Les représentants des citoyens français ont volontairement supprimé l'hypothèse d'effacement des seuils et barrages dans le cadre de la trame bleue, lors de l'élaboration de la loi Grenelle 1 de 2009, de même qu'ils ne l'ont pas mentionnée dans la LEMA 2006. Or, la Direction de l'eau du Ministère de l'Ecologie et ses représentants en Agences de l'eau passent outre ce choix de prudence, exercent des pressions constantes en vue de détruire les ouvrages, refusent de financer de manière réaliste les dispositifs de franchissement et tentent aujourd'hui d'imposer l'effacement des seuils et barrages comme solution prioritaire de certains SDAGE 2016-2021. Nous appelons les députés et sénateurs, comme l'ensemble des élus, à faire cesser immédiatement cette dérive antidémocratique qui soulève une vague croissante d'indignation au bord des rivières.
M. Gérard Aubéry, président de l'Association des amis des moulins de l'Indre, nous a rappelé les éléments d'élaboration de la loi de Grenelle 1, en 2009. L'article 26 de cette loi (devenu article 29) a été débattu par la commission paritaire mixte entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Très clairement, et comme le montre cet extrait (cliquer pour agrandir), le débat portait sur la question de la mention de "l'effacement" des ouvrages.
La
version finalement retenue de la loi parle de l'aménagement des ouvrages, et préfère exclure cette notion d'effacement. Elle réserve par ailleurs cet aménagement aux seuls cas les plus problématiques, et demande une "mise à l'étude" :
La trame bleue permettra de préserver et de remettre en bon état les continuités écologiques des milieux nécessaires à la réalisation de l'objectif d'atteindre ou de conserver, d'ici à 2015, le bon état écologique ou le bon potentiel pour les masses d'eau superficielles ; en particulier, l'aménagement des obstacles les plus problématiques pour la migration des poissons sera mis à l'étude. Cette étude, basée sur des données scientifiques, sera menée en concertation avec les acteurs concernés.
Ce choix est conforme à
l'article L-214-17 du Code de l'environnement qui, dans le domaine de la continuité écologique, ne mentionne nullement les mots arasement ni dérasement. Ce sont les notions positives de gestion, entretien et équipement qui sont mises en avant pour les ouvrages situées en rivière classée au titre de la liste 2 (obligation d'aménagement à 5 ans) :
Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant.
Par ailleurs, dans le texte du Grenelle 1 de 2009, députés et sénateurs ont fortement souhaité le développement de l'énergie hydraulique. L'article 19 est explicite :
La production d'électricité d'origine hydraulique dans le respect de la qualité biologique des cours d'eau fait partie intégrante des énergies renouvelables à soutenir.
Bien loin de détruire les ouvrages, la loi de Grenelle appelle donc à leur équipement énergétique, et écologique quand c'est nécessaire. Ce qui est au demeurant la position soutenue par notre association.
L'effacement des ouvrages tente de s'imposer par les voies opaques des SDAGE
La Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie a trahi ces orientations en imposant, à travers les représentants de l'administration au sein des Agences de bassin, une prime à l'effacement dans les textes d'orientation et programmation (SDAGE) de plusieurs Agences de l'eau. Rappelons à ce sujet que la soi-disant autonomie entre le Ministère et les Agences est une légende permettant au premier de se défausser sur d'autres de certaines de ses orientations, mais une légende qui a été parfaitement dénoncée par le Conseil d'Etat dans le rapport
L'eau et son droit (pp. 86-87) :
"L’article 83 de la loi du 30 décembre 2006 a également encadré l’action des agences de l’eau (…) les agences sont quasiment devenues à cette occasion, malgré leur autonomie financière et la représentation minoritaire de l’État au sein de leur conseil, un outil aux mains de l’État, qui les utilise pour appliquer sa politique de l’eau et pour financer les actions qu’il décide."
Il convient également de rappeler que les Comités de bassins des Agences de l'eau n'ont qu'une représentation très appauvrie, et qu'en particulier les principaux concernés par la continuité écologique (association de moulins, de riverains, de protection du patrimoine, etc.) ne figurent pas dans le collège censé donner sa voix à la société civile. Le fonctionnement opaque et complexe des Agences de l'eau ne saurait en aucun cas produire une légitimité démocratique telle qu'il puisse prétendre contredire les engagements du législateur.
Or, les Agences de bassin font ouvertement fi de la mesure et de la prudence souhaitées par ce législateur. Ainsi, le projet de SDAGE 2016-2021 du bassin Loire-Bretagne pose à propos des obstacles à la continuité écologique :
La solution d’effacement total des ouvrages transversaux est, dans la plupart des cas, la plus efficace et la plus durable car elle garantit la transparence migratoire pour toutes les espèces, la pérennité des résultats, ainsi que la récupération d’habitats fonctionnels et d’écoulements libres ; elle doit donc être privilégiée. Cependant, d’autres méthodes peuvent être envisagées (ouverture des vannages, aménagement de dispositifs de franchissement adaptés). Sans préjudice des concessions existantes, les objectifs de résultats en matière de transparence migratoire à long terme conduisent à retenir l’ordre de priorité suivant :1. effacement. Pour les ouvrages transversaux abandonnés ou sans usages avérés cette solution sera privilégiée ;2. arasement partiel et aménagement d’ouvertures (échancrures...), petits seuils de substitution franchissables par conception
Au mépris des choix privilégiés dans les textes de loi, l'Agence de l'eau Loire-Bretagne exerce ainsi une pression financière pour ne subventionner que les solutions d'effacement et d'arasement partiel, non prévues dans la loi de Grenelle de 2009 ni dans la loi sur les milieux aquatiques de 2006. Cette orientation a pour effet de pousser les propriétaires d'ouvrages vers la pseudo-solution contrainte de la destruction de leur bien, vu le coût exorbitant des travaux en rivière pour les dispositifs de franchissement. Elle est à l'origine de la plupart des contentieux de mise en oeuvre de la continuité écologique, alors qu'un
financement public intégral de dispositifs de franchissement résoudrait la plupart des problèmes (voir
ici le coût).
On retrouve exactement le même choix d'effacement dans le projet de SDAGE 2016-2021 du bassin de Seine-Normandie, qui spécifie :
L’effet résiduel cumulé des obstacles même équipés de dispositifs de franchissement conduit à privilégier des solutions d’effacement par rapport aux solutions d’équipement. Il convient de réduire le taux d’étagement afin de maximiser les fonctionnalités écologiques des cours d’eau classés en liste 2.
Conclusion : appel à moratoire et commission d'enquête
Les élus doivent être informés de la dérive de l'administration, qui poursuit un programme idéologique et irrationnel de destruction du patrimoine hydraulique français en même temps qu'elle est incapable d'obtenir des résultats convaincants pour l'application des directives européennes sur l'eau et les milieux aquatiques.
Nous appelons ces élus non seulement à s'engager en faveur d'un
moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique, afin de retrouver l'apaisement nécessaire à la concertation, mais également à engager une commission d'enquête sur les dysfonctionnements graves de la politique de l'eau, qui a fait l'objet d'une impressionnante succession de rapports dénonçant des pratiques inefficaces voire douteuses, ainsi que de condamnations par l'Union européenne : rapports Cour des comptes 2013 sur l'Onema et 2015 sur les Agences de l'eau, rapport CGEDD 2012 sur l'absence de concertation dans la mise en oeuvre de la continuité écologique, rapports Lesage et Levrault sur les carences de résultats, rapport 2015 de la Commission européenne sur les carences du rapportage DCE 2000 et les retards sur les pollutions, condamnations à répétition depuis 2001 par la CJUE pour non application des directives nitrates et eaux usées.
Par les effets cumulés de sa complexité, de sa partialité, de son opacité et de son inefficacité, la politique publique de l'eau traverse une crise grave de légitimité. Sa transformation n'est plus une option, mais une nécessité.
Illustration : destruction de l'ouvrage Floriet sur la Seine en 2015, alors que les relevés de l'Onema indiquaient un Indice Poissons Rivières de bonne qualité écologique selon les termes de la DCE 2000. La destruction des ouvrages est aujourd'hui le choix privilégié par les autorités et gestionnaires de l'eau, à l'encontre des volontés du législateur comme de la majorité des riverains. L'argent public dépensé inutilement pour cette cosmétique de l'action pseudo-écologique ne l'est pas pour la lutte contre les pollutions de l'eau, où la France accuse un grave retard.