07/11/2015

Visite des chantiers de passes à poissons du Cousin

Le vendredi 6 novembre était organisée par Hydrauxois et le Parc du Morvan une visite de trois chantiers de passes à poissons sur la rivière Cousin, dans la zone classée Natura 2000 autour d'Avallon. La vallée fait aussi l'objet d'une protection au titre patrimonial (ZPPAUP). Nous remercions le Parc d'avoir accompagné cette initiative, dont voici un compte-rendu.

Moulin Léger, passe à bassins successifs
Hauteur de chute au droit de l'ouvrage : env. 1,7 m
Coût env. 80 k€ hors étude



Le moulin a une activité hydro-électrique (turbine type Francis, injection EDF-OA), la solution retenue a donc respecté la consistance légale de production. Le choix s'est porté sur une passe à bassins successifs permettant de diviser la pente en chutes modestes. La passe est calculée de telle sorte que des espèces à faible capacité de saut puissent nager dans des échancrures entre les bassins. La conception est rustique (à blocs grossiers), ce qui a un intérêt paysager et se rapproche des conditions naturelles rencontrées sur des rivières (zones à radiers et rapides). On note à l'amont des blocs en rivière : ce sont des déflecteurs pare-embâcles, pour minimiser le risque d'obstruction de la passe. Une échancrure garantit que la passe reste en eau en étiage et absorbe alors 10% du module (débit minimum biologique).

Moulin Cayenne, rivière de contournement
Hauteur de chute au droit de l'ouvrage : env. 2,1 m
Coût env. 50 k€ hors étude



Le moulin a une roue fonctionnelle de type Sagebien et une autoproduction énergétique en cours d'installation. La solution retenue a donc respecté la consistance légale. Il s'agit d'une rivière de contournement, dispositif considéré comme le plus proche des conditions naturelles et le moins sélectif sur les espèces piscicoles en montaison. La rive gauche a été creusée jusqu'au lit (socle de la roche-mère) et des enrochements ont été posés sur les extrados pour limiter l'érosion. Des plantations sur géotextiles sont en cours, notamment pour garantir la stabilité des berges à terme.

Moulin Cadoux, rampe en enrochement
Hauteur de chute au droit de l'ouvrage : environ 1,8 m
Coût env. 90 k€ hors étude



Le moulin n'a pas d'usage énergétique, mais jouit d'une protection comme "patrimoine pittoresque de l'Yonne" en raison du caractère exceptionnel du site, de son ancienneté historique et de son reflet dans le miroir d'eau. La proximité des populations de moules perlières (espèce protégée de la vallée) a conduit à un projet plus ambitieux, avec une arase en pente sur la crête en rive gauche du seuil, baissant légèrement le niveau légal et limitant la longueur du remous liquide/solide amont. La surverse préférentielle à cet endroit doit aussi casser la vitesse du flot dévalant par la passe, qui est constituée d'une rampe en enrochement de fond (blocs grossiers cassant la puissance de l'eau et offrant des zones de repos).

Les observations faites lors de la visite
Tous les propriétaire présents (venant des quatre départements bourguignons) ont des problématiques d'aménagement de continuité écologique sur des rivières classées. Les trois chantiers leur ont été utiles pour comprendre les enjeux constructifs. Mais ils ont soulevé aussi bien des objections et des interrogations.
Coût des dispositifs : c'est évidemment le point noir. Les trois aménagements du Cousin bénéficient d'un financement exceptionnel à 100% (Life+ et Agence de l'eau Seine-Normandie). Or, la position de l'Agence en situation normale est un financement public nul si le moulin n'a pas d'usage structurant, et de 20 à 50% en cas d'usage. Les coûts des passes sont élevés, d'autant que s'y ajoute une conception par bureau d'étude de l'ordre de 20 k€ pour chaque ouvrage. Une analyse menée sur le tronçon classé de rivière Armançon a montré que le consentement à payer des propriétaires (comme des élus et parties prenantes) est nul dans ce domaine, c'est-à-dire que l'attente est un financement public intégral.
Dispositions constructives : des doutes ont été émis sur la capacité des ouvrages soit à résister à de fortes crues (cas de la passe à enrochements) soit à préserver leur profil (cas de la rivière de contournement). Un participant expert d'origine néerlandaise a fait observer que les bétons utilisés en France sont interdits en rivière aux Pays-Bas, en Allemagne et dans d'autres pays européens. Une autre visite sera sans doute organisée après la mise en eau, en 2016.
Efficacité écologique : au regard des coûts engagés, et du fait que les ouvrages sont assez modestes au départ (faibles hauteurs, versants aval en pente modérée), c'est une question centrale puisque l'objectif des aménagements est une amélioration de la qualité écologique, particulièrement du compartiment biologique. Le Parc du Morvan devra procéder à des mesures de qualité piscicole pour analyser l'évolution des populations de poisson et de moules.
L'Yonne républicaine a publié un compte-rendu intéressant de la visite (cliquer l'image ci-contre pour agrandir)

Et pour la suite sur la rivière Cousin ?
Le Cousin-Trinquelin (la rivière change localement de nom au niveau de Quarré-les-Tombes) compte 43 ouvrages. Certains sont équipés de passes, d'autres ne sont pas considérés comme des obstacles à la continuité écologique en raison des ruines de seuils ou de leurs très faibles hauteurs, d'autres encore ont accepté le principe d'un effacement.

Il n'en reste pas moins que la majorité des ouvrages doit encore faire l'objet d'une concertation en vue de l'application de la continuité écologique, puisque la rivière a été classée en liste 2 avec l'horizon 2017 comme délai légal d'aménagement. Au cours de l'année 2016, l'association Hydrauxois définira avec ses adhérents une stratégie sur chaque rivière, en particulier sur le Cousin où elle est déjà fortement implantée. Cette stratégie consistera notamment en :
  • une analyse du cours d'eau et de l'impact de ses moulins, notamment au regard des données historiques disponibles sur les peuplements halieutiques,
  • un point technique et scientifique sur les connaissances actuelles en continuité écologique appliquée aux petits ouvrages,
  • un rappel aux services instructeurs des exigences légales, notamment la limitation des aménagements aux migrateurs (non pas restauration des habitats pour toutes espèces y compris non migratrices) et l'obligation explicite faite à l'administration de proposer sur chaque ouvrage des règles de gestion ou d'équipement,
  • une demande à l'Agence de l'eau d'information exacte sur le niveau de subvention des dispositifs simples de franchissement et, si ce niveau est jugé insuffisant, une démarche en reconnaissance du caractère "spécial et exorbitant" de la dépense demandée, appelant indemnité compensatoire (comme le prévoit la loi).

06/11/2015

SDAGE Loire-Bretagne : objectifs 2015 et 2021 identiques... et toujours aussi peu probables

Le SDAGE 2010-2015 promettait 61% des masses d'eau en bon état. Le résultat est à la moitié, avec quasiment aucun progrès dans l'exercice écoulé. Le SDAGE 2016-2021 qui vient d'être adopté par le comité de bassin promet... à nouveau 61% des masses d'eau en bon état, mais cette fois pour 2021! Personne ne peut sérieusement cautionner cette méthode Coué, dont l'échec grave vis-à-vis de nos obligations européennes ne fait pas même l'objet d'un audit. Le plus grand bassin hydrographique français est à la dérive.

Le SDAGE Loire-Bretagne a été adopté ce jeudi 5 novembre 2015. Nous avions exprimé dans une lettre ouverte avec 25 associations les problèmes nombreux que pose ce texte, tant dans la gouvernance peu démocratique de sa programmation que dans ses orientations inefficaces en matière de qualité des rivières, particulièrement de continuité écologique. Dans l'hypothèse où nos observations formulées lors des consultations et dans ce courrier n'auraient pas été prises en compte, une réflexion sera ouverte avec nos avocats pour formuler une requête en annulation du SDAGE.

Comme à leur habitude et au frais des concitoyens, la comité de bassin et l'Agence de l'eau produisent une communication institutionnelle autosatisfaite (pdf) autour de l'adoption du Schéma.

Dans ce dossier de presse, un point retient notre attention : l'objectif de 61% des masses d'eau en bon état 2021. Nous avions déjà vu ce chiffre, mais où donc…? Ah mais c'est bien sûr, la communication du SDAGE 2010-2015 promettait déjà d'atteindre 61% des masses d'eau en bon état! C'est-à-dire que l'ambition d'un SDAGE à l'autre reste exactement la même, alors que l'Union européenne attend 100% des masses d'eau en bon état chimique et écologique.


Les promesses n'engagent que ceux qui y croient. Les vrais chiffres du bilan de l'action de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne sont mauvais. On constate en effet à l'état des lieux 2013 (exercice obligatoire pour le rapportage à l'Union européenne) que :
  • le bassin Loire-Bretagne n'est plus capable de donner les mesures de l'état chimique des eaux (entorse grave à l'obligation européenne de suivi de qualité),
  • les cours d'eau n'ont montré aucune évolution significative de leur état écologique (de 29,5% en bon état à 30,2% sur le dernier exercice).
Il est inadmissible qu'une Agence dépensant des milliards d'euros d'argent public à chacun de ses exercices quinquennaux présente des résultats aussi médiocres sans faire l'objet d'un audit pour évaluer les dysfonctionnements. Et personne ne peut évidemment croire que l'objectif de 61% des masses d'eau en bon état sera atteint en 2021 plus qu'il ne l'a été en 2015.

A lire également sur Loire-Bretagne :
Un scandaleux exercice de propagande
50 ans de pollution aux nitrates

05/11/2015

Vade-mecum de l'association pour garantir le respect du droit lors des effacements d'ouvrages en rivière

Les syndicats de rivière, poussés par certaines Agences de l'eau, tendent à privilégier des solutions d'effacement de seuils et barrages en rivières classées au titre de la continuité écologique. Cette pratique n'a pas de réelle base légale, puisque ni la Directive cadre européenne sur l'eau 2000, ni la Loi sur l'eau et les milieux aquatiques 2006 ni la loi de Grenelle 2009 n'ont introduit en droit une quelconque obligation d'effacer un ouvrage au motif d'établir la continuité de l'écoulement.  Un certain nombre d'effacements sont aujourd'hui bâclés : étude d'impact sommaire, information des tiers minimaliste, précautions de chantier douteuses, débat démocratique inexistant. Cela permet notamment de prétendre ensuite qu'ils sont moins coûteux qu'un aménagement non destructif, alors que ce moindre coût est souvent l'effet d'un laxisme. Il convient de cesser ces pratiques en deux poids deux mesures, avec des effacements anormalement facilités et des aménagements excessivement compliqués en procédure et contraintes réglementaires.  Nous appelons les associations à exiger désormais le respect intégral du droit, que le chantier soit privé ou public. Même si un effacement a le consentement d'un propriétaire (souvent le cas de collectivités peu soucieuses de leur patrimoine ou de propriétaires privés mal informés), il exerce des effets sur les milieux aquatiques, il concerne la culture et le paysage, il peut nuire aux droits des tiers. En cela, une association de défense du patrimoine, des riverains et/ou de la rivière est fondée à agir. Ce texte présente une première série de références légales, réglementaires ou jurisprudentielles opposables dans une telle circonstance. Merci d'avance à nos lecteurs familiers du droit de l'enrichir si besoin (fonction commentaire sous l'article).

Mise à jour février 2016 : depuis la rédaction de cet article, la loi a évolué sur 3 points importants
- délai de 5 ans pour faire des travaux de continuité en rivière L2
- protection du patrimoine hydraulique sur les sites classées et leurs abords
- exemption de continuité écologique en rivière  L2 pour les moulins producteurs.
Ces 3 articles sont à lire en complément de celui-ci pour éviter tout abus de pouvoir et défendre efficacement les propriétaires face au chantage à l'effacement.

Mode d'emploi : en cas de chantier d'effacement, vous pouvez saisir l'administration (DDT-M) par courrier recommandé, en copie au maître d'ouvrage (généralement un syndicat de rivière ou une collectivité), afin d'exiger le respect des points énumérés dans cet article (sous la forme d'une étude d'impact apportant l'ensemble des garanties demandées).

Régime d'autorisation : tous les travaux en rivière sont soumis à déclaration ou autorisation, selon l'article R-214-1 du Code de l'environnement. Un effacement modifie en général le profil en long et en travers de la rivière sur plus de 100 m. En cela, il relève de la catégorie 3.1.2.0. "Installations, ouvrages, travaux ou activités conduisant à modifier le profil en long ou le profil en travers du lit mineur d'un cours d'eau, à l'exclusion de ceux visés à la rubrique 3.1.4.0, ou conduisant à la dérivation d'un cours d'eau : 1° Sur une longueur de cours d'eau supérieure ou égale à 100 m (A)". Le régime d'autorisation implique pour le maître d'ouvrage une étude d'impact (termes précisés dans l'article R-214-6 Code de l'environnement) puis pour le préfet une enquête publique (article R-214-8 Code de l'environnement). C'est dans ce cadre que vous intervenez, afin que l'étude d'impact ne soit pas bâclée et que l'enquête publique respecte pleinement la procédure contradictoire.

Si l'ouvrage est très modeste (comme certains seuils de 50 ou 80 cm construits au XXe siècle pour un changement local de ligne d'eau devenu sans usage), s'il est de faible intérêt patrimonial, s'il n'a pas d'usage récréatif et/ou s'il est dans un état de quasi-ruine, son effacement peut avoir du sens et représente généralement un moindre niveau d'enjeux ou de risques. Mais pour des ouvrages en état correct, associés au patrimoine local des moulins et usines à eau, modifiant de manière visible au public le paysage de leur vallée ou de leur plaine alluviale, implantés en milieu urbain, ayant accumulé des sédiments du fait du non-usage, représentant un obstacle réellement infranchissable aux espèces invasives ou encore modifiant la ligne d'eau sur de grandes distances du fait de la faible pente de la rivière, il est nécessaire d'exiger toutes les garanties. Nous vous conseillons d'associer à cette démarche administrative une saisine des médias locaux, une copie à vos élus et une publication sur votre site internet, afin de permettre une bonne information des riverains et d'ouvrir un débat démocratique. Dans votre correspondance, vous pouvez copier-coller les textes ci-dessous, et ensuite simplement référencer de manière exacte le(s) chantier(s) d'effacement sur le(s)quel(s) vous attendez des précisions.


Un effacement d’ouvrage doit garantir la non-détérioration écologique ou chimique d’une masse d’eau au sens de la DCE 2000
Obligation : un Etat-membre ne peut autoriser une opération en rivière si elle est susceptible de détériorer l’état chimique et écologique tel que défini par le DCE 2000.

Cour de Justice de l’Union européenne, C461/13, arrêt 01/07/2015
« l’article 4, paragraphe 1, sous a), i) à iii), de la directive 2000/60 doit être interprété en ce sens que les États membres sont tenus, sous réserve de l’octroi d’une dérogation, de refuser l’autorisation d’un projet particulier lorsqu’il est susceptible de provoquer une détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface ou lorsqu’il compromet l’obtention d’un bon état des eaux de surface ou d’un bon potentiel écologique et d’un bon état chimique de telles eaux »

Un effacement d'ouvrage doit justifier son fondement juridique car la loi demande l'équipement
Obligation : la loi sur l'eau 2006 et l'article L-214-17 C env imposent l'obligation en rivière classée liste 2 de la continuité écologique que l'ouvrage soit "géré, entretenu et équipé". Il en va de même pour la loi dite de Grenelle 2009 qui demande un "aménagement". L'effacement est donc une mesure qu'il faut d'abord justifier par rapport à l'impossibilité d'un aménagement ou d'un équipement.

Article L 214-17 Code de l'environnement
I.-Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin : (…)
2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant.

LOI n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement (1) 
Article 29
La trame bleue permettra de préserver et de remettre en bon état les continuités écologiques des milieux nécessaires à la réalisation de l'objectif d'atteindre ou de conserver, d'ici à 2015, le bon état écologique ou le bon potentiel pour les masses d'eau superficielles ; en particulier, l'aménagement des obstacles les plus problématiques pour la migration des poissons sera mis à l'étude. Cette étude, basée sur des données scientifiques, sera menée en concertation avec les acteurs concernés.

Un effacement d’ouvrage doit procéder à une étude d’impact
Obligation : le changement substantiel du biotope local, des phénomènes d’érosion régressive / progressive, des processus d'épuration azote/phosphore et des écoulements sur les propriétés riveraines justifie une analyse approfondie. Il n'est pas acceptable de se contenter d'un simple avant-projet sommaire sans estimation complète des incidences sur les personnes, sur les biens et sur les milieux.

Article L122-1 Code de l’environnement
I. ― Les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine sont précédés d'une étude d'impact.

Un effacement d’ouvrage doit être accompagné d’une abrogation du droit d’eau au terme d’une information complète de l’ayant-droit 
Obligation : tout ouvrage légalement autorisé possède un droit d’eau dont l’abrogation doit être prononcée avant son effacement, après une information complète et transparente du propriétaire. L'arrêté préfectoral doit être publié avant le chantier.

Article L214-6 Code de l’environnement
II.-Les installations, ouvrages et activités déclarés ou autorisés en application d'une législation ou réglementation relative à l'eau antérieure au 4 janvier 1992 sont réputés déclarés ou autorisés en application des dispositions de la présente section. Il en est de même des installations et ouvrages fondés en titre.

Un effacement d’ouvrage doit garantir la préservation du droit des tiers
Obligation : toute modification de l’écoulement doit préserver le droit des tiers, ce qui implique notamment une analyse de stabilité des berges et du bâti, une analyse de l’évolution du risque inondation, une analyse de l’enjeu paysager sur toute la zone d’influence de l’ouvrage effacé, une analyse des changements de consistance légale des ouvrages amont et aval.

Article L215-7 Code de l’environnement
L'autorité administrative est chargée de la conservation et de la police des cours d'eau non domaniaux. Elle prend toutes dispositions pour assurer le libre cours des eaux.
Dans tous les cas, les droits des tiers sont et demeurent réservés.

Un effacement d’ouvrage doit garantir qu’il ne détruit pas le milieu particulier d’une espèce protégée
Obligation : les travaux en rivière doivent vérifier qu’ils ne risquent pas de détruire le milieu auquel est inféodé une espèce d’intérêt (faune ou flore)

Article L411-1 Code de l’environnement
I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier ou que les nécessités de la préservation du patrimoine biologique justifient la conservation d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées, sont interdits :
1° La destruction ou l'enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ;
2° La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ;
3° La destruction, l'altération ou la dégradation du milieu particulier à ces espèces animales ou végétales ;
4° La destruction des sites contenant des fossiles permettant d'étudier l'histoire du monde vivant ainsi que les premières activités humaines et la destruction ou l'enlèvement des fossiles présents sur ces sites.

Un effacement d’ouvrage ne doit pas induire ou faciliter l’introduction d’une espèce indésirable ou d'une épizootie dans un milieu qui en est indemne
Obligation : les travaux en rivière doivent vérifier qu’ils ne conduisent pas à l’introduction d’une espèce invasive dans un milieu qui en est indemne. C'est particulièrement important pour un effacement qui facilite la colonisation immédiate de nouveaux milieux par des espèces non désirables (différentes espèces d'écrevisses américaines, silure, pseudorasbora, perche soleil, etc.), parfois porteuses de pathogènes, et qui peuvent perturber un biotope non accessible à l'amont.

Article L411-3 Code de l’environnement
I. - Afin de ne porter préjudice ni aux milieux naturels ni aux usages qui leur sont associés ni à la faune et à la flore sauvages, est interdite l'introduction dans le milieu naturel, volontaire, par négligence ou par imprudence :
1° De tout spécimen d'une espèce animale à la fois non indigène au territoire d'introduction et non domestique, dont la liste est fixée par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et, soit du ministre chargé de l'agriculture soit, lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes ;
2° De tout spécimen d'une espèce végétale à la fois non indigène au territoire d'introduction et non cultivée, dont la liste est fixée par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et, soit du ministre chargé de l'agriculture soit, lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes ;
3° De tout spécimen de l'une des espèces animales ou végétales désignées par l'autorité administrative.
II. - Toutefois, l'introduction dans le milieu naturel de spécimens de telles espèces peut être autorisée par l'autorité administrative à des fins agricoles, piscicoles ou forestières ou pour des motifs d'intérêt général et après évaluation des conséquences de cette introduction.
III. - Dès que la présence dans le milieu naturel d'une des espèces visées au I est constatée, l'autorité administrative peut procéder ou faire procéder à la capture, au prélèvement, à la garde ou à la destruction des spécimens de l'espèce introduite. Les dispositions du II de l'article L. 411-5 s'appliquent à ce type d'intervention.
IV. - Lorsqu'une personne est condamnée pour infraction aux dispositions du présent article, le tribunal peut mettre à sa charge les frais exposés pour la capture, les prélèvements, la garde ou la destruction rendus nécessaires.
IV bis. - Lorsque les nécessités de la préservation du patrimoine biologique, des milieux naturels et des usages qui leur sont associés justifient d'éviter leur diffusion, sont interdits le transport, le colportage, l'utilisation, la mise en vente, la vente ou l'achat des espèces animales ou végétales dont la liste est fixée par arrêtés conjoints du ministre chargé de la protection de la nature et soit du ministre chargé de l'agriculture soit, lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes.
V. - Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions d'application du présent article.

Article L228-3 Code rural et de la pêche
Le fait de faire naître ou de contribuer volontairement à répandre une épizootie chez les vertébrés domestiques ou sauvages, ou chez les insectes, les crustacés ou les mollusques d'élevage, est puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 75 000 €. La tentative est punie comme le délit consommé.
Le fait, par inobservation des règlements, de faire naître ou de contribuer à répandre involontairement une épizootie dans une espèce appartenant à l'un des groupes définis à l'alinéa précédent est puni d'une amende de 15 000 € et d'un emprisonnement de deux ans.
S'il s'agit de la fièvre aphteuse, la peine d'amende encourue en vertu du premier alinéa est de 150 000 € et celle encourue en vertu du deuxième alinéa est de 30 000 €.

Un effacement d’ouvrage doit procéder à une analyse chimique des sédiments risquant d’être re-mobilisés
Obligation : une opération risquant de perturber le milieu aquatique doit faire l’objet d’une analyse de qualité chimique des rejets et sédiments

Arrêté du 9 août 2006 relatif aux niveaux à prendre en compte lors d'une analyse de rejets dans les eaux de surface ou de sédiments marins, estuariens ou extraits de cours d'eau ou canaux relevant respectivement des rubriques 2.2.3.0, 4.1.3.0 et 3.2.1.0 de la nomenclature annexée à l’article R. 214-1 du code de l’environnement
« Lorsque, pour apprécier l'incidence de l'opération sur le milieu aquatique (ou pour apprécier l'incidence sur le milieu aquatique d'une action déterminée), une analyse est requise en application du décret nomenclature :
- la qualité des rejets dans les eaux de surface est appréciée au regard des seuils de la rubrique 2.2.3.0 de la nomenclature dont les niveaux de référence R 1 et R 2 sont précisés dans le tableau I ;
- la qualité des sédiments marins ou estuariens est appréciée au regard des seuils de la rubrique 4.1.3.0 de la nomenclature dont les niveaux de référence N 1 et N 2 sont précisés dans les tableaux II et III ;
- la qualité des sédiments extraits de cours d'eau ou canaux est appréciée au regard des seuils de la rubrique 3.2.1.0 de la nomenclature dont le niveau de référence S 1 est précisé dans le tableau IV. »

Un effacement d’ouvrage doit procéder à toute sauvegarde archéologique et étude préalable sur l’intérêt de cette sauvegarde
Obligation : une opération risquant de détruire un ouvrage d’intérêt historique, culturel et patrimonial doit faire l’objet d’une évaluation et si nécessaire d’une fouille préventive.

Loi 2001-44 du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive
Article 1er
L'archéologie préventive, qui relève de missions de service public, est partie intégrante de l'archéologie. Elle est régie par les principes applicables à toute recherche scientifique. Elle a pour objet d'assurer, à terre et sous les eaux, dans les délais appropriés, la détection, la conservation ou la sauvegarde par l'étude scientifique des éléments du patrimoine archéologique affectés ou susceptibles d'être affectés par les travaux publics ou privés concourant à l'aménagement. Elle a également pour objet l'interprétation et la diffusion des résultats obtenus.
Article 2
L'Etat veille à la conciliation des exigences respectives de la recherche scientifique, de la conservation du patrimoine et du développement économique et social. Il prescrit les mesures visant à la détection, à la conservation ou à la sauvegarde par l'étude scientifique du patrimoine archéologique, désigne le responsable scientifique de toute opération d'archéologie préventive et assure les missions de contrôle et d'évaluation de ces opérations.

Document technique d'appoint : l'Onema a publié un texte précisant une partie des angles exposés ci-dessus. Il est très utile d'en joindre copie aux autorités. Malavoi JR, Salgues D (2011), Arasement et dérasement de seuils. Aide à la définition de cahier des charges pour les études de faisabilité, Onema. Attention : ce texte s'intéresse surtout aux aspects biologiques et morphologiques. C'est en effet indispensable. Mais dans le domaine des milieux, il convient aussi insister sur l'aspect chimique (analyse des sédiments de la retenue du seuil ou barrage, gestion en décharge spéciale s'ils sont pollués, attribution claire de la responsabilité sur ces déchets). Outre la question de la protection des milieux lors d'un effacement, il faut y ajouter les dimensions culturelles et patrimoniales, ainsi que le respect du droit des tiers sur toutes les parcelles riveraines, comme indiqué ci-dessus. Le vrai cahier des charges d'une étude de faisabilité d'effacement est donc plus complexe que  les indications de MM Malavoi et Salgues dans le guide en lien.

Outil complémentaire : en direction des bureaux d'études chargés d'un effacement (et des syndicats qui font généralement un appel d'offres pour ce BE), aide-mémoire permettant de vérifier qu'aucune dimension importante n'est négligée.

A lire également
Vade-mecum du propriétaire d'ouvrage hydraulique en rivière classée L2 (continuité écologique)

04/11/2015

Le sénateur Jean-Claude Boulard dénonce "l'absurdité normative" de la continuité écologique

On nous a transmis la réaction de M. Jean-Claude Boulard, sénateur de la Sarthe, maire du Mans, à la lettre ouverte à M. Joel Pélicot sur le SDAGE Loire-Bretagne (ci-contre, cliquer pour agrandir). L'élu de la République partage l'exaspération et l'incompréhension des riverains face à "l'absurdité normative" de la continuité écologique. "Comment peut-on financer la mise en place de 16 passes à poissons à 400 000 euros l'unité là où les poissons ne remontent jamais les rivières?". Le sénateur fait observer que les aloses et lamproies ne migrent pas aujourd'hui sur le cours d'eau où l'on exige ces aménagements à coûts exorbitants (mais à très faible financement public). Et que les anguilles n'ont historiquement jamais été empêchées de migrer par les ouvrages anciens du bassin (fossés, "fausses rivières" de contournement des moulins, ennoyage des seuils en crue, inondations du lit majeur, etc.). Un certain nombre d'Agences de l'eau (Seine-Normandie, Loire-Bretagne) et de services instructeurs déconcentrés (DDT, services départementaux de l'Onema) mènent aujourd'hui une politique extrémiste visant à accabler les propriétaires d'obligations pointilleuses et ruineuses, voire à les pousser à l'effacement (non légal) de leurs ouvrages. Cette dérive est d'autant plus condamnable que d'autres territoires ont des approches plus sobres et plus respectueuses des enjeux de continuité. Plusieurs dizaines de députés, sénateurs, maires ont déjà signé l'appel à moratoire sur la continuité écologique au cours du mois écoulé, ainsi que plus de 120 institutions. Et le rythme de ralliement ne faiblit pas. Les associations de propriétaires et riverains sont désormais décidées à systématiser les contentieux face aux dérives administratives, à commencer des requêtes en annulation contre les SDAGE 2015-2021 qui persisteront à donner priorité aux effacements des seuils et barrages, en parfait mépris du texte comme de l'esprit de la loi sur l'eau 2006 et de la loi de Grenelle 2009. Il faut de toute urgence une reprise en main démocratique du dossier des ouvrages hydrauliques, et plus généralement des politiques de l'eau dont les résultats en terme de qualité écologique et chimique des rivières sont très faibles au regard des sommes engagées.

A lire également la réaction de la sénatrice Anne-Catherine Loisier : les politiques de l'eau ont besoin d'un choc de simplification !

03/11/2015

Diversité génétique et fragmentation des rivières (Blanchet et al 2010, Paz-Vinas et al 2013, 2015)

Ayant découvert une plaquette de l'Agence de l'eau Adour-Garonne qui soulignait l'appauvrissement génétique des poissons en rivières fragmentées (comparaison du Célé et du Viaur), nous avons eu la curiosité de lire les études scientifiques ayant permis cette conclusion. Grand bien nous en a pris, puisque ces travaux sont passionnants, mais aussi très prudents. Les chercheurs y soulignent en effet que l'impact génétique de la fragmentation existe bel et bien, mais reste modeste, qu'il ne semble pas se traduire par une différence de valeur adaptative des populations et (dans une étude ultérieure) que les populations concernées ont connu d'importants goulots d'étranglement démographiques (donc génétiques) à une époque historique antérieure à la construction des seuils et barrages. Par ailleurs, les chercheurs exposent que l'aménagement non destructif des ouvrages peut restaurer de la diversité génétique locale en évitant la perte d'intérêt patrimonial de l'effacement. Une fois de plus, le scientifique se révèle beaucoup plus posé et nuancé que le gestionnaire dans l'analyse des impacts sur les milieux aquatiques.

Commençons par quelques rappels de biologie moléculaire pour comprendre les méthodes dont il sera ici question. Au sein d'une population, le génome (porté par l'ADN) comporte de nombreuses petites variations : hors des clones parfaits, les individus sont tous génétiquement différents. Un même gène existe en différentes formes (petites variations de ses bases chimiques), que l'on nomme des allèles. Ces différences construisent le polymorphisme, soit la plus ou moins grande variabilité intraspécifique (au sein d'une espèce, ou d'une population isolée de cette espèce). Certains sites génétiques (appelés loci dans le jargon, pluriel de locus, le lieu) sont très conservés, c'est-à-dire très identiques d'un individu l'autre, alors que d'autres sont particulièrement variables. On qualifie ces derniers des microsatellites, ils sont généralement composés de paires de bases chimiques répétées sur l'ADN. Quand on veut estimer la diversité génétique d'une population, on peut par exemple mesurer le nombre d'allèles différents : cela s'appelle la richesse allélique. On peut aussi comparer la fréquence de cette diversité allélique par rapport à la fréquence attendue par les lois de la génétique, ce qui se nomme du nom barbare d'hétérozygotie.

Avec des méthodes un peu plus complexe dites de phylogénie moléculaire, on tente de reconstruire à partir des populations présentes des arbres généalogiques qui racontent les événements dans l'histoire de l'espèce : quand elle est apparue en se détachant d'espèces cousines, si elle a connu des chutes de population parfois proche de l'extinction (on appelle cela des goulots d'étranglement) ou, au contraire, des expansions. Tous ces événements se reflètent dans les modèles de répartition des gènes, dont l'étude est évidemment devenue essentielle aux sciences de l'évolution, et fort importante en écologie. Cette "écologie moléculaire" est une autre manière de comprendre la diversité et la complexité du vivant.

Célé et Viaur: comment chaque espèce répond à la fragmentation
Qu'a fait l'équipe de Simon Blanchet et ses collègues (Eco-Ex Moulis USR 2936 CNRS, Laboratoire Evolution et diversité biologique UMR 5174, CNRS U. Paul Sabatier, Centre de biologie et de gestion des populations, Campus de Baillarguet) dans la première étude de 2010?

Les chercheurs ont comparé la diversité génétique de quatre espèces d'eaux vives – le chabot (Leuciscus cephalus), la vandoise (Leuciscus leuciscus), le goujon (Gobio gobio) et le vairon (Phoxinus phoxinus) – dans deux rivières du bassin Adour-Garonne. Le Viaur est considéré comme très fragmenté avec plus de 50 petits barrages non équipés de passes et deux grands barrages hydro-électriques de 30 m construits dans la première partie du XXe siècle. Le Célé n'est que peu fragmenté (10 petits barrages pour la plupart équipés de dispositifs de franchissement). Les deux rivières ont l'avantage d'être dans la même hydro-éco-région, d'avoir des linéaires (168 et 136 km), des bassins versants (1530 et 1350 km2) et des gammes de débits (8-25 et 7-30 m3/s) très comparables.

Le résultat confirme qu'il existe une moindre diversité génétique dans la rivière la plus fragmentée (Viaur). Le tableau ci-dessous montre par espèce les différences pour la richesse allélique (en haut), l'hétérozygotie (au milieu) et la structure génétique des populations Fst (en bas), les barres noires étant l'écoulement le plus continu et les barres grises étant le flot le plus fragmenté.

Un résultat important du travail de recherche est que toutes les populations ne répondent pas de la même manière à la fragmentation. Une autre découverte (inattendue) est que la plus petite espèce est celle qui répond le moins en terme de perte de la diversité génétique, alors que l'hypothèse inverse était testée (une espèce de taille plus importante est supposée avoir une capacité de dispersion et de brassage aussi plus importante, toute choses égales par ailleurs). Ce sont finalement les espèces de taille moyenne qui répondent le plus dans les rivières étudiés.

La suppression d'obstacles n'est pas forcément une solution
Les auteurs produisent de surcroît plusieurs remarquent intéressantes. D'abord, et nous verrons que cette réserve a du sens, ils soulignent que cette structure génétique peut être une "relique du passé ou un biais génétique vers l'aval", même si beaucoup d'autres travaux de la littérature trouvent une diversité génétique moindre en rivière fragmentée. Ensuite, ils rappellent : "il est important de noter que nos résultats préliminaires sur les caractéristiques écologiques de ces populations de poissons (voir table 1) indiquent que, d'un point de vue écologique, ces populations n'ont pas souffert intensivement des changements dans la diversité et la structure génétiques que nous rapportons ici. Il est donc possible que ces espèces aient connu des changements évolutifs qui leur permettent de faire avec la fragmentation (et les changements génétiques associés) et/ou que les conséquences génétiques rapportées ici ne sont pas assez fortes pour influencer significativement la fitness [valeur adaptative, NDR] biologique des populations".

Enfin, Simon Blanchet et ses collègues font observer à propos des solutions possibles pour diminuer l'impact de la fragmentation (empoissonnement, suppression de l'obstacle, passes à poissons, transfert de populations) : "Pour des ouvrages comme ceux de la rivière Viaur (la plus fragmentée), la suppression d'obstacles n'est pas une solution car ces ouvrages datent du Moyen Âge (voir aussi Raeymaekers et al. 2009) et sont donc une part de la culture et du patrimoine local. Cependant, il existe des données selon lesquelles la construction de passes à poissons peut être un outil de restauration efficace pour préserver à la fois l'intégrité génétique des espèces piscicoles et l'authenticité des ouvrages (Raeymaekers et al. 2009)".

Les flux géniques des populations, un processus complexe
Ce n'est pas tout. Utilisant les mêmes données, les chercheurs ont dans une étude ultérieure (Paz-Vinas et al 2013) appliqué trois techniques de phylogénie moléculaire (Bottleneck, M-ratio, MSVAR). Deux d'entre elles montrent que les populations de poissons des deux rivières auraient connu un goulot d'étranglement démographique et génétique. Cet événement serait intervenu "voici plus de 800 ans et donc avant la construction des seuils et barrages". La même étude suggère que l'asymétrie du flux génique dans un écoulement peut donner de faux signaux d'expansion.

C'est à cette dernière question qu'est consacrée le troisième travail des chercheurs recensé ici (Paz-Vinas et al 2015). Par une méta-analyse dont nous ne décrirons pas les méthodes en détail, les auteurs montrent que l'accroissement vers l'aval de la diversité génétique intraspécifique (DIGD en anglais pour "downstream increase in intraspecific genetic diversity") est une tendance que l'on retrouve dans la plupart des taxons, en particulier ceux dont la dispersion emprunte le seul milieu aquatique (et non aérien et aquatique, comme par exemple certains invertébrés).

La modélisation des données suggère que ce phénomène de DIGD n'est pas seulement dû au coût énergétique associé à l'asymétrie du flot qui favorise l'émigration vers l'aval, donc la perte relative de diversité génétique à l'amont. Il semble qu'au moins un autre mécanisme soit impliqué pour expliquer le pattern observé (disponibilité de l'habitat plus importante à l'aval ou effet fondateur dû à la taille modeste de populations engageant des colonisations orientées vers l'amont).

Discussion: l'intérêt d'une communication scientifique équilibrée
Notre intérêt pour les travaux de S. Blanchet et de ses collègues avait été aiguisé par un document de vulgarisation de l'Agence de l'eau Adour-Garonne (lien, pdf). Comme on le constatera en téléchargeant ce fichier, il en ressortait que la fragmentation de rivière par les seuils pose de bien gros problèmes aux poissons. La lecture de la source primaire (l'article paru dans la presse scientifique revue par les pairs, recensé ci-dessus) sur la question génétique fait apparaître des positions plus nuancées.

La communication de travaux scientifiques vers le grand public n'échappe évidemment pas aux travers de la simplification (notre site ne prétend certes pas en être exempt!). Quand la communication provient d'un gestionnaire public (Agence de l'eau) qui possède une influence certaine sur nos choix d'aménagement en rivière, en l'occurrence sur le destin du patrimoine hydraulique, on attend une certaine prudence dans l'expression des nuances, des incertitudes, du niveau de maturité et donc de confiance dans les résultats d'un domaine de recherche. (Notons cependant qu'en comparaison de ses consoeurs en Seine-Normandie et en Loire-Bretagne, l'Agence Adour-Garonne promeut des choix de gestion plus équilibrées et plus concertées).

La science des rivières, multidisciplinaire, est tout à fait passionnante et foisonnante : il serait dommage d'en donner une vision caricaturale de certitudes arrêtées, bien éloignées de la curiosité naturelle des équipes de recherche et de la complexité de leur domaine d'investigation. Il serait aussi dommage de se précipiter dans l'action à l'invocation de cette science pour constater ensuite certains effets secondaires indésirables. Ce ne serait pas rendre service à la recherche que de l'éloigner des citoyens en la faisant percevoir comme un mauvais guide, ce qu'elle n'est pas.

Pour conclure, rappelons que la fragmentation est aussi l'une des causes de biodiversité dans l'évolution – c'est notamment une des raisons pour lesquelles on trouve par unité de surface tant d'espèces différentes dans les masses d'eau continentales, davantage fragmentées et isolées que le milieu océanique. A l'échelle de l'évolution, les mécanismes d'isolement génétique peuvent produire des extinctions locales s'ils pénalisent la capacité adaptative à un changement de milieu. Mais ils peuvent produire aussi bien des émergences de nouvelles espèces, ou des adaptations favorables. Il faut se garder de tout simplisme dans ces matières complexes, et déjà travailler à améliorer nos connaissances. La phylogénie moléculaire a notamment un énorme potentiel pour retracer l'histoire des peuplements de rivières là où manquent les archives historiques de pêche comme les témoins fossiles.

Références
Blanchet S et al (2010), Species-specific responses to landscape fragmentation: implications for management strategies, Evol Appl, 3, 3, 291–304
Paz-Vinas I et al (2013), The demographic history of populations experiencing asymmetric gene flow: combining simulated and empirical data, Mol Ecol, 22, 12, 3279-3291
Paz-Vinas I et al (2015), Evolutionary processes driving spatial patterns of intraspecific genetic diversity in river ecosystems, Mol Ecol, 24, 18, 4586–4604

Merci à Simon Blanchet de nous avoir fait parvenir ces travaux.