20/10/2015

Exemplarité? Pédagogie? La France sacrifie son potentiel hydraulique à l'heure de la COP21

Alors que la France sacrifie la plus propre et la mieux répandue de ses énergies renouvelables – hydro-électricité –, Ségolène Royal parle de pédagogie et d'exemplarité dans la lutte contre le réchauffement climatique.  Mme la Ministre serait crédible si elle exigeait une refonte complète de la politique de continuité écologique, conçue pour détruire et non équiper le potentiel énergétique de nos rivières.


Nous lisons dans la communication du Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie que Ségolène Royal mobilise les grandes institutions rattachées au Ministère, en vue de la COP 21. Il y est écrit que "la Ministre souhaite poursuivre la pédagogie sur les enjeux liés au changement climatique : démontrer l’exemplarité de la France et son engagement en faveur de la transition énergétique et du climat ; mobiliser la société autour des enjeux de la COP21 et des changements climatiques." 

Avec surprise, on observe que les Agences de l'eau et l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) font partie des institutions concernées par l'initiative de Mme Royal.

Ces deux institutions organisent depuis plusieurs années la destruction programmée du potentiel hydro-électrique français.
  • Les Agences de l'eau (en particulier Loire-Bretagne et Seine-Normandie) financent prioritairement l'effacement des seuils et barrages de France, équipement qui permettrait de tirer profit de la source d'énergie ayant le meilleur bilan carbone des ENR. 
  • L'Onema conçoit puis impose des demandes exorbitantes pour tous les projets hydro-électriques (passes à poissons, grilles fines, goulottes de dévalaison, programmes de surveillance, mesures compensatoires, etc.), traitant de la même manière le moulin modeste de 5 ou 50 kW et l'usine de 500 ou 5000 kW, ce qui a pour effet de décourager la plupart des porteurs de projet en rendant excessivement coûteuse et inutilement complexe la relance d'activité sur les petites puissances, lesquelles représentent 83% des sites présents sur nos cours d'eau.
Le bilan carbone de cette politique des pelleteuses en rivière et des règlementations kafkaïennes est évidemment un désastre, d'autant que l'on efface des infrastructures déjà en place ne demandant qu'à fonctionner de nouveau sans avoir à couler des tonnes de béton ni à perturber l'équilibre actuel des hydrosystèmes.

A qui profite le crime? Il faut le demander aux nombreux lobbies de l'eau et de l'énergie qui militent pour cette destruction ou qui la tolèrent sans mot dire. Ce qui est sûr, c'est que cela ne profite pas au climat, dont le changement est pourtant considéré comme menace de premier ordre pour les milieux, y compris les milieux aquatiques continentaux et océaniques.

Illustrations : effacements sur l'Arnon, Nouvelle République, DR.

A lire pour comprendre les enjeux à l'heure de la COP 21

Découvrir la petite hydraulique
Les moulins à eau et la transition énergétique: faits et chiffres 2015

18/10/2015

Idée reçue #02 : "Les seuils et barrages ont un rôle majeur dans la dégradation des rivières et des milieux aquatiques"

Au coeur des politiques de continuité écologique, on trouve l'idée que les seuils des moulins et les barrages ont un impact de premier plan sur la qualité écologique et chimique des rivières. Seule cette conviction – notoirement portée par certains lobbies ayant l'oreille de la Direction de l'eau du Ministère de l'Ecologie, comme FNE et FNPF – permet de justifier un classement massif de rivière à fin de continuité écologique et un effacement non moins massif d'ouvrages pour restaurer des habitats que l'on suppose "dégradés". Mais la science est meilleure conseillère que les lobbies. Et ses travaux récents ne confortent absolument pas l'idée d'une influence majeure des ouvrages hydrauliques (particulièrement les moulins) sur la qualité de l'eau et sur la biodiversité. Brève synthèse pour remettre les idées à l'endroit et combattre les manipulations. 


Avant toute chose, rejetons une idée fausse : les seuils de moulin n'auraient aucune influence sur la rivière et son peuplement. C'est évidemment inexact. N'importe quel obstacle (y compris naturel comme une cascade, un embâcle barrant une petite rivière ou encore un barrage de castor) a des effets sur la morphologie et la biologie du cours d'eau. A fortiori des constructions humaines pérennes. Sur une rivière fragmentée, on s'attend à des phénomènes comme une réduction de diversité génétique de certaines populations, un moindre accès vers l'amont de grands migrateurs remontant depuis la mer, un changement dans la fréquence relative d'espèces au sein des assemblages biotiques (poissons, invertébrés, macrophytes, unicellulaires, etc.),  une modification de la ligne d'énergie donc du processus érosion-sédimentation, une apparition de faciès calmes ou stagnants (lentiques) par rapport à des écoulements vifs (lotiques), un changement de substrat sur le linéaire directement modifié (remous des ouvrages), un réchauffement estival au moins superficiel de l'eau de retenue, etc. Il existe de nombreux articles et monographies à ce sujet dans la littérature scientifique (cf une synthèse partielle chez Souchon et Malavoi 2012).

En première réserve, il faut d'abord noter que cette littérature française ou internationale concerne au premier chef l'examen de la grande hydraulique c'est-à-dire des ouvrages de génie civil dépassant les 10 m ou 20 m de hauteur. Or, ces conditions d'observation n'ont rien à voir avec l'essentiel du patrimoine hydraulique français, formé de petits ouvrages. Sur la version documentée en hauteur du Référentiel des obstacles à l'écoulement de l'Onema (échantillon de plus de 14.000 ouvrages), il apparaît que 83,36% des seuils ont moins de 2 m de hauteur, 51,48% moins de 1 m. C'est donc une dominante de très petite hydraulique, différentes des grands barrages construits pour l'essentiel au XXe siècle. Une équipe de chercheurs américains a souligné la nécessité de cette distinction dans la politique de gestion écologique et a comparé l'impact de la petite et ancienne hydraulique à celui des barrages de castors (Hart et al 2002).

En seconde réserve, et de loin la plus importante, l'existence d'un impact quelconque est un résultat trivial car attendu (l'homme change en permanence les milieux depuis le début de son évolution et au long de son expansion sur Terre, particulièrement depuis la Révolution industrielle cf Steffen et al 2015), et un résultat neutre sur le point essentiel : savoir si les effets des seuils et barrages sont importants ou modestes pour la qualité de l'eau et des milieux qu'elle abrite. 

Les grands facteurs tendant à détériorer la qualité de l’eau et des milieux aquatiques sont assez bien identifiés dans la littérature scientifique internationale (par exemple des revues de synthèse chez Dudgeon et al 2006, Stendera et al 2012). Ces facteurs agissent sur le temps long (plusieurs décennies voire davantage) et certains interagissent. On peut citer:
  • le changement climatique (hausse des tempértaures moyennes, fréquence accrue des événements extrêmes) ;
  • la hausse des prélèvements quantitatifs de la ressource en eau ;
  • la pêche (dont surpêche, pêche illégale, braconnage) ;
  • les espèces invasives / indésirables (dont les pathogènes et parasites affectant les espèces patrimoniales) ;
  • les pollutions (dont l’eutrophisation par excès de matières azotées / phosphorées, les molécules issues de la chimie de synthèse comme les biocides, les résidus médicamenteux, les polymères non dégradables, etc.) ;
  • la dégradation des habitats (dont l’hydrogéomorphologie, incluant la fragmentation des continuités longitudinales et latérales).
On voit que la question des seuils et barrages est très loin de concentrer toute l'attention de la recherche en rivière. Quelle est l'importance de chacun de ces impacts que nous venons d'énumérer? Aucun modèle scientifique n'est actuellement capable de les prendre tous en compte pour produire une estimation du poids relatif de chacun d'eux dans la variation de biodiversité (plus généralement l'évolution des peuplements biologiques de la rivière). D'une part, les données quantitatives de long terme manquent (sur les peuplements comme sur les impacts) ; d'autre part, les milieux aquatiques couplés à leurs influences physiques, biologiques, chimiques sont des systèmes complexes et non-linéaires qui défient encore la modélisation. La science des rivières est jeune et en construction : vouloir lui faire produire des conclusions définitives ou des orientations robustes est une erreur. Combien de fois le gestionnaire a-t-il prétendu développer une politique éclairée pour reconnaître ensuite, et trop tard, qu'elle était précipitée?

Il existe toutefois des travaux scientifiques permettant d'estimer certains impacts des seuils ou barrages sur des variables biologiques, et de comparer ces impacts à ceux d'autres pressions humaines. En particulier, l'obligation de mesure de qualité chimique, physique, morphologique et biologique des eaux superficielles, imposée par la Directive cadre européenne 2000, commence à produire des données à grande échelle, exploitables par des modèles descriptifs et prédictifs.

En France, dans le bassin de Loire, une analyse de 17.000 km de linéaire, divisés en 4930 segments homogènes avec plus de 5500 obstacles à l'écoulement présents sur le linéaire étudié, ne révèle qu'un impact modeste de la densité de barrage sur la qualité écologique, plus marqué sur l'amont que sur l'aval. Le score global de qualité piscicole (IPR) ou invertébrés (I2M2) ne montre aucune corrélation significative avec la densité locale de barrages, la corrélation n'apparaissant qu'avec l'échelle supérieure (sur le bassin versant). La variance globale des scores n'est que minoritairement associée à la densité des barrages : 25% pour les macro-invertébrés, mais 12% seulement pour les poissons. Au sein des indices, les métriques de la biodiversité (NTE et DTI pour l'IPR, indice de Shannon et richesse taxonomique pour l'I2M2) ne répondent pas à la présence des barrages par des variations significatives (Van Looy et al 2014).

Une deuxième étude récente a collecté sur 1100 sites répartis dans les 22 hydro-éco-régions françaises des mesures de qualité biologique : macro-invertébrés (I2M2), diatomées (IBD) et poissons (IPR+). La densité de barrage n'est qu'en 13e position des facteurs explicatifs de la variance des indicateurs piscicoles, et aucune corrélation n'est trouvée avec les diatomées. La réponse des invertébrés est plus forte (l'I2M2, qui a remplacé l'IBGN, répond plus fortement à la morphologie). En terme d'intensité de la réponse, les variables physicochimiques (nitrate, phosphate) ont les plus hauts coefficients, suivi par les variables d'usages des sols et, en dernier ressort seulement, les variables hydromorphologiques (Villeneuve et al 2015).

Ces deux études convergent pour montrer que l'effet des seuils et barrages sur les indicateurs biologiques de qualité de l'eau comme sur la biodiversité est faible, en particulier s'il est comparé à d'autres pressions. Ces recherches sont loin d'être isolées. Un précédent travail en France sur 301 sites avait montré que la qualité biologique des rivières avait comme premier prédicteur à échelle du bassin versant les usages des sols (agriculture, forêt) et non pas la morphologie, dont les seuils ne sont qu'un élément. Les seuils influencent en revanche les métriques de qualité à échelle du tronçon, mais l'ensemble des impacts humains confondus n'explique au total qu'un tiers de la variation des peuplements biologiques, ce qui suggère une forte variabilité naturelle de fond, à prendre en compte avant toute action sur une rivière (Marzin et al 2013, voir aussi Marzin et al 2012).

Ces travaux français sont rejoints dans leurs conclusions par d'autres études scientifiques européennes ou internationales. Un travail sur 2302 sites de mesure en Allemagne et en Autriche a permis l'analyse des populations de poissons (n=713), de macro-invertébrés (n=1753) et de diatomées (n=808) en fonction de quatre impacts : hydromorphologie, qualité physico-chimique, occupation des sols en rive, usage des sols sur le bassin versant. Il en ressort que l'excès de nutriment et l'occupation des sols sur le bassin versant sont les deux facteurs de stress discriminant pour tous les groupes d'organisme, dépassant les effets du stress hydromorphologique à l'échelle des sites – l'hydromorphologie recouvrant de nombreuses pressions autres que les seuils et barrages (Dahm et al 2013). En Allemagne toujours, un modèle pour mieux comprendre la distribution des poissons en rivières, en fonction des habitats disponibles, des capacités de dispersion des espèces et des barrières à la migration a été développé et testé sur une rivière : pour 17 espèces de poissons, il ne trouve aucune influence des obstacles à l'écoulement (Radinger et Wolter 2015). Au Portugal, l'analyse des distributions de 7 espèces de poissons sur 196 sites de 3 bassins ne parvient pas à trouver une influence significative des obstacles à l'écoulement sur les peuplements piscicoles (Branco et al 2012). Au Canada, un travail montre que l'influence de la connectivité (seuils et barrages) sur les assemblages piscicoles existe localement mais qu'elle diminue et devient peu significative quand on analyse l'ensemble du bassin versant (Mahlum et al 2014). Aux Etats-Unis, une étude menée sur 1227 tronçons de rivière comportant 5215 barrages conclut que la variance expliquée des populations piscicoles est de 16% pour l'intégrité biotique et 19% pour les préférences d'habitat. Ce résultat est plutôt à considérer comme un maximum car les auteurs ont choisi d'exclure les tronçons ayant des impacts anthropiques fort en urbanisation et agriculture, ce qui augmente le poids relatif des ouvrages sur les assemblages piscicoles (Wang et al 2011)

Un autre moyen d'analyser l'influence des obstacles à l'écoulement est de considérer l'histoire des peuplements piscicoles. C'est en particulier utile pour comprendre l'impact des petits ouvrages de moulins, qui étaient pour la plupart déjà présents au XVIIIe siècle. Les données historiques relatives à l'anguille dans la zone ibérique montre que les seuils et barrages anciens, présents de l'époque romaine jusqu'au XIXe siècle, n'ont pas empêché la colonisation de tous les bassins de la Péninsule, et que l'intervention sur un faible nombre de barrages permet de restaurer 40 à 80% du territoire historique (Clavero et Hermoso 2015). En France, des travaux déjà classiques sur l'histoire du saumon en tête de bassin Loire ou Seine parviennent à des résultats similaires : le saumon n'a régressé qu'à partir du milieu du XIXe siècle avec l'apparition d'ouvrages de navigation sur les fleuves ou de barrages de plus hautes dimensions sur les rivières, alors qu'il circulait jusqu'en tête de bassin à l'âge des moulins (Bachelier 1963, Bachelier 1964, Beslagic 2013, Roule 1920). Certains de ces travaux montrent aussi que les peuplements de poissons changent par l'introduction d'espèces exotiques davantage que par des extinctions.

Remettons donc les idées à l'endroit : les travaux les plus récents de la recherche montrent que les seuils et barrages (plus largement la morphologie) sont très loin d'être les premiers facteurs de dégradation des indicateurs biologiques de qualité des rivières. Leur influence sur ces indicateurs, comme sur la biodiversité, est faible voire nulle selon les hydrosystèmes étudiés. Des travaux préliminaires suggèrent en particulier que la petite hydraulique des moulins (qui représente plus de 80% des obstacles à l'écoulement en rivière) représente un impact très faible à l'époque historique et contemporaine. Cela ne signifie pas que les seuils et barrages n'ont aucun effet sur la biologie ni la morphologie : simplement que cet effet n'a nullement la gravité que d'aucuns lui accordent dans le débat public et dans les choix de gestion. A effets modestes doivent répondre des aménagements modestes, certainement pas des effacements d'ouvrages à grande échelle ni des dépenses d'équipement exorbitantes par rapport à leur résultat.


Quelles conclusions peut-on tirer ?
  • La recherche scientifique est un processus ouvert de consolidation progressive de nos connaissances et, dans le domaine des rivières (hydro-écologie, hydromorphologie, histoire de l'environnement, écologie évolutive et moléculaire, etc.), elle est encore en pleine phase de construction. Les débats y sont nombreux, comme les incertitudes. Une communication correcte de la science vers le grand public et vers le décideur exige d'en faire mention au lieu de mettre en avant des croyances et des pseudo-certitudes . 
  • La continuité longitudinale est un angle légitime d'analyse, gestion et parfois amélioration du fonctionnement d'une rivière, ou de restauration d'axes migrateurs. Mais la politique française de continuité visant à classer massivement des rivières et tous leurs ouvrages est disproportionnée aux enjeux écologiques au regard de nos connaissances actuelles. Elle est de surcroît erronée au plan de la méthode, car tous les travaux scientifiques insistent sur la nécessité d'agir sur la rivière après avoir pris la mesure exacte de l'ensemble des pressions sur le bassin versant, faute de quoi les choix de restauration auront des effets faibles à nuls (voire négatifs, nous y reviendrons dans une autre idée reçue).
  • La politique de restauration des grands axes migrateurs doit distinguer la petite de la grande hydraulique, déployer d'abord une analyse à grande échelle de l'histoire des peuplements piscicoles et cibler les interventions avec une analyse coût-avantage. L'histoire de l'environnement est aussi indispensable pour comprendre la variabilité naturelle des peuplements de rivière, qui est semble-t-il bien plus forte que ne laissaient penser des anciennes biotypologies développées au XXe siècle.
  • Le choix radical de l'effacement du plus grand nombre d'ouvrages, privilégié par les gestionnaires, n'a ni légitimité démocratique ni base scientifique : il doit être combattu avec la plus grande vigueur en raison de la dépense indue d'argent public mais aussi de ses nombreux effets négatifs sur les autres dimensions de la rivière et de son patrimoine hydraulique (histoire, culture, énergie, irrigation, pisciculture, activité récréative, etc.).
  • La recherche publique et l'acquisition de données sur les rivières doivent faire l'objet d'un effort national conséquent (ce que permet notamment le budget des Agences de l'eau, dont une part est dépensée dans des actions sans intérêt) car elles sont à la base de toute politique éclairée de l'eau et de la biodiversité. De nombreux facteurs – y compris de premier ordre comme le changement climatique – sont encore trop mal connus, alors qu'il est indispensable de faire les bons choix à l'échelle du siècle. 
Pour aller plus loin : les travaux de recherche cités dans cette page sont pour la plupart recensés en détail dans notre rubrique science.

Précision méthodologique : nous ne citons ici que des articles scientifiques parus dans la littérature "revue par les pairs". Les débats sur l'eau produisent en abondance ce que l'on appelle la "littérature grise", c'est-à-dire des rapports d'agences, de bureaux d'études, de techniciens, d'associations, etc. Ces travaux sont souvent informatifs, mais ils ne sont pas à proprement parler scientifiques. Par ailleurs, ces travaux sont parfois commandés et financés par le gestionnaire, ou rédigés par une partie prenante de l'objet d'étude, ce qui implique un biais. Par construction, la publication scientifique est conçue pour minimiser de tels travers et c'est à elle qu'il faut se référer en priorité.

Illustration : seuil sur le Serein, à Toutry, datant du Moyen Âge ; barrage d'alimentation du canal de Bourgogne sur la Brenne, à Grosbois-en-Montagne, datant du XIXe siècle. 

17/10/2015

Idée reçue #01 : "Le propriétaire n'est pas obligé d'effacer son barrage, il est entièrement libre de son choix"

Nous inaugurons une nouvelle rubrique dédiée aux idées reçues sur les moulins et usines à eau, ainsi que sur les politiques publiques de l'eau. La première idée reçue (entendue encore à titre d'exemple cette semaine à la dernière réunion syndicale du SICEC) consiste à laisser croire que rien n'est fait en France pour imposer l'effacement des ouvrages hydrauliques et que les propriétaires sont parfaitement libres de choisir d'autres solutions. Au mieux, c'est une ignorance du terrain ; au pire, une hypocrisie et une tromperie.  Voici comment les choses se passent réellement au bord des rivières.

En réunion publique ou dans les médias, on lit parfois de la part des syndicats de rivière ou des représentants de l'Etat que "les propriétaires ne sont nullement contraints d'effacer leur ouvrage en rivière". Cette phrase est formellement exacte, et à dire vrai la loi n'a même jamais prévu l'effacement (ni la LEMA 2006 ni la loi de Grenelle 2009, ni la DCE 2000 ni sa transposition par la loi de 2004), de sorte que le caractère légal des nombreuses destructions d'ouvrage en cours sur nos rivières reste un point à éclaircir devant le juge.

Mais en réalité, toutes les associations travaillant la question savent ce qui se passe sur le terrain. Les syndicats de rivière et les administrations le savent aussi, de sorte que leur affirmation est parfaitement hypocrite – et cette hypocrisie creuse un peu plus le fossé avec les propriétaires et riverains, la concertation étant évidemment impossible avec des personnes qui nient la réalité et trompent le public.



Que se passe-t-il donc en rivière classée au titre de l'article L 214-17 C env, c'est-à-dire classée pour la continuité écologique ?

Si vous acceptez d'effacer (araser ou déraser) votre ouvrage hydraulique :
  • la DDT et l'Onema font le service minimum en dossier d'instruction, ce qui a pour effet d'accélérer le chantier – au risque de le bâcler – et de minimiser les coûts (par exemple ils n'exigent pas systématiquement d'inventaire complet de biodiversité du système hydraulique avant intervention, d'analyse chimique complète des sédiments, d'enquête patrimoniale auprès des services culturels STAP / DRAC, de modélisation avant/après de crues et étiages, etc. ) ;
  • pour féliciter le "bon élève" de la destruction du patrimoine hydraulique, le syndicat propose fréquemment avec accord de l'administration des aménagements complémentaires à l'effacement (restauration paysagère des berges, pose grâcieuse de clôtures, etc.)
  • l'Agence de l'eau propose un financement à 80% et, par des montages avec d'autres sources de financements publics, vous parvenez généralement à 95%, 98% voire 100% des frais couverts.
En clair : vous effacez, vous êtes aidé au plan réglementaire et financier.

Si vous refusez d'effacer et demandez le respect de la consistance légale de votre ouvrage (ce qui est la loi!), les choses se passent beaucoup plus mal :
  • la DDT et l'Onema exigent que vous leur fassiez des propositions à vos frais (coût d'un bureau d'étude entre 5 et 50 k€ selon la complexité du site ; si vous demandez une subvention Agence de l'eau pour l'étude, l'Agence impose son cahier des charges orienté vers l'effacement ou vers des solutions "ambitieuses" c'est-à-dire coûteuses. Autant dire qu'accepter la subvention Agence pour l'étude consiste à s'imposer à l'avance des frais futurs bien plus élevés que le montant de la subvention) ;
  • les aménagements demandés sont exorbitants, en particulier pour des ouvrages modestes présents depuis des siècles comme les moulins ou usines de petite puissance : passes à poissons ou autres dispositifs de franchissement, intégration d'enjeux sur des poissons non migrateurs (au contraire de ce que dit la loi), modernisation des vannes, grilles fines et goulotte de dévalaison, analyse d'impact des solutions proposées, procédure de suivi des impacts et preuve du résultat positif de l'aménagement, etc. (coût de ces travaux : des dizaines à des centaines de milliers d'euros selon les sites) ;
  • contrairement à l'effacement, l'Agence de l'eau oppose une fin de non-recevoir à vos demandes de subvention pour les travaux : 0% si votre ouvrage est considéré comme "sans usage structurant", entre 20 et 50% dans les autres cas. Le restant dû représente évidemment des sommes très élevées, alors même que le propriétaire ne retire aucun profit personnel des travaux exigés, et que ceux-ci lui imposent une servitude à vie d'entretien et surveillance.
Sur l'ensemble de la procédure d'aménagement (hors effacement donc), vous êtes entièrement abandonné à l'arbitraire des agents administratifs : DDT, Onema, Agence de l'eau apprécient selon leur bon vouloir les enjeux locaux. C'est la raison pour laquelle, dans des cas relativement similaires, on peut trouver des prescriptions très différentes d'une rivière à l'autre. L'inégalité des citoyens face à l'exécution de la loi est patente, et chacun est entretenu dans l'incertitude complète de ce qui sera exigé pour son bien (moyen de pression psychologique supplémentaire pour pousser à l'effacement).

En clair : vous ne voulez pas effacer votre seuil ou barrage, on vous matraque au plan réglementaire et financier, en espérant que votre insolvabilité vous poussera à accepter à contrecoeur le dogme de l'effacement.

Donc voici la vérité rétablie : "Le propriétaire n'est pas obligé d'effacer son barrage, il est entièrement libre de son choix ; mais refuser l'effacement peut conduire à la ruine, car les services administratifs (DDT, Onema) usent de tous les moyens de pression dont ils disposent pour empêcher cette issue. Qui veut garder son bien se trouve exposé à des dépenses exorbitantes, qui sont non ou très peu subventionnées par les Agences de l'eau. Cette politique déséquilibrée est très consciemment imposée par la Direction de l'eau du Ministère de l'Ecologie, sans aucune sanction démocratique de choix décidés en petit comité et en opposition à l'esprit de la loi sur l'eau. Les syndicats de rivière sont tout à fait informés de cette réalité et certains participent hélas! aux pressions en délivrant une information biaisée, partiale ou incomplète"

A signaler : par le coup de force du décret du 1er juillet 2014 et de l'arrêté du 11 septembre 2015, alors même que les retours d'expérience montraient la tension sur le terrain et que les rencontres au Ministère tiraient la sonnette d'alarme, l'administration prétend imposer ces pratiques arbitraires non seulement sur les cours d'eau classés au titre de la continuité écologique, mais sur tout ouvrage en rivière, à la seule discrétion du Préfet ! Ces textes font l'objet de requête en annulation devant le tribunal, tout comme le classement des rivières de 2012-2013.

Quelles solutions pour sortir du blocage ? 
  • Financement public bien plus élevé des aménagements (et non de la seule destruction)
  • Révision des classements dans un sens économiquement réaliste et conforme aux résultats scientifiques les plus récents sur l'optimisation des restaurations écologiques (inutilité d'aménager la plupart des seuils dont l'impact sur les milieux est minime par rapport aux autres pressions, voire dans certains cas à effet positif)
  • Moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique, car la situation est totalement figée. Le dialogue avec l'administration est devenu quasi-impossible, tant avec les services déconcentrés en département qu'avec la Direction de l'eau au Ministère, tandis qu'un nombre croissant d'élus locaux, de parlementaires et même de ministres expriment leur incompréhension sur cette impasse et la manière dont on y est parvenu.
Illustration : source, Université Drexel, DR

16/10/2015

L'anguille et les obstacles à sa migration à travers les âges (Clavero et Hermoso 2015)

Miguel Clavero et Virgilio Hermoso, deux chercheurs espagnols, se sont penchés sur les données historiques relatives à l'anguille dans la zone ibérique. Leurs principales conclusions : les seuils et barrages anciens, présents de l'époque romaine jusqu'au XIXe siècle, n'ont pas empêché la colonisation de tous les bassins de la Péninsule ; il suffit de rendre franchissables 12 barrages pour ouvrir 40% des bassins à l'anguille, et d'en aménager 76 pour retrouver 80% du territoire historique de l'anguille. Ce travail après bien d'autres montre la nécessité pour le gestionnaire de distinguer la petite de la grande hydraulique, l'utilité d'une analyse à grande échelle de l'histoire des peuplements piscicoles et l'intérêt d'un ciblage intelligent des opérations de restauration.

Les stocks d'anguille européenne (Anguilla anguilla) se sont effondrés en Europe à partir du début des années 1980, avec des rendements dans les pêcheries situés à moins de 10% des prises anciennes. L'espèce est considérée comme menacée sur le continent, ce qui a amené les Etats-membres à adopter un règlement européen (RCE 1100/2007) imposant des mesures de connaissance, de protection et gestion de l'anguille. En 2010, l'anguille a été classée comme espèce menacée en danger d'extinction.

Mais que sait-on au juste de la répartition ancienne de l'anguille, antérieure à cet effondrement? Miguel Clavero et Virgilio Hermoso ont cherché à répondre à cette question par une analyse historique de l'espèce dans la Péninsule ibérique.

Des sources d'information remontant jusqu'au XVIe siècle
Les auteurs observent qu'il existe plusieurs hypothèses en discussion dans la communauté scientifique concernant la chute récente des stocks d'anguille (nous y reviendrons plus bas), notamment des changements de circulation océaniques dans l'Atlantique. Ils écrivent: "En combinant les hypothèses récentes sur l'effondrement des anguilles, il paraît plausible que l'impact significatif des barrages construits en Espagne depuis les années 1950 et au Maroc depuis les années 1980 puisse avoir empêcher les anguilles de compenser des fluctuations de leur recrutement déterminées par des phénomènes naturels".

Pour examiner cette question, Clavero et Hermoso ont recours à une analyse historique. Ils observent: "Les perspectives à long terme sont indispensables pour comprendre les systèmes écologiques contemporains. Pourtant, les données historiques relatives à la distribution de la biodiversité n'ont été que rarement utilisées dans les sciences environnementales appliquées". Ce constat est tout à fait important quand on s'intéresse aux ouvrages hydrauliques : ceux-ci existent depuis l'époque antique, mais ont connu des évolutions qualitatives et quantitatives notables à l'âge médiéval, classique, moderne et finalement contemporain. Désigner "l'obstacle à l'écoulement", "l'étagement" ou "le fractionnement" comme un problème uniforme qu'il s'agirait de lever par sa suppression n'a guère de sens, car c'est une approche aussi irréaliste sur le plan gestionnaire que grossière sur le plan de la compréhension des écosystèmes aux temps historiques.

Plus de 10.000 informations ont été extraites par les chercheurs espagnols de deux sources historiques: l'une du XVIe siècle, le Relaciones Topogra ficas, un questionnaire distribué aux villages espagnols entre 1574 et 1582 durant le règne de Philippe II ; l'autre du XIXe siècle, le dictionnaire Madoz en 16 volumes, publié entre 1845 et 1865, pour lequel plus de 1400 informateurs locaux ont notamment renseigné les ressources halieutiques.

Les données contemporaines sur l'anguille sont quant à elles extraites du Global Biodiversity Information Facility (2677 fiches d'information sur l'anguille dans l'Inventaire national de biodiversité concernant l'Espagne).



A partir de ces données, les chercheurs ont construit des modèles probabilistes tournant sur 19.706 tronçons de rivières ibériques. Ils ont intégré 5 variables essentiellement relatives à la topographie et à distance à la mer, ainsi qu'une liste des barrages. L'évolution de la distribution est représentée dans les schémas ci-dessus (en haut, probabilité d'occurrence de l'anguille de 0 à 1 entre le XIXe siècle et le présent ; en bas présence en noire et absence en rouge de l'espèce).

Les auteurs tirent deux conclusions importantes.

La première concerne le faible impact anthropique sur l'anguille jusqu'au XIXe siècle : "Il est remarquable que les anciennes structures de retenues d'eau présentes en Espagne et au Portugal, telles que les barrages depuis la période romaine ou arabe (Hooke 2006) ne constituent pas des obstacles importants à la circulation des anguilles dans les bassins de rivières. Par exemple le barrage d'époque arabe de Xerta dans le chenal principal de l'Ebre aval (Prats et al. 2011) n'a pas empêché la pénétration de l'anguille dans l'ensemble du bassin". Pour cette raison, les auteurs considèrent que la carte de répartition de l'anguille au XIXe siècle forme un état initial représentatif d'un impact anthropique faible (et d'un objectif de reconquête raisonnable).

La seconde conclusion vise le ciblage des interventions possibles. "Nous avons trouvé qu'il serait nécessaire de rendre 12 barrages perméables à la migration de l'anguille dans 2 bassins pour permettre la restauration d'un accès de l'espèce à au moins 40% de sa répartition de base dans la Péninsule ibérique. Retrouver un accès à 60% de l'habitat original impliquerait d'agir sur 20 barrages alors qu'une restauration d'habitat de 80% concernerait la modification de 76 barrages". Les auteurs soulignent que la suppression de barrage n'est pas indispensable et qu'il existe diverses solutions pour les rendre franchissables.

Discussion
Le modèle de Clavero et Hermoso n'utilise pas certaines données connues pour avoir une influence sur les stocks d'anguille comme la surpêche, le braconnage, la pollution des eaux et des sédiments, l'effet de long terme du changement climatique. Dans le compartiment principalement étudié de la morphologie et de la continuité longitudinale des rivières, le travail des deux chercheurs montre surtout qu'il faut distinguer entre la petite hydraulique présente jusqu'au XIXe siècle et la grande hydraulique construite depuis cette époque.

Ajoutons quelques informations sur la France. Le graphique ci-dessous, extrait du Plan national de gestion de l'anguille (2010, pdf), montre la courbe de tendance des populations d'anguille en Loire, Adour, Garonne. Il est estimé que le bassin Manche a la même tendance.


Il est manifeste que le recrutement des jeunes anguilles est stable voire en hausse entre 1960 et 1980, puis plonge à partir de cette date avec une forte pente, de l'ordre de 8% / an. Il n'existe aucune corrélation avec la petite hydraulique des moulins, qui est présente dans neuf cas sur dix dès avant la Révolution, et dont la pression a plutôt diminué tout au long du XXe siècle (ruine et abandon d'ouvrages, fermeture tendancielle des petites unités hydro-électriques ou hydromécaniques entre 1918 et 1980).

Dans le cas français, il serait indispensable d'examiner les causes chimiques du déclin de l'espèce, compte tenu de notre occupation des sols et de nos activités en bassin versant différentes de celles de la Péninsule ibérique. L'anguille présente une longue phase continentale de croissance, une durée de vie importante, un comportement benthique, un régime carnassier et une rétention de graisse au cours de son développement. Elle accumule donc les expositions aux contaminations chimiques : pesticides, herbicides, PCB, retardateurs de flammes, perturbateurs endocriniens, etc. L'ensemble de ces substances est en forte croissance dans les cours d'eau et les sédiments depuis les années 1950-1960.

En outre, la variation des courants océaniques – due aux oscillations naturelles de l'Atlantique et/ou au forçage anthropique associé au changement climatique moderne – est une des premières causes à modéliser puisque c'est le recrutement des civelles en arrivée sur les côtes qui est en baisse. Il faut ajouter aux thématiques d'intérêt l'introduction d'espèces invasives et pathogènes, au premier rang desquels l'Anguillicola crassus, ver nématode originaire d'Asie. Cet endoparasite issue d'anguilles japonaises importées colonise l'abdomen de l'animal puis se fixe dans sa vessie natatoire, affectant la survie et la reproduction de l'espèce. Signalons pour finir sur le cas français que l'anguille a été traquée comme "nuisible" sur les rivières salmonicoles jusque dans les années 1980 (interdiction de remise à l'eau des pêches), ce qui rappelle combien les prescriptions soi-disant éclairées du gestionnaire changent avec les époques...

Conclusion
Le travail de Miguel Clavero et Virgilio Hermoso montre tout l'intérêt d'une approche historique de l'évolution des milieux aquatiques sous influence anthropique. En France, il serait souhaitable que les gestionnaires de l'eau engagent :
- une mission scientifique visant à dresser un état piscicole des bassins français à partir des sources disponibles entre l'époque médiévale et le XIXe siècle, puis une évolution la plus précise possible au cours du XXe siècle ;
- une analyse des obstacles à l'écoulement selon leurs indices spécifiques de franchissabilité, cette dernière n'ayant rien à voir avec le seuil arbitraire de 20 cm ou 50 cm posé dans la règlementation (pour l'anguille, mais aussi pour le saumon et d'autres espèces ayant des bonnes capacités de nage ou de saut) ;
- un ciblage des véritables points noirs de la colonisation anadrome, et non une dépense d'argent public inutile sur la totalité des ouvrages d'une rivière classée, dont des seuils historiquement et actuellement franchissables ;
- une programmation des ré-ouvertures de bassin pour l'anguille conforme à nos engagements européens, réaliste en terme économique, progressive et concertée dans sa mise en oeuvre.

Référence : Clavero M, V Hermoso (2015), Historical data to plan the recovery of the European eel, Journal of Applied Ecology, 52, 4, 960–968

Nous remercions Miguel Clavero de nous avoir envoyécopie de son travail.

A lire : Eric Feunteun (2012), Le rêve de l'anguille, Buchet-Castel. Un des meilleurs spécialistes internationaux de l'anguille expose nos connaissances sur l'espèce, ainsi que les enjeux de sa protection. Sur Hydrauxois également : Protéger l'anguille pour mieux la pêcher... l'incohérence du Ministère de l'Ecologie a-t-elle une limite?

15/10/2015

Anne-Catherine Loisier (sénatrice Côte d’Or): "Les politiques de l’eau ont besoin d’un choc de simplification !"

Anne-Catherine Loisier, sénatrice de la Côte-d’Or, s’inquiète de la mise en œuvre sur le terrain du principe de continuité écologique. Elle a interpellé la Ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie sur ce principe, introduit en 2006 par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques. « Huit ans se sont écoulés depuis l’adoption de cette loi qui a malheureusement donné lieu à une application aveugle et précipitée » déplore la sénatrice.

Barrages, écluses, buses, déversoirs, chaussées, seuils... plus de 80 000 ouvrages barrent les cours d’eau français. Ils produisent des transformations locales des milieux en modifiant la vie aquatique et le transfert des sédiments. Pour autant, la sénatrice rappelle que les rivières souffrent de nombreuses pressions : changement climatique, prélèvements excessifs d'eau, pollutions... «Il est réducteur d'imputer toute la responsabilité aux moulins, présents pour la plupart depuis plus de deux siècles!»

Pour Anne-Catherine Loisier, «la restauration des continuités écologiques s'impose sur le terrain, sans concertation, dans un contexte budgétaire difficile pour tous les propriétaires d'ouvrages situés sur les cours d'eau, qu'ils soient publics ou privés». «Nous assistons ainsi à une destruction du patrimoine des territoires ruraux, sans parler de la perte de potentiel hydroélectrique pour les barrages ou les installations qui contribuent pourtant aux objectifs de transition énergétique» souligne la sénatrice.

Entre l'arasement complet de ces ouvrages ou l'obligation d'équipement, il existe pourtant d'autres options respectueuses de l'intérêt collectif. Anne–Catherine Loisier évoque par exemple l'abaissement de seuil ou l'ouverture de vanne.

Les propriétaires font face à un empilement de contraintes réglementaires. «Les acteurs locaux sont inquiets, d'autant plus que les investissements peuvent être particulièrement lourds et plutôt faiblement financés par l'État», dénonce la sénatrice. Des études scientifiques démontrent que la continuité écologique n'a qu'un poids très faible sur les obligations de bon état chimique et écologique : «Sans remettre en cause ce principe, il est légitime de s'interroger sur sa réelle efficacité en matière de qualité des milieux. La dépense d'argent public doit aujourd'hui être justifiée par des bénéfices environnementaux avérés.»

Un certain nombre de sites présentent un risque de catastrophe réel alerte la sénatrice citant l'ouvrage hydraulique de la Bèze : «Fissures, risque d’effondrement des habitations riveraines liés à la rétraction des argiles et à l'assèchement des sites, qui paiera en cas de préjudice immobilier pour les propriétaires ?» s’interroge la sénatrice.

Anne-Catherine Loisier appelle à «un choc de simplification pour les politiques de l’eau» et demande une plus grande concertation avec les acteurs locaux afin de parvenir «à des projets réalistes, partagés, s'inscrivant dans un développement durable et global des territoires». La sénatrice a annoncé qu’elle restera attentive au travail engagé par le gouvernement : «Il est important que le Gouvernement étudie ce sujet transversal, qui concerne à la fois l'écologie, mais aussi notre patrimoine architectural. Il est essentiel que les décisions prises soient fondées sur les réalités du terrain et fassent l'objet d'un engagement de la part des acteurs locaux, afin que nous puissions réellement avancer vers une meilleure prise en compte de notre environnement».