L'arrêté énonce : "Pour l'application du présent article aux ouvrages et installations fondés, la puissance autorisée, correspondant à la consistance légale, est établie en kW de la manière suivante:
- sur la base d'éléments : états statistiques, tout élément relatif à la capacité de production passée, au nombre de meules, données disponibles sur des installations comparables, etc. ;
- à défaut, par la formule P (kW) = Qmax (m3/s) × Hmax (m) × 9,81 établie sur la base des caractéristiques de l'ouvrage avant toute modification récente connue de l'administration concernant le débit dérivé, la hauteur de chute, la cote légale, etc."
On constate donc que les rédacteurs de la Direction de l'eau au Ministère de l'Ecologie ont privilégié pour l'estimation de la puissance le recours à des archives anciennes ("à défaut" seulement par la formule physique de la puissance). Or, cette solution est à l'origine de nombreux désaccords sur le terrain (qui sont régulièrement débattus sur le Forum de la petite hydroélectricité), pour des raisons assez évidentes.
La référence aux équipements passés produit de la confusion inutile
D'abord, il n'y a aucun intérêt à se référer à des équipements anciens de type roue ou meule pour estimer la puissance hydraulique réelle d'un site. Ces données historiques nous indiquent non pas l'énergie présente dans une masse d'eau en mouvement, mais simplement ce qu'était la capacité des technologies au XIXe siècle, voire plus tôt. Ces technologies étaient adaptées aux connaissances de l'époque et à des usages hydromécaniques qui ne correspondent (généralement) plus à l'exploitation moderne de l'énergie en vue de produire de l'électricité. Estimer ainsi la puissance d'un site à partir d'une strate technique passée et figée, cela n'a pas de sens.
Ensuite, les états statistiques sont sujets à caution. Nous avons par exemple observé par contrôles sur sites que la taxe de statistique de Côte d'or de 1921 sous-estime presque systématiquement les débits dérivés au droit des moulins (la valeur de chute étant plus souvent correcte). Une raison probable en est que ces relevés statistiques avaient des incidences fiscales et que l'exploitant avait plutôt intérêt à signifier des débits minimaux aux agents des ponts et chaussées. Ces derniers étaient d'autant plus tolérants que le revenu fiscal né de la loi de 1919 était très faible pour les petites puissances hydrauliques (au point que rapidement les relevés ont cessé car le coût était supérieur au gain). Une autre raison de la mésestimation est que le moulin pouvait être sous-équipé par rapport à la puissance réelle par défaut d'intérêt économique, le débit non exploité passant en surverse du seuil.
Enfin, pour les fonctionnaires comme pour les propriétaires, l'obligation de chercher des données anciennes est beaucoup plus complexe et controversée que le calcul de la puissance maximale brute selon la formule donnée dans le second alinéa de l'arrêté cité plus haut. La hauteur entre la prise et la restitution d'eau se mesure par un simple nivellement. Le débit s'obtient en multipliant la section mouillée du canal par la vitesse du fluide. Il n'y a pas matière à argutie, ces mesures sont reproductibles et vérifiables. Au demeurant, et fort heureusement, nous constatons sur le terrain que les DDT de l'Yonne et de la Côte d'Or tendent à favoriser ce calcul, qui est aussi celui indiqué dans le Guide de police des droits d'eau fondés en titre.
Depuis 1866, le Conseil d'Etat passe outre la référence à l'équipement
Un autre argument contre le choix de rédaction de l'arrêté du 11 septembre 2015 se déduit de la jurisprudence, en l'occurrence de la jurisprudence ancienne et constante du Conseil d'Etat.
Dans l'arrêt Ullrich du 26 juillet 1866, les magistrats décident qu'"aucune disposition législative ou règlementaire n'oblige les usiniers à se pourvoir d'une autorisation pour modifier les ouvrages régulateurs d'une retenue tant que rien n'a été changé au régime des eaux et que, sans accroître la force motrice dont ils peuvent disposer, les usiniers ne font que mieux l'utiliser au moyen d'additions et de perfectionnements apportés aux vannes motrices, aux coursiers et aux roues hydrauliques".
A l'époque de cet arrêt, nous sommes dans la période qui voit le remplacement des roues par les premières turbines. Le Conseil d'Etat décide de s'en tenir seulement à deux éléments : la consistance du bief (canal d'amenée) et la hauteur de la chute. Le Conseil estime donc qu'il est inutile de prendre en compte les évolutions de l'équipement facilitant la reconversion d'anciens moulins en établissement industriels, et plus tard en usines hydroélectriques. En choisissant de se référer à des statistiques anciennes ou des équipements passés, l'arrêté du 11 septembre 2015 fait donc preuve d'un remarquable archaïsme et tente de nous ramener 150 ans en arrière.
Pour la petite histoire, certains hauts fonctionnaires bien connus de la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie claironnent à qui veut les entendre que les droits d'eau seraient des "archaïsmes" à faire disparaître. On observe que ces mêmes personnes n'hésitent pas, en toute mauvaise foi, à recourir à des références "archaïques" quand il s'agit de faire progresser ce qui ressemble davantage à un programme idéologique personnel de destruction des barrages qu'à un quelconque intérêt général au service des rivières.
Conclusion: arbitraire, doctrinaire et inefficace
Pour les non-experts et les non-passionnés, tout cela peut sembler de l'ordre du détail. Mais le diable niche dans les détails, comme chacun sait. Et si nous focalisons dans ce texte sur l'estimation de la puissance, c'est chaque dimension ou presque de l'arrêté du 11 septembre 2015 qui pourrait être matière à débat sur son bien-fondé. En l'espèce, la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie ne saurait ignorer les points relevés dans cet article, d'autant que des syndicats de producteurs les lui ont rappelés dans la phase de discussion préalable à la rédaction de cet arrêté. En toute conscience, elle a donc choisi une rédaction de nature à favoriser l'opacité et la complexité, donc à aggraver la tension entre ses agents instructeurs et les porteurs de projet hydro-électrique, alors qu'il était plus simple et plus exact de donner une formule physique déjà présente dans certains documents de l'Etat. Une telle attitude ne peut être interprétée que comme une intention manifeste et puérile de nuire. La Direction de l'eau n'est pas capable d'assurer les obligations françaises de qualité de l'eau. Elle n'est pas capable non plus d'une vision équilibrée et durable de la rivière formant le clef de voûte de la gestion de l'eau souhaitée par le législateur. Engagée depuis dix ans dans une croisade irrationnelle contre l'existence des ouvrages en rivière, cette Direction de l'eau confond la satisfaction de quelques lobbies minoritaires avec les obligations de mesure, de prudence, d'impartialité et de proportionnalité nécessaires pour garantir le bien commun.
Illustrations : les roues Fontaine in Armengaud Ancien, Traité théorique et pratique des moteurs hydrauliques, 1858.