instructeurs de l’Etat. L’image même du progrès, du droit et de la protection de l’environnement tels qu'on les entend désormais à la Direction de l’eau et de la biodiversité du Ministère de l’Ecologie.
La copieuse jurisprudence des juridictions administratives montre que ce droit d’eau fondé en titre a fait l’objet de nombreuses et régulières attaques. Pourtant, le Conseil d’Etat a toujours maintenu avec fermeté le principe de protection de ce droit contre les manoeuvres abusives et arbitraires qui l’ont menacé au fil du temps. La haute juridiction a même consolidé ce droit d’eau fondé en titre en posant les conditions les plus strictes à son annulation pour cause de ruine ou de non-entretien.
Cette interprétation juridique forgée par deux siècles de réflexion des plus éminents de nos magistrats administratifs sera-t-elle maintenue ? Nous le saurons bientôt puisque plusieurs associations de moulins et de riverains se sont réunies pour déposer au Conseil d’Etat deux requêtes en annulation du décret n° 2014-750 du 1er juillet 2014 harmonisant la procédure d'autorisation des installations hydroélectriques avec celle des installations, ouvrages, travaux et activités prévue à l'article L. 214-3 du code de l'environnement.
Deux articles surtout mis en cause
Sont particulièrement en cause deux dispositions de ce décret. L’article 7 pose une nouvelle exigence : «Le confortement, la remise en eau ou la remise en exploitation d'installations ou d'ouvrages existants fondés en titre ou autorisés avant le 16 octobre 1919 pour une puissance hydroélectrique inférieure à 150 kW sont portés, avant leur réalisation, à la connaissance du préfet avec tous les éléments d'appréciation». L’article 17 stipule : «Sauf cas de force majeure ou de demande justifiée et acceptée de prorogation de délai, l'arrêté d'autorisation ou la déclaration cesse de produire effet lorsque l'installation n'a pas été mise en service, l'ouvrage n'a pas été construit ou le travail n'a pas été exécuté ou bien l'activité n'a pas été exercée, dans le délai fixé par l'arrêté d'autorisation, ou, à défaut, dans un délai de trois ans à compter du jour de la notification de l'autorisation ou de la date de déclaration.»
L’article 7 entend ainsi soumettre la reprise d’une production d’énergie sur un ouvrage de droit fondé en titre à l’appréciation (subjective) de l’autorité administrative, alors même que le principe du droit fondé en titre consiste à soustraire l’ouvrage de cette obligation générique d’autorisation – tout en respectant bien sûr les dispositions légales et règlementaires du droit de l’eau et de l’environnement.
L’article 17 quant à lui, interprété lato sensu pour les fondés en titre et non les seuls autorisés, aboutirait à prononcer la déchéance et l’annulation du droit d’eau au seul motif qu’il n’y a pas «activité» sur l’ouvrage hydraulique pendant 3 ans. Quant à savoir ce que le rédacteur entendait par «activité»… on appréciera le caractère très flou de ces textes – un flou auquel on reconnaît la patte si caractéristique de la Direction de l’eau et de la biodiversité du Ministère de l’Ecologie depuis une dizaine d’années.
Détruire le droit d'eau d'abord, détruire l'ouvrage ensuite
Que l’on assiste à une enième tentative de « liquider » les droits d’eau fondés en titre n’a rien de très étonnant, puisque les technocraties gestionnaires des rivières ont depuis longtemps ce supposé archaïsme dans la ligne de mire de leur prétendue modernité. Que cette tentative se masque de l’alibi d’une « modernisation » et « simplification » de l’action publique a quelque chose de pathétique, puisque les dispositions envisagées reviennent de toute évidence à alourdir un peu plus la complexité règlementaire qui assomme déjà toute initiative en rivière. Mais ce n’est pas comme si la parole publique restait crédible et audible après tant de contradictions entre ses dires et ses faits.
Pendant ce temps-là, le Ministère de l’Ecologie fête en grandes pompes et avec force langue de bois les 50 ans de la politique de l’eau – 50 ans d’échec et de dégradation sans précédent de la qualité de nos rivières. Mais tout n’est-il pas supposé aller mieux quand, après avoir détruit leur droit d’eau, on pourra détruire les ouvrages hydrauliques eux-mêmes ? Les technocraties gestionnaires s’en sont d’ores et déjà auto-persuadées, ce qui est d’autant plus simple qu’enfermées dans leurs bureaux et ne se parlant plus qu'à elles-mêmes, leurs élites n’ont pas trempé la botte dans un bief depuis longtemps.
Il reste qu’avant d’envoyer une pelleteuse dans une rivière d’Auxois-Morvan contre la volonté d’un maître d’ouvrage, il coulera encore beaucoup d’eau.
Photographies : destruction du barrage de La Mothe (Ellé, Finistère) en 2013 avec engins mécaniques en rivière malgré le référé en cours d’un tiers riverain et l’interdiction de cette pratique par l’arrêté préfectoral d’effacement, le tout sous les yeux des services instructeurs de l’Etat. L’image même du progrès, du droit et de la protection de l’environnement tels qu'on les entend désormais à la Direction de l’eau et de la biodiversité du Ministère de l’Ecologie.
27/10/2014
Un des derniers meuniers de la Seine Amont menacé de fermeture d'activité
L'association Hydrauxois avait pourtant produit un rapport de conciliation à l'intention de M. le Sous-Préfet et des parties prenantes, mais rien n'y a fait : le Moulin Maurice (Saint-Marc-sur-Seine) est sous le coup d'une double procédure, liée à une plainte de voisinage d'une part, à une instruction DDT pour non-respect de consistance légale d'autre part. L'affaire est d'autant plus étrange que le moulin tourne à sa consistance légale actuelle (déterminée par un déversoir et une vanne bascule) depuis la fin des années 1980, période à laquelle la Commune de Saint-Marc avait financé la nouvelle vanne. A l'époque, les services instructeurs de l'Etat avaient autorisé ces travaux. Une solution constructive doit être recherchée pour éviter la fermeture du moulin, dans un Châtillonnais qui n'a pas besoin de cela en pleine crise économique et sociale. Le propriétaire est (légitimement) attaché au fonctionnement mécanique de son moulin, entraîné par une robuste turbine Ossberger (type cross-flow), présente depuis l'après-guerre, mais le niveau de la consistance légale estimé par l'administration ne permettrait pas cet usage. A suivre. Ci-dessous et à ce lien, la couverture de l'affaire par le Bien Public. Visitez aussi le site du Moulin Maurice.
17/10/2014
Impact nul sur la biodiversité et faible sur la qualité piscicole: une étude scientifique sur les barrages questionne les idées reçues
Kris Van Looy, Thierry Tormos et Yves Souchon travaillent à l’unité de recherche MALY (Milieux aquatiques, écologie et pollutions Lyon), sous tutelle Onema-Irstea. Ils viennent de publier dans la revue Ecological Indicators une étude aux conclusions très intéressantes pour la politique actuelle de restauration écologique des cours d’eau, en particulier pour l’estimation de l’impact biologique des modifications morphologiques associées aux seuils et barrages.
17.000 km de rivières, 5500 barrages, 6 critères d’analyse des obstacles à l’écoulement
En quelques mots, qu’ont fait les auteurs ? Dans le bassin de Loire, ils ont sélectionné un réseau de 17.000 km de linéaire, divisés en 4930 segments homogènes du point de vue géomorphologique. Ces sections de cours d’eau ont une longueur de 1 km en moyenne pour les petites rivières de tête de bassin, et de 20 km pour les cours d’eau plus larges des zones aval.
Sur ces 4930 points d’étude, les auteurs ont estimé les impacts à partir du référentiel SYRAH sur les pressions hydromorphologiques d’origine anthropique et naturelle, et de la banque de données CORINE sur les usages des sols. Plus particulièrement, les trois chercheurs ont utilisé le ROE (Référentiel des obstacles à l’écoulement) de l’Onema afin de construire un modèle fin d’impact des seuils et barrages : plus de 5500 de ces obstacles à l’écoulement sont présents sur le linéaire étudié.
Les auteurs ont intégré dans leur modèle le nombre absolu de barrages, leur densité normalisée, la densité rapportée à la pente du segment de rivière, la distance au barrage aval le plus proche et, à l’échelle régionale, le calcul de perte de l’indice Intégré de Connectivité (IIC) en fonction de la densité agrégée sur l’ensemble des segments connectés.
Ce modèle n’est pas complet puisqu’il ne dispose pas d’informations sur les hauteurs, débits réservés et équipements de franchissement (ou échancrures par vétusté) des barrages. Mais il offre néanmoins une grille très fine d’analyse au plan local comme au niveau du bassin versant. Et compte tenu de l’échantillonnage large, il permet des conclusions assez robustes.
IPR et I2M2 : les barrages n’ont pas d’effet très important sur les poissons et les macro-invertébrés (et aucun sur la biodiversité)
Du côté des indicateurs biologiques, Van Looy, Tormos et Souchon ont utilisé deux métriques : l’Indice Poissons Rivières (IPR), qui mesure la qualité piscicole, et l’Indice Invertébrés Multimétrique (I2M2), qui mesure la réponse des invertébrés (mollusques, bryozoaires, amphipodes, trichoptères, plécoptères, etc.) aux pressions. Ces indices sont eux-mêmes multifactoriels et les auteurs ont également analysé comment leurs composantes constitutives (5 pour l’I2M2, 7 pour l’IPR) varient en fonction des ouvrages hydrauliques.
Premier résultat notoire : le score global IPR ou I2M2 ne montre aucune corrélation significative (p<0.05) avec la densité locale de barrages. La corrélation n’apparaît qu’avec l’échelle supérieure de densité régionale (sur le bassin versant).
Deuxième résultat important : la variance globale des scores (R2) n’est que faiblement associée à la densité des barrages : 25% pour les macro-invertébrés, mais 12% seulement pour les poissons. Les auteurs rappellent au passage que ces valeurs se retrouvent ailleurs dans la littérature scientifique (Wang et al 2011, Bush et al 2012).
Troisième résultat à retenir : au sein des indices, les métriques de la biodiversité (NTE et DTI pour l’IPR, indice de Shannon et richesse taxonomique pour l’I2M2) ne répondent pas à la présence des barrages par des variations significatives. Là encore, les chercheurs avertissent que ce résultat n’est pas étonnant et que d’autres travaux ont trouvé un effet nul (Pohlon et al 2007) voir positif sur la richesse en espèces des zones impactées par des barrages (Maynard et Lane 2012).
Quatrième résultat intéressant : au sein de l’IPR, ce sont les espèces rhéophiles et lithophiles qui expliquent l’essentiel de la réponse observée (12%). Ce résultat ne s’observe pas seulement avec la densité locale, mais aussi au niveau du bassin versant.
Cinquième résultat enfin : les macro-invertébrés montrent un réponse plus forte à la densité de barrage dans les zones amont, alors que ce trait ne se retrouve pas pour les populations piscicoles.
Prudence et rigueur : un moratoire nécessaire des politiques publiques en matière d’obstacles à l’écoulement
Que peut-on déduire de cette recherche ? Une précédente étude sur le taux d’étagement (Chaplais 2010) avait montré que les seuils ont un impact, mais assez modéré. Cette étude était cependant sous-échantillonnée, ce qui n’est pas le cas de Van Looy et al 2014. Leur nouveau travail montre que :
Un moratoire paraît nécessaire sur l’application du classement des rivières au titre de la continuité écologique.
Référence : Van Looy, K., Tormos, T. & Souchon, Y. (2014) Disentangling dam impacts in river networks, Ecological Indicators ,37, pp. 10-20 DOI: 10.1016/j.ecolind.2013.10.006
17.000 km de rivières, 5500 barrages, 6 critères d’analyse des obstacles à l’écoulement
En quelques mots, qu’ont fait les auteurs ? Dans le bassin de Loire, ils ont sélectionné un réseau de 17.000 km de linéaire, divisés en 4930 segments homogènes du point de vue géomorphologique. Ces sections de cours d’eau ont une longueur de 1 km en moyenne pour les petites rivières de tête de bassin, et de 20 km pour les cours d’eau plus larges des zones aval.
Sur ces 4930 points d’étude, les auteurs ont estimé les impacts à partir du référentiel SYRAH sur les pressions hydromorphologiques d’origine anthropique et naturelle, et de la banque de données CORINE sur les usages des sols. Plus particulièrement, les trois chercheurs ont utilisé le ROE (Référentiel des obstacles à l’écoulement) de l’Onema afin de construire un modèle fin d’impact des seuils et barrages : plus de 5500 de ces obstacles à l’écoulement sont présents sur le linéaire étudié.
Les auteurs ont intégré dans leur modèle le nombre absolu de barrages, leur densité normalisée, la densité rapportée à la pente du segment de rivière, la distance au barrage aval le plus proche et, à l’échelle régionale, le calcul de perte de l’indice Intégré de Connectivité (IIC) en fonction de la densité agrégée sur l’ensemble des segments connectés.
Ce modèle n’est pas complet puisqu’il ne dispose pas d’informations sur les hauteurs, débits réservés et équipements de franchissement (ou échancrures par vétusté) des barrages. Mais il offre néanmoins une grille très fine d’analyse au plan local comme au niveau du bassin versant. Et compte tenu de l’échantillonnage large, il permet des conclusions assez robustes.
IPR et I2M2 : les barrages n’ont pas d’effet très important sur les poissons et les macro-invertébrés (et aucun sur la biodiversité)
Du côté des indicateurs biologiques, Van Looy, Tormos et Souchon ont utilisé deux métriques : l’Indice Poissons Rivières (IPR), qui mesure la qualité piscicole, et l’Indice Invertébrés Multimétrique (I2M2), qui mesure la réponse des invertébrés (mollusques, bryozoaires, amphipodes, trichoptères, plécoptères, etc.) aux pressions. Ces indices sont eux-mêmes multifactoriels et les auteurs ont également analysé comment leurs composantes constitutives (5 pour l’I2M2, 7 pour l’IPR) varient en fonction des ouvrages hydrauliques.
Premier résultat notoire : le score global IPR ou I2M2 ne montre aucune corrélation significative (p<0.05) avec la densité locale de barrages. La corrélation n’apparaît qu’avec l’échelle supérieure de densité régionale (sur le bassin versant).
Deuxième résultat important : la variance globale des scores (R2) n’est que faiblement associée à la densité des barrages : 25% pour les macro-invertébrés, mais 12% seulement pour les poissons. Les auteurs rappellent au passage que ces valeurs se retrouvent ailleurs dans la littérature scientifique (Wang et al 2011, Bush et al 2012).
Troisième résultat à retenir : au sein des indices, les métriques de la biodiversité (NTE et DTI pour l’IPR, indice de Shannon et richesse taxonomique pour l’I2M2) ne répondent pas à la présence des barrages par des variations significatives. Là encore, les chercheurs avertissent que ce résultat n’est pas étonnant et que d’autres travaux ont trouvé un effet nul (Pohlon et al 2007) voir positif sur la richesse en espèces des zones impactées par des barrages (Maynard et Lane 2012).
Quatrième résultat intéressant : au sein de l’IPR, ce sont les espèces rhéophiles et lithophiles qui expliquent l’essentiel de la réponse observée (12%). Ce résultat ne s’observe pas seulement avec la densité locale, mais aussi au niveau du bassin versant.
Cinquième résultat enfin : les macro-invertébrés montrent un réponse plus forte à la densité de barrage dans les zones amont, alors que ce trait ne se retrouve pas pour les populations piscicoles.
Prudence et rigueur : un moratoire nécessaire des politiques publiques en matière d’obstacles à l’écoulement
Que peut-on déduire de cette recherche ? Une précédente étude sur le taux d’étagement (Chaplais 2010) avait montré que les seuils ont un impact, mais assez modéré. Cette étude était cependant sous-échantillonnée, ce qui n’est pas le cas de Van Looy et al 2014. Leur nouveau travail montre que :
- les seuils et barrages ont un impact nul sur la biodiversité et faible sur l’indice de qualité piscicole (IPR) utilisé pour le rapportage de la directive-cadre européenne sur l’eau (DCE 2000) ;
- l'analyse scientifique des rivières, en particulier de leur dynamique hydrobiologique, reste un domaine d'étude dans l'enfance, avec relativement peu de modèles complets d'impact et peu de profondeur historique des données d'observation pour tester la robustesse des modèles ;
- les lois, arrêtés et plans de restauration de la continuité écologique ont été adoptés dans la précipitation, sans base scientifique robuste ;
- la communauté des chercheurs en hydrobiologie, hydromorphologie et hydro-écologie gagnerait à exprimer plus fortement la prudence et la rigueur propre à sa profession et, surtout, indispensable à la qualité et à la légitimité de la recherche scientifique ;
- le classement très large des rivières françaises occasionne des coûts considérables en destruction ou aménagement des barrages, sans avantages écologiques clairement mesurés ni comparaison avec d’autres mesures environnementales favorables à la qualité de l’eau.
Un moratoire paraît nécessaire sur l’application du classement des rivières au titre de la continuité écologique.
Référence : Van Looy, K., Tormos, T. & Souchon, Y. (2014) Disentangling dam impacts in river networks, Ecological Indicators ,37, pp. 10-20 DOI: 10.1016/j.ecolind.2013.10.006
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