19/07/2015

Sécheresses et conditions climatiques extrêmes: les risques sont-ils correctement pris en compte dans la gestion des rivières?

Le récent désastre écologique de Vanvey pose une question de fond : face à des conditions climatiques appelées à changer, notamment la fréquence, l'intensité ou la durée des phénomène extrêmes comme les sécheresses, les politiques publiques de l'eau ont-elles pris tous les risques en considération? Cette question se pose en particulier pour l'avenir des seuils, digues et barrages, puisque l'Etat français et les Agences de l'eau soutiennent activement une politique de destruction systématique de ces ouvrages, donc de changement massif et planifié des conditions hydrologiques des bassins versants.

Même avant l'enjeu contemporain du réchauffement climatique, la question se posait. Nous avions à titre d'exemple publié l'étonnant rapport de l'ingénieur Louis Suquet, qui proposait de pallier les fréquentes pertes estivales de la Seine amont par un réseau hydraulique fondé sur les biefs et canaux. Et aujourd'hui, cette question ne se pose pas qu'en France. La Californie subit depuis quelques années une sécheresse important, l'année 2014 ayant été la moins arrosée en 165 ans de relevés instrumentaux et l'année 2015 ayant vu d'importantes restrictions. Certains remettent en question la politique d'effacement des barrages (ou d'interdiction de leur construction), qui a démarré plus tôt aux Etats-Unis qu'en Europe, du fait du Clean Water Act (1972) et de l'Endangered Species Act (1973).

Sur ce sujet, Sarah E Null et ses collègues ont publié en 2014 une intéressante étude montrant que l'évaluation des aménagements hydrauliques doit faire l'objet d'une analyse d'optimisation approfondie, avec plus de sélectivité dans les choix d'aménagement. L'étude, concernant la Central Valley californienne, souligne que la capacité des grands barrages a certes un effet positif sur les usages, mais reste faible par rapport aux pénuries d'eau attendues du fait du changement climatique. Ce n'est donc pas une solution miracle, mais un élément parmi d'autres d'une gestion nettement plus attentive de la ressource.

L'intérêt du travail de Null et al 2014 – qui n'est pas extrapolable dans ses conclusions à d'autres conditions hydrologiques, climatiques et géologiques que celles de la Californie centrale – est surtout de montrer que seule une analyse par bassin hydrographique permet de prendre en considération les scénarios d'évolution hydroclimatique et économique, donc de faire les choix les plus avisés. Il est aussi de rappeler que tous les usages de l'eau présents et à venir doivent être intégrés dès lors que l'on prétend faire des analyses coût-bénéfice.

Or, c'est là que le bât blesse en Europe, et singulièrement en France. La place des retenues d'eau de toute dimension (des seuils aux barrages) n'a été généralement analysée qu'à travers le prisme de la continuité écologique, sur la base d'une connaissance scientifique encore en construction. Le classement des rivières de 2012-2013 (impliquant l'aménagement ou l'effacement des ouvrages) a été aussi massif que précipité, alors que l'on ne disposait absolument pas du premier retour d'expérience sur les 1200 ouvrages classés prioritaires dans le Plan d'action et de restauration de la continuité écologique de 2009 (PARCE). Si chaque opération d'aménagement fait théoriquement l'objet d'une analyse d'impact, il n'existe pas à ce jour de modélisation à échelle des bassins versants. Chaque décision est prise sur un site, au mieux au tronçon, sans étude de la dynamique à plus grande échelle. Et bien sûr, comme il n'y a pas de modélisation hydrologique, il y a encore moins de couplage avec des modélisations biologiques, climatiques, énergétiques ou économiques.

Les politiques françaises de l'eau doivent impérativement faire un bond qualitatif en terme de rigueur scientifique, s'ouvrir à la prospective à long terme et, dans le cas particulier de la continuité écologique, sortir de l'état d'urgence factice imposant des décisions bien trop hâtives.

Référence : Null SE et al (2014), Optimizing the dammed: Water supply losses and fish habitat gains from dam removal in California, Journal of Environmental Management, 136, 121-131

A lire également : OCE (2013), La continuité écologique au risque des crues, inondations et étiages. Pour une évaluation systématique du risque lié à la modification des obstacles à l'écoulement (seuils, barrages, digues...)

Illustration : rivière asséchée en California, NOAA.

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13/07/2015

A Vanvey, les dogmes de la continuité tuent la faune des biefs et retenues

Nous avions visité Vanvey au printemps dernier. Le maire de la Commune et les propriétaires des ouvrages du bief qui la traverse de part en part nous avaient expliqué le système hydraulique local. La rivière Ource, ici en terre calcaire, subit des pertes karstiques et disparaît parfois au coeur de l'été. Le bief, imperméabilisé sur le fond lors de sa conception voici plusieurs siècles, maintient en revanche une ligne d'eau même en été sec.

Mais voilà, au nom des idées toutes faites récemment vulgarisées par les idéologues de la continuité écologique, tout ouvrage hydraulique est suspect : il ne peut que détériorer le vivant. En cas de sécheresse sévère, comme en ce moment, ordre est donc donner d'ouvrir les vannes : la fonction de réserve d'eau que permettent les retenues des seuils et petits barrages disparaît.

Résultat de cette politique à Vanvey : des brochets, des lamproies, des truites qui meurent en masse dans le bief asséché par décision préfectorale. Voilà un malheureux témoignage a contrario de la réelle fonction de protection de la faune à l'étiage assurée par les ouvrages hydrauliques. Les anciens le savent, le bon sens l'indique, mais comme cette réalité ne convient pas aux doctrinaires de l'effacement des barrages, ils passent outre les mises en garde et appliquent aveuglément le nouveau catéchisme d'écoulement préférentiel de l'eau dans le seul lit mineur.

A tous ceux qui auraient du mal à imaginer l'avenir des rivières sans leurs seuils et barrages, le sort du bief de Vanvey donne une petite idée de l'hydrologie de nos cours d'eau si les apprentis sorciers de la continuité écologique persistent dans leur funeste programme de destruction systématique du patrimoine hydraulique.

Image : site de France 3 Bourgogne

Nota : la sécheresse que traverse le pays est l'occasion d'observer le comportement des systèmes hydrauliques. N'hésitez pas à nous envoyer des témoignages photographiques de rivières avec et sans ouvrage.

Edition 16 juillet : ci-dessous, banderole au bief de Vanvey. Cela fait 4 ans que nous déplorons l'absence de concertation DDT-ONEMA 21 sur les ouvrages hydrauliques. Nous avions amené en Préfecture de Dijon une pétition de 1700 signatures, on nous avait promis une réponse à l'ensemble de nos questions et une table ronde, mais rien n'est jamais venu.

11/07/2015

Doit-on détruire des ouvrages hydrauliques pour le chabot? Chroniques de l'extrémisme ordinaire en gestion des rivières

La question peut paraître curieuse, mais elle mérite d'être posée. Un citoyen inquiet nous a alerté sur le programme de destruction de deux ouvrages hydrauliques de Tonnerre, porté par le Sirtava et financé par l'argent public. Dans le projet d'assistance à maîtrise d'oeuvre publié en juin 2015 par le bureau d'études SEGI, nous lisons que l'espèce piscicole "repère " retenue pour le niveau d'ambition des aménagements est le chabot.


Le chabot, espèce sédentaire, piètre nageur et sauteur
Retenir ainsi le chabot comme espèce repère de la continuité longitudinale nous surprend à plus d'un titre. Voici quelques raisons (pour des revues générales, voir OFEPP 2004, Tomlinson et Perrow 2003) :

- le chabot (Cottus gobio) est considéré comme espèce d'eaux vives caractéristique des zones à truites (zonation de Huet), ce qui n'est pas le cas de l'Armançon aval où l'on doit plutôt être dans la zone à barbeau ;

- le chabot vit de façon sédentaire en habitat benthique (sur le fond), il n'a pas de capacité morphologique importante de nage ni de saut, en aucun cas il ne peut être assimilé à un migrateur présentant des besoins vitaux en montaison dans son cycle de vie ;

- de simples débris de bois en zones forestières (Langford et Hawkins 1997) ou des obstacles de 18-20 cm (Utzinger et al 1998) suffisent à dissuader sa circulation et changer la fréquence relative de ses populations, sans que la densité totale d'individus sur l'ensemble du linéaire des rivières aménagées paraisse notablement affectée ;

- le chabot a de fortes capacités d'adaptation et n'est pas limité aux eaux vives, il a été documenté dans des eaux stagnantes (lac) et jusqu'à 50 m de profondeur, il supporte des températures de l'eau élevées (plus de 20-24°C pendant 2 mois, voire jusqu'à 27°C), la présence d'un bief ne représente donc pas une dégradation grave de son habitat (et laisse de toute façon d'autres zones à écoulement plus naturel dans la rivière) ;

- le chabot commun n'est pas sur la liste rouge des espèces menacées en France, sa répartition est relativement ubiquiste sur le territoire et si les petits seuils des moulins devaient le faire disparaître, cela aurait été le cas depuis bien longtemps ;

- l'Armançon en particulier a un peuplement piscicole stable depuis un siècle, et certaines chercheurs pensent que c'est le cas depuis plusieurs siècles d'aménagements pour le flottage, la navigation et l'énergie (voir Beslagic et al 2013) ;

- dans le cas particulier de Tonnerre, le seuil amont de la Cascade ne sera pas effacé, donc le gain de linéaire sans obstacle est modeste et sans enjeu réel (sauf à considérer que quelques centaines de mètres sans retenue d'eau représentent un triomphe écologique décisif pour la rivière, ce qu'il convient de démontrer par des preuves) ;

- le véritable et seul enjeu migrateur de l'Armançon est l'anguille, mais comme sa colonisation des têtes de bassin n'a jamais été historiquement entravée par des seuils modestes (1,10 et 1,50 m de hauteur de chute à Tonnerre), on préfère parler du chabot qui satisfait le besoin apparemment compulsif de détruire tout obstacle de plus de 20 cm.

L'extrémisme ordinaire: quand des décisions radicales et antidémocratiques deviennent routine
La destruction d'un ouvrage hydraulique est un acte grave, qui altère le patrimoine historique, réduit à néant le potentiel énergétique, efface le droit d'eau, change le paysage, remobilise des sédiments, modifie les écoulements et les risques associés, coûte de l'argent public (financement à 95%). En aucun cas cette destruction ne devrait être envisagée pour des motifs futiles ou mineurs. Et, systématiquement, cette destruction devrait être associée à des objectifs clairs de résultats, avec un suivi scientifiquement validé permettant de garantir aux citoyens que des enjeux environnementaux importants ont bel et bien été satisfaits.

Mais cela ne se passe pas ainsi. Nous vivons dans le règne antidémocratique de l'extrémisme ordinaire : quelques décideurs (services techniques et administratifs des syndicats, des Agences de l'eau, des DDT et Onema, de la Direction de l'eau au Ministère) et quelques lobbies aussi minoritaires que subventionnés défendent une idéologie irréaliste et radicale de la rivière "renaturée", assomment le citoyen d'études complexes aux résultats généralement creux dès qu'on sait les lire, engagent des dépenses d'argent public pour satisfaire des fantasmes de pseudo-naturalité des écoulements n'ayant rien à voir avec les besoins prioritaires pour la qualité chimique et écologique des rivières françaises.

Il est anormal que les ouvrages hydrauliques de Bourgogne et de France soient ainsi victimes d'une idéologie radicale, punitive et destructive, sans base scientifique consensuelle, sans engagement de  responsabilité sur des résultats tangibles. Alors que la plupart des pressions sur les rivières jouissent d'une large mansuétude de la part de l'autorité publique, le cas particulier de la morphologie exacerbe une approche extrémiste et décalée de la conservation pour la conservation, sans aucune réflexion de contexte. Ainsi, "on se lâche" sur la continuité longitudinale en prétendant casser le maximum d'ouvrages pour "naturaliser" le cours d'eau à la pelleteuse, tout en admettant par ailleurs que les bassins versants resteront artificialisés, que les pollutions chimiques (plus de 450 substances) seront mal mesurées et ne reculeront que très lentement, que le réchauffement climatique changera les biotopes d'ici quelques décennies, que les peuplements piscicoles ont de toute façon évolué localement depuis des siècles, etc. Tout cela n'a aucun sens. Nous n'avons pas des milliards d'euros à dépenser pour satisfaire quelques apprentis sorciers des technocraties et quelques lobbies des comités de bassin : la gabegie et la folie des destructions d'ouvrages doivent cesser.

Références citées
Beslagic S et al (2013), Évolution à long terme des peuplements piscicoles sur le bassin de la Seine, PIREN-Seine, phase 6, rapport
Langford TE, Hawkins J (1997), The distribution and abundance of three fish species in relation to timber debris and mesohabitats in a lowland forest stream during autumn and winter, Limnetica, 13, 2, 93-102
Office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage (OFEFP) (2004), Biologie, menaces et protection du chabot (Cottus gobio) en Suisse, Informations concernant la pêche, 77
Tomlinson ML, Perrow MR (2003), Ecology of the Bullhead Cottus gobio, Conserving Natura 2000 Rivers Ecology Series, 4
Utzinger J et al (1998), Effects of environmental parameters on the distribution of bullhead Cottus gobio with particular consideration of the effects of obstructions, Journal of Applied Ecology, 35, 6, 882–892

Illustration : © Hans Hillewaert, Wikimedia Commons

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