12/11/2015

C'est ainsi que nos ouvrages meurent

Voici la Seine au niveau de l'ouvrage Floriet avant, et maintenant. Ces travaux d'effacement sont-ils ce que l'on attend d'un syndicat de rivière? Cette dépense d'argent public de l'Agence de l'eau Seine-Normandie est-elle une priorité pour nos cours d'eau? Nos députés et sénateurs ont-ils voté une seule loi qui enjoint de détruire le patrimoine hydraulique ? L'effet de ces opérations sur les milieux aquatiques fait-il l'objet de modélisations scientifiques sérieuses? La valorisation des dimensions récréatives, culturelles, énergétiques de ces sites est-elle seulement envisagée? A-t-on expliqué aux citoyens que l'indice de qualité piscicole en ce lieu était en classe bonne ou excellente avant l'effacement? A-t-on estimé le bilan nitrates (facteur dégradant reconnu du bassin Seine amont) de cette opération? Nous vivons l'âge sombre du dogmatisme de la continuité écologique, où quelques gens de passage éliminent sans état d'âme la mémoire des présences humaines en rivière. Pour que cela cesse, rejoignez les associations, faites signer le moratoire sur la continuité écologique


Hier






Aujourd'hui






A lire également cet article, d'où il ressort que la Seine au point de contrôle Onema de Nod avait un indice piscicole de qualité (IPR) bonne ou excellente dans les dernières campagnes de mesures, à l'époque où l'ouvrage Floriet était encore là.

11/11/2015

Idée reçue #04: "Les ouvrages hydrauliques nuisent à l'auto-épuration de la rivière"

La rivière serait capable d'épurer elle-même les pollutions humaines, mais les ouvrages hydrauliques (seuils, barrages, digues) l'en empêcheraient. Jamais en peine d'un motif pour justifier l'effacement spectaculaire des ouvrages hydrauliques, et détourner ainsi l'attention des causes réelles mais non ou mal traitées de dégradation des rivières, autorités et gestionnaires de l'eau ont commencé à diffuser cette idée dans les années 2000. Problème : la recherche nous dit exactement le contraire. Nous sommes en présence d'une véritable manipulation puisque 30 ans de travaux scientifiques démontrent que les retenues, réservoirs, étangs et autres zones d'eaux plutôt stagnantes permettent d'éliminer les excès d'azote et de phosphore, donc de diminuer le risque d'asphyxie des littoraux et estuaires. L'action publique démontre à nouveau son manque de crédibilité et d'impartialité en se rabaissant au niveau argumentaire de vulgaires lobbies propagandistes. Pire encore, elle contrevient à l'obligation stricte faite par la DCE 2000 de ne pas aggraver l'état chimique des rivières : la politique actuelle de suppression des obstacles à l'écoulement aura pour effet de détériorer le bilan des nutriments. Il est urgent de dénoncer ces impostures, à l'heure où la France est déjà très en retard sur le dossier des pollutions chimiques de l'eau et condamnée pour la mauvaise application de la Directive nitrates de 1991.

Dans certains documents de vulgarisation de l'Onema, des Agences de l'eau et en conséquence des syndicats de rivière ré-exploitant ces informations, il est apparu à la fin des années 2000 l'idée que les seuils et barrages nuisent à l'auto-épuration chimique des rivières (voir des exemples chez Onema 2010, Onema et Agence de l'eau Loire-Bretagne 2012, Onema et FNE 2014, et même dans les textes officiels du Ministère de l'Ecologie comme la Circulaire du 18 janvier 2013 sur la continuité écologique).

Par auto-épuration, il faut entendre la capacité d'une rivière ou de toute masse d'eau naturelle à éliminer des substances considérées comme polluantes. Il s'agit en premier des intrants agricoles, notamment les engrais dérivés de l'azote et du phosphore qui apportent un excès de nutriments à l'eau. Mais aussi de l'ensemble des substances chimiques liées aux activités humaines : pesticides, médicaments, métaux lourds, milliers de composés chimiques synthétiques présents dans nos objets de consommation, nos résidus de combustion ou autres sources.

Notons tout d'abord que, même sans examen scientifique de la question, la posture argumentaire visant à incriminer les seuils et barrages sur ce dossier de l'auto-épuration est intenable au plan du bon sens. En effet :
  • les pollutions chimiques de la rivière proviennent de l'émission des substances polluantes liées aux activités humaines (industrie, agriculture, usages sanitaires et domestiques). Les propriétaires d'ouvrages hydrauliques sont les victimes et non les causes de cette pollution des eaux qui arrivent dans leurs retenues, biefs ou étangs, des victimes immédiates puisque c'est leur cadre de vie qui est impacté ;
  • quand il y a une pollution aigüe de rivière (hydrocarbure, fuite toxique), l'une des premières mesures préventives est d'ériger un barrage mobile pour contenir au maximum la diffusion des substances nuisibles ;
  • les substances à longue durée de vie (métaux lourds, composés à forte inertie chimique comme les PCB) ne disparaissent pas d'un coup de baguette magique, elles circulent en suspension, s'accumulent dans les zones de dépôt naturel des rivières (fosses, mouilles, plaines alluviales), s'échangent avec les nappes ou encore arrivent dans les estuaires et zones littorales.
Prétendre que la suppression d'un ouvrage supprimera les causes ou les effets des pollutions chimiques n'a donc guère de sens. Cela revient à promouvoir la libre-circulation des polluants!

On entretient volontairement ou involontairement la confusion entre l'eutrophisation locale d'une retenue (le fait qu'elle accumule des sédiments organiques donc des nutriments, étant une zone de dépôt) et l'eutrophisation artificielle massive des cours d'eau due à nos rejets. Concernant les cycles de l'azote, du phosphore et du silicium, de nombreux travaux ont montré le rôle positif des eaux stagnantes : lacs, retenues, réservoirs, bras morts, mares, étangs. La France a mené des programmes pilotes sur cette question dans le cadre de la démarche multidisciplinaire Piren-CNRS, dès les années 1980, aussi est-il très étrange que ces travaux soient inconnus des gestionnaires de l'eau... 

La rétention d’azote (nitrates) dans les retenues, réservoirs et plans d'eau est particulièrement notable, et elle peut s’expliquer par trois processus différents : l’assimilation par la végétation, la sédimentation ou la dénitrification. Nous citons ci-dessous une synthèse utile de la littérature extraite de la thèse doctorale de Paul Passy (Passy 2012, illustration : la cascade des nutriments, cliquer pour agrandir).


"Dans les années 1980, de nombreuses études ont été réalisées sur des lacs scandinaves (Henriksen et Wright 1977; Wright 1983) ou nord-américains (Hill 1979; Dillon et Molot 1990) montrant que les rétentions d’azote au sein de ces milieux pouvaient atteindre plus de 90 % de la charge entrante. Plus tard, des suivis réalisés sur les barrages réservoirs de la Seine (Sanchez and Garnier, 1997; Garnier et Billen, 1994; Garnier et al 1999), des réservoirs d’eau en Pologne (Tomaszek et Czerwieniec 2000; Koszelnik et al 2007; Gruca-Rokosz et Tomaszek 2007) ou aux États-Unis (David et al 2006) ont mis en évidence une rétention d’azote atteignant 40 %. Enfin des études orientées vers l’ingénierie écologique dans le bassin du Mississippi ont mesuré un abattement de l’azote allant de 20 à 43 % (Mitsch et al 2005; vanOostrom 1995). (…)

"La plupart des études menées sur le devenir de l’azote dans les plans d’eau mettent en évidence le rôle prédominant de la dénitrification. Que ce soit dans des systèmes lacustres, de zones humides naturelles ou artificielles, ou de réservoirs, la dénitrification est responsable de 40 à plus de 80 % de l’élimination de l’azote (Brinson et al 1984; Seitzinger 1988; Hernandez et Mitsch 2007), soit un rôle 2 à 4 fois plus important que l’assimilation par la végétation ou que la sédimentation (Yan et al 1997; Kreiling et al 2011).

"L’azote sous forme de nitrate n’est pas le seul élément éliminé dans les secteurs stagnants du réseau hydrographique. La forme ammonium (NH4+) ainsi que le phosphore (Braskerud 2002) peuvent également y être retenus. Certaines agglomérations mettent d’ailleurs à profit cette propriété en construisant des plans d’eau pour traiter leurs eaux usées (Vymazal 2011; Dalu et Ndamba 2003). Enfin, le silicium subit également une certaine rétention au sein de ces secteurs stagnants (Koszelnik et Tomaszek 2008) par suite de la croissance et de la sédimentation des diatomées."

Depuis la parution de cette thèse, des travaux récents ont confirmé ces données déjà robustes de la recherche : voir par exemple Tiessen et al 2011 sur l'efficacité des petits barrages dans le stockage azote et phosphore au Canada ; Grantz et al 2014 sur la dynamique d'accumulation azote et phosphore dans les réservoirs déjà eutrophes ; Gasparini et al 2014 sur le bilan positif de rétention des nutriments sur des réservoirs des Grandes Plaines ; Liu et al 2015 sur l'effet (positif mais ici modeste et dépendant du remplissage) de 26 petits barrages canadiens ; Némery et al 2015 sur la rétention des charges carbone, azote et phosphore (resp. 31, 46 and 30 %) dans le cas d'un barrage tropical de zone urbanisée.

Cette rapide revue de la littérature scientifique est donc assez claire : les eaux plutôt stagnantes des réservoirs, des retenues et des étangs créés par les ouvrages hydrauliques jouent un rôle positif dans l'épuration de l'azote et du phosphore, donc dans la correction de notre perturbation du cycle des nutriments par les usages agricoles et domestiques. Dans une étude récente de ce phénomène, trois chercheurs nord-américains ont insisté sur l'usage bénéfique de la petite hydraulique dans la gestion du problème des nutriments : "Nous soulignons que nous ne nous faisons pas les avocats de la construction des grands barrages comme moyen d'améliorer la qualité de l'eau. Mais les petits barrages et réservoirs, en revanche, existent souvent dans des zones où les paysages naturels ont disparu au profit de l'agriculture, et ils peuvent éventuellement être gérés de manière adaptée pour retenir les nutriments et assurer d'autres services aux écosystèmes". (Powers et al 2015). Cet argument des chercheurs répond très exactement à la problématique française, puisque l'on trouve près de 80.000 obstacles à l'écoulement bien répartis sur les territoires, en particulier dans des zones souffrant de surcharge en nutriments.

Rétablissons donc quelques vérités : les ouvrages hydrauliques sont victimes et non responsables des pollutions chimiques de la rivière formant l'une des causes majeures de dégradation des milieux aquatiques depuis le milieu du XXe siècle. L'excès de nutriments (azote, phosphore) est considéré comme un problème majeur pour la qualité des masses d'eau, en particulier pour les zones estuariennes et littorales souffrant d'un apport massif depuis les systèmes fluviaux. Les ouvrages hydrauliques jouent un rôle positif dans l'élimination de ces nutriments tout au long du réseau hydrographique. Plus généralement, ils fixent des polluants qui, sans eux, se diffuseraient dans le milieu et jusque dans les océans. C'est un apport manifeste des seuils et barrages en terme de services rendus aux écosystèmes, et cette dimension doit être prise en compte dans toute programmation relative à ces ouvrages (même sans usage).

On peut conclure sur quatre points :
  • il est grave pour la crédibilité et l'impartialité de l'action publique que des organismes comme l'Onema ou les Agences de l'eau, voire la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie, propagent des idées fausses dans leur communication à destination des décideurs et de l'opinion, et s'associent parfois à des lobbies dans cette manipulation. Nous attendons un correctif clair sur la question de l'auto-épuration, dont nous observons qu'elle est reprise sans esprit critique par nombre d'opérateurs en rivière au plan local ;
  • la politique d'effacement des ouvrages ne peut qu'avoir des conséquences négatives sur le bilan chimique de l'eau, en particulier dans les régions où il existe une pression agricole / urbaine forte. La Directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) interdit à un Etat-membre de prendre des mesures qui aggravent l'état écologique ou chimique d'une masse d'eau. En conséquence, aucune opération d'effacement ne devrait être programmée si elle ne garantit pas au préalable par une étude d'impact et une modélisation la non-aggravation du bilan physico-chimique de l'eau sur les mesures obligatoires de la DCE 2000 ;
  • au lieu de désigner les barrages, moulins et étangs comme des ennemis de l'environnement, ce qu'ils ne sont pas, l'action publique devrait réfléchir à des partenariats visant à profiter de l'opportunité des retenues comme zone d'accumulation sédimentaire, avec notamment une politique d'extraction et gestion des sédiments pollués permettant réellement d'épurer les rivières de certaines substances à longue durée de vie ;
  • depuis les Directives nitrates et eaux résiduaires de 1991 jusqu'à la Directive pesticides de 2009 en passant par la DCE 2000, on attend de la France qu'elle soit capable de progrès rapides sur le dossier des pollutions chimiques de l'eau. Ce n'est pas le cas. Les besoins économiques pour améliorer les assainissements, changer les pratiques agricoles, protéger les captages ou encore trouver des substituts aux polluants sont immenses. Dans ce contexte, gâcher le moindre centime d'argent public à détruire le patrimoine hydraulique est absurde. Quand ce gâchis atteint des centaines de millions d'euros pour des effets négatifs sur le bilan chimique, il n'est plus tolérable. 
Illustration : extraite de Passy P (2012), Passé, présent et devenir de la cascade de nutriments dans les bassins de la Seine, de la Somme et de l’Escaut, thèse.

A lire en complément : 
Notre section auto-épuration ; notre section pollution
Idée reçue #02 : "Les seuils et barrages ont un rôle majeur dans la dégradation des rivières et des milieux aquatiques" 
Vade-mecum de l'association face à un projet d'effacement d'ouvrage hydraulique 

10/11/2015

Effet parfois positif des petits barrages sur la qualité piscicole de rivières nord-américaines (Holcomb et al 2015)

"Les effets des petits barrages sur divers critères des communautés locales de poissons sont pauvrement documentés, et des travaux récents suggèrent l'intérêt de maintenir la fragmentation". Voilà une assertion de chercheurs qui n'est pas exactement le discours propagé par nos gestionnaires pour qui la science des rivières aurait définitivement démontré l'urgente nécessité d'effacer tout obstacle à l'écoulement.  Trois scientifiques montrent la complexité de l'évaluation du rôle des barrages sur des rivières nord-américaines, ainsi que le rôle prépondérant pour la qualité piscicole des usages des sols dans le bassin versant et sur les berges.

Jordan M. Holcomb et ses collègues ont analysé trois rivières de Caroline du Nord (Tar, Neuse, Roanoke) en leurs bassins versants. Ils ont identifié 25 barrages classés en trois catégories : intact (9), échancré (9) ou relique (7), cette dernière catégorie signalant que les restes du barrage en ruine n'ont plus d'impact notable sur l'écoulement.

Sur chaque barrage, ils ont analysé les communautés de poisons sur trois sites : à l'amont dans le flot non perturbé (plus haut que le remous liquide et solide), immédiatement à l'aval du canal de fuite, et au moins 500 m à l'aval. Soit un total de 75 mesures. Parmi les mesures de qualité piscicoles : l'abondance (CPUE, catch per unit effort), la richesse spécifique, la proportion d'espèces intolérantes.

Le résultat montre que ces critères de qualité sont les plus élevés dans les zones immédiatement aval des barrages. On ne trouve pas de différence significative sur le linéaire pour les barrages reliques. Les barrages échancrés ont le moins bon score dans leur zone aval par rapport à la zone amont.

Les chercheurs ont ensuite étudié les impacts du bassin versant (usage des sols et des berges, particulièrement agricole, perturbations à échelle du bassin WSD, de la berge RSD ou du site LSD).

Les rivières Tar et Roanoke ont des assemblages piscicoles de bonne qualité aussi bien sur les tronçons avec barrage que sans barrage. La rivière Neuse montre en revanche des habitats perturbés dans les tronçons à barrage échancré. Les perturbations à échelle du bassin et de la begre sont celles qui ont le plus d'impact. "Ces données démontrent que la réponse du peuplement piscicole à la condition des barrages est spécifique au bassin, mais que les communautés dans les tronçons avec barrage intact ou barrage relique sont largement similaires". Sur les systèmes étudiés, ce sont les barrages échancrés qui représenteraient un intérêt de gestion.


Discussion
Les travaux s'accumulent pour montrer que le bilan environnemental des ouvrages hydrauliques est complexe et que leur suppression ne devrait certainement pas être une priorité pour le gestionnaire. En particulier, une démarche de restauration de rivière  n'a de sens qu'après une analyse scientifique de l'ensemble des impacts du bassin versant, de la réponse des communautés biotiques, du rôle des ouvrages dans le bilan physique, chimique et biologique, de la détermination d'objectifs écologiques accessibles et dignes d'intérêt pour la fonctionnalité des milieux.

Cela n'a rien à voir avec l'amateurisme teinté de lobbyisme qui prévaut en France. Il est navrant de constater que notre pays édicte des réglementations et finance des programmations ne tenant pas compte des débats réels de la science. En particulier, il n'est pas acquis que l'effacement du maximum d'ouvrages en rivière aura un bilan halieutique positif, et s'il est positif, un bilan dont les avantages seraient proportionnés aux nombreux inconvénients de ce type de mesure (coût public, perte patrimoniale et culturelle, altération paysagère, disparition du potentiel énergétique, aggravation du bilan chimique sur certains composés, etc.).

Référence : Holcom JM et al. (2015), Effects of small dam condition and drainage on stream fish community structure, Ecology of Freshwater Fish, e-pub, doi:10.1111/eff.12233

Illustration : barrage de l'usine de Montzeron sur le Serein.

07/11/2015

Visite des chantiers de passes à poissons du Cousin

Le vendredi 6 novembre était organisée par Hydrauxois et le Parc du Morvan une visite de trois chantiers de passes à poissons sur la rivière Cousin, dans la zone classée Natura 2000 autour d'Avallon. La vallée fait aussi l'objet d'une protection au titre patrimonial (ZPPAUP). Nous remercions le Parc d'avoir accompagné cette initiative, dont voici un compte-rendu.

Moulin Léger, passe à bassins successifs
Hauteur de chute au droit de l'ouvrage : env. 1,7 m
Coût env. 80 k€ hors étude



Le moulin a une activité hydro-électrique (turbine type Francis, injection EDF-OA), la solution retenue a donc respecté la consistance légale de production. Le choix s'est porté sur une passe à bassins successifs permettant de diviser la pente en chutes modestes. La passe est calculée de telle sorte que des espèces à faible capacité de saut puissent nager dans des échancrures entre les bassins. La conception est rustique (à blocs grossiers), ce qui a un intérêt paysager et se rapproche des conditions naturelles rencontrées sur des rivières (zones à radiers et rapides). On note à l'amont des blocs en rivière : ce sont des déflecteurs pare-embâcles, pour minimiser le risque d'obstruction de la passe. Une échancrure garantit que la passe reste en eau en étiage et absorbe alors 10% du module (débit minimum biologique).

Moulin Cayenne, rivière de contournement
Hauteur de chute au droit de l'ouvrage : env. 2,1 m
Coût env. 50 k€ hors étude



Le moulin a une roue fonctionnelle de type Sagebien et une autoproduction énergétique en cours d'installation. La solution retenue a donc respecté la consistance légale. Il s'agit d'une rivière de contournement, dispositif considéré comme le plus proche des conditions naturelles et le moins sélectif sur les espèces piscicoles en montaison. La rive gauche a été creusée jusqu'au lit (socle de la roche-mère) et des enrochements ont été posés sur les extrados pour limiter l'érosion. Des plantations sur géotextiles sont en cours, notamment pour garantir la stabilité des berges à terme.

Moulin Cadoux, rampe en enrochement
Hauteur de chute au droit de l'ouvrage : environ 1,8 m
Coût env. 90 k€ hors étude



Le moulin n'a pas d'usage énergétique, mais jouit d'une protection comme "patrimoine pittoresque de l'Yonne" en raison du caractère exceptionnel du site, de son ancienneté historique et de son reflet dans le miroir d'eau. La proximité des populations de moules perlières (espèce protégée de la vallée) a conduit à un projet plus ambitieux, avec une arase en pente sur la crête en rive gauche du seuil, baissant légèrement le niveau légal et limitant la longueur du remous liquide/solide amont. La surverse préférentielle à cet endroit doit aussi casser la vitesse du flot dévalant par la passe, qui est constituée d'une rampe en enrochement de fond (blocs grossiers cassant la puissance de l'eau et offrant des zones de repos).

Les observations faites lors de la visite
Tous les propriétaire présents (venant des quatre départements bourguignons) ont des problématiques d'aménagement de continuité écologique sur des rivières classées. Les trois chantiers leur ont été utiles pour comprendre les enjeux constructifs. Mais ils ont soulevé aussi bien des objections et des interrogations.
Coût des dispositifs : c'est évidemment le point noir. Les trois aménagements du Cousin bénéficient d'un financement exceptionnel à 100% (Life+ et Agence de l'eau Seine-Normandie). Or, la position de l'Agence en situation normale est un financement public nul si le moulin n'a pas d'usage structurant, et de 20 à 50% en cas d'usage. Les coûts des passes sont élevés, d'autant que s'y ajoute une conception par bureau d'étude de l'ordre de 20 k€ pour chaque ouvrage. Une analyse menée sur le tronçon classé de rivière Armançon a montré que le consentement à payer des propriétaires (comme des élus et parties prenantes) est nul dans ce domaine, c'est-à-dire que l'attente est un financement public intégral.
Dispositions constructives : des doutes ont été émis sur la capacité des ouvrages soit à résister à de fortes crues (cas de la passe à enrochements) soit à préserver leur profil (cas de la rivière de contournement). Un participant expert d'origine néerlandaise a fait observer que les bétons utilisés en France sont interdits en rivière aux Pays-Bas, en Allemagne et dans d'autres pays européens. Une autre visite sera sans doute organisée après la mise en eau, en 2016.
Efficacité écologique : au regard des coûts engagés, et du fait que les ouvrages sont assez modestes au départ (faibles hauteurs, versants aval en pente modérée), c'est une question centrale puisque l'objectif des aménagements est une amélioration de la qualité écologique, particulièrement du compartiment biologique. Le Parc du Morvan devra procéder à des mesures de qualité piscicole pour analyser l'évolution des populations de poisson et de moules.
L'Yonne républicaine a publié un compte-rendu intéressant de la visite (cliquer l'image ci-contre pour agrandir)

Et pour la suite sur la rivière Cousin ?
Le Cousin-Trinquelin (la rivière change localement de nom au niveau de Quarré-les-Tombes) compte 43 ouvrages. Certains sont équipés de passes, d'autres ne sont pas considérés comme des obstacles à la continuité écologique en raison des ruines de seuils ou de leurs très faibles hauteurs, d'autres encore ont accepté le principe d'un effacement.

Il n'en reste pas moins que la majorité des ouvrages doit encore faire l'objet d'une concertation en vue de l'application de la continuité écologique, puisque la rivière a été classée en liste 2 avec l'horizon 2017 comme délai légal d'aménagement. Au cours de l'année 2016, l'association Hydrauxois définira avec ses adhérents une stratégie sur chaque rivière, en particulier sur le Cousin où elle est déjà fortement implantée. Cette stratégie consistera notamment en :
  • une analyse du cours d'eau et de l'impact de ses moulins, notamment au regard des données historiques disponibles sur les peuplements halieutiques,
  • un point technique et scientifique sur les connaissances actuelles en continuité écologique appliquée aux petits ouvrages,
  • un rappel aux services instructeurs des exigences légales, notamment la limitation des aménagements aux migrateurs (non pas restauration des habitats pour toutes espèces y compris non migratrices) et l'obligation explicite faite à l'administration de proposer sur chaque ouvrage des règles de gestion ou d'équipement,
  • une demande à l'Agence de l'eau d'information exacte sur le niveau de subvention des dispositifs simples de franchissement et, si ce niveau est jugé insuffisant, une démarche en reconnaissance du caractère "spécial et exorbitant" de la dépense demandée, appelant indemnité compensatoire (comme le prévoit la loi).

06/11/2015

SDAGE Loire-Bretagne : objectifs 2015 et 2021 identiques... et toujours aussi peu probables

Le SDAGE 2010-2015 promettait 61% des masses d'eau en bon état. Le résultat est à la moitié, avec quasiment aucun progrès dans l'exercice écoulé. Le SDAGE 2016-2021 qui vient d'être adopté par le comité de bassin promet... à nouveau 61% des masses d'eau en bon état, mais cette fois pour 2021! Personne ne peut sérieusement cautionner cette méthode Coué, dont l'échec grave vis-à-vis de nos obligations européennes ne fait pas même l'objet d'un audit. Le plus grand bassin hydrographique français est à la dérive.

Le SDAGE Loire-Bretagne a été adopté ce jeudi 5 novembre 2015. Nous avions exprimé dans une lettre ouverte avec 25 associations les problèmes nombreux que pose ce texte, tant dans la gouvernance peu démocratique de sa programmation que dans ses orientations inefficaces en matière de qualité des rivières, particulièrement de continuité écologique. Dans l'hypothèse où nos observations formulées lors des consultations et dans ce courrier n'auraient pas été prises en compte, une réflexion sera ouverte avec nos avocats pour formuler une requête en annulation du SDAGE.

Comme à leur habitude et au frais des concitoyens, la comité de bassin et l'Agence de l'eau produisent une communication institutionnelle autosatisfaite (pdf) autour de l'adoption du Schéma.

Dans ce dossier de presse, un point retient notre attention : l'objectif de 61% des masses d'eau en bon état 2021. Nous avions déjà vu ce chiffre, mais où donc…? Ah mais c'est bien sûr, la communication du SDAGE 2010-2015 promettait déjà d'atteindre 61% des masses d'eau en bon état! C'est-à-dire que l'ambition d'un SDAGE à l'autre reste exactement la même, alors que l'Union européenne attend 100% des masses d'eau en bon état chimique et écologique.


Les promesses n'engagent que ceux qui y croient. Les vrais chiffres du bilan de l'action de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne sont mauvais. On constate en effet à l'état des lieux 2013 (exercice obligatoire pour le rapportage à l'Union européenne) que :
  • le bassin Loire-Bretagne n'est plus capable de donner les mesures de l'état chimique des eaux (entorse grave à l'obligation européenne de suivi de qualité),
  • les cours d'eau n'ont montré aucune évolution significative de leur état écologique (de 29,5% en bon état à 30,2% sur le dernier exercice).
Il est inadmissible qu'une Agence dépensant des milliards d'euros d'argent public à chacun de ses exercices quinquennaux présente des résultats aussi médiocres sans faire l'objet d'un audit pour évaluer les dysfonctionnements. Et personne ne peut évidemment croire que l'objectif de 61% des masses d'eau en bon état sera atteint en 2021 plus qu'il ne l'a été en 2015.

A lire également sur Loire-Bretagne :
Un scandaleux exercice de propagande
50 ans de pollution aux nitrates