Gestion de l'eau, des milieux aquatiques et prévention des inondations : sous le label très administratif de la GEMAPI se tient une importante mutation en cours. L'Etat transfère à compter de 2016 la gestion des rivières au bloc communal, soit le plus petit échelon des collectivités locales (
voir par exemple ici). Quelles vont être les conséquences?
D'abord, si les métropoles et les grandes agglomérations disposent de compétences techniques et de moyens financiers, ce n'est pas le cas des collectivités rurales, très majoritaires en nombre comme en linéaire de rivières. Donc concrètement, ce sont les syndicats de gestion des rivières (EPAGE, EPTB) qui vont prendre de l'importance dans les années à venir (
voir ici le peu d'appétit des communes pour ce cadeau empoisonné).
Ensuite, pour gérer une rivière, il faut justement des moyens. Et des moyens d'autant plus importants que l'eau a connu une explosion réglementaire depuis 15 ans, avec d'innombrables obligations de qualité, de contrôle et de surveillance, qui ont toutes des coûts. Comme l'Etat transfère la compétence mais réduit dans le même temps la dotation aux collectivités, la GEMAPI devrait donc se traduire par une nouvelle taxe locale. Cette nouvelle taxe est supposée être plafonnée à un montant annuel de 40 € par habitant, elle est encadrée par
l'article L. 211-7-2 du Code de l’environnement
.
Enfin, et en conséquence des points précédents, la GEMAPI va exiger une révolution démocratique dans la gestion de la rivière. Actuellement règnent l'opacité et le formalisme : la composition des commissions locales de l'eau (quand elles existent grâce à un SAGE) est rigide et fixée par le Préfet, les vraies décisions se prennent en tout petit comité fermé (direction des EPAGE / EPTB, Agence de l'eau, Misen, DDT, Onema, Dreal), la complexité apparente des sujets et de leur jargon produit l'indifférence des élus et des citoyens, les réunions d'information et de concertation du public sont minimalistes voire inexistantes, les consultations donnent des résultats désespérément faibles en participation tout comme les enquêtes publiques sont devenues des formalités peu suivies, car peu susceptibles de modifier des projets soumis à enquête. Continuer sur cette voie, alors qu'on va lever un nouvel impôt et que la pertinence des dépenses des syndicats est déjà fortement remise en question, c'est la garantie d'une conflictualité croissante sur les rivières.
Du
barrage de Sivens dans le Tarn aux
barrages de la Sélune en Normandie en passant par
le Center Parcs de Roybon en zone humide, on observe déjà des premiers exemples de cette insurrection latente. A plus petite échelle, nos associations sont engagées dans de vifs débats sur les choix des syndicats et de l'Etat sur le Cousin, sur l'Armançon, sur la Seine, sur la Bèze… et la liste ne cesse de s'allonger à mesure que les riverains et leurs élus découvrent, effarés, le manque de réalisme de la politique de l'eau et son éloignement des préoccupations essentielles.
Les positions contradictoires et imprévisibles de l'Etat sur le dossier eau (noyer des zones humides sous le béton à Sivens pendant qu'on détruit des moulins centenaires, engager la destruction des barrages normands de la Sélune puis reconnaître que la dépense est absurdement élevée, sortir du chapeau
le serpent de mer de la promesse jamais tenue du referendum local, etc.) indiquent assez que, même au sommet – surtout au sommet –, on ne sait plus trop comment gérer un dossier que l'on a soi-même rendu explosif.
Plus elles gagnent en pouvoir de décision et d'action sur nos cadres de vie, plus les technocraties gestionnaires de rivières devront rendre des comptes et s'ouvrir au débat démocratique. Si elles ne le font pas, elles en paieront le prix : désaffection de certaines collectivités n'ayant plus d'intérêt à adhérer à un syndicat qui détruit leur paysage de vallée ou de capacité à assumer des obligations bien trop lourdes, multiplication des contentieux judiciaires, blocage des projets par voie de manifestation ou par voie procédurale, actions de rue parfois violentes comme ultimes moyens de se faire entendre pour certains usagers désespérés comme pour les protecteurs de l'environnement.
Les rivières débordent souvent. Les riverains parfois…
Illustrations : crues 2013 de l'Armançon, une rivière gérée par un Syndicat (SIRTAVA) manifestant peu d'intérêt pour la concertation démocratique, un franc mépris pour les associations ne pensant pas comme lui et dont bon nombre de réunions sont annulées... faute de quorum.