Alors que l'Etat français prétend détruire de manière autoritaire 18.000 seuils et barrages de moulins d'ici 2018, trois rapports indépendants montrent l'échec programmé de la politique de l'eau, notamment en matière de qualité écologique et chimique des rivières. Combien de temps va encore durer ce scandale?
D'aucuns pourraient penser que notre jugement sévère sur les acteurs de la politique de l'eau (Direction de l'eau au Ministère de l'Ecologie, Agences de l'eau, syndicats de rivières et de bassins versants) est biaisé par notre intérêt particulier pour le patrimoine et l'énergie hydrauliques. Mais il n'en est rien : les critiques que nous dressons à partir de nos observations de terrain et de notre veille de la littérature scientifique sont en fait largement partagées par les autorités chargées d'évaluer la politique de l'Etat et des administrations. En témoignent trois rapports récents et convergents : Commission européenne, Agence européenne de l'environnement, Cour des comptes.
Commission européenne : des doutes sérieux sur la politique française de l'eau
La directive-cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) a fixé voici 15 ans les objectifs de qualité chimique et écologique des rivières pour les pays signataires de l'Union. Chaque pays dresse régulièrement un bilan de la mise en oeuvre de cette directive (processus dit de rapportage) et l'Union européenne (par la voix de la Commission) évalue ce bilan.
La Commission vient de publier sa dernière évaluation, à partir des données transmises fin 2012. Le chapitre consacré aux recommandations à la France est particulièrement éclairant. On y lit en effet que la France devrait :
- combler les vides du suivi et de la méthodologie dans l'analyse des qualités écologique et chimique des eaux de surface;
- améliorer l'analyse des liens entre impacts / pressions et qualité de l'eau, afin de choisir des mesures utiles pour l'atteinte du bon état DCE 2000;
- traiter enfin le problème des pollution nitrate / phosphore, obstacles au bon état, de même que la charge en pesticides;
- identifier de manière claire et transparente les pollutions de chaque bassin versant;
- mieux qualifier les services rendus par l'eau et donc les analyses coût-avantage des mesures choisies;
- intégrer davantage le réchauffement climatique dans l'analyse des impacts et des besoins futurs.
La Commission européenne rassemble donc très exactement l'ensemble des critiques que nous faisons à la politique française de l'eau, outre l'acharnement sur la morphologie qui est le contrepoint (et l'alibi) de ces carences précédemment citées.
Agence européenne de l'environnement : bilan négatif
Ce rapport de travail de la Commission fait suite à une étude également publiée en mars par l'Agence européenne de l'environnement. Celui-ci établit qu'au mieux 53% seulement des masses d'eau européennes seront en bon état écologique en 2015.
L'objectif initial de la DCE 2000 était un bon état chimique et écologique des rivières en 2015, avec des exceptions motivées pour une atteinte en 2021 ou en 2027. Nous sommes donc très loin de cet objectif, et la carte publiée par l'Agence de l'environnement montre que la France n'est pas vraiment le bon élève de l'Europe en ce domaine.
On observe en particulier que la pollution chimique continue d'impacter la majorité des rivières dans la majorité des bassins où elle est mesurée.
L'Agence européenne de l'environnement rappelle au passage que l'hydromorphologie doit faire prioritairement l'objet de correction dans les seuls cas où il est démontré qu'elle est le facteur limitant d'atteinte de la qualité écologique. La France est très loin d'appliquer ce précepte puisque pas une seule étude scientifique ne démontre que les choix de continuité écologique et les classements des rivières 2012-2013 ont été faits sur cette base. Nous dépensons ainsi des milliards d'euros en destructions de seuils et barrages sans certitude aucune de progresser vers le bon état au sens attendu par nos engagements européens. Tout en massacrant notre patrimoine hydraulique et son potentiel énergétique.
Cour des comptes : comment l'Agence de l'eau fait payer les pollués plutôt que les pollueurs
Qui sont-ils donc, les responsables de l'échec français ? L'Etat bien sûr, c'est-à-dire le Ministère de l'Ecologie et sa Direction de l'eau et de la biodiversité. Mais aussi les grandes agences financières de bassins, dites Agences de l'eau, qui établissent des programmes d'action et qui dépensent l'argent prélevé par les taxes sur l'eau.
Le dernier rapport de la Cour des comptes étrille cette gestion des rivières et milieux aquatiques par les Agences de l'eau. Le reproche le plus grave est la mauvaise application du principe "pollueur-payeur : "ceux dont l'activité est à l'origine des pollutions graves ne sont pas sanctionnés en proportion des dégâts qu'ils provoquent". Les usagers domestiques règlent 87 % du montant total de la redevance sur l'eau, alors que la part des industriels est descendue à 7 % et celle des agriculteurs stagne à 6 % en moyenne. L'Agence de l'eau Seine-Normandie, connue pour sa haine des seuils et barrages comme pour son impuissance à réduire les polluants, est même épinglée pour son acharnement sur les usagers : elle voulait faire payer les usagers domestiques à hauteur de 92% !
Autre motif de critique de la haute autorité financière : la "transparence insuffisante" dans la distribution des subventions. Il n'existe pas de règles claires et partagées en ce domaine, donc on observe des dérives comme des versements généreux à des pollueurs. De même, la composition des comités de bassins est problématique : largement dominée par les lobbies, elle offre très peu de représentants à la société civile et des petits usagers de l'eau. A titre d'exemple, il n'y a aucun représentant des moulins dans le comité de bassin Seine-Normandie, alors que 8000 d'entre eux sont concernés par le classement L2 des rivières et que des dizaines de milliers de km du bassin comportent des moulins.
En conclusion
Depuis des années et à partir de nos observations de terrain, nous dénonçons les absurdités de la politique française de l'eau. Comme déjà l'avaient fait les rapports Lesage et Levrault de 2013. De manière simultanée, trois autorités indépendantes publient en ce début 2015 des analyses convergentes qui confortent et aggravent notre diagnostic. Nous appelons donc les citoyens à saisir leurs élus (députés et sénateurs) afin d'exiger que les responsables de ce naufrage soient politiquement, voire judiciairement, sanctionnés. La dérive hors de tout contrôle indépendant de la direction de l'eau au Ministère de l'Ecologie et des directions Onema / Agence de l'eau est désormais connue de tous. Il faut cesser ce scandale permanent et refonder la politique de l'eau sur des bases nouvelles.
Références :
Commission européenne (2015), Report on the progress in implementation of the Water Framework Directive Programmes of Measures, Commission Staff Working Document (pdf)
Agence européenne de l'environnement (2015), The European environment — state and outlook 2015
Cour des Comptes (2015), Rapport public annuel, extrait sur les Agences de l'eau (pdf)
17/03/2015
05/03/2015
Qualité piscicole: les indicateurs synthétiques (IPR, EFI) plus sensibles à l'état chimique et à la dégradation globale qu'à la seule morphologie (Marzin et al 2012)
Les rivières et leurs peuplements évoluent en fonction de l'action humaine, mais aussi en fonction de divers facteurs physiques. Comment distinguer la réponse des indicateurs de qualité biologique à la variabilité naturelle des milieux et aux différentes pressions d'origine humaine? Comment savoir quels assemblages biologiques vont répondre à tel ou tel impact?
Une étude qui prend en compte la "physiographie" de la rivière
Pour répondre à ces questions, Anahita Marzin et ses collègues (Irstea, UR HBAN HYNES à Anthony, UR REBX à Cestas) ont analysé 290 rivières françaises de taille petite à moyenne (bassin versant de 1 à 13312 km2, médiane 99 km2), rivières sur lesquelles on disposait de mesures de qualité sur la période 2005-2008. Dans cet ensemble, 102 sites sont peu impactés avec un état écologique bon ou très bon selon le rapportage de la Directive cadre sur l'eau (DCE 2000), tandis que les 188 autres présentent des impacts anthropiques d'intensité variable. Les indicateurs de qualité biologique concernent pour leur part les poissons, les macrophytes, les macro-invertébrés et les diatomées benthiques.
La variabilité naturelle a été analysée par des données "physiographiques" (en hydrogéologie, ce sont des variables physiques comme l'altitude, la largeur et pente moyennes du lit, la température moyenne de l'air, la distance à la source, etc.) tandis que les pressions anthropiques ont été intégrées dans quatre classes : dégradations globale (somme des impacts), hydrologique (par exemple prélèvement d'eau), morphologique (par exemple modification de taille du chenal) et qualité chimique de l'eau (par exemple concentration en nitrate et phosphates).
La présence d'une retenue (impoundment) a aussi été intégré comme variable qualitative supplémentaire. La modélisation statistique a consisté en une analyse factorielle en composantes principales (pour les données quantitatives) et en correspondances multiples (pour les données qualitatives).
L'état global du milieu et la qualité chimique de l'eau restent les premiers discriminants de réponse biologique
Les chercheurs ont donc tenté de modéliser l'intensité de la réponse (capacité d'un indicateur biologique à discriminer un facteur) et la sensibilité au changement (niveau de la réponse à la pression, par exemple capacité à répondre à un impact faible). Quels sont les principaux résultats de l'étude?
D'abord, le travaux d'A. Marzin et ses collègues confirme l'importance de la variabilité naturelle. Sur les sites peu impactés par l'homme, les deux-tiers des métriques de qualité montrent une variation significative. Les chercheurs en déduisent que "cette source de variabilité doit être prise ne compte avant de considérer les réponses biologiques aux facteurs de stress induits par l'homme".
La réponse des milieux aux facteurs d'impact a été plus marquée pour l'indice de dégradation globale. Ce sont les diatomées et les macro-invertébrés qui montrent la plus forte sensibilité, mais les poissons exhibent la plus forte intensité. Au sein des pressions spécifiques, la qualité chimique de l'eau produit les plus fortes intensité et sensibilité de la réponse. Les poissons tendent à montrer des sensibilités plus élevées que les autres compartiments biologiques pour des dégradations liées à l'hydrologie, à la morphologie ou à la présence de retenue.
Les auteurs observent que la réponse est d'autant plus forte que les pressions s'additionnent, et inversement. Ils parviennent à ce résultat en analysant selon les sites l'impact global (étape 1), l'impact humain additif (étape 2) et l'impact d'un seul facteur humain (étape 3) – par exemple, s'il n'y a plus qu'une seule pression, le niveau de réponse significatif des métriques piscicoles à l'hydrologie chute de 59% à 9%. Nous allons focaliser sur cette réponse des poissons, qui est un enjeu souvent mis en avant dans les politiques de continuité écologique.
Des indices de qualité piscicole DCE 2000 relativement peu affectés par la morphologie (mais d'autres le sont davantage)
Nous avons extrait ci-dessous des résultats quantifiés les valeurs piscicoles (cliquer pour agrandir). Pour interpréter ce tableau : les pourcentages indiquent la sensibilité (efficacité discriminatoire) de la réponse aux pressions humaines, soit la proportion de sites très impactés (gp4) dont les valeurs des indices biologiques sont dans les percentiles extrêmes (moins de 5% en sens décroissant ou plus de 95% en sens croissant des valeurs des sites peu impactés = gp1). MetFUNC signifie métrique fonctionnelle, MetTAX métrique taxonomique, MetIND indice synthétique de qualité. La réponse est négative (-) ou positive (+), la sensibilité est basse (L), intermédiaire (I) ou haute (H). les unités des indices sont FI pour fish, RA pour abondance relative, S pour richesse spécifique.
On observe que les indices synthétiques de qualité piscicole utilisés pour le rapportage de la Directive cadre sur l'eau (IPR pour Indice Poissons Rivières et EFI pour European Fish Index) montre une sensibilité plutôt basse à la morphologie (22% et 15%) ainsi qu'à la présence de retenue (impoundment, mêmes scores). En comparaison, la sensibilité aux perturbations globales est de 49% pour l'IPR et 74% pour l'EFI. La sensibilité à la qualité de l'eau de 41% pour l'EFI (pas de score IPR), de 32% (IPR) et 21% (EFI) pour l'hydrologie. Les résultats montrent donc, en convergence avec d'autres travaux menés ces 5 dernières années, que la sensibilité piscicole à l'hydromorphologie est moindre que pour les autres facteurs impactant le bassin versant.
Dans le détail cependant, on voit que certaines métriques fonctionnelles sont plus "répondantes" à la morphologie : les espèces de poissons intolérantes aux variation de 02, les lithophiles ou les rhéophiles ont par exemple des scores de sensibilité marqués (à la morphologie et/ou à la présence de retenues). Les espèces ou assemblages concernés sont souvent des témoins de rivières en très bon état écologique, sensibles à un large spectre de dégradations.
Quelques remarques pour conclure
La DCE 2000 sur l'eau a imposé un suivi de qualité chimique, physico-chimique, biologique et morphologique des rivières européennes. C'est une excellente chose que l'on dispose d'un tel réseau de surveillance, mais aussi d'un tel effort de normalisation des indices de qualité. Aucune science d'observation (comme l'écologie) ne peut en effet parvenir à des conclusions robustes si elle ne dispose préalablement de données fiables sur les milieux dont il s'agit de comprendre la dynamique.
L'analyse qualitative in situ d'un hydro-éco-système apporte toujours des résultats de terrain intéressants, mais elle est complémentaire d'analyses comparatives et quantitatives permettant de comprendre les facteurs d'évolution des milieux à échelle des tronçons, des bassins versants et des grands réseaux hydrographiques. L'analyse d'Anahita Marzin et ses collègues s'inscrit dans un ensemble de publications ayant commencé à émerger à la fin des années 2000, disposant des mesures suffisantes pour commencer à estimer la variabilité naturelle et forcée des milieux aquatiques, ainsi que la sensibilité relative des populations biologiques.
Ces remarques sur la connaissance des milieux aquatiques concernent également la gestion de ces même milieux, en particulier par le domaine émergent de l'ingénierie écologique qui se donne des objectifs de résultat : il paraît difficile de vouloir restaurer des équilibres naturels (ou fonctionnels) si l'on n'a pas au préalable une idée correcte de l'impact relatif des déséquilibres à traiter.
Hélas, la politique de continuité écologique ne prend pas ce chemin en France, puisque les sommes considérables qui lui sont affectées profitent essentiellement à des analyses très locales par des bureaux d'étude, rédigeant souvent ce que leur financeur public (Agence de l'eau) ou privé (maître d'ouvrage) a envie d'entendre, et non pas à des diagnostics scientifiques complets à échelle de tronçons ou bassins versants, diagnostics qui pourraient être réalisés par la recherche académique. Par ailleurs, comme une étude OCE l'avait montré, on trouve des rivières classées L2, où les ouvrages hydrauliques sont nombreux mais où les scores IPR sont bons voire excellents : pourquoi prioriser aussi médiocrement les interventions en rivière, alors que les budgets sont limités et les altérations non morphologiques nombreuses ?
Cette précipitation à s'engager dans l'action sans information réelle sur les bénéfices attendus (en particulier sur le respect formel du bon état chimique et écologique au sens de la DCE 2000) est déjà peu compréhensible ; le refus de l'admettre de la part de la Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie l'est encore moins.
Référence :
Marzin A et al (2012), Ecological assessment of running waters: Do macrophytes, macroinvertebrates, diatoms and fish show similar responses to human pressures?, Ecological Indicators, 23, 56–65
Une étude qui prend en compte la "physiographie" de la rivière
Pour répondre à ces questions, Anahita Marzin et ses collègues (Irstea, UR HBAN HYNES à Anthony, UR REBX à Cestas) ont analysé 290 rivières françaises de taille petite à moyenne (bassin versant de 1 à 13312 km2, médiane 99 km2), rivières sur lesquelles on disposait de mesures de qualité sur la période 2005-2008. Dans cet ensemble, 102 sites sont peu impactés avec un état écologique bon ou très bon selon le rapportage de la Directive cadre sur l'eau (DCE 2000), tandis que les 188 autres présentent des impacts anthropiques d'intensité variable. Les indicateurs de qualité biologique concernent pour leur part les poissons, les macrophytes, les macro-invertébrés et les diatomées benthiques.
La variabilité naturelle a été analysée par des données "physiographiques" (en hydrogéologie, ce sont des variables physiques comme l'altitude, la largeur et pente moyennes du lit, la température moyenne de l'air, la distance à la source, etc.) tandis que les pressions anthropiques ont été intégrées dans quatre classes : dégradations globale (somme des impacts), hydrologique (par exemple prélèvement d'eau), morphologique (par exemple modification de taille du chenal) et qualité chimique de l'eau (par exemple concentration en nitrate et phosphates).
La présence d'une retenue (impoundment) a aussi été intégré comme variable qualitative supplémentaire. La modélisation statistique a consisté en une analyse factorielle en composantes principales (pour les données quantitatives) et en correspondances multiples (pour les données qualitatives).
L'état global du milieu et la qualité chimique de l'eau restent les premiers discriminants de réponse biologique
Les chercheurs ont donc tenté de modéliser l'intensité de la réponse (capacité d'un indicateur biologique à discriminer un facteur) et la sensibilité au changement (niveau de la réponse à la pression, par exemple capacité à répondre à un impact faible). Quels sont les principaux résultats de l'étude?
D'abord, le travaux d'A. Marzin et ses collègues confirme l'importance de la variabilité naturelle. Sur les sites peu impactés par l'homme, les deux-tiers des métriques de qualité montrent une variation significative. Les chercheurs en déduisent que "cette source de variabilité doit être prise ne compte avant de considérer les réponses biologiques aux facteurs de stress induits par l'homme".
La réponse des milieux aux facteurs d'impact a été plus marquée pour l'indice de dégradation globale. Ce sont les diatomées et les macro-invertébrés qui montrent la plus forte sensibilité, mais les poissons exhibent la plus forte intensité. Au sein des pressions spécifiques, la qualité chimique de l'eau produit les plus fortes intensité et sensibilité de la réponse. Les poissons tendent à montrer des sensibilités plus élevées que les autres compartiments biologiques pour des dégradations liées à l'hydrologie, à la morphologie ou à la présence de retenue.
Les auteurs observent que la réponse est d'autant plus forte que les pressions s'additionnent, et inversement. Ils parviennent à ce résultat en analysant selon les sites l'impact global (étape 1), l'impact humain additif (étape 2) et l'impact d'un seul facteur humain (étape 3) – par exemple, s'il n'y a plus qu'une seule pression, le niveau de réponse significatif des métriques piscicoles à l'hydrologie chute de 59% à 9%. Nous allons focaliser sur cette réponse des poissons, qui est un enjeu souvent mis en avant dans les politiques de continuité écologique.
Des indices de qualité piscicole DCE 2000 relativement peu affectés par la morphologie (mais d'autres le sont davantage)
Nous avons extrait ci-dessous des résultats quantifiés les valeurs piscicoles (cliquer pour agrandir). Pour interpréter ce tableau : les pourcentages indiquent la sensibilité (efficacité discriminatoire) de la réponse aux pressions humaines, soit la proportion de sites très impactés (gp4) dont les valeurs des indices biologiques sont dans les percentiles extrêmes (moins de 5% en sens décroissant ou plus de 95% en sens croissant des valeurs des sites peu impactés = gp1). MetFUNC signifie métrique fonctionnelle, MetTAX métrique taxonomique, MetIND indice synthétique de qualité. La réponse est négative (-) ou positive (+), la sensibilité est basse (L), intermédiaire (I) ou haute (H). les unités des indices sont FI pour fish, RA pour abondance relative, S pour richesse spécifique.
On observe que les indices synthétiques de qualité piscicole utilisés pour le rapportage de la Directive cadre sur l'eau (IPR pour Indice Poissons Rivières et EFI pour European Fish Index) montre une sensibilité plutôt basse à la morphologie (22% et 15%) ainsi qu'à la présence de retenue (impoundment, mêmes scores). En comparaison, la sensibilité aux perturbations globales est de 49% pour l'IPR et 74% pour l'EFI. La sensibilité à la qualité de l'eau de 41% pour l'EFI (pas de score IPR), de 32% (IPR) et 21% (EFI) pour l'hydrologie. Les résultats montrent donc, en convergence avec d'autres travaux menés ces 5 dernières années, que la sensibilité piscicole à l'hydromorphologie est moindre que pour les autres facteurs impactant le bassin versant.
Dans le détail cependant, on voit que certaines métriques fonctionnelles sont plus "répondantes" à la morphologie : les espèces de poissons intolérantes aux variation de 02, les lithophiles ou les rhéophiles ont par exemple des scores de sensibilité marqués (à la morphologie et/ou à la présence de retenues). Les espèces ou assemblages concernés sont souvent des témoins de rivières en très bon état écologique, sensibles à un large spectre de dégradations.
Quelques remarques pour conclure
La DCE 2000 sur l'eau a imposé un suivi de qualité chimique, physico-chimique, biologique et morphologique des rivières européennes. C'est une excellente chose que l'on dispose d'un tel réseau de surveillance, mais aussi d'un tel effort de normalisation des indices de qualité. Aucune science d'observation (comme l'écologie) ne peut en effet parvenir à des conclusions robustes si elle ne dispose préalablement de données fiables sur les milieux dont il s'agit de comprendre la dynamique.
L'analyse qualitative in situ d'un hydro-éco-système apporte toujours des résultats de terrain intéressants, mais elle est complémentaire d'analyses comparatives et quantitatives permettant de comprendre les facteurs d'évolution des milieux à échelle des tronçons, des bassins versants et des grands réseaux hydrographiques. L'analyse d'Anahita Marzin et ses collègues s'inscrit dans un ensemble de publications ayant commencé à émerger à la fin des années 2000, disposant des mesures suffisantes pour commencer à estimer la variabilité naturelle et forcée des milieux aquatiques, ainsi que la sensibilité relative des populations biologiques.
Ces remarques sur la connaissance des milieux aquatiques concernent également la gestion de ces même milieux, en particulier par le domaine émergent de l'ingénierie écologique qui se donne des objectifs de résultat : il paraît difficile de vouloir restaurer des équilibres naturels (ou fonctionnels) si l'on n'a pas au préalable une idée correcte de l'impact relatif des déséquilibres à traiter.
Hélas, la politique de continuité écologique ne prend pas ce chemin en France, puisque les sommes considérables qui lui sont affectées profitent essentiellement à des analyses très locales par des bureaux d'étude, rédigeant souvent ce que leur financeur public (Agence de l'eau) ou privé (maître d'ouvrage) a envie d'entendre, et non pas à des diagnostics scientifiques complets à échelle de tronçons ou bassins versants, diagnostics qui pourraient être réalisés par la recherche académique. Par ailleurs, comme une étude OCE l'avait montré, on trouve des rivières classées L2, où les ouvrages hydrauliques sont nombreux mais où les scores IPR sont bons voire excellents : pourquoi prioriser aussi médiocrement les interventions en rivière, alors que les budgets sont limités et les altérations non morphologiques nombreuses ?
Cette précipitation à s'engager dans l'action sans information réelle sur les bénéfices attendus (en particulier sur le respect formel du bon état chimique et écologique au sens de la DCE 2000) est déjà peu compréhensible ; le refus de l'admettre de la part de la Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie l'est encore moins.
Référence :
Marzin A et al (2012), Ecological assessment of running waters: Do macrophytes, macroinvertebrates, diatoms and fish show similar responses to human pressures?, Ecological Indicators, 23, 56–65
24/02/2015
France Nature Environnement : un communiqué dogmatique et mal informé sur les moulins à eau
Alors que Ségolène Royal vient d'annoncer des mesures visant à recadrer les positions de son administration à l'encontre des moulins à eau et de la petite hydro-électricité, France Nature Environnement se fend d'un communiqué parfaitement dogmatique sur la question. Hydrauxois répond ci-dessous à quelques contre-vérités flagrantes, et déplorables de la part d'une fédération si puissante et reconnue d'utilité publique. Nous ne doutions pas que la Ministre de l'Ecologie devrait affronter une salve puissante pour ses positions lucides et courageuses. Que FNE tire le premier était également prévisible, puisque la Fédération nous a habitués à de telles surenchères dans le domaine de l'eau et des milieux aquatiques. Il faut dire que le naufrage de la mise en oeuvre de la Directive-cadre sur l'Eau 2000 menace d'emporter tous ceux qui ont avalisé ses décisions les plus absurdes, y compris la ruineuse et précipitée restauration de continuité écologique...
"En 2013, les états des lieux montrent que l’une des principales causes de non-atteinte du bon état des cours d’eau, objectif fixé par la Directive Cadre sur l’Eau (DCE), est la rupture de la continuité écologique ainsi que les perturbations des débits notamment engendrées par la présence d’ouvrages hydroélectriques."
Quels "états des lieux" ? C'est une affirmation gratuite, sans référence, sans preuve ni démonstration. Les travaux scientifiques récents (Wang et al 2011, Dahm et al 2013, Van Looy et al 2014, Villeneuve et al 2015) convergent pour observer un faible impact des barrages (de la morphologie en général) sur les indicateurs biologiques de qualité des eaux à échelle des tronçons ou des bassins versants. Les premiers facteurs de dégradation sont la pollution chimique et les changements d'usage des sols (urbanisation, agriculture ou sylviculture intensive, altérations des berges), facteurs qui se sont nettement aggravés à partir du milieu du XXe siècle (Steffen et al 2015), en même temps que les prélèvements quantitatifs en eau ont augmenté. Dans le cas des moulins en particulier, la majorité sont présents depuis plusieurs siècles et ils ont créé de longue date un nouvel équilibre local sur les rivières. Les seuils de moins de 2 m sont généralement noyés en crue, et leur impact sédimentaire ou piscicole n'est pas comparable avec les grands barrages de navigation, de régulation ou d'énergie construits à partir du milieu du XIXe siècle. Barrages dont l'Etat fut souvent l'instigateur, et dont il est aujourd'hui encore souvent propriétaire ou actionnaire, sans montrer l'exemple de continuité écologique sur ses propres sites.
"Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les 30.000 moulins soi-disant transformables en microcentrales hydroélectriques ne produiraient que 1 TWh, soit 0,2% de la production électrique nationale ! Et encore, ces chiffres sont tirés du rapport Dambrine dont même les pouvoirs publics reconnaissent aujourd’hui qu’il surestimait d’un facteur 31 les perspectives d’augmentation brute de la production hydroélectrique métropolitaine…"
D'abord, le Référentiel des obstacles à l'écoulement de l'Onema (V6.0, mai 2014) compte aujourd'hui environ 76.293 références, et le nombre définitif pourrait être de 120.000 (chiffre cité in Souchon et Malavoi 2012). Le "facteur 31" est sans doute une coquille du rédacteur pour facteur 3 (comparaison des productibles selon Dambrine 2006 et DGEMEDDE/UFE 2013). Mais FNE compare des poires et des bananes : d'une part, Dambrine 2006 a réalisé ses estimations avant la LEMA (loi sur l'eau) 2006 et le classement des rivières 2012 (donc sur un potentiel moins bridé qu'aujourd'hui) ; d'autre part, l'étude de convergence de la DGE du Ministère et de l'UFE exclut les sites de moins de 100 kW, c'est-à-dire qu'elle exclut… la très grande majorité des moulins de France ! Il faut noter que Dambrine 2006 lui-même n'a pas pris en compte les sites de moins de 10 kW, alors qu'ils sont très nombreux et que l'offre de turbine hydraulique "prête à poser" commence aujourd'hui à 0,7 kW. En ordre de grandeur, admettons que 60.000 moulins (la moitié des sites présumés en France déjà existants) soient équipés en moyenne à 10 kVA en injection et 5000 heures à puissance nominale, on obtient 3 TWh par an. Le chiffre est bien sûr modeste par rapport à la production électrique annuelle en France (550 TWh), mais la petite hydro-électricité ne prétend pas à autre chose qu'à apporter cette modeste part à la transition énergétique. En ordre de grandeur toujours, si l'on ajoute des sites faciles à créer sans impacter gravement les milieux, la petite hydro (moins de 100 kW) pourrait produire à terme l'équivalent de l'éclairage public en France (env 5 TWh/an). Affirmer que c'est quantité négligeable à l'heure où la transition post-carbone et la prévention du réchauffement climatique s'imposent comme la grand défi des générations présentes et à venir relève d'une curieuse conception de la prise en main par les citoyens de leur destin énergétique.
"La petite hydraulique représente une faible part dans le gâteau énergétique mais plus de 90% du potentiel hydroélectrique est aujourd’hui réalisé et la très grande majorité des sites propices sont déjà équipés"
Absurde et contradictoire. En même temps qu'il refuse l'équipement hydro-électrique des 60.000 à 100.000 moulins de France, FNE affirme que les "sites propices" seraient d'ores et déjà équipés. Par définition, les moulins se sont construits sur des "sites propices" à l'usage de la puissance de l'eau, leur génie civil est déjà en place donc leur ré-équipement n'est pas une défi très complexe : ils ont déjà produit à une époque où les technologies étaient moins maîtrisées qu'aujourd'hui, ils pourront reproduire demain sans difficulté majeure. Le coût d'installation du kW hydro-électrique peut descendre en dessous de 2000 euros sur des petites installations : ce sont essentiellement les contraintes environnementales (et le refus anormal d'aides publiques pour relever ces contraintes) qui renchérissent les projets. Plus largement, le potentiel hydro-électrique est considérable si l'on inclut outre les moulins les sites de moyenne et grande puissances, les STEP permettant de stocker et lisse les ENR intermittentes, les équipements des réseaux de distribution et assainissement, la création de retenues collinaires dans les zones où l'interception du ruissellement n'est pas dommageable, etc. Nous tenons le rapport de convergence DGE / UFE 2013 pour un travail très préliminaire, fortement bridé par les positions contestables de la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie. Ce seul rapport indique déjà un potentiel global de l'ordre de 10 TWh/an (création de sites + équipement des sites existants), soit déjà une hausse de l'ordre de 15% de la production hydraulique continentale.
"Aujourd’hui, il existe 1870 unités de petite hydraulique pour une puissance unitaire moyenne d’un peu plus de 1 MW. Pour les moulins, c’est tout autre : quelques dizaines de kW tout au plus. Quant à l’aspect patrimonial du sujet, il en va de même : le fonctionnement des anciens moulins à eau était discontinu et lié à l’activité humaine (jours chômés, ...) et à la disponibilité des matières premières (blés par exemple). C’est à dire tout le contraire des centrales hydroélectriques modernes qui turbinent 365 jours par an, 7 jours sur 7, 24h sur 24 !"
FNE ne connaît visiblement pas grand chose à l'énergie hydraulique, ce qui ne l'empêche pas d'en parler avec aplomb. Un certain nombre de très grandes centrales hydrauliques sont utilisées presqu'uniquement en pointe, et non pas toute l'année. D'autres fonctionnent en pompage-turbinage. Toute centrale ou moulin au fil de l'eau (sans fonction réservoir) équipé correctement tourne toute l'année ou presque, il s'agit simplement d'une question de dimensionnement correct de la turbine par rapport au débit. Quant à l'argument du "quelques dizaines de kW", il est douteux alors que l'on soutient massivement en France l'énergie solaire des particuliers (quelques kW à moindre facteur de charge et plus fort coût social que l'hydraulique) ainsi que les modes de chauffage non carbonés (idem) ou l'électromobilité (idem). Un moulin est parfaitement adapté à l'époque contemporaine pour décarboner l'énergie d'une famille (pour les plus modestes), d'un quartier ou d'un village. Et comme ces moulins sont très répartis sur les territoires (cf ci-dessus carte du ROE) tout en bénéficiant d'une forte acceptabilité sociale, ils ont leur place dans tous les outils de planification de la transition (SRCAE, PCET, territoires à énergie positive, etc.).
Sans compter la probable grande différence d’impact (par exemple sur la dévalaison piscicole) entre roues hydrauliques et turbines.
Un certain nombre de moulins choisissent de s'équiper de roues ou de vis d'Archimède (hydrodynamiques) qui n'ont pas de mortalité et peu de morbidité connue. D'autres relancent des turbines à rotation lente (type Fontaine ou Francis) déjà présentes dans les chambres d'eau – car la plus grande partie des moulins de France se sont équipés de turbines entre 1850 et 1930. Pour tout nouveau projet dans un milieu à enjeu piscicole, les DDT imposent en cas de turbines à rotation rapide des grilles à espacement de 2 cm et des goulottes de dévalaison conçues pour limiter fortement le risque de mortalité et morbidité piscicoles. Les débits minima biologiques (ancien débit réservés) ont été portés à un plancher de 10%. Bref, la question de l'ichtyocompatibilité des prises d'eau est une réalité sur laquelle beaucoup de choses ont d'ores et déjà été faites en vue de limiter les impacts.
"Josselin de Lespinay, membre du réseau Eau de FNE réagit : « Et si le patrimoine doit être l’argument permettant à d’anciens moulins de s’équiper pour produire de l’électricité, ce même argument doit leur imposer de fonctionner de la même façon que lorsqu’ils étaient actifs : ni toute la journée, ni toute la semaine, ni toute l’année"
M. de Lespinay a visiblement envie de réguler la vie des gens en lieu et place de l"Etat, mais cela ne signifie pas que ses idées sont pour autant recevables. Ce qu'il propose est peu applicable avec des équipements modernes qui ne sont pas conçus pour démarrer et s'arrêter plusieurs fois par jour. Vouloir ré-imposer les pratiques hydrauliques du passé n'a guère de sens, en particulier dans un communiqué où l'on vante cinq lignes plus haut la modernité des centrales face au supposé archaïsme des moulins. Comme nous l'avons indiqué, l'ichtycompatibilité du turbinage et la fonctionnalité du seuil peuvent s'obtenir par d'autres moyens que la réplique des habitudes du XVIIIe siècle. Même l'Onema a beaucoup écrit à ce sujet, M. de Lespinay devait relire ses classiques…
Et bien sûr, vous pourrez encore lire sur Hydrauxois tout ce que FNE ne vous dit pas sur les avantages comparés de l'énergie hydraulique et sur la faisabilité de son déploiement :
En conclusion
Nous partageons nombre de prises de position de France Nature Environnement quand cette fédération garde les pieds sur terre et défend les milieux menacés. Dans le domaine de l'eau, force nous est de constater que FNE a endossé sans aucun esprit critique une doxa déjà datée émanant des bureaux du Ministère de l'Ecologie, doxa que nombre de naturalistes de terrain ne valident pas quand il s'agit du cas spécifique des moulins à eau, doxa dangereuse et pour certains opportune car elle a détourné pendant un temps l'attention des citoyens sur les facteurs réels et massifs de dégradation des milieux aquatiques.
Ce n'est pas l'équipement énergétique des moulins qui est l'ennemi de l'écologie, mais tout au contraire l'abandon de leur culture hydraulique à l'époque du pétrole bon marché puis du tout-nucléaire. Un moulin équipé est un moulin géré, un moulin qui connaît, surveille et respecte l'hydraulicité de la rivière, un moulin qui peut adapter son génie civil ou ses pratiques à des contraintes piscicoles ou sédimentaires, un moulin qui peut aussi contribuer à lutter contre des dégradations locales (fermeture ponctuelle des vannes en cas de pollution aiguës, retrait de nombreux déchets des grilles, etc.). Méconnaître ces réalités et propager des informations fantaisistes ne grandit pas FNE. La défense de notre environnement vaut mieux que cela.
"En 2013, les états des lieux montrent que l’une des principales causes de non-atteinte du bon état des cours d’eau, objectif fixé par la Directive Cadre sur l’Eau (DCE), est la rupture de la continuité écologique ainsi que les perturbations des débits notamment engendrées par la présence d’ouvrages hydroélectriques."
Quels "états des lieux" ? C'est une affirmation gratuite, sans référence, sans preuve ni démonstration. Les travaux scientifiques récents (Wang et al 2011, Dahm et al 2013, Van Looy et al 2014, Villeneuve et al 2015) convergent pour observer un faible impact des barrages (de la morphologie en général) sur les indicateurs biologiques de qualité des eaux à échelle des tronçons ou des bassins versants. Les premiers facteurs de dégradation sont la pollution chimique et les changements d'usage des sols (urbanisation, agriculture ou sylviculture intensive, altérations des berges), facteurs qui se sont nettement aggravés à partir du milieu du XXe siècle (Steffen et al 2015), en même temps que les prélèvements quantitatifs en eau ont augmenté. Dans le cas des moulins en particulier, la majorité sont présents depuis plusieurs siècles et ils ont créé de longue date un nouvel équilibre local sur les rivières. Les seuils de moins de 2 m sont généralement noyés en crue, et leur impact sédimentaire ou piscicole n'est pas comparable avec les grands barrages de navigation, de régulation ou d'énergie construits à partir du milieu du XIXe siècle. Barrages dont l'Etat fut souvent l'instigateur, et dont il est aujourd'hui encore souvent propriétaire ou actionnaire, sans montrer l'exemple de continuité écologique sur ses propres sites.
"Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les 30.000 moulins soi-disant transformables en microcentrales hydroélectriques ne produiraient que 1 TWh, soit 0,2% de la production électrique nationale ! Et encore, ces chiffres sont tirés du rapport Dambrine dont même les pouvoirs publics reconnaissent aujourd’hui qu’il surestimait d’un facteur 31 les perspectives d’augmentation brute de la production hydroélectrique métropolitaine…"
D'abord, le Référentiel des obstacles à l'écoulement de l'Onema (V6.0, mai 2014) compte aujourd'hui environ 76.293 références, et le nombre définitif pourrait être de 120.000 (chiffre cité in Souchon et Malavoi 2012). Le "facteur 31" est sans doute une coquille du rédacteur pour facteur 3 (comparaison des productibles selon Dambrine 2006 et DGEMEDDE/UFE 2013). Mais FNE compare des poires et des bananes : d'une part, Dambrine 2006 a réalisé ses estimations avant la LEMA (loi sur l'eau) 2006 et le classement des rivières 2012 (donc sur un potentiel moins bridé qu'aujourd'hui) ; d'autre part, l'étude de convergence de la DGE du Ministère et de l'UFE exclut les sites de moins de 100 kW, c'est-à-dire qu'elle exclut… la très grande majorité des moulins de France ! Il faut noter que Dambrine 2006 lui-même n'a pas pris en compte les sites de moins de 10 kW, alors qu'ils sont très nombreux et que l'offre de turbine hydraulique "prête à poser" commence aujourd'hui à 0,7 kW. En ordre de grandeur, admettons que 60.000 moulins (la moitié des sites présumés en France déjà existants) soient équipés en moyenne à 10 kVA en injection et 5000 heures à puissance nominale, on obtient 3 TWh par an. Le chiffre est bien sûr modeste par rapport à la production électrique annuelle en France (550 TWh), mais la petite hydro-électricité ne prétend pas à autre chose qu'à apporter cette modeste part à la transition énergétique. En ordre de grandeur toujours, si l'on ajoute des sites faciles à créer sans impacter gravement les milieux, la petite hydro (moins de 100 kW) pourrait produire à terme l'équivalent de l'éclairage public en France (env 5 TWh/an). Affirmer que c'est quantité négligeable à l'heure où la transition post-carbone et la prévention du réchauffement climatique s'imposent comme la grand défi des générations présentes et à venir relève d'une curieuse conception de la prise en main par les citoyens de leur destin énergétique.
"La petite hydraulique représente une faible part dans le gâteau énergétique mais plus de 90% du potentiel hydroélectrique est aujourd’hui réalisé et la très grande majorité des sites propices sont déjà équipés"
Absurde et contradictoire. En même temps qu'il refuse l'équipement hydro-électrique des 60.000 à 100.000 moulins de France, FNE affirme que les "sites propices" seraient d'ores et déjà équipés. Par définition, les moulins se sont construits sur des "sites propices" à l'usage de la puissance de l'eau, leur génie civil est déjà en place donc leur ré-équipement n'est pas une défi très complexe : ils ont déjà produit à une époque où les technologies étaient moins maîtrisées qu'aujourd'hui, ils pourront reproduire demain sans difficulté majeure. Le coût d'installation du kW hydro-électrique peut descendre en dessous de 2000 euros sur des petites installations : ce sont essentiellement les contraintes environnementales (et le refus anormal d'aides publiques pour relever ces contraintes) qui renchérissent les projets. Plus largement, le potentiel hydro-électrique est considérable si l'on inclut outre les moulins les sites de moyenne et grande puissances, les STEP permettant de stocker et lisse les ENR intermittentes, les équipements des réseaux de distribution et assainissement, la création de retenues collinaires dans les zones où l'interception du ruissellement n'est pas dommageable, etc. Nous tenons le rapport de convergence DGE / UFE 2013 pour un travail très préliminaire, fortement bridé par les positions contestables de la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie. Ce seul rapport indique déjà un potentiel global de l'ordre de 10 TWh/an (création de sites + équipement des sites existants), soit déjà une hausse de l'ordre de 15% de la production hydraulique continentale.
"Aujourd’hui, il existe 1870 unités de petite hydraulique pour une puissance unitaire moyenne d’un peu plus de 1 MW. Pour les moulins, c’est tout autre : quelques dizaines de kW tout au plus. Quant à l’aspect patrimonial du sujet, il en va de même : le fonctionnement des anciens moulins à eau était discontinu et lié à l’activité humaine (jours chômés, ...) et à la disponibilité des matières premières (blés par exemple). C’est à dire tout le contraire des centrales hydroélectriques modernes qui turbinent 365 jours par an, 7 jours sur 7, 24h sur 24 !"
FNE ne connaît visiblement pas grand chose à l'énergie hydraulique, ce qui ne l'empêche pas d'en parler avec aplomb. Un certain nombre de très grandes centrales hydrauliques sont utilisées presqu'uniquement en pointe, et non pas toute l'année. D'autres fonctionnent en pompage-turbinage. Toute centrale ou moulin au fil de l'eau (sans fonction réservoir) équipé correctement tourne toute l'année ou presque, il s'agit simplement d'une question de dimensionnement correct de la turbine par rapport au débit. Quant à l'argument du "quelques dizaines de kW", il est douteux alors que l'on soutient massivement en France l'énergie solaire des particuliers (quelques kW à moindre facteur de charge et plus fort coût social que l'hydraulique) ainsi que les modes de chauffage non carbonés (idem) ou l'électromobilité (idem). Un moulin est parfaitement adapté à l'époque contemporaine pour décarboner l'énergie d'une famille (pour les plus modestes), d'un quartier ou d'un village. Et comme ces moulins sont très répartis sur les territoires (cf ci-dessus carte du ROE) tout en bénéficiant d'une forte acceptabilité sociale, ils ont leur place dans tous les outils de planification de la transition (SRCAE, PCET, territoires à énergie positive, etc.).
Sans compter la probable grande différence d’impact (par exemple sur la dévalaison piscicole) entre roues hydrauliques et turbines.
Un certain nombre de moulins choisissent de s'équiper de roues ou de vis d'Archimède (hydrodynamiques) qui n'ont pas de mortalité et peu de morbidité connue. D'autres relancent des turbines à rotation lente (type Fontaine ou Francis) déjà présentes dans les chambres d'eau – car la plus grande partie des moulins de France se sont équipés de turbines entre 1850 et 1930. Pour tout nouveau projet dans un milieu à enjeu piscicole, les DDT imposent en cas de turbines à rotation rapide des grilles à espacement de 2 cm et des goulottes de dévalaison conçues pour limiter fortement le risque de mortalité et morbidité piscicoles. Les débits minima biologiques (ancien débit réservés) ont été portés à un plancher de 10%. Bref, la question de l'ichtyocompatibilité des prises d'eau est une réalité sur laquelle beaucoup de choses ont d'ores et déjà été faites en vue de limiter les impacts.
"Josselin de Lespinay, membre du réseau Eau de FNE réagit : « Et si le patrimoine doit être l’argument permettant à d’anciens moulins de s’équiper pour produire de l’électricité, ce même argument doit leur imposer de fonctionner de la même façon que lorsqu’ils étaient actifs : ni toute la journée, ni toute la semaine, ni toute l’année"
M. de Lespinay a visiblement envie de réguler la vie des gens en lieu et place de l"Etat, mais cela ne signifie pas que ses idées sont pour autant recevables. Ce qu'il propose est peu applicable avec des équipements modernes qui ne sont pas conçus pour démarrer et s'arrêter plusieurs fois par jour. Vouloir ré-imposer les pratiques hydrauliques du passé n'a guère de sens, en particulier dans un communiqué où l'on vante cinq lignes plus haut la modernité des centrales face au supposé archaïsme des moulins. Comme nous l'avons indiqué, l'ichtycompatibilité du turbinage et la fonctionnalité du seuil peuvent s'obtenir par d'autres moyens que la réplique des habitudes du XVIIIe siècle. Même l'Onema a beaucoup écrit à ce sujet, M. de Lespinay devait relire ses classiques…
Et bien sûr, vous pourrez encore lire sur Hydrauxois tout ce que FNE ne vous dit pas sur les avantages comparés de l'énergie hydraulique et sur la faisabilité de son déploiement :
- En finir avec une idée reçue: "Equiper un moulin? Cela ne produit presque rien!"
- Le bilan carbone de l'énergie hydraulique
- Le bilan environnemental (usage des métaux) de l'énergie hydraulique
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- Envie de produire ? 10 questions & réponses sur l'hydro-électricité
En conclusion
Nous partageons nombre de prises de position de France Nature Environnement quand cette fédération garde les pieds sur terre et défend les milieux menacés. Dans le domaine de l'eau, force nous est de constater que FNE a endossé sans aucun esprit critique une doxa déjà datée émanant des bureaux du Ministère de l'Ecologie, doxa que nombre de naturalistes de terrain ne valident pas quand il s'agit du cas spécifique des moulins à eau, doxa dangereuse et pour certains opportune car elle a détourné pendant un temps l'attention des citoyens sur les facteurs réels et massifs de dégradation des milieux aquatiques.
Ce n'est pas l'équipement énergétique des moulins qui est l'ennemi de l'écologie, mais tout au contraire l'abandon de leur culture hydraulique à l'époque du pétrole bon marché puis du tout-nucléaire. Un moulin équipé est un moulin géré, un moulin qui connaît, surveille et respecte l'hydraulicité de la rivière, un moulin qui peut adapter son génie civil ou ses pratiques à des contraintes piscicoles ou sédimentaires, un moulin qui peut aussi contribuer à lutter contre des dégradations locales (fermeture ponctuelle des vannes en cas de pollution aiguës, retrait de nombreux déchets des grilles, etc.). Méconnaître ces réalités et propager des informations fantaisistes ne grandit pas FNE. La défense de notre environnement vaut mieux que cela.
20/02/2015
Intégrité et diversité piscicoles: moins de 20% de la variance associée aux seuls barrages en rivière (Wang et al 2011)
En 2011, Lizhu Wang et ses collègues ont livré une des études les plus complètes à ce jour concernant l'influence des barrages sur les populations piscicoles. Cette étude, réalisée dans le contexte nord-américain, est notamment intéressante par :
- le nombre de tronçons concernés (690 dans le Michigan et 537 dans le Wisconsin) ainsi que le nombre de barrages retenus (1553 dans le Michigan, 3662 dans le Wisconsin) ;
- l'exclusion des tronçons ayant des impacts anthropiques trop manifestes (pas plus de 60% de terres agricoles ni de 10% de terres urbanisées dans le bassin) ;
- la précision des descripteurs des ouvrages (nombre total amont et aval, densité sur le linéaire, longueur libre entre deux ouvrages, même si l'on regrette l'absence d'information sur la hauteur et le débit libre, c'est-à-dire sans usage par turbine) ;
- la diversité des descripteurs des poissons (39 variables au total, répartis en deux grand ensembles, "intégrité biotique" sur les populations piscicoles rapportées à leur typologie et "préférence habitat" sur les espèces rapportées aux faciès d'écoulement disponibles, avec quelques facteurs d'usages sociaux comme le pêche sportive).
Un impact significatif, mais limité : 16 à 19% de la variance pour le seul facteur barrage
La première conclusion des auteurs est qu'ils trouvent un "impact significatif" des barrages sur les assemblages piscicoles, aussi bien pour l'intégrité biotique que pour les préférences d'habitat. Tout l'intérêt de ce travail est de quantifier et analyser un peu plus précisément la portée de cet impact.
Information majeure de l'étude : l'influence des barrages seuls sur les indices est relativement faible. La variance expliquée des populations piscicoles est de 16% pour l'intégrité biotique et 19% pour les préférences d'habitat (cf ci-dessus). L'interaction des barrages avec d'autres facteurs d'environnement (naturels ou anthropiques) ajoute respectivement 13% et 18%. La variance expliquée par d'autres facteurs environnementaux est de 71% pour l'intégrité biotique et 63% pour les préférences d'habitat.
Les auteurs soulignent que "sans la prise en compte des co-facteurs d'influence, les évaluations [d'impact des barrages] seront inadéquates et induiront potentiellement en erreur".
Si la biodiversité totale peut être non impactée, certaines catégories de poissons sont désavantagées
L'analyse plus détaillée des résultats de l'analyse en composante principale montre encore des observations peu intuitives.
Dans le schéma ci-dessus (cliquer pour agrandir), on observe par exemple en abscisses les importances d'impact des descripteurs des barrages (LO bas, ML moyen, MH moyen-haut, HI haut) et en ordonnées les indicateurs de poissons (IBI indice d'intégrité biotique ; SP richesse spécifique d'espèces natives ; SH indice Shannon de biodiversité). Dfds : longueur de rivière sans barrage ; Dtdndm : distance au barrage aval ; Dtupdm : distance au barrage amont ; Dndmd : densité de barrages aval ; Dndm# : nombre de barrages aval ; Updmd : densité de barrages amont ; Updm# : nombre de barrages amont
L'impact fort des barrages signifierait que les valeurs pour LO et ML divergent sensiblement des valeurs pour MH et HI. Or, on constate que pour nombre de mesures, il n'en est rien. Cela signifie que peu de tendances claires se dessinent (ce dont témoigne par ailleurs des coefficients de Spearman modestes, tableau II de l'étude, ci-dessous ; cliquer pour agrandir). On peut même avoir des résultats franchement contre-intuitifs, comme des indicateurs d'intégrité ou de diversité piscicoles associés à des hautes densités de barrages.
Dans les associations des descripteurs de barrages avec le plus grand nombre d'indices biologiques, on trouve le nombre de barrages à l'amont (87% des indices) et à l'aval (67%), alors que pour les plus faibles on a la longueur totale sans barrage (10%) et la distance au barrage aval (3%). On observera que ces corrélations restent à expliquer physiquement et biologiquement, car elles sont assez contraires aux objectifs souvent recherchés par les gestionnaires de rivières (moins de barrage à l'aval, le plus long linéaire sans étagement)
Comme l'écrivent L. Wang et ses co-auteurs, "l'impact cumulatif des barrages n'est qu'une part des composantes multiples de l'influence humaine, et le faible niveau de variance expliqué par les barrages n'est donc pas inattendu". Les auteurs soulignent cependant que leurs résultats montrent une influence réelle sur les assemblages de poissons : l'indice de qualité biotique pris globalement tend bel et bien à diminuer avec la densité de barrage, les migrateurs (de type salmonidés) ou les rhéophiles en recherche d'habitats complexes sont de toute évidence désavantagés par la présence de barrages affectant leur franchissement ou produisant des habitats lentiques plus homogènes.
Quelques commentaires sur les résultats de Wang et al. 2011
Selon Wang et al 2011, les barrages ont donc des effets globalement négatifs sur les assemblages de poissons, mais ces effets restent modestes par rapport aux autres impacts sur les rivières. Localement, la biodiversité peut être augmentée, sans que les espèces plus exigeantes (salmonidés, lithophiles, rhéophiles) soient concernés.
Il faut observer que Wang et al 2011 étudient des barrages dont l'effet sur le cours d'eau est repérable sur une carte 1:100000 du National Hydrography Dataset (NHD) et travaillent dans un contexte nord-américain, de sorte que la dimension moyenne de ces ouvrages est probablement plus élevée que celle des seuils et barrages documentés dans le référentiel des obstacles à l'écoulement (ROE dont la hauteur moyenne est inférieure à 2 m et dont la construction est généralement plus ancienne que le XIXe siècle, puisqu'il y avait déjà plus de 100.000 seuils au XVIIIe siècle, voir ici une réflexion sur les ordres de grandeur en morphologie).
On doit également noter que les corrélations entre barrages et indices piscicoles tendent statistiquement à baisser quand on inclut dans l'échantillon d'étude des cours d'eau subissant des impacts liés aux usages de sols et à la qualité chimique des eaux – puisque ces facteurs sont connus pour dégrader le compartiment piscicole mais être indépendants des barrages, ce qui revient à baisser le poids de la composante d'intérêt en analyse factorielle. Les résultats de Wang et al 2011 convergent largement avec les travaux européens plus récents ayant trouvé des impacts similaires ou plus faibles pour les facteurs morphologiques, en particulier les barrages (cf par exemple en recension sur ce site Van Looy et al 2014 ; Villeneuve et al 2015).
Il existe aussi des dimensions critiques (étiages extrêmes, présence d'espèces invasives, pollutions aigües, etc.) où l'effet des barrages sur les populations piscicoles n'est pas réellement connu faute d'études quantitatives / comparatives comme celle commentée ici. Ces données devraient être rassemblées avant de prendre des décisions trop radicales, comme le suggère d'ailleurs le conseil scientifique de l'Agence de l'eau Seine-Normandie.
En conclusion
Les barrages s'apprécient par leurs effets écologiques, mais également par leurs usages économiques (énergie, irrigation, navigation, tourisme, pisciculture, etc.) et leurs représentations sociales (paysage, patrimoine, identité territoriale).
La question centrale de la politique de l'eau (en particulier de la politique de continuité écologique) à leur endroit réside dans une double évaluation : comment mettons-nous en balance leurs désavantages écologiques et leurs avantages non-écologiques ? Au sein du critère écologique, comment mesure-t-on l'impact précis de ces barrages par rapport aux autres facteurs de dégradation sur chaque rivière, et donc comment proportionne-t-on les efforts d'aménagement ?
Ces questions n'ont hélas pas été posées aux citoyens pas plus qu'elles n'ont fait l'objet d'études scientifiques sérieuses sur chaque bassin versant concerné par le classement des rivières 2012-2013 à fin de continuité écologique. Ce déni démocratique et ce déficit de connaissances ne sont pas acceptables.
Référence
Wang L et al (2011), Effects of dams in river networks on fish assemblages in non-impoundment sections of rivers in Michigan and Wisconsin, USA, River Research and Applications, 27, 4, 473-487
- le nombre de tronçons concernés (690 dans le Michigan et 537 dans le Wisconsin) ainsi que le nombre de barrages retenus (1553 dans le Michigan, 3662 dans le Wisconsin) ;
- l'exclusion des tronçons ayant des impacts anthropiques trop manifestes (pas plus de 60% de terres agricoles ni de 10% de terres urbanisées dans le bassin) ;
- la précision des descripteurs des ouvrages (nombre total amont et aval, densité sur le linéaire, longueur libre entre deux ouvrages, même si l'on regrette l'absence d'information sur la hauteur et le débit libre, c'est-à-dire sans usage par turbine) ;
- la diversité des descripteurs des poissons (39 variables au total, répartis en deux grand ensembles, "intégrité biotique" sur les populations piscicoles rapportées à leur typologie et "préférence habitat" sur les espèces rapportées aux faciès d'écoulement disponibles, avec quelques facteurs d'usages sociaux comme le pêche sportive).
Un impact significatif, mais limité : 16 à 19% de la variance pour le seul facteur barrage
La première conclusion des auteurs est qu'ils trouvent un "impact significatif" des barrages sur les assemblages piscicoles, aussi bien pour l'intégrité biotique que pour les préférences d'habitat. Tout l'intérêt de ce travail est de quantifier et analyser un peu plus précisément la portée de cet impact.
Information majeure de l'étude : l'influence des barrages seuls sur les indices est relativement faible. La variance expliquée des populations piscicoles est de 16% pour l'intégrité biotique et 19% pour les préférences d'habitat (cf ci-dessus). L'interaction des barrages avec d'autres facteurs d'environnement (naturels ou anthropiques) ajoute respectivement 13% et 18%. La variance expliquée par d'autres facteurs environnementaux est de 71% pour l'intégrité biotique et 63% pour les préférences d'habitat.
Les auteurs soulignent que "sans la prise en compte des co-facteurs d'influence, les évaluations [d'impact des barrages] seront inadéquates et induiront potentiellement en erreur".
Si la biodiversité totale peut être non impactée, certaines catégories de poissons sont désavantagées
L'analyse plus détaillée des résultats de l'analyse en composante principale montre encore des observations peu intuitives.
Dans le schéma ci-dessus (cliquer pour agrandir), on observe par exemple en abscisses les importances d'impact des descripteurs des barrages (LO bas, ML moyen, MH moyen-haut, HI haut) et en ordonnées les indicateurs de poissons (IBI indice d'intégrité biotique ; SP richesse spécifique d'espèces natives ; SH indice Shannon de biodiversité). Dfds : longueur de rivière sans barrage ; Dtdndm : distance au barrage aval ; Dtupdm : distance au barrage amont ; Dndmd : densité de barrages aval ; Dndm# : nombre de barrages aval ; Updmd : densité de barrages amont ; Updm# : nombre de barrages amont
L'impact fort des barrages signifierait que les valeurs pour LO et ML divergent sensiblement des valeurs pour MH et HI. Or, on constate que pour nombre de mesures, il n'en est rien. Cela signifie que peu de tendances claires se dessinent (ce dont témoigne par ailleurs des coefficients de Spearman modestes, tableau II de l'étude, ci-dessous ; cliquer pour agrandir). On peut même avoir des résultats franchement contre-intuitifs, comme des indicateurs d'intégrité ou de diversité piscicoles associés à des hautes densités de barrages.
Dans les associations des descripteurs de barrages avec le plus grand nombre d'indices biologiques, on trouve le nombre de barrages à l'amont (87% des indices) et à l'aval (67%), alors que pour les plus faibles on a la longueur totale sans barrage (10%) et la distance au barrage aval (3%). On observera que ces corrélations restent à expliquer physiquement et biologiquement, car elles sont assez contraires aux objectifs souvent recherchés par les gestionnaires de rivières (moins de barrage à l'aval, le plus long linéaire sans étagement)
Comme l'écrivent L. Wang et ses co-auteurs, "l'impact cumulatif des barrages n'est qu'une part des composantes multiples de l'influence humaine, et le faible niveau de variance expliqué par les barrages n'est donc pas inattendu". Les auteurs soulignent cependant que leurs résultats montrent une influence réelle sur les assemblages de poissons : l'indice de qualité biotique pris globalement tend bel et bien à diminuer avec la densité de barrage, les migrateurs (de type salmonidés) ou les rhéophiles en recherche d'habitats complexes sont de toute évidence désavantagés par la présence de barrages affectant leur franchissement ou produisant des habitats lentiques plus homogènes.
Quelques commentaires sur les résultats de Wang et al. 2011
Selon Wang et al 2011, les barrages ont donc des effets globalement négatifs sur les assemblages de poissons, mais ces effets restent modestes par rapport aux autres impacts sur les rivières. Localement, la biodiversité peut être augmentée, sans que les espèces plus exigeantes (salmonidés, lithophiles, rhéophiles) soient concernés.
Il faut observer que Wang et al 2011 étudient des barrages dont l'effet sur le cours d'eau est repérable sur une carte 1:100000 du National Hydrography Dataset (NHD) et travaillent dans un contexte nord-américain, de sorte que la dimension moyenne de ces ouvrages est probablement plus élevée que celle des seuils et barrages documentés dans le référentiel des obstacles à l'écoulement (ROE dont la hauteur moyenne est inférieure à 2 m et dont la construction est généralement plus ancienne que le XIXe siècle, puisqu'il y avait déjà plus de 100.000 seuils au XVIIIe siècle, voir ici une réflexion sur les ordres de grandeur en morphologie).
On doit également noter que les corrélations entre barrages et indices piscicoles tendent statistiquement à baisser quand on inclut dans l'échantillon d'étude des cours d'eau subissant des impacts liés aux usages de sols et à la qualité chimique des eaux – puisque ces facteurs sont connus pour dégrader le compartiment piscicole mais être indépendants des barrages, ce qui revient à baisser le poids de la composante d'intérêt en analyse factorielle. Les résultats de Wang et al 2011 convergent largement avec les travaux européens plus récents ayant trouvé des impacts similaires ou plus faibles pour les facteurs morphologiques, en particulier les barrages (cf par exemple en recension sur ce site Van Looy et al 2014 ; Villeneuve et al 2015).
Il existe aussi des dimensions critiques (étiages extrêmes, présence d'espèces invasives, pollutions aigües, etc.) où l'effet des barrages sur les populations piscicoles n'est pas réellement connu faute d'études quantitatives / comparatives comme celle commentée ici. Ces données devraient être rassemblées avant de prendre des décisions trop radicales, comme le suggère d'ailleurs le conseil scientifique de l'Agence de l'eau Seine-Normandie.
En conclusion
Les barrages s'apprécient par leurs effets écologiques, mais également par leurs usages économiques (énergie, irrigation, navigation, tourisme, pisciculture, etc.) et leurs représentations sociales (paysage, patrimoine, identité territoriale).
La question centrale de la politique de l'eau (en particulier de la politique de continuité écologique) à leur endroit réside dans une double évaluation : comment mettons-nous en balance leurs désavantages écologiques et leurs avantages non-écologiques ? Au sein du critère écologique, comment mesure-t-on l'impact précis de ces barrages par rapport aux autres facteurs de dégradation sur chaque rivière, et donc comment proportionne-t-on les efforts d'aménagement ?
Ces questions n'ont hélas pas été posées aux citoyens pas plus qu'elles n'ont fait l'objet d'études scientifiques sérieuses sur chaque bassin versant concerné par le classement des rivières 2012-2013 à fin de continuité écologique. Ce déni démocratique et ce déficit de connaissances ne sont pas acceptables.
Référence
Wang L et al (2011), Effects of dams in river networks on fish assemblages in non-impoundment sections of rivers in Michigan and Wisconsin, USA, River Research and Applications, 27, 4, 473-487
18/02/2015
Ségolène Royal en défense des moulins à eau et de la petite hydro: vers un changement de doctrine du Ministère?
Mme Ségolène Royal, Ministre de l'Ecologie, vient de prendre des positions publiques favorables aux moulins à eau. Voir article AFP complet à ce lien. La Ministre a notamment déclaré : "les règles du jeu doivent être revues, pour encourager la petite hydroélectricité et la remise en état des moulins".
Des élus indignés de la situation des moulins sur leurs territoires
Ces déclarations font suite à la pression de plusieurs élus indignés de la situation actuelle des moulins. Que disaient ces élus ?
Michel Le Scouarnec (CRC, Communiste républicain et citoyen) : "On n'exploite pas assez le potentiel des moulins: 42 MW à moyen terme en Bretagne, contre 10 MW pour les éoliennes. Il est dommage qu'ils ne soient pas couverts par les schémas régionaux climat air énergie, à cause des contractants liés à la continuité. Certaines dispositions réglementaires doivent être revues pour permettre l'essor de l'hydrologie de faible chute".
Charles Reveet (UMP) : "Partout en France, il y avait des moulins, qui embellissaient le paysage tout en produisant de l'énergie. Aujourd'hui, on renonce trop souvent à ce genre de projet, parce que les contraintes sont trop lourdes. Les moulins n'ont jamais empêché les poissons de remonter à la source, aujourd'hui, on impose des passes à poisson qui renchérissent les projets. L'Office national de l'eau et des milieux aquatiques bloque tout."
Ce ne sont là que quelques exemples, il y a eu depuis trois ans plusieurs dizaines d'interpellations parlementaires du Ministère de l'Ecologie, y compris par des élus bourguignons.
Une première victoire, mais le combat continue pour un moratoire sur le 214-17 C env.
C'est déjà une belle victoire pour le monde des moulins et usines à eau. En attendant les traductions concrètes, nous pouvons d'ores et déjà opposer les propos de la Ministre aux services du Ministère (DDT, Onema, Dreal) qui, sur le terrain, font le plus souvent tout pour ignorer le potentiel de la petite hydro-électricité, voire pour le contrarier ou le détruire.
Nous espérons que cette reprise en main politique de la question des moulins est le début d'un désaveu complet de la dérive administrative et réglementaire observée depuis 2006 : sans contrôle parlementaire, sans concertation démocratique, sans base scientifique sérieuse, la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie a multiplié des mesures complexes, coûteuses, inefficaces, dont le point culminant est le classement de 18.000 moulins en rivières de liste 2, avec obligation d'effacer ou aménager d'ici 2018. Pendant ce temps-là, la qualité de l'eau et des milieux aquatiques se dégrade car les vraies causes de pollution des rivières et de dégradation des bassins versants ne sont pas traitées assez efficacement.
La brèche est ouverte, et notre combat continue, plus résolu que jamais, afin d'obtenir un moratoire sur la mise en oeuvre de l'article 214-17 C env et de faire cesser le chantage insupportable qui pèse aujourd'hui sur les maîtres d'ouvrage et les riverains voisins.
L'énergie, raison d'être du moulin: Hydrauxois peut vous aider à équiper
Une observation importante pour conclure : comme notre association en a toujours été persuadée, c'est sous l'angle de l'énergie, de la contribution de la petite hydro à la transition énergétique, que Mme Royal a pris cette position.
Et de fait, la raison d'être d'un seuil de moulin ou d'un barrage d'usine est d'exploiter la puissance de l'eau. Il existe des solutions simples en ce sens : nous les présenterons de façon approfondie lors de nos prochaines rencontres hydrauliques de l'Auxois, le samedi 27 juin (conférences, exposés), et le dimanche 28 juin (visites de sites). Notre association est toujours à disposition pour de premiers conseils sur le potentiel d'un site.
Nous engageons tous nos adhérents et sympathisants propriétaires de moulins à réfléchir sérieusement à l'installation d'un dispositif énergétique, même minimaliste, permettant de se réclamer d'un usage et de s'opposer plus facilement à toute altération des ouvrages hydrauliques. Et permettant aussi de produire une énergie locale, propre, décarbonée, autonome, dont le potentiel est considérable en Côte d'Or et en Bourgogne.
Des élus indignés de la situation des moulins sur leurs territoires
Ces déclarations font suite à la pression de plusieurs élus indignés de la situation actuelle des moulins. Que disaient ces élus ?
Michel Le Scouarnec (CRC, Communiste républicain et citoyen) : "On n'exploite pas assez le potentiel des moulins: 42 MW à moyen terme en Bretagne, contre 10 MW pour les éoliennes. Il est dommage qu'ils ne soient pas couverts par les schémas régionaux climat air énergie, à cause des contractants liés à la continuité. Certaines dispositions réglementaires doivent être revues pour permettre l'essor de l'hydrologie de faible chute".
Charles Reveet (UMP) : "Partout en France, il y avait des moulins, qui embellissaient le paysage tout en produisant de l'énergie. Aujourd'hui, on renonce trop souvent à ce genre de projet, parce que les contraintes sont trop lourdes. Les moulins n'ont jamais empêché les poissons de remonter à la source, aujourd'hui, on impose des passes à poisson qui renchérissent les projets. L'Office national de l'eau et des milieux aquatiques bloque tout."
Ce ne sont là que quelques exemples, il y a eu depuis trois ans plusieurs dizaines d'interpellations parlementaires du Ministère de l'Ecologie, y compris par des élus bourguignons.
Une première victoire, mais le combat continue pour un moratoire sur le 214-17 C env.
C'est déjà une belle victoire pour le monde des moulins et usines à eau. En attendant les traductions concrètes, nous pouvons d'ores et déjà opposer les propos de la Ministre aux services du Ministère (DDT, Onema, Dreal) qui, sur le terrain, font le plus souvent tout pour ignorer le potentiel de la petite hydro-électricité, voire pour le contrarier ou le détruire.
Nous espérons que cette reprise en main politique de la question des moulins est le début d'un désaveu complet de la dérive administrative et réglementaire observée depuis 2006 : sans contrôle parlementaire, sans concertation démocratique, sans base scientifique sérieuse, la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie a multiplié des mesures complexes, coûteuses, inefficaces, dont le point culminant est le classement de 18.000 moulins en rivières de liste 2, avec obligation d'effacer ou aménager d'ici 2018. Pendant ce temps-là, la qualité de l'eau et des milieux aquatiques se dégrade car les vraies causes de pollution des rivières et de dégradation des bassins versants ne sont pas traitées assez efficacement.
La brèche est ouverte, et notre combat continue, plus résolu que jamais, afin d'obtenir un moratoire sur la mise en oeuvre de l'article 214-17 C env et de faire cesser le chantage insupportable qui pèse aujourd'hui sur les maîtres d'ouvrage et les riverains voisins.
L'énergie, raison d'être du moulin: Hydrauxois peut vous aider à équiper
Une observation importante pour conclure : comme notre association en a toujours été persuadée, c'est sous l'angle de l'énergie, de la contribution de la petite hydro à la transition énergétique, que Mme Royal a pris cette position.
Et de fait, la raison d'être d'un seuil de moulin ou d'un barrage d'usine est d'exploiter la puissance de l'eau. Il existe des solutions simples en ce sens : nous les présenterons de façon approfondie lors de nos prochaines rencontres hydrauliques de l'Auxois, le samedi 27 juin (conférences, exposés), et le dimanche 28 juin (visites de sites). Notre association est toujours à disposition pour de premiers conseils sur le potentiel d'un site.
Nous engageons tous nos adhérents et sympathisants propriétaires de moulins à réfléchir sérieusement à l'installation d'un dispositif énergétique, même minimaliste, permettant de se réclamer d'un usage et de s'opposer plus facilement à toute altération des ouvrages hydrauliques. Et permettant aussi de produire une énergie locale, propre, décarbonée, autonome, dont le potentiel est considérable en Côte d'Or et en Bourgogne.
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