02/10/2015

Rivières: l'administration trahit la loi de Grenelle et la LEMA 2006, nos députés et sénateurs doivent réagir!

Les représentants des citoyens français ont volontairement supprimé l'hypothèse d'effacement des seuils et barrages dans le cadre de la trame bleue, lors de l'élaboration de la loi Grenelle 1 de 2009, de même qu'ils ne l'ont pas mentionnée dans la LEMA 2006. Or, la Direction de l'eau du Ministère de l'Ecologie et ses représentants en Agences de l'eau passent outre ce choix de prudence, exercent des pressions constantes en vue de détruire les ouvrages, refusent de financer de manière réaliste les dispositifs de franchissement et tentent aujourd'hui d'imposer l'effacement des seuils et barrages comme solution prioritaire de certains SDAGE 2016-2021. Nous appelons les députés et sénateurs, comme l'ensemble des élus, à faire cesser immédiatement cette dérive antidémocratique qui soulève une vague croissante d'indignation au bord des rivières.

M. Gérard Aubéry, président de l'Association des amis des moulins de l'Indre, nous a rappelé les éléments d'élaboration de la loi de Grenelle 1, en 2009. L'article 26 de cette loi (devenu article 29) a été débattu par la commission paritaire mixte entre l'Assemblée nationale  et le Sénat. Très clairement, et comme le montre cet extrait (cliquer pour agrandir), le débat portait sur la question de la mention de "l'effacement" des ouvrages.

La version finalement retenue de la loi parle de l'aménagement des ouvrages, et préfère exclure cette notion d'effacement. Elle réserve par ailleurs cet aménagement aux seuls cas les plus problématiques, et demande une "mise à l'étude" :
La trame bleue permettra de préserver et de remettre en bon état les continuités écologiques des milieux nécessaires à la réalisation de l'objectif d'atteindre ou de conserver, d'ici à 2015, le bon état écologique ou le bon potentiel pour les masses d'eau superficielles ; en particulier, l'aménagement des obstacles les plus problématiques pour la migration des poissons sera mis à l'étude. Cette étude, basée sur des données scientifiques, sera menée en concertation avec les acteurs concernés.
Ce choix est conforme à l'article L-214-17 du Code de l'environnement qui, dans le domaine de la continuité écologique, ne mentionne nullement les mots arasement ni dérasement. Ce sont les notions positives de gestion, entretien et équipement qui sont mises en avant pour les ouvrages situées en rivière classée au titre de la liste 2 (obligation d'aménagement à 5 ans) :
Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant.
Par ailleurs, dans le texte du Grenelle 1 de 2009, députés et sénateurs ont fortement souhaité le développement de l'énergie hydraulique. L'article 19 est explicite :
La production d'électricité d'origine hydraulique dans le respect de la qualité biologique des cours d'eau fait partie intégrante des énergies renouvelables à soutenir.
Bien loin de détruire les ouvrages, la loi de Grenelle appelle donc à leur équipement énergétique, et écologique quand c'est nécessaire. Ce qui est au demeurant la position soutenue par notre association.

L'effacement des ouvrages tente de s'imposer par les voies opaques des SDAGE
La Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie a trahi ces orientations en imposant, à travers les représentants de l'administration au sein des Agences de bassin, une prime à l'effacement dans les textes d'orientation et programmation (SDAGE) de plusieurs Agences de l'eau. Rappelons à ce sujet que la soi-disant autonomie entre le Ministère et les Agences est une légende permettant au premier de se défausser sur d'autres de certaines de ses orientations, mais une légende qui a été parfaitement dénoncée par le Conseil d'Etat dans le rapport L'eau et son droit (pp. 86-87) :
"L’article 83 de la loi du 30 décembre 2006 a également encadré l’action des agences de l’eau (…) les agences sont quasiment devenues à cette occasion, malgré leur autonomie financière et la représentation minoritaire de l’État au sein de leur conseil, un outil aux mains de l’État, qui les utilise pour appliquer sa politique de l’eau et pour financer les actions qu’il décide."
Il convient également de rappeler que les Comités de bassins des Agences de l'eau n'ont qu'une représentation très appauvrie, et qu'en particulier les principaux concernés par la continuité écologique (association de moulins, de riverains, de protection du patrimoine, etc.) ne figurent pas dans le collège censé donner sa voix à la société civile. Le fonctionnement opaque et complexe des Agences de l'eau ne saurait en aucun cas produire une légitimité démocratique telle qu'il puisse prétendre contredire les engagements du législateur.

Or, les Agences de bassin font ouvertement fi de la mesure et de la prudence souhaitées par ce législateur. Ainsi, le projet de SDAGE 2016-2021 du bassin Loire-Bretagne pose à propos des obstacles à la continuité écologique :
La solution d’effacement total des ouvrages transversaux est, dans la plupart des cas, la plus efficace et la plus durable car elle garantit la transparence migratoire pour toutes les espèces, la pérennité des résultats, ainsi que la récupération d’habitats fonctionnels et d’écoulements libres ; elle doit donc être privilégiée. Cependant, d’autres méthodes peuvent être envisagées (ouverture des vannages, aménagement de dispositifs de franchissement adaptés). Sans préjudice des concessions existantes, les objectifs de résultats en matière de transparence migratoire à long terme conduisent à retenir l’ordre de priorité suivant :1. effacement. Pour les ouvrages transversaux abandonnés ou sans usages avérés cette solution sera privilégiée ;2. arasement partiel et aménagement d’ouvertures (échancrures...), petits seuils de substitution franchissables par conception
Au mépris des choix privilégiés dans les textes de loi, l'Agence de l'eau Loire-Bretagne exerce ainsi une pression financière pour ne subventionner que les solutions d'effacement et d'arasement partiel, non prévues dans la loi de Grenelle de 2009 ni dans la loi sur les milieux aquatiques de 2006. Cette orientation a pour effet de pousser les propriétaires d'ouvrages vers la pseudo-solution contrainte de la destruction de leur bien, vu le coût exorbitant des travaux en rivière pour les dispositifs de franchissement. Elle est à l'origine de la plupart des contentieux de mise en oeuvre de la continuité écologique, alors qu'un financement public intégral de dispositifs de franchissement résoudrait la plupart des problèmes (voir ici le coût).

On retrouve exactement le même choix d'effacement dans le projet de SDAGE 2016-2021 du bassin de Seine-Normandie, qui spécifie :
L’effet résiduel cumulé des obstacles même équipés de dispositifs de franchissement conduit à privilégier des solutions d’effacement par rapport aux solutions d’équipement. Il convient de réduire le taux d’étagement afin de maximiser les fonctionnalités écologiques des cours d’eau classés en liste 2.

Conclusion : appel à moratoire et commission d'enquête
Les élus doivent être informés de la dérive de l'administration, qui poursuit un programme idéologique et irrationnel de destruction du patrimoine hydraulique français en même temps qu'elle est incapable d'obtenir des résultats convaincants pour l'application des directives européennes sur l'eau et les milieux aquatiques.

Nous appelons ces élus non seulement à s'engager en faveur d'un moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique, afin de retrouver l'apaisement nécessaire à la concertation, mais également à engager une commission d'enquête sur les dysfonctionnements graves de la politique de l'eau, qui a fait l'objet d'une impressionnante succession de rapports dénonçant des pratiques inefficaces voire douteuses, ainsi que de condamnations par l'Union européenne : rapports Cour des comptes 2013 sur l'Onema et 2015 sur les Agences de l'eau, rapport CGEDD 2012 sur l'absence de concertation dans la mise en oeuvre de la continuité écologique, rapports Lesage et Levrault sur les carences de résultats, rapport 2015 de la Commission européenne sur les carences du rapportage DCE 2000 et les retards sur les pollutions, condamnations à répétition depuis 2001 par la CJUE pour non application des directives nitrates et eaux usées.

Par les effets cumulés de sa complexité, de sa partialité, de son opacité et de son inefficacité, la politique publique de l'eau traverse une crise grave de légitimité. Sa transformation n'est plus une option, mais une nécessité.

Illustration : destruction de l'ouvrage Floriet sur la Seine en 2015, alors que les relevés de l'Onema indiquaient un Indice Poissons Rivières de bonne qualité écologique selon les termes de la DCE 2000. La destruction des ouvrages est aujourd'hui le choix privilégié par les autorités et gestionnaires de l'eau, à l'encontre des volontés du législateur comme de la majorité des riverains. L'argent public dépensé inutilement pour cette cosmétique de l'action pseudo-écologique ne l'est pas pour la lutte contre les pollutions de l'eau, où la France accuse un grave retard.

Assèchement du bief de Thoires: témoignage d'un riverain

Nous vous avons entretenu cet été à propos du désastre écologique de Vanvey (voir ici), où le choix d'accorder brutalement le primat au débit de la rivière malgré l'extrême sécheresse s'est traduit par une forte mortalité piscicole, y compris des espèces d'intérêt pour le classement des cours d'eau. Un lecteur nous révèle que des événements exactement similaires ont eu lieu à Thoires, là encore sur l'Ource. Nous publions son témoignage et ses photographies (cliquer pour agrandir).



"Le 20 août dernier, le vannage situé à l'entrée du village de Thoires, au droit du pont, a été levé dans le but de faire passer la totalité du débit de l'Ource dans le cours principal, le seuil de débit  minimal permettant la survie de la faune et de la flore ayant été soi-disant atteint. Nous n'avons aucune information concernant le mode de calcul de ce débit minimum ni à quel endroit il est calculé.

Résultat, le bief du moulin du bas a été asséché sur environ 400 m à l'amont et 500 m à l'aval, entraînant la mort de nombreuses truites, brochets, carpes et autres vairons et poissons blancs (cette partie de cours d'eau constituant la réserve de pêche de l'association locale), asséchant aussi une très belle frayère à truite.

Le niveau de l'eau ayant considérablement baissé (environ 80 cm) à l'amont dudit vannage, la chute d'eau est très réduite et l'oxygénation ne se fait plus. Dans ce tronçon, sur plusieurs centaines de mètres, la profondeur d'eau y est telle que des carpes circulent la nageoire dorsale à l'air libre. Depuis cette date, plusieurs hérons y ont élu domicile et y font un véritable festin. On n'entend d'ailleurs plus le chant du sonneur à ventre jaune.

N'aurait-il pas été préférable de continuer à fonctionner comme avant pour afin d'éviter cette catastropohe écologique?"

Notre commentaire
Saisie par plusieurs riverains de l'Ource à Vanvey, la DDT 21 a affirmé qu'aucune erreur n'avait été commise et considéré que le débit minimum biologique n'était pas concerné par une situation atypique justifiant dérogation. Quand un propriétaire de moulin, un agriculteur, un industriel provoque une mortalité piscicole, il est dénoncé et fait l'objet d'une enquête, voire d'une condamnation. Quand il s'agit d'une manoeuvre de vanne exigée par l'administration et exécutée par un syndicat de rivière, on trouve tout à fait normal de laisser crever la faune au soleil. Ce manque élémentaire de justice décrédibilise considérablement l'action publique auprès des riverains.

01/10/2015

Restauration morphologique de rivières: des résultats positifs en moyenne mais inégaux, peu prédictibles et pas toujours durables

Les opérations de restauration morphologique ont en moyenne des effets positifs sur l'abondance et la diversité de certains peuplements, mais les résultats sont très inégaux : les végétaux (macrophytes) ont une réponse 3 à 4 fois plus forte que les animaux (poissons, invertébrés) ; environ un tiers des opérations ont des effets négatifs à nuls ; les résultats positifs tendent à décliner dans le temps ; d'autres prédicteurs comme les usages agricoles des sols limitent les bénéfices ; le substrat sédimentaire du lit a un impact conséquent sur la réponse des poissons. Telles sont les principales conclusions d'une nouvelle étude menée par des chercheurs allemands, autrichiens et tchèques. 

Quels sont les effets tangibles des opérations de restauration morphologique de rivières?  Pour répondre à cette question, Jochem Kail et Kathrin Januschke (Université Duisburg-Essen), Karel Brabec (Université Masaryk, Brno) et Michaela Poppe (Université des ressources naturelles et sciences de la vie, Vienne) ont étudié 69 publications scientifiques (91 projets) et 64 bases de données non publiées.

Comme souvent dans ce type de méta-analyse, les opérations en rivière analysées sont de nature très diverse : restauration de débit, continuité latérale ou longitudinale, stabilisation ou aménagement de zones tampons de berge, enrochements et création de radiers, reméandrage, élargissement du lit, création d'annexes hydrauliques, management de la végétation rivulaire. Le cas particulier de la suppression de seuils à fin de restauration de continuité longitudinale n'est pas isolé comme tel dans les statistiques (compte tenu de la modestie de l'échantillon et de la diversité des opérations, le résultat ne serait pas forcément significatif).

Des résultats inégaux : un tiers des opérations à effet négatif à nul, la flore davantage bénéficiaire que la faune
Trois bio-indicateurs sont concernés : les poissons, les macrophytes et les macro-invertébrés. Les paramètres étudiés sont l'abondance / biomasse et la diversité / richesse spécifique. Des données biologiques plus précises n'étaient pas disponibles en quantité suffisante sur le panel des projets analysés, ce qui rappelle le problème récurrent de la qualité du suivi scientifique des opérations en rivière.

On peut trouver les réponses sur les boites à moustaches de la figure ci-dessus (le taux de réponse ∆x est le log du rapport entre les scores moyens avant et après l'intervention). Les auteurs observent: "considérant les trois groupes d'organisme (poissons, macro-invertébrés, macrophytes), l'effet global de la restauration sur les métriques biologiques était positif, bien que le taux de réponse varie considérablement et qu'un tiers des projets ne présente pas de réponse (∆r≤0). Le taux de réponse richesse/diversité et abondance/biomasse était de +0,85 et +0,51 respectivement (…) Cependant, la variabalité était considérablement élevée, avec une fourchette des percentiles 10-90 du taux de réponse de -0.25 à 0,91 (richesse/diversité) et de -0,76 à 1,80 (abondance / biomasse). Bien que la plupart des taux de réponse soient positifs, 35,5% en richesse/diversité et 28,8% en abondance/biomasse sont ≤ 0".

Les résultats montrent également que les compartiments biotiques ne répondent pas de la même manière : le taux moyen de réponse des macrophytes (0.57) est clairement plus élevé que celui des poissons (0.18) et des invertébrés (0.12). La réponse des macrophytes est principalement associée aux mesures d'élargissement de lit ou de réméandrage.

Des résultats pas toujours durables: baisse du gain dans le temps, importance des usages des sols
Les auteurs se sont intéressés aux prédicteurs de la réussite ou de l'échec d'une opération de restauration morphologique. Le seul prédicteur de bassin versant ayant un effet significatif concerne les poissons et les usages agricoles du sol, avec une tendance à dégrader les effets de restauration. Ce résultat est conforme à d'autres travaux sur cet impact.

En terme de caractéristique sédimentaire du tronçon, les effets de la restauration sont plus marqués sur les rivières à gravier, mais la réponse est nulle voire négative sur les rivières à sable et pour les poissons comme pour les invertébrés.
Enfin, comme le montre l'image ci-dessus, l'effet de la restauration est corrélé négativement au temps écoulé pour les macrophytes, c'est-à-dire que plus le temps passe et moins le résultat est tangible. L'âge du projet est, avec l'usage agricole des sols, le meilleur prédicteur. S'ajoute ensuite la largeur de la rivière.

Discussion
Beaucoup de travaux nord-américains et européens ont souligné le caractère très incertain des opérations de restauration morphologique de rivière (voir ici). Le travail de Kail et al 2015, s'il trouve un effet globalement positif, confirme ces résultats antérieurs en montrant la diversité de réponse des différents peuplements, l'existence de résultats négatifs et la tendance à voir les résultats s'effacer dans le temps.

Compte tenu des enjeux économiques et sociaux des travaux en rivières, ainsi que du besoin de légitimité politique dans le portage des projets, nous ne pouvons que souhaiter le rappel de ces incertitudes scientifiques dans la mise en oeuvre actuelle des restaurations des masses d'eau en France et en Europe. Il est très discutable que les gestionnaires aient choisi en France des engagements à grande échelle (comme le classement des rivières) et fort budget alors que la science de la restauration est encore en phase très précoce de ses expérimentations et modélisations. L'existence de résultats négatifs est en particulier alarmante, puisque cela revient dans cette hypothèse à dépenser l'argent public pour dégrader certains bio-indicateurs des rivières.

Référence : Kail J et al. (2015), The effect of river restoration on fish, macroinvertebrates and aquatic macrophytes: A meta-analysis, Ecological Indicators, 58, 311–321

Nous remercions les auteurs de nous avoir fait parvenir copie de leur travail.

30/09/2015

Les retenues de barrage et autres eaux stagnantes ont un effet positif sur l'auto-épuration de l'azote

Dans cet extrait d'un fascicule Piren-Seine (programme de recherche du CNRS) sur le cycle de l'azote, les auteurs observent que les eaux stagnantes comme les retenues des barrages jouent un rôle auto-épurateur plus important que les eaux courantes. Ils proposent même une reconstitution des nombreux étangs présents à l'époque de l'Ancien Régime et observables sur les cartes de Cassini (en conformité avec la proposition de Powers et al 2015). Ce discours est aux antipodes de celui des autorités et gestionnaires affirmant que la destruction des barrages et seuils serait un atout majeur pour l'auto-épuration spontanée des eaux de rivière. 

"Dans le réseau hydrographique lui-même, le processus de dénitrification qui, sauf si la colonne d’eau du cours d’eau est gravement appauvrie en oxygène, a lieu surtout dans les sédiments, est encore susceptible de réduire la teneur en nitrates des eaux. Le fond des cours d’eau, et plus encore celui des milieux stagnants comme les mares, étangs, lacs ou réservoirs agissent comme des ‘pompes’ à nitrate et éliminent par dénitrification jusqu’à 20 mgN/m²/h, comme le montrent les mesures effectuées à l’aide de cloches benthiques (figure 20). Cet effet est surtout important lorsque le temps de séjour des masses d’eau est long et que la profondeur est faible. La présence d’étangs qui allongent le temps de passage des masses d’eau, ou les grands barrages-réservoirs où l’eau séjourne plusieurs mois (Garnier et al., 1999 ; 2000), sont ainsi des lieux de rétention (élimination) des nitrates (figure 21). 




En complément des actions de réduction de la pollution azotée agricole, et parce que celles-ci ne pourront porter leurs effets que dans un futur assez éloigné en raison notamment de l’inertie de la réponse de divers compartiments environnementaux comme les sols et les grands aquifères, diverses mesures peuvent être envisagées qui visent à éliminer ou retenir une fraction de la pollution azotée à l’interface des sols et des aquifères avec les cours d’eau ou dans le réseau hydrographique lui-même. Il s’agit de restaurer ou d’amplifier le pouvoir de rétention des zones humides riveraines des cours d’eau ou des zones stagnantes comme les mares et retenues.

On a vu précédemment (figure 21) que ces systèmes pouvaient éliminer une part significative de la pollution nitrique diffuse. L’élimination des nitrates par la mare artificielle en Brie, collectant les eaux drainées d’une exploitation agricole de 35 ha est exemplative. 

De tels aménagements paysagers, ont fait l’objet d’un scénario où ont été réimplantés des étangs, similaires à ceux qui constellaient le paysage rural de l’Ancien Régime comme en attestent les cartes de Cassini du milieu du XVIIIe siècle. à l’échelle du sous-bassin du Grand Morin, les résultats montrent un abattement en azote de 25 % par rapport à une situation de référence (figure 44). 


Le réalisme d’un tel scénario d’aménagement de « retenues » nécessiterait de prendre en compte d’autres enjeux tels que la biodiversité et la connectivité des paysages. Le boisement des zones humides riveraines, pour en accroître le potentiel de rétention des nitrates, permettrait aussi d’amplifier les processus de rétention naturels tout au long de la cascade de l’azote."

Source de l'extrait : Billen G dir (2011), La cascade de l’azote dans le bassin de la Seine, Piren-Seine, 58 p.

29/09/2015

Estimation de la puissance hydraulique d'un site: exiger la clarté plutôt que la confusion

Nous avons souligné dans notre précédent article le caractère arbitraire et complexe du nouvel arrêté du 11 septembre 2015 sur les ouvrages hydrauliques. Prenons un exemple concret : l'estimation de la puissance hydraulique d'un site, qui est le point de départ de tout projet hydro-électrique.

L'arrêté énonce : "Pour l'application du présent article aux ouvrages et installations fondés, la puissance autorisée, correspondant à la consistance légale, est établie en kW de la manière suivante:
- sur la base d'éléments : états statistiques, tout élément relatif à la capacité de production passée, au nombre de meules, données disponibles sur des installations comparables, etc. ;
- à défaut, par la formule P (kW) = Qmax (m3/s) × Hmax (m) × 9,81 établie sur la base des caractéristiques de l'ouvrage avant toute modification récente connue de l'administration concernant le débit dérivé, la hauteur de chute, la cote légale, etc."

On constate donc que les rédacteurs de la Direction de l'eau au Ministère de l'Ecologie ont privilégié pour l'estimation de la puissance le recours à des archives anciennes ("à défaut" seulement par la formule physique de la puissance). Or, cette solution est à l'origine de nombreux désaccords sur le terrain (qui sont régulièrement débattus sur le Forum de la petite hydroélectricité), pour des raisons assez évidentes.

La référence aux équipements passés produit de la confusion inutile
D'abord, il n'y a aucun intérêt à se référer à des équipements anciens de type roue ou meule pour estimer la puissance hydraulique réelle d'un site. Ces données historiques nous indiquent non pas l'énergie présente dans une masse d'eau en mouvement, mais simplement ce qu'était la capacité des technologies au XIXe siècle, voire plus tôt. Ces technologies étaient adaptées aux connaissances de l'époque et à des usages hydromécaniques qui ne correspondent (généralement) plus à l'exploitation moderne de l'énergie en vue de produire de l'électricité. Estimer ainsi la puissance d'un site à partir d'une strate technique passée et figée, cela n'a pas de sens.

Ensuite, les états statistiques sont sujets à caution. Nous avons par exemple observé par contrôles sur sites que la taxe de statistique de Côte d'or de 1921 sous-estime presque systématiquement les débits dérivés au droit des moulins (la valeur de chute étant plus souvent correcte). Une raison probable en est que ces relevés statistiques avaient des incidences fiscales et que l'exploitant avait plutôt intérêt à signifier des débits minimaux aux agents des ponts et chaussées. Ces derniers étaient d'autant plus tolérants que le revenu fiscal né de la loi de 1919 était très faible pour les petites puissances hydrauliques (au point que rapidement les relevés ont cessé car le coût était supérieur au gain). Une autre raison de la mésestimation est que le moulin pouvait être sous-équipé par rapport à la puissance réelle par défaut d'intérêt économique, le débit non exploité passant en surverse du seuil.

Enfin, pour les fonctionnaires comme pour les propriétaires, l'obligation de chercher des données anciennes est beaucoup plus complexe et controversée que le calcul de la puissance maximale brute selon la formule donnée dans le second alinéa de l'arrêté cité plus haut. La hauteur entre la prise et la restitution d'eau se mesure par un simple nivellement. Le débit s'obtient en multipliant la section mouillée du canal par la vitesse du fluide. Il n'y a pas matière à argutie, ces mesures sont reproductibles et vérifiables. Au demeurant, et fort heureusement, nous constatons sur le terrain que les DDT de l'Yonne et de la Côte d'Or tendent à favoriser ce calcul, qui est aussi celui indiqué dans le Guide de police des droits d'eau fondés en titre.

Depuis 1866, le Conseil d'Etat passe outre la référence à l'équipement
Un autre argument contre le choix de rédaction de l'arrêté du 11 septembre 2015 se déduit de la jurisprudence, en l'occurrence de la jurisprudence ancienne et constante du Conseil d'Etat.

Dans l'arrêt Ullrich du 26 juillet 1866, les magistrats décident qu'"aucune disposition législative ou règlementaire n'oblige les usiniers à se pourvoir d'une autorisation pour modifier les ouvrages régulateurs d'une retenue tant que rien n'a été changé au régime des eaux et que, sans accroître la force motrice dont ils peuvent disposer, les usiniers ne font que mieux l'utiliser au moyen d'additions et de perfectionnements apportés aux vannes motrices, aux coursiers et aux roues hydrauliques".

A l'époque de cet arrêt, nous sommes dans la période qui voit le remplacement des roues par les premières turbines. Le Conseil d'Etat décide de s'en tenir seulement à deux éléments : la consistance du bief (canal d'amenée) et la hauteur de la chute. Le Conseil estime donc qu'il est inutile de prendre en compte les évolutions de l'équipement facilitant la reconversion d'anciens moulins en établissement industriels, et plus tard en usines hydroélectriques. En choisissant de se référer à des statistiques anciennes ou des équipements passés, l'arrêté du 11 septembre 2015 fait donc preuve d'un remarquable archaïsme et tente de nous ramener 150 ans en arrière.

Pour la petite histoire, certains hauts fonctionnaires bien connus de la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie claironnent à qui veut les entendre que les droits d'eau seraient des "archaïsmes" à faire disparaître. On observe que ces mêmes personnes n'hésitent pas, en toute mauvaise foi, à recourir à des références "archaïques" quand il s'agit de faire progresser ce qui ressemble davantage à un programme idéologique personnel de destruction des barrages qu'à un quelconque intérêt général au service des rivières.

Conclusion: arbitraire, doctrinaire et inefficace
Pour les non-experts et les non-passionnés, tout cela peut sembler de l'ordre du détail. Mais le diable niche dans les détails, comme chacun sait. Et si nous focalisons dans ce texte sur l'estimation de la puissance, c'est chaque dimension ou presque de l'arrêté du 11 septembre 2015 qui pourrait être matière à débat sur son bien-fondé. En l'espèce, la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie ne saurait ignorer les points relevés dans cet article, d'autant que des syndicats de producteurs les lui ont rappelés dans la phase de discussion préalable à la rédaction de cet arrêté. En toute conscience, elle a donc choisi une rédaction de nature à favoriser l'opacité et la complexité, donc à aggraver la tension entre ses agents instructeurs et les porteurs de projet hydro-électrique, alors qu'il était plus simple et plus exact de donner une formule physique déjà présente dans certains documents de l'Etat. Une telle attitude ne peut être interprétée que comme une intention manifeste et puérile de nuire. La Direction de l'eau n'est pas capable d'assurer les obligations françaises de qualité de l'eau. Elle n'est pas capable non plus d'une vision équilibrée et durable de la rivière formant le clef de voûte de la gestion de l'eau souhaitée par le législateur. Engagée depuis dix ans dans une croisade irrationnelle contre l'existence des ouvrages en rivière, cette Direction de l'eau confond la satisfaction de quelques lobbies minoritaires avec les obligations de mesure, de prudence, d'impartialité et de proportionnalité nécessaires pour garantir le bien commun.

Illustrations : les roues Fontaine in Armengaud Ancien, Traité théorique et pratique des moteurs hydrauliques, 1858.