La distribution des poissons dans une rivière est généralement discontinue : il y a des zones où les espèces sont présentes ou absentes, avec des densités variables. De nombreux facteurs peuvent expliquer ce phénomène. Johannes Radinger et Christian Wolter travaillent à l'Institut Leibniz d'écologie des eaux douces et des pêches intérieures (Berlin, Allemagne). Les deux chercheurs ont développé un modèle pour mieux comprendre la distribution des poissons en rivières, en fonction des habitats disponibles, des capacités de dispersion des espèces et des barrières à la migration. Une de leurs principales conclusions : aucun effet discernable des obstacles à l'écoulement sur les distributions des 17 espèces analysées. Subsidiairement, les auteurs rejoignent notre lecture de Van Looy et al 2014.
On sait que la disponibilité des habitats, le potentiel de dispersion propre à chaque espèce et la fragmentation du cours d'eau par des obstacles influence la distribution des poissons en eaux courantes. Mais l'influence relative de chacun de ces facteurs et leurs éventuelles interactions restent pour le moment très peu documentées dans la littérature scientifique. De cette compréhension encore très embryonnaire peuvent résulter des mauvais choix de gestion pour la restauration des hydrosystèmes et la conservation des espèces.
17 espèces échantillonnées sur 81 sites
L'étude de Radinger et Wolter part du cas empirique de la Treene, rivière de plaine d'Allemagne du Nord à substrat sableux. La rivière a une longueur de 77 km, le bassin versant une superficie de 760 km2. On compte 52 obstacles à l'écoulement (seuils, déversoirs, barrages) sur le linéaire étudié. Cf image ci-dessous, le bassin étudié et les points de mesure.
Entre 2004 et 2011, 81 sites bien répartis ont été échantillonnés sur le bassin versant. Il en a résulté une base de 17 espèces dont la présence est attestée au moins dix fois. On retrouve bien sûr dans ces espèces nombre de celles qui occupent les gestionnaires français dans le domaine de la continuité écologique et de la restauration morphologique (anguille, brochet, truite commune, lamproie fluviatile, lamproie de Planer, etc.).
Les données sur les poissons ont été ramenées à un choix binaire : présence ou absence sur le tronçon du bassin versant. C'est donc la variable à expliquer.
Pour les variables explicatives, la disponibilité des habitats a été analysée selon le modèle d'Elith et al 2011 (un outil prédictif de niche écologique fondé sur la maximisation d'entropie MaxEnt, avec un calcul des densités de probabilité de présence d'une niche écologique, selon les 17 espèces avec 35 prédicteurs d'habitat et 3 prédicteurs topologiques). La dispersion des espèces a été analysée selon le modèle GRASS GIS FIDIMO (Radinger et al 2014), initialement paramétré à partir de 160 bases de données sur 62 espèces. Ce modèle calcule une probabilité de dispersion. Enfin, l'outil FIMIDO a été exploité pour modéliser les 52 obstacles à l'écoulement, en intégrant notamment le niveau de franchissabilité vers l'amont (la dévalaison était paramétrée comme libre).
Par la suite, des modèles linéaires généralisés ont été utilisés pour explorer les relations entre la présence / absence des espèces et les résultats modélisés des trois prédicteurs (habitat, dispersion, barrière). Dans ce type de travail, on retient les relations statistiques qui collent le plus fidèlement à la réalité des observations.
Pas d'effet des obstacles à l'écoulement, importance des capacités propres de dispersion des espèces
Résultat ? "La présence et l'absence des 17 espèces avec une fréquence d'occurrence ≥10 ont pu être correctement modélisées. Comme on s'y attendait, aussi bien la qualité de l'habitat à échelle locale que la capacité de dispersion propre à l'espèce ont contribué de manière significative à la distribution discontinue des poissons dans les réseaux de rivières."
Autre résultat du modèle quand on le fait itérer dans le temps : au départ, la capacité de dispersion est le premier prédicteur de répartition d'une espèce, mais le poids de ce facteur diminue dans le temps, ce qui augmente l'importance relative de la disponibilité de l'habitat (dont le poids reste stable dans l'absolu, cf image ci-dessus.
La principale "surprise" est venu du facteur des barrières à la migration : "l'hypothèse d'impact des barrières à la migration est partiellement rejetée. Aucun effet significatif des obstacles à la migration n'a pu être observé sur la distribution des 17 espèces modélisées. Il existait une tendance à une plus forte probabilité de présence en fonction d'une plus forte connectivité, cependant cette tendance n'était pas significative".
Pour expliquer ce manque d'effet, les auteurs font plusieurs hypothèses : espèces principalement anadromes (la seule catadrome, anguille, était analysée dans sa phase non migratrice de croissance en eau douce) ; possibilité que le modèle trouve des effets des barrières pour des espèces plus rares (≤ 10 occurrences), qui étaient exclues de l'analyse ; incertitude sur la position géographique des populations-sources des migrations (aval ou amont) ; possibilité que des longues périodes de temps, certains événements (crues, travaux, etc.) rendent franchissables la plupart des barrières.
Les auteurs prennent le soin de préciser : "Pour ce qui est de la réhabilitation des rivières, les métriques globales de fragmentation comme le nombre d'obstacles par kilomètre de rivière ou le nombre / la dimension des tronçons déconnectés (eg Van Looy et al 2014) peuvent ne pas être significatives, parce que ces statistiques sommaires échouent à rendre compte de la répartition spatiale des groupes d'habitats, le potentiel de dispersion directionnelle ou l'influence non-uniforme des obstacles (Jager et al 2001)". Radinger et Wolter ajoutent que leur travail ne se prononce pas sur des effets indirects de la fragmentation, comme une réduction de diversité génétique.
Discussion
Comme toujours quand on parle de résultats scientifiques sur un site grand public, il faut d'abord rappeler que la science est un processus ouvert, réfutable et jamais achevé, chaque résultat apportant une contribution modeste à la construction des théories et modèles des phénomènes observés. Ici le modèle de Radinger et Wolter a tourné sur une rivière particulière avec un peuplement particulier, sans préjuger de ses résultats avec d'autres hydrosystèmes variant par la pente, le substrat, la température, l'enjeu migrateur, etc. Par ailleurs, comme dans tout modèle, il existe des paramétrisations semi-empiriques (des valeurs fixées par le modélisateur dans certaines équations) qui sont susceptibles de faire débat ou d'évoluer à mesure que s'affinent les tests du modèle.
Cela étant posé, les résultats de ce travail ne surprendront pas les lecteurs de notre site : un nombre relativement important de travaux récents ont montré que l'effet des impacts morphologiques en général, et des obstacles au franchissement en particulier, est complexe à décrire et prédire. D'autant que les peuplements de poissons changent assez rapidement à échelle des temps historiques et écologiques. Bon nombre d'études donnent des résultats "contre-intuitifs", c'est-à-dire sans effet important des seuils et barrages.
A ce sujet, et par parenthèses, Radinger et Wolter écrivent dans leur article : "Van Looy et al (2014) n'ont trouvé qu'un effet mineur de la densité de barrage sur les métriques piscicoles de la qualité écologique". Nous soulignons ce point de détail car nos lecteurs se souviennent sans doute que nous avions recensé ce travail de Van Looy et al et que certains lecteurs institutionnels (DEB, Onema, Dreal) s'étaient émus de nos conclusions. Or Radinger et Wolter rejoignent notre principale conclusion, à savoir un effet manifestement modeste des seuils et barrages. Ce qui se retrouve aussi bien chez Branco et al 2012 au Portugal, Dahm et al 2013 en Autriche et en Allemagne, Mahlum et al 2014 au Canada, Villeneuve et al 2015 en France, ou par analyse a posteriori des effets de restauration chez Kail et al 2015 ou Schmutz et el 2015. Il nous paraît peu concevable de poursuivre la politique française de continuité écologique et de "trame bleue" sans intégrer ces données récentes de la recherche et sans mentionner les incertitudes assez importantes sur l'issue des travaux de restauration.
Repenser les choix français
Que déduire sur la gestion des rivières? Là encore, nous avons mainte fois souligné l'inanité d'un classement massif de rivières avec court délai d'aménagement à fin de continuité écologique, ce qui fut le choix français. De même, nous avons souligné le peu d'intérêt des outils rudimentaires comme le taux d'étagement, pourtant validé par de grandes agences de bassin manifestement en retard sur les évolutions de la science des rivières et des milieux aquatiques.
Une politique de l'eau scientifiquement robuste part de la rivière en son bassin versant, collecte l'ensemble des descripteurs (biologiques, physiques, chimiques, morphologiques), avec une bonne répartition spatiale / temporelle et si possible un éclairage par l'histoire de l'environnement local pour intégrer des tendances / contraintes de long terme et un calage des conditions initiales. Ensuite seulement, un modèle descriptif permet de pondérer les impacts et un modèle prédictif de définir des trajectoires de restauration pour les compartiments cibles selon les actions choisies.
Nous assistons au choix inverse : des aménagements précipités et dictés par une pseudo-urgence administrative, des personnels ne disposant pas de compétences ni de moyens pour de vrais travaux préparatoires, une action opportuniste par ouvrage et non une gestion coordonnée par bassin versant, une ignorance de la plupart des prédicteurs de qualité de milieux aquatiques, une absence de suivi des effets. Ecoutons davantage les chercheurs et revenons aux fondamentaux, au lieu de cette expérimentation hasardeuse et anarchique à grande échelle.
Référence : Radinger J, C Wolter (2015), Disentangling the effects of habitat suitability, dispersal and fragmentation on the distribution of river fishes, Ecological Applications, 25, 914-927.
Nous remercions Johannes Radinger de nous avoir fait parvenir son travail. Johannes, jeune docteur en hydro-écologie, dispose d'un blog où il expose ses recherches et réflexions.
12/10/2015
10/10/2015
Lettre ouverte à M. François Sauvadet sur le SDAGE Seine-Normandie
Le SDAGE Seine-Normandie est sur le point d'être adopté. Trois associations de Bourgogne saisissent le Président du Comité de bassin Seine-Normandie, M. François Sauvadet, pour exposer la dérive grave de ce texte, dont les orientations en matière de continuité écologique vont très au-delà des exigences de la loi et dont certaines propositions inacceptables feraient l'objet d'une requête en annulation si elles devaient être votées en l'état.
Monsieur le Président,
Comme vous le savez, car nous avons échangé sur ce sujet encore récemment, la mise en oeuvre de la continuité écologique soulève de nombreuses difficultés et inquiétudes : assèchement brutal des biefs et canaux, changement peu prévisible des écoulements, affaiblissement de berges et des bâtis, perte esthétique et paysagère dans les villages et les vallées, disparition du patrimoine historique et du potentiel énergétique, choix d'aménagement décidés alors que les rivières ne sont pas scientifiquement étudiées sur l'ensemble de leur bassin versant, dépense publique conséquente malgré le manque de résultats probants sur nos engagements européens de qualité chimique et écologique des masses d'eau.
Ce n'est pas une fatalité : c'est le résultat de choix tout à fait excessifs visant à imposer contre la volonté des propriétaires, des riverains et souvent des élus locaux, ainsi que contre l'esprit des lois françaises, la seule solution de la destruction du patrimoine hydraulique. Malheureusement, l'Agence de l'eau Seine-Normandie dont vous présidez le Comité de bassin s'inscrit dans cette perspective excessive, autoritaire, brutale.
Pour comprendre l'ampleur et la nature du problème, un petit retour en arrière est nécessaire. Dans la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (2006), la représentation nationale a souhaité que les ouvrages en rivière classée au titre de la continuité soient "entretenus, équipés, gérés" selon les prescriptions concertées de l'autorité administrative. De la même manière, la loi dite de Grenelle 1 créant la trame bleue (2009) a souhaité une "mise à l'étude" de l'"aménagement des ouvrages les plus problématiques" pour les poissons migrateurs.
En aucun cas nos députés et sénateurs n'ont inscrit les mots "effacement", "arasement", "dérasement" ou "destruction" dans le texte de la loi ni dans l'horizon commun de gestion équilibrée des rivières. Au cours du vote de la loi de Grenelle 1, une commission mixte paritaire a même volontairement écarté une rédaction qui préconisait cet effacement.
C'est donc un choix démocratique clair et lucide : la suppression totale ou partielle des ouvrages n'est pas le souhait des représentants des citoyens français. Vous le savez fort bien, Monsieur le Président, au regard des responsabilités que vous exerciez lorsque ces textes ont été débattus et votés.
Plus récemment, vous n'êtes pas sans ignorer que Madame la Ministre de l'Ecologie Ségolène Royal, saisie des dérives de la mise en oeuvre administrative des lois de continuité, a déclaré aux sénateurs qui l'interpellaient à ce sujet que "les règles du jeu doivent être revues, pour encourager la petite hydroélectricité et la remise en état des moulins". Mme la Ministre de la Culture Fleur Pellerin a affirmé pour sa part aux députés lors de la discussion parlementaire sur la loi du patrimoine :"Je partage moi aussi votre souci de ne pas permettre la dégradation, voire la destruction, des moulins, qui représentent un intérêt patrimonial, par une application trop rigide des textes destinés à favoriser les continuités écologiques."
Le problème, Monsieur le Président, est que l'Agence de l'eau Seine-Normandie ne respecte nullement ces choix posés par le législateur et ré-affirmés par le gouvernement.
Quand on consulte les services de l'Agence de l'eau Seine-Normandie pour aménager un moulin à fin de continuité, il est répondu que seul l'effacement est financé à 80%. Les passes à poissons (très coûteuses et inaccessibles aux maîtres d'ouvrage) ne font l'objet d'aucune subvention s'il n'existe pas d'usage économique avéré (90% des cas), et d'une subvention bien trop faible dans les rares autres cas. Même avec un soutien à 50%, le propriétaire devrait encore débourser des dizaines à des centaines de milliers d'euros restant dus pour payer les aménagements de continuité, ce qui est une dépense privée exorbitante pour des travaux relevant de l'intérêt général, créant une servitude permanente d'entretien et n'apportant strictement aucun profit aux particuliers ni aux communes à qui il est fait injonction de les réaliser.
On peut poser des normes très strictes pour des biens communs tels la qualité des milieux, mais la moindre des choses est d'en provisionner un financement public conséquent, pas d'en faire reposer la charge disproportionnée sur les seules épaules de quelques milliers de propriétaires insolvables à hauteur de ce qu'on exige d'eux.
Ces choix déplorables, à l'origine d'une tension croissante au bord des rivières, ne sont pas modifiés mais au contraire aggravés dans le projet de SDAGE 2016-2021 que vous vous apprêtez à adopter. Ce projet comporte en effet de nouvelles dérives dans le domaine de la continuité écologique, et des dérives inacceptables compte tenu des nombreux retours d'expérience accumulés depuis le classement de 2012, des progrès des connaissances et du rappel législatif évoqué plus haut.
Ainsi, le SDAGE intègre la notion de "taux d'étagement" de la rivière et le préconise comme objectif pour les cours d'eau (taux à 20 ou 30 %). Or, ce concept inventé dans un bureau ne figure à notre connaissance dans aucune loi ni aucune règlementation française. Il n'a aucune base scientifique solide (un simple mémoire de master d'étudiant lui a été consacré) et l'intérêt du taux d'étagement est totalement contredit par les résultats récents de la recherche française, européenne et internationale, montrant le faible lien entre les seuils et la qualité piscicole des rivières (ou la biodiversité). Il n'est pas acceptable que l'Agence de l'eau Seine-Normandie propage des objectifs sans fondement scientifique solide. De tels dispositifs génériques n'ont par ailleurs aucun sens par rapport à nos obligations réelles : comme nous y enjoint l'Union européenne, chaque rivière doit faire l'objet d'une analyse complète de ses impacts (physico-chimiques, morphologiques, chimiques) et de ses indicateurs de qualité biologiques, après quoi seulement on choisit des solutions adaptées aux déséquilibres constatés. Le simplisme et l'arbitraire du taux d'étagement nient cette nécessité d'une action localement conçue et scientifiquement étayée.
Plus gravement encore, le projet de SDAGE soumis à consultation se permet des affirmations comme celles-ci : "pour les ouvrages n’ayant plus de fonction ou d’usages ou en très mauvais état d’entretien ou de gestion, l’autorité administrative veille à la suppression des ouvrages et des installations et à la remise en état des sites naturels et du linéaire influence". Jamais la loi n'a donné mandat à l'administration de "supprimer" un ouvrage sous le seul prétexte qu'il n'aurait pas de fonction ni d'usage !
De la même manière, quand le projet de SDAGE écrit que "l’effet résiduel cumulé des obstacles même équipés de dispositifs de franchissement conduit à privilégier des solutions d’effacement par rapport aux solutions d’équipement", il se place en contradiction formelle avec les lois de 2006 et 2009 dont nous avons vu qu'elles ont privilégié l'aménagement et la gestion des ouvrages, en aucun cas l'effacement. Depuis quand une Agence de bassin prétend-elle imposer ses vues au détriment de celles du législateur ?
Monsieur le Président,
Le rôle des Agences de l'eau n'est pas d'employer des termes agressifs et hors-de-propos, encore moins de se substituer au législateur dans la définition de la politique de l'eau ni d'intimer à l'administration des actions que ni la loi ni la règlementation n'exige. Il n'est pas non plus de créer des inégalités des citoyens devant la loi – or c'est bien ce qui se passe, puisque chaque Agence choisit ses financements et que si tous sont soumis à la loi commune en matière de continuité écologique, certains sont moins aidés que d'autres. Cela révolte la décence commune et le sens élémentaire de la justice des citoyens français, dont on sait l'attachement au principe d'égalité de tous devant la loi.
Les Agences de l'eau sont d'autant moins fondées à des prétentions normatives qu'elles représentent un modèle de démocratie très perfectible : nous vous rappelons que les associations de moulins, les associations de riverains, les associations de défense du patrimoine rural et technique, les sociétés locales des sciences et tant d'autres acteurs légitimes de la civilisation hydraulique ne figurent pas dans votre Comité de bassin. De sorte que les principaux concernés par la continuité écologique sont totalement écartés de la discussion et de l'élaboration des mesures qui les regardent au premier chef. Cela rend à tout le moins fragile la prétention du SDAGE à imposer ses vues à une société civile exclue de tout pouvoir autre que très vaguement consultatif.
Le projet du SDAGE 2016-2021, poursuivant et aggravant les erreurs du SDAGE 2010-2015 dans le domaine de la continuité écologique, interdit une politique équilibrée sur les rivières. S'il devait être adopté en l'état, le SDAGE ferait l'objet de requêtes en annulation devant les cours administratives, le point de vue de nos associations étant partagé par de nombreuses consoeurs, de la Bourgogne et la Champagne à l'Ile-de-France et la Normandie. Et si l'Agence de l'eau Seine-Normandie persistait à refuser par principe le financement à 80% des ouvrages de continuité écologique, ce sont des centaines de contentieux qui s'ouvriront d'ici 2017, terme prévu du classement des rivières. Car les propriétaires de moulins, les riverains et un nombre croissant d'élus locaux sont désormais bien décidés à se battre contre les mesures injustes et les financements inégaux que promeut l'Agence de l'eau Seine-Normandie.
Nous vous prions donc de porter à la connaissance du Comité de bassin les points soulevés dans la présente lettre, et nous ne pouvons qu'espérer un abandon pur et simple des mesures les plus contestables du SDAGE 2016-2021, comme nous l'avons déjà exprimé en phase de consultation.
Le SDAGE nous engage collectivement pour 6 ans. Ces années peuvent être constructives plutôt que destructives, apaisées plutôt que tendues, consensuelles plutôt que polémiques. Si l'Agence de l'eau persiste dans la voie dogmatique qui est la sienne dans le domaine de la continuité écologique, elle aura pris la responsabilité de rendre parfaitement ingérable la question des ouvrages hydrauliques en rivière sur l'ensemble du bassin.
Veuillez recevoir, Monsieur le Président, l'expression de nos respectueuses salutations.
C.F. Champetier, président de l'Association Hydrauxois
C. Jacquemin, président de l'Association des riverains et propriétaires d'ouvrages hydrauliques du Châtillonnais (Arpohc)
F. Lefebvre-Vary, président de l'Association des moulins du Morvan et de la Nièvre (AMMN)
Copie à M. le Préfet de Bassin et Mme la Directrice de l'Agence de l'eau
Monsieur le Président,
Comme vous le savez, car nous avons échangé sur ce sujet encore récemment, la mise en oeuvre de la continuité écologique soulève de nombreuses difficultés et inquiétudes : assèchement brutal des biefs et canaux, changement peu prévisible des écoulements, affaiblissement de berges et des bâtis, perte esthétique et paysagère dans les villages et les vallées, disparition du patrimoine historique et du potentiel énergétique, choix d'aménagement décidés alors que les rivières ne sont pas scientifiquement étudiées sur l'ensemble de leur bassin versant, dépense publique conséquente malgré le manque de résultats probants sur nos engagements européens de qualité chimique et écologique des masses d'eau.
Ce n'est pas une fatalité : c'est le résultat de choix tout à fait excessifs visant à imposer contre la volonté des propriétaires, des riverains et souvent des élus locaux, ainsi que contre l'esprit des lois françaises, la seule solution de la destruction du patrimoine hydraulique. Malheureusement, l'Agence de l'eau Seine-Normandie dont vous présidez le Comité de bassin s'inscrit dans cette perspective excessive, autoritaire, brutale.
Pour comprendre l'ampleur et la nature du problème, un petit retour en arrière est nécessaire. Dans la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (2006), la représentation nationale a souhaité que les ouvrages en rivière classée au titre de la continuité soient "entretenus, équipés, gérés" selon les prescriptions concertées de l'autorité administrative. De la même manière, la loi dite de Grenelle 1 créant la trame bleue (2009) a souhaité une "mise à l'étude" de l'"aménagement des ouvrages les plus problématiques" pour les poissons migrateurs.
En aucun cas nos députés et sénateurs n'ont inscrit les mots "effacement", "arasement", "dérasement" ou "destruction" dans le texte de la loi ni dans l'horizon commun de gestion équilibrée des rivières. Au cours du vote de la loi de Grenelle 1, une commission mixte paritaire a même volontairement écarté une rédaction qui préconisait cet effacement.
C'est donc un choix démocratique clair et lucide : la suppression totale ou partielle des ouvrages n'est pas le souhait des représentants des citoyens français. Vous le savez fort bien, Monsieur le Président, au regard des responsabilités que vous exerciez lorsque ces textes ont été débattus et votés.
Plus récemment, vous n'êtes pas sans ignorer que Madame la Ministre de l'Ecologie Ségolène Royal, saisie des dérives de la mise en oeuvre administrative des lois de continuité, a déclaré aux sénateurs qui l'interpellaient à ce sujet que "les règles du jeu doivent être revues, pour encourager la petite hydroélectricité et la remise en état des moulins". Mme la Ministre de la Culture Fleur Pellerin a affirmé pour sa part aux députés lors de la discussion parlementaire sur la loi du patrimoine :"Je partage moi aussi votre souci de ne pas permettre la dégradation, voire la destruction, des moulins, qui représentent un intérêt patrimonial, par une application trop rigide des textes destinés à favoriser les continuités écologiques."
Le problème, Monsieur le Président, est que l'Agence de l'eau Seine-Normandie ne respecte nullement ces choix posés par le législateur et ré-affirmés par le gouvernement.
Quand on consulte les services de l'Agence de l'eau Seine-Normandie pour aménager un moulin à fin de continuité, il est répondu que seul l'effacement est financé à 80%. Les passes à poissons (très coûteuses et inaccessibles aux maîtres d'ouvrage) ne font l'objet d'aucune subvention s'il n'existe pas d'usage économique avéré (90% des cas), et d'une subvention bien trop faible dans les rares autres cas. Même avec un soutien à 50%, le propriétaire devrait encore débourser des dizaines à des centaines de milliers d'euros restant dus pour payer les aménagements de continuité, ce qui est une dépense privée exorbitante pour des travaux relevant de l'intérêt général, créant une servitude permanente d'entretien et n'apportant strictement aucun profit aux particuliers ni aux communes à qui il est fait injonction de les réaliser.
On peut poser des normes très strictes pour des biens communs tels la qualité des milieux, mais la moindre des choses est d'en provisionner un financement public conséquent, pas d'en faire reposer la charge disproportionnée sur les seules épaules de quelques milliers de propriétaires insolvables à hauteur de ce qu'on exige d'eux.
Ces choix déplorables, à l'origine d'une tension croissante au bord des rivières, ne sont pas modifiés mais au contraire aggravés dans le projet de SDAGE 2016-2021 que vous vous apprêtez à adopter. Ce projet comporte en effet de nouvelles dérives dans le domaine de la continuité écologique, et des dérives inacceptables compte tenu des nombreux retours d'expérience accumulés depuis le classement de 2012, des progrès des connaissances et du rappel législatif évoqué plus haut.
Ainsi, le SDAGE intègre la notion de "taux d'étagement" de la rivière et le préconise comme objectif pour les cours d'eau (taux à 20 ou 30 %). Or, ce concept inventé dans un bureau ne figure à notre connaissance dans aucune loi ni aucune règlementation française. Il n'a aucune base scientifique solide (un simple mémoire de master d'étudiant lui a été consacré) et l'intérêt du taux d'étagement est totalement contredit par les résultats récents de la recherche française, européenne et internationale, montrant le faible lien entre les seuils et la qualité piscicole des rivières (ou la biodiversité). Il n'est pas acceptable que l'Agence de l'eau Seine-Normandie propage des objectifs sans fondement scientifique solide. De tels dispositifs génériques n'ont par ailleurs aucun sens par rapport à nos obligations réelles : comme nous y enjoint l'Union européenne, chaque rivière doit faire l'objet d'une analyse complète de ses impacts (physico-chimiques, morphologiques, chimiques) et de ses indicateurs de qualité biologiques, après quoi seulement on choisit des solutions adaptées aux déséquilibres constatés. Le simplisme et l'arbitraire du taux d'étagement nient cette nécessité d'une action localement conçue et scientifiquement étayée.
Plus gravement encore, le projet de SDAGE soumis à consultation se permet des affirmations comme celles-ci : "pour les ouvrages n’ayant plus de fonction ou d’usages ou en très mauvais état d’entretien ou de gestion, l’autorité administrative veille à la suppression des ouvrages et des installations et à la remise en état des sites naturels et du linéaire influence". Jamais la loi n'a donné mandat à l'administration de "supprimer" un ouvrage sous le seul prétexte qu'il n'aurait pas de fonction ni d'usage !
De la même manière, quand le projet de SDAGE écrit que "l’effet résiduel cumulé des obstacles même équipés de dispositifs de franchissement conduit à privilégier des solutions d’effacement par rapport aux solutions d’équipement", il se place en contradiction formelle avec les lois de 2006 et 2009 dont nous avons vu qu'elles ont privilégié l'aménagement et la gestion des ouvrages, en aucun cas l'effacement. Depuis quand une Agence de bassin prétend-elle imposer ses vues au détriment de celles du législateur ?
Monsieur le Président,
Le rôle des Agences de l'eau n'est pas d'employer des termes agressifs et hors-de-propos, encore moins de se substituer au législateur dans la définition de la politique de l'eau ni d'intimer à l'administration des actions que ni la loi ni la règlementation n'exige. Il n'est pas non plus de créer des inégalités des citoyens devant la loi – or c'est bien ce qui se passe, puisque chaque Agence choisit ses financements et que si tous sont soumis à la loi commune en matière de continuité écologique, certains sont moins aidés que d'autres. Cela révolte la décence commune et le sens élémentaire de la justice des citoyens français, dont on sait l'attachement au principe d'égalité de tous devant la loi.
Les Agences de l'eau sont d'autant moins fondées à des prétentions normatives qu'elles représentent un modèle de démocratie très perfectible : nous vous rappelons que les associations de moulins, les associations de riverains, les associations de défense du patrimoine rural et technique, les sociétés locales des sciences et tant d'autres acteurs légitimes de la civilisation hydraulique ne figurent pas dans votre Comité de bassin. De sorte que les principaux concernés par la continuité écologique sont totalement écartés de la discussion et de l'élaboration des mesures qui les regardent au premier chef. Cela rend à tout le moins fragile la prétention du SDAGE à imposer ses vues à une société civile exclue de tout pouvoir autre que très vaguement consultatif.
Le projet du SDAGE 2016-2021, poursuivant et aggravant les erreurs du SDAGE 2010-2015 dans le domaine de la continuité écologique, interdit une politique équilibrée sur les rivières. S'il devait être adopté en l'état, le SDAGE ferait l'objet de requêtes en annulation devant les cours administratives, le point de vue de nos associations étant partagé par de nombreuses consoeurs, de la Bourgogne et la Champagne à l'Ile-de-France et la Normandie. Et si l'Agence de l'eau Seine-Normandie persistait à refuser par principe le financement à 80% des ouvrages de continuité écologique, ce sont des centaines de contentieux qui s'ouvriront d'ici 2017, terme prévu du classement des rivières. Car les propriétaires de moulins, les riverains et un nombre croissant d'élus locaux sont désormais bien décidés à se battre contre les mesures injustes et les financements inégaux que promeut l'Agence de l'eau Seine-Normandie.
Nous vous prions donc de porter à la connaissance du Comité de bassin les points soulevés dans la présente lettre, et nous ne pouvons qu'espérer un abandon pur et simple des mesures les plus contestables du SDAGE 2016-2021, comme nous l'avons déjà exprimé en phase de consultation.
Le SDAGE nous engage collectivement pour 6 ans. Ces années peuvent être constructives plutôt que destructives, apaisées plutôt que tendues, consensuelles plutôt que polémiques. Si l'Agence de l'eau persiste dans la voie dogmatique qui est la sienne dans le domaine de la continuité écologique, elle aura pris la responsabilité de rendre parfaitement ingérable la question des ouvrages hydrauliques en rivière sur l'ensemble du bassin.
Veuillez recevoir, Monsieur le Président, l'expression de nos respectueuses salutations.
C.F. Champetier, président de l'Association Hydrauxois
C. Jacquemin, président de l'Association des riverains et propriétaires d'ouvrages hydrauliques du Châtillonnais (Arpohc)
F. Lefebvre-Vary, président de l'Association des moulins du Morvan et de la Nièvre (AMMN)
Copie à M. le Préfet de Bassin et Mme la Directrice de l'Agence de l'eau
09/10/2015
Moratoire sur la continuité écologique: 7 partenaires s’engagent pour défendre les étangs, biefs, rivières et leurs ouvrages
Nous publions le premier communiqué du mouvement pour un moratoire sur la continuité écologique. L'appel (ouvert aux élus, associations, institutions et personnalités de la société civile) peut être signé à cette adresse.
L’Observatoire de la continuité écologique et des usages de l’eau (OCE), la Fédération Des Moulins de France (FMDF), la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins (FFAM), l’Association des riverains de France (ARF), l’Union nationale des syndicats et associations des aquaculteurs en étangs et bassins (UNSAAEB), Electricité autonome française (EAF) et France Hydro Electricité (FHE) ont lancé un appel commun pour demander un moratoire sur la mise en œuvre de la continuité écologique.
Cet appel est ouvert dans les prochains mois à la signature des élus, des institutions et des personnalités de la société civile. Il sera remis en 2016 au Ministre de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie (MEDDE), assorti d’un diagnostic de la situation et de propositions d’actions.
Fort de l’expérience de leurs milliers d’adhérents, les signataires de l’appel tirent la sonnette d’alarme non pas sur la continuité écologique elle-même, qui est un outil de gestion des bassins hydrauliques parmi d’autres, mais sur la manière dont elle est mise en œuvre depuis dix ans par la Direction de l’eau et de la biodiversité du MEDDE, les agents instructeurs en services déconcentrés (DDT, Onema, DREAL) et les Agences de l’eau.
Dans les rivières classées au titre de la continuité écologique (article 214-17 Code de l’environnement) et pour les 20.000 ouvrages concernés d’ici 2018, on constate en effet sur le terrain:
De surcroît, la politique actuelle de continuité écologique représente des dépenses considérables d'argent public sans aucune garantie de résultat vis-à-vis de nos obligations européennes et sans respect de l’esprit de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) de 2006. Il convient en effet de rappeler que :
Un moratoire sur la continuité écologique apparaît comme la seule solution pour prendre en considération l’ensemble de ces réalités et pour ouvrir une concertation devenue indispensable avec les propriétaires, usagers, exploitants et riverains.
L’Observatoire de la continuité écologique et des usages de l’eau (OCE), la Fédération Des Moulins de France (FMDF), la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins (FFAM), l’Association des riverains de France (ARF), l’Union nationale des syndicats et associations des aquaculteurs en étangs et bassins (UNSAAEB), Electricité autonome française (EAF) et France Hydro Electricité (FHE) ont lancé un appel commun pour demander un moratoire sur la mise en œuvre de la continuité écologique.
Cet appel est ouvert dans les prochains mois à la signature des élus, des institutions et des personnalités de la société civile. Il sera remis en 2016 au Ministre de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie (MEDDE), assorti d’un diagnostic de la situation et de propositions d’actions.
Fort de l’expérience de leurs milliers d’adhérents, les signataires de l’appel tirent la sonnette d’alarme non pas sur la continuité écologique elle-même, qui est un outil de gestion des bassins hydrauliques parmi d’autres, mais sur la manière dont elle est mise en œuvre depuis dix ans par la Direction de l’eau et de la biodiversité du MEDDE, les agents instructeurs en services déconcentrés (DDT, Onema, DREAL) et les Agences de l’eau.
Dans les rivières classées au titre de la continuité écologique (article 214-17 Code de l’environnement) et pour les 20.000 ouvrages concernés d’ici 2018, on constate en effet sur le terrain:
- un postulat systématique en faveur de la destruction des ouvrages hydrauliques (seuils, barrages, digues) ;
- un défaut de concertation avec les riverains et d’écoute de leurs attentes ;
- une absence de garanties concernant les risques pour les personnes, les biens et les écosystèmes (écoulements modifiés, sédiments pollués) ;
- un arbitraire dans le choix des solutions imposées et une absence de justification scientifique de leur bien-fondé écologique ;
- une exigence d’équipements qui dépassent largement la solvabilité des maîtres d’ouvrage et qui mettent parfois en péril la durabilité des activités professionnelles (aquaculteurs, hydro-électriciens) ;
- un manque de disponibilité des services instructeurs de l’Etat, reconnaissant eux-mêmes que le délai de 5 ans de mise en œuvre du classement ne pourra pas être respecté, faute de moyens humains et techniques.
De surcroît, la politique actuelle de continuité écologique représente des dépenses considérables d'argent public sans aucune garantie de résultat vis-à-vis de nos obligations européennes et sans respect de l’esprit de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) de 2006. Il convient en effet de rappeler que :
- la directive cadre européenne sur l’eau (DCE 2000) n’a jamais fait de la continuité longitudinale de la rivière une condition de reconquête du bon état chimique et écologique des masses d’eau, de sorte que la référence à une « obligation européenne » est inexacte et trompeuse ;
- la LEMA 2006 pose l’enjeu de continuité pour les poissons migrateurs en demandant un équipement et une gestion concertés (non pas une destruction imposée par chantage économique ni des exigences disproportionnées aux enjeux environnementaux et aux capacités du maître d’ouvrage) ;
- la France accuse un retard considérable sur la mise en œuvre des directives européenne nitrates et eaux usées de 1991 comme sur la mise en œuvre de la DCE 2000, par incapacité à prioriser les enjeux pour la qualité de l’eau et à agir sur les réels facteurs dégradant cette qualité;
- les études scientifiques les plus récentes montrent une très faible corrélation entre la présence de seuils ou barrages en rivières et la dégradation des indicateurs biologiques de la DCE 2000, de même qu’une très faible probabilité d’atteindre le bon état d’une masse d’eau par la restauration morphologique.
Un moratoire sur la continuité écologique apparaît comme la seule solution pour prendre en considération l’ensemble de ces réalités et pour ouvrir une concertation devenue indispensable avec les propriétaires, usagers, exploitants et riverains.
Loire-Bretagne : 50 ans de pollution aux nitrates
Discours mille fois entendu quand on discute avec les Agences de l'eau ou les syndicats de rivière: "nous dépensons énormément pour les pollutions et la situation s'améliore, beaucoup de rivières sont en réalité dégradées à cause de la morphologie et non pas de la chimie".
Voici l'évolution des nitrates en bassin Loire-Bretagne depuis 1971 (source, pdf), c'est-à-dire grosso modo depuis la création de l'Agence de bassin censée protéger la ressource en eau.
On voit que sur tous les sous-bassins de Loire-Bretagne, nous sommes largement au-dessus des concentrations initiales. Qui peut croire un seul instant que dans le même intervalle de temps, les pollutions par pesticides, HAP et résidus de combustion, médicaments, microplastiques et autres biotoxiques se sont améliorées ? On voit aussi qu'il n'existe quasiment aucun progrès sur les masses d'eau en état moyen à mauvais depuis des décennies. L'Agence de l'eau Loire-Bretagne avoue qu'elle n'est même pas capable en 2015 de mesurer l'ensemble de ces pollutions. Ce qui ne l'empêche pas dans le domaine de la continuité écologique d'exiger des "taux d'étagement", "taux de fractionnement" et autres gadgets pleins de certitudes déplacées sur les causes supposées de dégradation des milieux aquatiques – particulièrement déplacées en l'occurrence, vu le rôle positif des seuils et barrage en bilan d'azote (voir la rubrique auto-épuration ; voir aussi la problématique de l'Anthropocène comme accélération et convergence des pressions sur les milieux).
Voici l'évolution des nitrates en bassin Loire-Bretagne depuis 1971 (source, pdf), c'est-à-dire grosso modo depuis la création de l'Agence de bassin censée protéger la ressource en eau.
On voit que sur tous les sous-bassins de Loire-Bretagne, nous sommes largement au-dessus des concentrations initiales. Qui peut croire un seul instant que dans le même intervalle de temps, les pollutions par pesticides, HAP et résidus de combustion, médicaments, microplastiques et autres biotoxiques se sont améliorées ? On voit aussi qu'il n'existe quasiment aucun progrès sur les masses d'eau en état moyen à mauvais depuis des décennies. L'Agence de l'eau Loire-Bretagne avoue qu'elle n'est même pas capable en 2015 de mesurer l'ensemble de ces pollutions. Ce qui ne l'empêche pas dans le domaine de la continuité écologique d'exiger des "taux d'étagement", "taux de fractionnement" et autres gadgets pleins de certitudes déplacées sur les causes supposées de dégradation des milieux aquatiques – particulièrement déplacées en l'occurrence, vu le rôle positif des seuils et barrage en bilan d'azote (voir la rubrique auto-épuration ; voir aussi la problématique de l'Anthropocène comme accélération et convergence des pressions sur les milieux).
08/10/2015
Aucune influence des seuils et barrages sur la distribution des poissons en rivières portugaises (Branco et al 2012)
Une équipe de chercheurs de l'Université de Lisbonne, en étudiant les distributions de 7 espèces de poissons sur 196 sites de 3 bassins portugais, ne parvient pas à trouver une influence significative des obstacles à l'écoulement sur les peuplements piscicoles, que les espèces concernées soient patrimoniales ou exotiques. Des résultats similaires à ceux observés récemment au Canada, en Autriche, en Allemagne ou en France.
La perte de connectivité des rivières est supposée être l'un des impacts majeurs sur les populations de poissons. Pour vérifier cette assertion, Maria Teresa Ferreira, Paulo Branco et leurs collègues (Université de Lisbonne) ont analysé 196 sites réparti sur 3 bassins fluviaux : le Tage (700 km de linéaire, bassin versant de 24 800 km2), le Mondego (227 km, 6670 km2) et la Vouga (136 km, 3600 km2), carte ci-dessous.
Dans ces bassins, sept espèces bien réparties ont été analysées : deux espèces potamodromes, le barbeau ibérique (Luciobarbus bocagei) et le nase ibérique (Pseudochondrostoma polylepis) ; deux espèces sédentaires cyprinidées, le Squalius alburnoides et le Cobitis paludica ; trois espèces exotiques, le poisson-moustique de l'Est (Gambusia holbrooki), la perche soleil (Lepomis gibbosus) et le chabot des Pyrénées (Gobio lozanoi).
Les obstacles à l'écoulement ont été repérés sur observation cartographique, à défaut d'un référentiel de recensement sur le terrain. Outre la connectivité, les chercheurs ont collecté quatre variables sur l'hydrologie des masses d'eau, huit variables sur la morphologie et cinq variables sur la qualité de l'eau, ainsi que des données climatiques.
Plusieurs techniques statistiques de modèles linéaires généralisés ont été employées, afin de minimiser le risque d'une mauvaise interprétation. Branco et ses collègues ont visé à vérifier si les variables de connectivité sont incluses dans les facteurs influant la distribution des poissons, si la comparaison des sites impactés / non-impactés par des obstacles permet de confirmer les modèles et si une classification hiérarchique peut situer l'importance de la continuité et des barrières migratoires comme prédicteurs des peuplements piscicoles.
Voici la principale conclusion des scientifiques : "Nos résultats indiquent un manque général d'influence des obstacles sur les distributions des poissons d'eaux douces. Les effets de l'environnement et des pressions humaines excèdent l'effet isolé des pertes de continuité". Et ils ajoutent : "un grand enjeu de programmation et d'effort financier sera associé à la restauration de rivières au cours des prochaines décennies. Il est donc important d'assurer un ratio coût-bénéfice maximum pour que les rivières tendent vers un statut de meilleure santé écologique".
Discussion
Le travail de Branco et al sur 7 espèces de poissons présents dans les rivières portugaises n'a rien de très surprenant au regard des autres données récentes de la littérature scientifique (par exemple Dahm et al 2013 en Autriche et en Allemagne, Mahlum et al 2014 au Canada, Van Looy et al 2014 et Villeneuve et al 2015 en France). Dans les études à grande échelle, les obstacles à l'écoulement ont bel et bien quelques effets sur la distribution relative des assemblages de poissons au sein et entre des tronçons de bassins versants, mais il est difficile de leur imputer une perte globale de biodiversité et d'y assigner une variation importante de la qualité piscicole (écologique en général) en regard des autres pressions subies par les rivières. Quand on supprime un obstacle, il est certain que le peuplement de la retenue va se modifier (et que sa morphologie va se normaliser avec la section de rivière concernée). La littérature abonde de monographies à ce sujet, mais on tend à confondre ces résultats tout à fait triviaux avec la démonstration d'un gain réel et significatif en terme de biodiversité totale ou même de protection d'espèces patrimoniales.
A cela s'ajoute que les peuplements de rivières ont été en permanence modifiés au cours des siècles et millénaires passés (Bouleau et Pont 2015, voir aussi Haidvogl et al 2015 et l'ensemble du n° spécial d'Aquatic Sciences sur cette question), de sorte que les espèces en place sont probablement le résultat d'adaptation à des pressions plus anciennes de sélection ainsi qu'à des mélanges de populations dus à des introductions volontaires ou accidentelles. L'idée qu'il faudrait supprimer le maximum de seuils (dont beaucoup pluriséculaires) afin de produire de l'habitat "renaturé" et destiné à accueillir un certain peuplement stable de référence n'a pas vraiment de sens – surtout à l'aube d'un réchauffement climatique qui va changer la donne pour tous les milieux continentaux. Cette idée déjà datée au regard du progrès de nos connaissances en écologie et évolution préside malheureusement à de nombreux travaux de restauration de rivière. Avec bien peu de considération pour le rapport coût-bénéfice évoqué par Paulo Branco et ses collègues.
Référence : Branco P et al (2012), Does longitudinal connectivity loss affect the distribution of freshwater fish, Ecological Engineering, 48, 70-78.
La perte de connectivité des rivières est supposée être l'un des impacts majeurs sur les populations de poissons. Pour vérifier cette assertion, Maria Teresa Ferreira, Paulo Branco et leurs collègues (Université de Lisbonne) ont analysé 196 sites réparti sur 3 bassins fluviaux : le Tage (700 km de linéaire, bassin versant de 24 800 km2), le Mondego (227 km, 6670 km2) et la Vouga (136 km, 3600 km2), carte ci-dessous.
Dans ces bassins, sept espèces bien réparties ont été analysées : deux espèces potamodromes, le barbeau ibérique (Luciobarbus bocagei) et le nase ibérique (Pseudochondrostoma polylepis) ; deux espèces sédentaires cyprinidées, le Squalius alburnoides et le Cobitis paludica ; trois espèces exotiques, le poisson-moustique de l'Est (Gambusia holbrooki), la perche soleil (Lepomis gibbosus) et le chabot des Pyrénées (Gobio lozanoi).
Les obstacles à l'écoulement ont été repérés sur observation cartographique, à défaut d'un référentiel de recensement sur le terrain. Outre la connectivité, les chercheurs ont collecté quatre variables sur l'hydrologie des masses d'eau, huit variables sur la morphologie et cinq variables sur la qualité de l'eau, ainsi que des données climatiques.
Plusieurs techniques statistiques de modèles linéaires généralisés ont été employées, afin de minimiser le risque d'une mauvaise interprétation. Branco et ses collègues ont visé à vérifier si les variables de connectivité sont incluses dans les facteurs influant la distribution des poissons, si la comparaison des sites impactés / non-impactés par des obstacles permet de confirmer les modèles et si une classification hiérarchique peut situer l'importance de la continuité et des barrières migratoires comme prédicteurs des peuplements piscicoles.
Voici la principale conclusion des scientifiques : "Nos résultats indiquent un manque général d'influence des obstacles sur les distributions des poissons d'eaux douces. Les effets de l'environnement et des pressions humaines excèdent l'effet isolé des pertes de continuité". Et ils ajoutent : "un grand enjeu de programmation et d'effort financier sera associé à la restauration de rivières au cours des prochaines décennies. Il est donc important d'assurer un ratio coût-bénéfice maximum pour que les rivières tendent vers un statut de meilleure santé écologique".
Discussion
Le travail de Branco et al sur 7 espèces de poissons présents dans les rivières portugaises n'a rien de très surprenant au regard des autres données récentes de la littérature scientifique (par exemple Dahm et al 2013 en Autriche et en Allemagne, Mahlum et al 2014 au Canada, Van Looy et al 2014 et Villeneuve et al 2015 en France). Dans les études à grande échelle, les obstacles à l'écoulement ont bel et bien quelques effets sur la distribution relative des assemblages de poissons au sein et entre des tronçons de bassins versants, mais il est difficile de leur imputer une perte globale de biodiversité et d'y assigner une variation importante de la qualité piscicole (écologique en général) en regard des autres pressions subies par les rivières. Quand on supprime un obstacle, il est certain que le peuplement de la retenue va se modifier (et que sa morphologie va se normaliser avec la section de rivière concernée). La littérature abonde de monographies à ce sujet, mais on tend à confondre ces résultats tout à fait triviaux avec la démonstration d'un gain réel et significatif en terme de biodiversité totale ou même de protection d'espèces patrimoniales.
A cela s'ajoute que les peuplements de rivières ont été en permanence modifiés au cours des siècles et millénaires passés (Bouleau et Pont 2015, voir aussi Haidvogl et al 2015 et l'ensemble du n° spécial d'Aquatic Sciences sur cette question), de sorte que les espèces en place sont probablement le résultat d'adaptation à des pressions plus anciennes de sélection ainsi qu'à des mélanges de populations dus à des introductions volontaires ou accidentelles. L'idée qu'il faudrait supprimer le maximum de seuils (dont beaucoup pluriséculaires) afin de produire de l'habitat "renaturé" et destiné à accueillir un certain peuplement stable de référence n'a pas vraiment de sens – surtout à l'aube d'un réchauffement climatique qui va changer la donne pour tous les milieux continentaux. Cette idée déjà datée au regard du progrès de nos connaissances en écologie et évolution préside malheureusement à de nombreux travaux de restauration de rivière. Avec bien peu de considération pour le rapport coût-bénéfice évoqué par Paulo Branco et ses collègues.
Référence : Branco P et al (2012), Does longitudinal connectivity loss affect the distribution of freshwater fish, Ecological Engineering, 48, 70-78.
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