En France, près de 100 000 moulins pourraient être aménagés à fin de production hydro-électrique. Excellent bilan carbone, moindre impact sur la CSPE, pilotabilité par le réseau, forte acceptabilité sociale, foisonnement sur tous les territoires, emplois non délocalisables… les atouts de cette très petite hydro-électricité sont nombreux. Au lieu d’équiper ces seuils et barrages sur chacune de nos rivières, l’Etat promeut aujourd’hui leur destruction. Une erreur grave à l’heure où la lutte contre le réchauffement climatique et la transition énergétique post-carbone devraient être nos priorités, et où les vrais impacts sur la qualité des rivières ne sont pas efficacement traités.
— Nombre et potentiel énergétique des moulins —
Le Référentiel des obstacles à l'écoulement de l'Onema (V6.0, mai 2014) compte aujourd'hui 76.293 références, et le nombre définitif pourrait être de 120 000 (chiffre cité in Souchon et Malavoi 2012). Ces chiffres convergent avec les données historiques connues : la statistique impériale de 1809 comptabilise 82 300 moulins à eau en activité en France, mais ce chiffre a continué de croître jusqu’à la fin du XIXe siècle, période où l’énergie hydraulique est la première puissance motrice en France. Il paraît probable qu’il existe aujourd’hui environ 100 000 sites de moulins en France, dont 60 000 sont en état correct pour recevoir un équipement énergétique et 40 000 demanderaient des travaux de modernisation à cette fin.
Quel potentiel énergétique ?
Les deux estimations de potentiel hydro-électriques dont on dispose (rapport Dambrine 2006 et étude de convergence Ministère UFE DGEMEDDE/UFE 2013) sont incomplètes : la première exclut les sites de moins de 10 kW (qui représentent plus de 50 % des moulins), la seconde les sites de moins de 100 kW (plus de 90 % des moulins). Sur une base limitative de 30 000 moulins de plus de 10 kW, Dambrine 2006 estimait le potentiel à 1 TWh / an. Le potentiel réel total peut être approché à trois fois cette valeur, soit 3 TWh / an. Pour donner un ordre de grandeur, l’équipement des moulins représenterait l’équivalent en productible d’un réacteur nucléaire ou la production totale de l’éclairage public en France (après effet du plan de réduction de cet éclairage).
Les usages : autoconsommation ou injection réseau
L’équipement énergétique des moulins peut servir à l’autoconsommation (chauffage en particulier) ou à l’injection réseau. En raison du bon facteur de charge de l’énergie hydraulique, il faut compter environ 10 kW de puissance pour satisfaire les besoins en consommation d'une famille, la puissance en surcroît pouvant être dédiée à l’injection réseau.
Pilotabilité pour le réseau : une énergie prévisible à 24 / 48 h
Le productible d’un moulin est défini par l’hydrologie de la rivière (débit utile et chute nette). Ces données sont prévisibles 24 à 48 h à l’avance, et donc faciles à intégrer lorsque les gestionnaires du réseau doivent anticiper le besoin de charge. Par rapport à d’autres énergies souffrant de fatalité et d’intermittence (éolien, solaire), l’hydraulique jouit donc d’une certaine régularité et prévisibilité. Les moulins sont disséminés sur le territoire (cf carte ROE) et injectent généralement sur le réseau basse tension. Les coûts de transport de l’électricité peuvent être réduits par ce foisonnement.
Taux de retour énergétique (EROEI) : le meilleur score de toutes les énergies
Le taux de retour énergétique, appelé EROEI (energy return on energy invested) se calcule par la quantité d’énergie que l’on produit sur le cycle de vie d’un dispositif divisée par la quantité d’énergie nécessaire à la construction, la maintenance et le démantèlement du dispositif. L’énergie hydraulique représente le meilleur EROEI de toutes les sources d’énergie, charbon inclus, avec un facteur 10 à 20 au-dessus du nucléaire ou des autres ENR (Murphy et Halls 2010).
— Climat et environnement —
Avec 4 g eqCO2 par kWh produit, l’énergie hydraulique représente le meilleur bilan de toutes les énergies productrices d’électricité (GIEC IPCC, SRREN Report 2012). Ce chiffre est encore meilleur dans le cas des moulins, car le génie civil (seuils, biefs, chambre d’eau) est déjà présent, donc ce poste carbone intensif est très limité par rapport à la grande hydraulique construite de novo. L’équipement des moulins devrait donc être une priorité dans la stratégie de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et prévention du réchauffement climatique. D’autant que ce réchauffement représente la menace de premier ordre sur l’évolution à long terme des milieux aquatiques continentaux.
Usage des matières premières : un impact très faible
Il a été montré que l’énergie hydraulique est la moins consommatrice de matières premières et en particulier de métaux par kWh produit (Kleijn et al 2011 et Van Der Voet et al 2013).
Impact sur la rivière : un effet modeste que l’on peut corriger
Les barrages de moulins, que l’on appelle seuils ou chaussées, ont généralement une hauteur de moins de 2 m. Ils modifient localement la morphologie de la rivière, mais leur impact sur la qualité de l’eau et des milieux aquatiques reste très modeste. Les travaux scientifiques récents (Wang et al 2011, Dahm et al 2013, Van Looy et al 2014, Villeneuve et al 2015) convergent pour observer ce faible impact des barrages (de la morphologie en général) sur les indicateurs biologiques de qualité des eaux à échelle des tronçons ou des bassins versants. Les premiers facteurs de dégradation sont la pollution chimique et les changements d'usage des sols (urbanisation, agriculture ou sylviculture intensive, altérations des berges), facteurs qui se sont nettement aggravés à partir du milieu du XXe siècle (Steffen et al 2015). Grâce au progrès des connaissances, technologies et bonnes pratiques, il est aujourd’hui possible de réduire l’impact piscicole et sédimentaire des prises d’eau de moulin (Courret et Larinier, Onema 2008). Le choix actuel de détruire le maximum de seuils de moulins en rivière paraît donc une option profondément contestable au plan écologique et énergétique.
— Economie et société —
Equiper les moulins ne permet pas seulement de produire une énergie propre, non carbonée et locale, c’est aussi un investissement dans plusieurs filières d’emplois non délocalisables : bureaux d’études, installateurs-réparateurs, turbiniers, producteurs en vantellerie (vannes, organes mobiles) et automatisme, génie civil, etc. Sur la base d’un investissement de 4000 € / kW installé (compte non tenu des dispositifs écologiques de franchissement), l’équipement de 1500 moulins français par an pourrait représenter un milliard d’euros d'investissement productif d’ici 2030. Cet investissement bénéficie notamment aux territoires ruraux où les moulins sont les plus nombreux.
Poids sur la CSPE : la facture des Français soulagée
L’hydro-électricité fluviale est une technologie mature, qui possède un excellent rendement. Il en résulte que le tarif de rachat est moindre que celui d’autres sources d’énergie émergentes et moins maîtrisées. Dans la phase initiale de la transition énergétique, ce sont les sources les moins coûteuses qui devraient être équipées en premier, afin de ne pas alourdir les coûts publics supportés par les Français à travers leur facture d’électricité. Dans son rapport sur l’évaluation des politiques publiques en matière d’énergie renouvelable, la Cour des Comptes a reconnu cette qualité : «S’agissant de la filière hydraulique, qui est mature et dispose encore d’un potentiel important, cependant limité par les mesures de protection des cours d’eau portées notamment par la LEMA, l’État doit arbitrer entre l’exploitation à des fins énergétiques d’une énergie connue, maîtrisée, non polluante et nécessaire à la réalisation de ses objectifs de politique énergétique et le maintien d’un niveau élevé de protection de la faune et de la flore» (Cour des Comptes 2013)
Les moulins et l’opinion : une forte acceptabilité sociale
Contrairement à d’autres sources d’énergie renouvelable, les moulins à eau jouissent d’une forte popularité auprès des élus locaux et des riverains. Leurs retenues sont déjà intégrées dans les paysages de vallée depuis des siècles. Ils appartiennent à l’imaginaire national et font salles combles lors des visites des journées du patrimoine comme des journées des moulins. La reprise de leur activité énergétique ne représente aucune nuisance particulière pour le voisinage, car ils fonctionnent au fil de l’eau (et non en éclusée comme les grands barrages). Plusieurs centaines d’associations rassemblent déjà les passionnés dans tous les départements français.
— Un choix politique à l’heure de la transition énergétique —
La mise en œuvre du potentiel de la petite hydro-électricité passe par plusieurs avancées législatives et réglementaires, en particulier :
- le moratoire immédiat sur les effacements de seuils et barrages au motif de continuité écologique (qui détruisent nos capacités de production au lieu de les équiper),
- l’aide publique (Agence de l’eau, Régions) aux aménagements écologiques de franchissabilité et d’ichtyocompatibilité,
- la simplification des contrats de raccordement et injection (autoconsommation avec injection du surplus en compteur double sens, procédure simplifiée pour les moins de 36 kVA, procédure ultrasimplifiée pour les moins de 10 kVA),
- la mise en place d’un guichet unique dans chaque département (et non pas de multiples interlocuteurs administratifs DDT, Onema, Dreal, Ademe, etc.),
- le développement du financement participatif,
- l’intégration systématique dans les Plans climat-énergie territoriaux (PCET), les Schémas régionaux climat air énergie (SRCAE) et le maillage des territoires à énergie positive pour la croissance verte,
- le maintien des tarifs d’achat EDF-OA en 2016, avec prime aux petites puissances.
Illustrations : 1. ROE, Onema 2014, carte indiquant les seuils et barrages connus à date ; 2. exemples de montages en petite hydro (© DBH) ; 3. moulin sur le Serein à Guillon. De hauteur modeste, noyés en hautes eaux, les seuils de moulin ont un impact très faible sur la qualité piscicole et sédimentaire des cours d’eau. La dégradation récente des rivières françaises n'est pas liée à leur existence pluriséculaire ; 4. montage Turbiwatt, fabricant français spécialisé en turbines pour moulins.