01/12/2015

Energie hydraulique, continuité écologique: les bonnes questions du sénateur Jean-Jacques Lasserre

Jean-Jacques Lasserre, sénateur des Pyrénées-Atlantiques, interpelle le gouvernement sur les contradictions entre la volonté affichée de lutter contre le réchauffement climatique et le découragement de l'énergie hydro-électrique par des demandes administratives sans réalisme économique ni proportion aux enjeux écologiques. (Source)

M. Jean-Jacques Lasserre . - Il existe en France plusieurs milliers de moulins qui produisent de l'hydroélectricité, et plusieurs milliers d'autres qui pourraient en produire. Mais la complexité des demandes d'autorisation, le coût de l'investissement dans les équipements et les barrières administratives opposées par la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) sont autant de freins. Il y a une contradiction évidente entre la volonté du ministère de développer cette énergie alternative et la piètre mise en valeur de ce potentiel par les services de l'État.

La petite hydroélectricité, en plus d'être une énergie renouvelable, respecte l'environnement puisque les plans d'eau créés par les microcentrales sont autant d'écosystèmes protégés et de sites touristiques attractifs. Elle constitue un apport énergétique non négligeable. Les installations en rivière contribuent aussi à l'étalement des crues - ce que nous apprécions, au Pays basque. La destruction des seuils naturels ou artificiels en rivière au motif de continuité écologique est une grave erreur. Enfin, la petite hydroélectricité crée de l'activité dans les campagnes. Que compte faire le Gouvernement?

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale . - La petite hydroélectricité est une filière de production d'énergie renouvelable qui présente bien des atouts en milieu rural. Dans la loi pour la transition énergétique, le Gouvernement a soutenu la reprise des petites installations en mettant au point une autorisation unique ; le tarif de rachat sera réévalué, les très petites installations y seront éligibles. Enfin, des appels d'offres seront lancés, certaines seront ciblées sur les installations de très petite puissance comme les moulins.

M. Jean-Jacques Lasserre. - Sans mettre en cause vos bonnes intentions, j'espère que les administrations suivront dans les départements.


Commentaires
Le sénateur a résumé en quelques mots les atouts du patrimoine hydraulique et l'intérêt de son équipement. Il est fondé à s'interroger sur le comportement des administrations dans chaque département. Mais il conviendrait également de pointer la responsabilité de la Direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du Ministère de l'Ecologie, ainsi que celle de l'Onema. Car après tout,  dans le domaine de l'eau, la plupart des services déconcentrés de l'Etat ne font que suivre les instructions de la DEB ou les prescriptions techniques de l'Office.

Rappelons que :
  • jamais les députés et sénateurs n'ont voté l'effacement des ouvrages dans la loi sur l'eau de 2006 ni dans la loi de Grenelle de 2009 (voir cet article et voir le compte-rendu de la commission des lois de 2006); 
  • c'est une interprétation abusive de l'administration qui a introduit, dans les Circulaires de 2010 (application du Parce 2009) et 2013 (application du classement des rivières), en même temps que dans les préconisations des représentants de l'Etat au sein de certaines Agences de l'eau, l'effacement prioritaire des ouvrages (voir cet article);
  • alors que la Ministre de l'Ecologie appelle à ne plus détruire les moulins (voir cet article), tout comme la Ministre de la Culture (voir cet article), rien ne change dans le comportement administratif, de sorte que l'autorité de l'Etat sur sa propre administration commence à être questionnée, en particulier dans ce domaine de l'eau où certains éléments des directions ministérielles et certains établissements administratifs poursuivent manifestement des programmes idéologiques allant bien au-delà de l'application de la loi;
  • la dérive est loin d'avoir cessé, puisque le décret du 1er juillet 2014 et l'arrêté du 11septembre 2015 illustrent l'acharnement persistant de l'administration à compliquer la vie des propriétaires d'ouvrages hydrauliques, en l'occurrence à faciliter la casse des droits d'eau et règlements d'eau, soumettre au bon vouloir du Préfet toute restauration énergétique de moulin, imposer des mesures d'aménagement disproportionnées qui coûtent des dizaines à des centaines de milliers d'euros sur chaque ouvrage, même modeste, qui découragent toute action et qui n'ont jamais fait l'objet d'une analyse coût-efficacité sérieuse à échelle des bassins où elles prétendent s'appliquer;
  • l'appel à projets du 13 novembre 2015 lancé par Ségolène Royal, s'il va dans le bon sens, ne corrige hélas pas la tendance de fond car il ne concerne que 50 projets entre 36 et 150 kW (sur un total de sites équipables supérieur à... 70.000), il impose des encadrements disproportionnés pour ce type de petites puissances, il ne permet pas des tarifs de revente assez élevés pour compenser les coûts énormes des mises aux normes écologiques demandées dans le cahier des charges.
Comme en témoigne le soutien de plus en plus massif que reçoit l'appel à moratoire sur la continuité écologique, le fossé se creuse entre les riverains, les usagers et leurs élus d'une part, l'administration centrale, les services déconcentrés, les Agences de l'eau et l'Onema d'autre part. L'action publique est perçue comme opaque, complexe, déraisonnable et inefficace, quand elle n'est pas jugée partiale voire arbitraire. A ceux qui affirment au sommet de l'Etat qu'il ne faut plus détruire mais aménager et équiper les ouvrages hydrauliques, nous demandons davantage que des bonnes paroles : nous voulons des décisions claires, des textes opposables par les propriétaires d'ouvrages à toute tentative de les pousser à l'effacement de leur bien ou au renoncement de son équipement énergétique.

Illustration : France 3, droits réservés. Pendant que le gouvernement fait de vagues promesses, les programmes de destruction continuent. Si l'effacement produit un bénéfice écologique conséquent et prouvé (ou améliore la sécurité publique), et s'il relève d'un choix libre, éclairé, informé, sans chantage économique ni pression réglementaire du maître d'ouvrage et des riverains dans l'influence du barrage, pourquoi pas? Mais ces conditions sont aujourd'hui très rarement réunies.

29/11/2015

Extension du domaine du migrateur: ce qu'on dit aux élus et ce qu'on leur cache

Quand l'Onema, l'Irstea et la Fédération de pêche sont invités à s'exprimer sur les poissons migrateurs devant les parlementaires, ils parlent saumons, lamproies marines, anguilles ou esturgeons. Quand les mêmes instances font des guides techniques de continuité écologique, ils incluent dans la notion de "migrateurs" des dizaines d'autres populations, y compris aussi éloignées de la notion usuelle d'espèces migratrices que la tanche, la carpe, la brème, la perche, le chabot ou le gardon ! Résultat : la continuité écologique devient ingérable sur le terrain, avec des postures maximalistes au plan halieutique, irréalistes au plan économique et destructrices au plan patrimonial. Ce double discours doit cesser. La mise en oeuvre de la continuité écologique est aujourd'hui excessive et disproportionnée par rapport au texte voté par les parlementaires et à l'intention qu'ils avaient lors de son vote. Elle l'est aussi par rapport aux réels besoins écologiques de nos rivières. On doit revenir à une définition plus stricte des enjeux migrateurs et à une reconquête plus progressive de leurs axes prioritaires.

La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale avait organisé le 25 novembre 2014 une "table ronde sur les poissons migrateurs". Y participaient Alexis Delaunay, directeur du contrôle des usages et de l’action territoriale de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema), Éric Rochard, directeur de l’unité de recherche EABX de l’Institut national de recherches en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea), Aurore Baisez, directrice de l’association pour la gestion et la restauration des poissons migrateurs du bassin de la Loire (LOGRAMI), Patrick Martin, directeur du Conservatoire national du saumon sauvage, et Jean-Paul Doron, vice-président de la Fédération nationale de la pêche en France et de la protection du milieu aquatique. Le texte complet peut être consulté à cette adresse.

Voici un extrait de la déclaration d'Alexis Delaunay (Onema) : "L’Onema se mobilise fortement pour les poissons migrateurs, depuis le niveau européen jusqu’au niveau local, que ce soit en matière de recherche, d’expertise, de connaissance ou d’appui à l’action territoriale. Ces poissons sont un symbole de la bonne qualité des eaux et de la biodiversité. Les saumons, truites de mer, aloses, lamproies, anguilles et esturgeons étaient autrefois abondants et représentaient une richesse économique et touristique importante."

Autre extrait, déclaration d'Éric Rochard (Irstea) : "On dénombre vingt-huit espèces de poissons migrateurs à l’échelle européenne, et onze en France, de deux types : huit du type saumon, qui se reproduisent en rivière et vont grandir en mer avant de revenir, et trois du type anguille, qui naissent en mer et reviennent en rivière pour grandir. La spécificité des poissons migrateurs tient à ce passage nécessaire entre l’eau douce et l’eau de mer. Si l’on place un obstacle infranchissable entre les deux, tout s’arrête"

Protocole ICE : quand la tanche ou le chabot devient un "type de migrateur"...
Il se trouve que l'Onema a publié un guide technique sur la mise en oeuvre de la continuité écologique : Informations sur la Continuité Ecologique (ICE), Evaluer le franchissement des obstacles par les poissons. Principes et méthodes (Onema 2014). Ce guide est important puisqu'il est supposé faire référence pour les services instructeurs de l'Etat dans la mise en application de la continuité écologique, notamment du classement des rivières par l'article L 217-17 CE visant à "assurer (...) la circulation des poissons migrateurs".

Or, on s'aperçoit que la notion de "poissons migrateurs" change considérablement par rapport à la définition donnée aux parlementaires. Voici un extrait de cette publication concernant la définition des "différents types de migrateurs".

Type 1 - Les migrateurs amphibiotiques anadromes : (…) on retrouve parmi ce groupe, les espèces suivantes : truite de mer (Salmo trutta – écotype migrateur), saumon atlantique (Salmo salar), lamproie fluviatile (Lampetra fluviatilis), lamproie marine (Petromyzon marinus), grande alose (Alosa alosa), alose feinte (Alosa fallax fallax), les mulets (Chelon labrosus et Liza ramada) et l’esturgeon (Acipenser sturio).

Type 2 - Les migrateurs amphibiotiques catadromes : (…) Deux espèces font partie de cette catégorie en France métropolitaine, l’anguille européenne (Anguilla anguilla) qui fait l'objet d'une grande attention en matière de protection et de restauration (règlement européen et plan de gestion national) et le flet (Platichthys flesus).

Type 3 - Espèces holobiotiques potamodromes exigeantes pour le substrat de pontes : (…) Les zones recherchées peuvent être :
  • des bancs de graviers assez meubles et bien oxygénés chez les espèces d'eau vive (espèces rhéophiles) et reproductrices litophiles (ponte sur ou dans le gravier). On retrouve la truite de rivière (Salmo trutta) et l’ombre commun (Thymallus thymallus) parmi les salmonidés et le barbeau fluviatile (Barbus barbus), méridonal (Barbus meridionalis), la vandoise (Leuciscus leuciscus) ainsi que, dans une certaine mesure, le hotu (Chondrostoma nasus), le toxostome (Parachondrostoma toxostoma) et le spirlin (Alburnoides bipunctatus) parmi les cyprinidés d'eau vive ;
  • des plages de végétation chez certaines espèces d'eau lente et reproductrices phytophiles (ponte d’œufs collants sur les plantes) comme le brochet (Esox lucius) en fin d’hiver et au printemps, ou la carpe (Cyprinus carpio) et la tanche (Tinca tinca) en été ;
  • des zones particulières de gros cailloux ou de graviers chez des espèces nidificatrices comme le chabot (Cottus sp) et la lamproie de Planer (Lampetra planeri).
Type 4 - La plupart des autres espèces holobiotiques potamodromes : (…) la plupart des autres espèces holobiotiques potamodromes (100 % d'eau douce) ont aussi naturellement tendance à migrer au moment de la reproduction mais sans que cela soit une condition impérative au succès de la reproduction car il existe généralement des frayères dans la zone ou le bief fluvial de résidence. C’est le cas des espèces ubiquistes-euryèces assez peu exigeantes dans le choix de leur substrat de ponte : gardon (Rutilus rutilus), brème commune (Abramis brama) et bordelière (Blicca bjoerkna), perche (Perca fluviatilis)."


Observations
Affirmer que toutes ces espèces font partie des "différents types de poissons migrateurs" est totalement contraire au sens usuel de ce mot dans la littérature scientifique et dans les plans de gestion halieutique (cf Plagepomi, Cogepomi). C'est aussi très éloigné de que les responsables Onema-Irstea racontent à nos élus quand ceux-ci leur demandent des explications.

Quand l'Onema, l'Irstea, Fédération de pêche et divers groupes sont invités par des parlementaires à donner des informations sur les politiques de continuité écologique, ils laissent entendre que les espèces de grands migrateurs (type 1 et 2 ci-dessus) sont les seules concernées (ce qui devrait être le cas). Mais quand on regarde les dossiers techniques de l'Onema, qui servent aux services instructeurs DDT-M, on s'aperçoit qu'en réalité, la notion de "migrateurs" est dilatée à toutes sortes d'espèces qui ne le sont pas réellement, en particulier des espèces qui n'ont que de faibles capacités de nage et de saut (ce qui en soi est curieux pour un migrateur). Cette confusion entre mobilité et migration pousse bien évidemment à l'effacement total des ouvrages ou au choix de passes à poissons très coûteuses (car obligatoirement franchissables à toutes espèces).

Nous exigeons un retour du réalisme dans les aménagements de continuité écologique, et la fin des doubles discours de la part de certains établissements administratifs, qui se montrent très consensuels quand ils discutent avec les politiques, mais très extrémistes en commissions de travail des Agences de l'eau et en préconisations techniques aux DDT-M dans la mise en oeuvre du L214-17 CE. Il est notamment inacceptable que l'Onema, appelé à être un futur pilier de l'Agence de la biodiversité, fasse preuve dans le domaine de la continuité écologique d'un manque total de réalisme économique comme de prise en compte des dimensions multiples de la rivière, de son patrimoine et de ses usages.

Sans un recadrage clair de l'action de l'Office par sa tutelle, il est vain d'espérer que l'on sorte des dérives actuelles : 
  • prime systématique à l'effacement des seuils et barrages, 
  • dérapage d'un besoin fonctionnel, spécifique et motivé de franchissement vers une extension sans limite des restaurations et connexions d'habitats, 
  • exigences disproportionnées d'aménagement, 
  • dépense publique et privée exorbitante pour les travaux, 
  • bénéfices écologiques non réellement mesurés donc non comparés aux coûts économiques, sociaux et patrimoniaux pour les obtenir,
  • remise en cause de différents services rendus par les écosystèmes, et donc de la gestion équilibrée de l'eau formant le principe général de l'action publique en rivière.
Illustration : rivière busée du Morvan. Certains des supposés "migrateurs" du protocole ICE de l'Onema seraient probablement bloqués par ce modeste obstacle...

Elus, personnalités, associations : pour une remise à plat et une vraie concertation sur la question de la continuité écologique, signez et faites signer l'appel à moratoire sur la mise en oeuvre du classement des cours d'eau. Texte déjà soutenu par près de 400 élus et par plus de 200 institutions représentant 60.000 adhérents.

A lire en complément :
Doit-on détruire des ouvrages hydrauliques pour le chabot? Chroniques de l'extrémisme ordinaire en gestion des rivières

26/11/2015

Idée reçue #08 : "Les opérations de restauration écologique et morphologique de rivière ont toujours de très bons résultats"

La cause est entendue : seuls l'égoïsme, le conservatisme et l'obscurantisme des riverains, des propriétaires d'ouvrages hydrauliques, des collectivités empêcheraient d'atteindre le bon état écologique dans la moitié des masses d'eau où il est supposé être dégradé par la morphologie. Corrélativement, les opérations de restauration des cours d'eau menées par le gestionnaire montreraient toujours d'excellents résultats, et seraient "sans regret". C'est inexact, et l'obscurantisme en ce domaine n'est pas forcément où on le croit. Depuis une dizaine d'années, il existe une abondante littérature scientifique internationale de retour critique sur les opérations de restauration écologique en rivière. Elle est souvent sévère dans ses conclusions. Voici deux ou trois choses que ne vous diront jamais les Agences de l'eau, ni l'Onema ni la Direction de l'eau au Ministère de l'Ecologie. Et encore moins vos syndicats de rivière.

Les opérations dites de restauration écologique (ou morphologique) des rivière sont de nature très diverse : augmentation de débit, continuité latérale ou longitudinale (dont effacement de seuils, barrages et digues), stabilisation ou aménagement de zones tampons de berge, enrochements et création de radiers, reméandrage, élargissement du lit, création d'annexes hydrauliques, management de la végétation rivulaire. Ces opérations représentent aujourd'hui 10 à 20% des budgets quinquennaux de programmation des Agences de l'eau, soit une dépense de l'ordre d'un demi-milliard d'euros par an si l'on ajoute la contribution des particuliers et collectivités aux travaux programmés. Le Plan de restauration de la continuité écologique (2009) puis le classement des rivières (2012-2013) ayant induit l'obligation d'aménager tous les seuils et barrages en zones désignées par l'administration, les travaux dits de continuité écologique représentent désormais le plus gros des dépenses en France.

Ces diverses interventions en rivière partent du principe que le compartiment de la morphologie serait un déterminant fort du bon état écologique et chimique du cours d'eau, outre l'intérêt particulier que représente la circulation de certaines espèces migratrices. Modifier les faciès, les substrats et les écoulements de la rivière permettrait d'atteindre une réponse rapide des populations biologiques (poissons, invertébrés, diatomées, macrophytes, phytobenthos) et une amélioration de la physico-chimie du milieu aquatique. Plus précisément, car toutes ces considérations se tiennent dans un cadre normatif et réglementaire, nous pourrions atteindre par la restauration morphologique le "bon état" des eaux qu'exige la Directive cadre européenne 2000 (DCE 2000).

De nombreux travaux scientifiques pointent les incertitudes et limites des opérations de restauration
En raison d'une évolution de leur législation sur l'eau datant du début des années 1970 (Clean Water Act 1972, Endangered Species Act 1973), les Etats-Unis ont été pionniers dans l'expérimentation de la restauration des rivières. Sans surprise, c'est donc aux Etats-Unis qu'apparaissent des premiers bilans critiques dans les années 2000.

Dans un article très cité de la littérature, Margaret Palmer et ses collègues (dont le laboratoire est un des plus actifs sur le sujet) ont souligné que la restauration écologique des cours d'eau est un outil de plus en plus apprécié des gestionnaires, et que des milliards de dollars (aux Etats-Unis) sont dépensés pour les rivières et fleuves depuis les années 1980. Mais ils pointent le défaut manifeste de suivi scientifique, de protocole normalisé de mesure et d'accord entre experts sur la définition d'un succès écologique. Sans l'adoption de standards partagés, il n'y aura pas de progrès dans la pratique de restauration écologique (Palmer et al 2005). Dans un travail ultérieur, les chercheurs ont analysé le présupposé central des opérations de restauration écologique de rivière selon lequel l'hétérogénéité des habitats (facteur morphologie) régule la biodiversité. Après analyse de 78 opérations des restauration menées par 18 groupes indépendants, il ressort que 2 seulement permettent de conclure de manière robuste à une amélioration significative de la biodiversité (analyse des macro-invertébrés) (Palmer et al 2010). Une synthèse ultérieure de la littérature montre que la restauration de rivière est une pratique ayant connu une croissance exponentielle depuis quelques décennies, mais n'ayant pas évalué ses propres objectifs ni leur succès, soit individuellement soit cumulativement. Si les chenaux traités ont moins d'incision et plus de sinuosité que les chenaux dégradés, les facteurs physiques, chimiques et hydrologiques responsables de la perte des taxa d'intérêt à l'échelle du bassin versant ne sont pas traités pour autant (Bernhardt et Palmer 2011).

Dans la plus récente synthèse du laboratoire de MA Palmer et du National River Restoration Science Synthesis (NRRSS, plus de 37.000 projets en base de données), il est souligné que sur les 644 projets permettant une estimation quantitative de résultats, ces derniers sont "encore décevants" : la morphologie est certes modifiée (ce qui est l'objet primaire de l'intervention), mais une (faible) minorité de projets aboutit à des résultats tangibles sur la qualité sur l'eau, sur la hausse de biodiversité ou sur les paramètres biologiques, beaucoup de travaux ne montrant aucune amélioration sur ces compartiments (Palmer et al 2014). (Cliquer l'image ci-dessous pour élargir)


Toujours aux Etats-Unis (côte Atlantique), l'analyse de 5 mesures de qualité biologique pour les poissons et les macro-invertébrés entre des sites urbains ayant connu une restauration morphologique, des sites urbains non restaurés et des sites naturels en bon état écologique permet d'observer que les sites restaurés et non-restaurés ne présentent pas de différence significative de qualité. Cela amène les chercheurs à conclure qu'il faut radicalement changer d'approche en travaillant sur les facteurs de dégradation à échelle du bassin versant (Stanrko et al 2012). Une autre analyse de l'effet des suppression de petits barrages sur la végétation rivulaire, les poisons, les macro-invertébrés, les moules et la dynamique des nutriments permet de discerner deux trajectoires : une restauration totale des écosystèmes, qui reste "improbable dans beaucoup de cas" et demande diverses échelles de temps selon les groupes concernés ; une restauration partielle tenant au fait qu'il existe d'autres impacts sur le bassin versant ou que les barrages ont modifié durablement l'équilibre local. Gestionnaires et chercheurs devraient étudier avant tout effacement de barrage le potentiel réel de restauration afin d'évaluer correctement le bénéfice écologique pour chaque communauté de l'écosystème (Doyle et al 2005)

Les travaux européens sont également nombreux. La DCE 2000 impose l'atteinte du bon état écologique des rivières, ce qui implique de connaître la réponse des communautés aquatiques après les mesures de restauration. Analysant les typologies de masses d'eau (rivières, lacs, eaux de transition et côtières), des chercheurs remarquent que peu d'études répertorient les connaissances écologiques nécessaires au succès des opérations d'amélioration des milieux. Les facteurs majeurs de dégradation sont la croissance de population humaine, ainsi que les changement d'usage des sols et des eaux. Les points critiques pour la restauration sont souvent le manque de données, le fait que ces données sont spécifiques (à un site, un ensemble d'organismes, une période de temps), le délai très variable d'effet des opérations de restauration (Verdonschot et al 2013).

En Allemagne, des chercheurs ont étudié 46 projets de restauration de rivières à la lumière de l'influence amont sur le bassin versant. Trois critères sont pris en compte, l'état des berges, la qualité physique de l'habitat sur différentes longueurs de linéaire amont, l'usage des sols sur l'ensemble des bassins versants. Les indicateurs de réponse biologique concernent les macrophytes, les macro-invertébrés et les poissons. Leur résultat : l'influence du bassin amont est prépondérante par rapport aux amélioration locale des sites ou des tronçons. Poissons et invertébrés répondent au maintien des forêts en amont, et la qualité physique de l'habitat sur les 5 km au-dessus de la restauration présente un fort lien avec la bonne santé biologique. Leur conclusion : une restauration écologique de site court un grand risque d'être un échec si le bassin versant amont est toujours dégradé (Lorenz et Feld 2013).

Les opérations visant à restaurer des habitats pour salmonidés sont fréquentes en Finlande, mais leur suivi scientifique est pauvre, et plus pauvre encore pour les espèces qui ne sont pas directement visées par la restauration. Une analyse before-after-ontrol-impact (BACI) à 3 ans avant / 3 après et une étude témoin à 20 ans montrent que l'impact de la restauration des habitats sur les communautés d'invertébrés est faible, et parfois négatif. Ce résultat peut s'expliquer en partie par les caractéristiques propres des cours d'eau finnois. Néanmoins, les chercheurs insistent sur la nécessité d'une analyse plus rigoureuse de la biodiversité en cours d'eau ou rives restaurés (Louhi et al 2011).

Pour évaluer l'efficacité des opération de restauration morphologique, les chercheurs scandinaves ont sélectionné 18 études de rivières présentant le même profil. Les facteurs pris en compte ont été la réponse abiotique (complexité / rugosité de l'écoulement vitesse de l'eau, capacité de rétention sédimentaire) et la réponse biotique (poissons, macro-invertébrés, végétation aquatique et rivulaire). Le temps de réponse du milieu allait de 1 mois à 24 ans dans ces études. Résultat : la majorité des études constatent un effet abiotique c'est-à-dire un changement dans la dynamique et la morphologie (vitesse plus lente de l'eau, écoulements plus variés, rugosité plus forte du lit, etc.). Mais la réponse du vivant est beaucoup moins évidente : une seule étude sur 8 montre un résultat sur les invertébrés ; une sur 5 une réponse positive des populations piscicoles ; la végétation est un peu plus "répondante" avec 2 succès sur 4 (Nilsson et al 2014).

Le décalage entre les attentes théoriques (comme la réponse aux effacements de barrages) et les résultats concrets peut être particulièrement long, et complexe. L'analyse de deux petites rivières autrichiennes où des barrages ont été effacés depuis le début du XXe siècle montre que la réponse géomorphologique n'est pas conforme aux résultats modélisés, parce que de nombreux autres aménagements discrets de berges ou de lits sont survenus (Pöppl et al 2015). Cela pose évidemment la question des limites de l'ingénierie écologique par rapport aux usages de la rivière, lorsque cette ingénierie entend renaturer ou restaurer des fonctionnalités.

En France, des chercheurs ont analysé 44 projets de restauration des rivières incluant une procédure d'évaluation. Leurs résultats montrent que la qualité de la stratégie d'évaluation reste souvent trop pauvre pour comprendre correctement le lien entre projet de restauration et changement écologique. Dans de nombreux cas, les conclusions tirées sont contradictoires, rendant difficile de déterminer le succès ou l'échec du projet de restauration. Les projets avec les stratégies d'évaluation les plus pauvres ont généralement les conclusions les plus positives sur les effets de la restauration. Recommandation des chercheurs : que l'évaluation soit intégrée très tôt dans le projet et qu'elle soit fondée sur des objectifs clairement définis (Morandi et al 2014).

Une méta-analyse de  69 publications scientifiques (91 projets) et 64 bases de données non publiées en Europe montre que les opérations de restauration morphologique ont en moyenne des effets positifs sur l'abondance et la diversité de certains peuplements, mais les résultats sont très inégaux : les végétaux (macrophytes) ont une réponse 3 à 4 fois plus forte que les animaux (poissons, invertébrés) ; environ un tiers des opérations ont des effets négatifs à nuls ; les résultats positifs tendent à décliner dans le temps ; d'autres prédicteurs comme les usages agricoles des sols limitent les bénéfices ; le substrat sédimentaire du lit a un impact conséquent sur la réponse des poissons (Kail J et al 2015).

Autre point d'inquiétude : l'absence de lien entre la restauration écologique et l'atteinte des objectifs obligatoires de la DCE 2000. Une équipe de chercheurs allemands a étudié 24 tronçons de rivières ayant bénéficié d’une opération de restauration morphologique, et a testé le résultat directement en fonction des critères de qualité de la DCE (les indicateurs objectifs du rapportage à l’Union européenne). On observe un effet sur les populations de poissons (dans 11 cas sur 24, soit une minorité d’expériences), mais rien de notable sur les populations de macrophytes et macro-invertébrés. Conclusion la plus remarquable : une seule opération de restauration écologique sur 24 permet d’arriver au bon état écologique au sens de la DCE, soit un taux d’échec conséquent montrant que l’hydromorphologie n’est probablement pas au cœur des enjeux les plus urgents de qualité des rivières au sein de l’Union européenne (Haase P et al 2013).

Une partie de la recherche s'intéresse aussi aux représentations qui entourent les opérations de restauration de rivière. Le succès de la restauration écologique est aussi affaire de perception : objective quand il s'agit de paramètres quantifiés (mesures de qualité) ; subjective quand on parle d'esthétique du paysage ou de valeur récréative. Après étude de 26 projets de restauration en Allemagne, on constate que si les paramètres morphologiques sont améliorés, les résultats sur les populations de poissons ou les invertébrés benthiques sont moins probants. Ainsi, 40% des répondants à leur enquête admettent que le succès est une affaire de goût, et 45% seulement des objectifs de la restauration sont l'objet d'une mesure. Ce manque de mesure objective implique pour les chercheurs une incapacité à évaluer l'efficacité réelle des interventions morphologiques (Jähnig SC et al 2011)

La suppression des barrages en particulier peut être motivée par la sécurité, la réglementation, l'écologie ou l'économie. Mais ces opérations sont controversées. L'analyse de 17 projets en Suède montre  que trois critères sont à prendre en considération dans l'opposition aux effacements : le financement, les valeurs historiques ou culturelles, les espèces mises en danger. Toutes les parties prenantes doivent être associées et informées, des solutions de compromis étant souvent l'issue de choix (Lejon AGC et al 2009). Deux chercheuses suédoises ont également analysé les débats autour de la suppression des barrages dans quatre villes de leur pays (Alby, Hallstahammar, Orsa et Tallaesen). Leur principale conclusion est que l'opposition à l'effacement des ouvrages hydrauliques ne résulte pas d'un manque de connaissances, c'est-à-dire d'une ignorance sur les effets environnementaux. Plus simplement, les gens ne valorisent pas la même chose : les partisans de l'effacement accordent une grande importance au retour de rivières naturelles,  ce qui inclut aussi l'intérêt pour certaines formes de pêche ; les opposants apprécient la dimension esthétique et historique des barrages, ainsi que les activités rendues possibles par leurs retenues (Joergensen D et Renoefält B 2013).


Les chercheurs donnent des pistes, mais la programmation administrative est loin (très loin) d'appliquer leurs idées
Au terme de cette revue rapide, on voit que le bilan des opérations de restauration morphologique et écologique en rivière est loin d'être aussi brillant que ne l'affirment les gestionnaires dans leur communication vers les élus et le public.

Plusieurs pistes de travail ont été proposées pour comprendre les limites ou les échecs:
  • objectifs de restauration trop médiocrement définis; 
  • facteurs limitants des populations cibles trop mal connus ou pris en compte ;
  • manque d'évaluation croisée des différentes échelles spatiales (site, tronçon, bassin versant) ; 
  • méthodes standardisées de suivis et mesures non prévues (ou non respectées) ; 
  • espèces choisies non représentatives / indicatives des communautés d'intérêt ; 
  • pools de population susceptibles de recoloniser le milieu non présents à taille critique ; 
  • temps écoulé depuis la restauration trop court ; 
  • retour à l'équilibre biotique local déjà réalisé (populations présentes au moment de la restauration à l'optimum des sites concernés).
A la question purement biologique et morphologique s'ajoute la nécessité de prendre en compte les avis des parties prenantes compte tenu de la diversité des représentations de la rivière, dont découle une diversité d'appréciation de la réussite ou de l'échec des opérations de restauration.

Malheureusement, entre ces analyses de la recherche scientifique et la réalité de terrain, il y a actuellement un gouffre. On l'observe en particulier dans les mesures de continuité écologique, qui préemptent une large part des budgets de restauration de rivière en France. Que voit-on dans la pratique?
  • Les outils de programmation (SDAGE, SAGE) ne disposent pas de toutes les mesures descriptives de qualité écologique et chimique, et ils se contentent d'une approche phénoménologique partielle (listes d'impacts juxtaposés) sans modélisation dynamique des bassins versants;
  • les priorités d'action sont définies de façon administrative dans d'opaques commissions techniques des Agences de l'eau (ou à la Direction de l'eau du Ministère), et non par la recherche scientifique appliquée à des bassins versants, selon des méthodes rigoureuses et des démarches ouvertes à la critique par les pairs (comme à l'analyse par les parties prenantes);
  • les arrière-plans épistémologiques ne sont pas clairs ni toujours formalisés et justifiés, avec certains acteurs inscrits dans une logique conservationniste (restaurer une supposée intégrité biotique du milieu non perturbé) et d'autres engagés dans une approche fonctionnaliste (travailler sur des mécanismes de résilience ou d'efficience de fonctions écologiques);
  • la réalisation des programmes sur le terrain est souvent le fait d'opportunités politiques (un maître d'ouvrage consentant, une opération voulue par un élu) et non d'enjeux écologiques priorisés;
  • on assiste à diverses aberrations (des suppressions de seuils très modestes dans des rivière à indice poisson rivière de bonne qualité et sans enjeu grand migrateur) démontrant l'absence claire de hiérarchisation des dépenses et d'intelligence globale dans la gestion du dossier;
  • le suivi scientifique de l'opération est soit inexistant (majorité des cas), soit limité à un comportement (souvent halieutique), la communication sur le suivi se limite à l'autocongratulation satisfaite et peu crédible, en contraste avec le contenu de la littérature scientifique;
  • l'analyse coût-bénéfice ou coût-efficacité n'est presque jamais menée, on dépense l'argent public sans même s'interroger sur l'effet réel obtenu et les alternatives pour obtenir un effet similaire;
  • le même argent public abonde les caisses de bureaux d'études privés qui multiplient les travaux d'analyse sur site, mais avec des méthodologies variables et des enjeux spatiaux très limités, de sorte que cela n'apporte rien de tangible à nos connaissances dans l'immense majorité des cas; 
  • la recherche académique, disposant de nombreux laboratoires de qualité en France (Onema, Irstea, CNRS, IRD, Museum d'histoire naturelle, universités…), est très insuffisamment financée et mobilisée au plan fondamental et appliqué, alors qu'il existe un besoin manifeste d'outils de modélisation des écosystèmes aquatiques (mais aussi de compréhension plus fondamentale des déterminants d'évolution des milieux, de multidisciplinarité avec intégration des sciences humaines et sociales, etc.);
  • la "démocratie de l'eau" est souvent brandie, mais presque jamais réalisée (soit que l'on ne concerte pas, soit que la concertation se résume à l'imposition d'une mesure décidée à l'avance sans prise en compte des avis des parties prenantes).
Remettons donc les idées à l'endroit : les sciences de la rivière sont encore jeunes, nos connaissances sont en cours de construction et nos modèles sont très imparfaits, quand ils existent. La très grande variabilité des situations locales et la très grande complexité des mécanismes d'évolution des milieux aquatiques interdisent de laisser croire qu'il existe des solutions éprouvées au succès toujours garanti. L'examen critique des opérations de restauration écologique / morphologique de rivière conclut souvent à un bilan sévère : manque de sérieux dans la préparation et le suivi, nombreux effets faibles, nuls et parfois même négatifs des actions engagées, inexistence des analyses coût-bénéfice et coût-efficacité, absence de modélisation aux bonnes échelles spatiales-temporelles, défaut de prise en compte des parties prenantes, dépense d'argent public sans garantie d'atteindre des objectifs réglementaires comme ceux de la DCE 2000, urgente nécessité d'une hausse de qualité dans la programmation des interventions. A la lueur de ces travaux, il convient de poser à plat certains réformes en cours, notamment les plus coûteuses et les plus contestées comme l'effacement ou l'aménagement systématique de dizaines de milliers de seuils et barrages, sans réelle garantie de résultat malgré les importants coûts publics et privés engagés.

A lire en complément
Illustrations : en haut, tableau extrait de Palmer et al 2014, DR ; en bas, effacement de barrage dans le Connecticut, US Fish & Widlife Service, DR. Les Etats-Unis ont été pionniers de certaines opérations de restauration en rivière (voir cet article), ils sont aussi pionniers dans le retour d'analyse critique des effets obtenus. 

24/11/2015

Idée reçue #07 : "Un moulin produit moins qu'une éolienne, inutile de l'équiper"

"Un moulin produit beaucoup moins qu'une éolienne", "la petite hydro-électricité ne représente quasiment rien dans la production énergétique française"… ces idées sont assez répandues chez les adversaires des moulins et usines à eau. Elle sont notamment propagées par France Nature Environnement et la Fédération nationale de la pêche française (voir un exemple récent). Les arguments ne résistent pourtant pas à un examen rationnel de la question. De telles positions doctrinaires contribuent au blocage actuel du développement de la petite et très petite hydro-électricité, alors que de nombreux propriétaires intéressés par une production d'énergie locale, ni fossile ni fissile, sont découragés au lieu d'être soutenus. Ces choix en rivière doivent évoluer à l'heure où chacun reconnaît que le changement climatique est une menace de premier ordre pour les sociétés et les milieux. Voici quelques bonnes raisons de prendre cette direction.

Notons d'abord que l'argument est un sophisme. Voici par exemple ce que la même "pseudo-logique" pourrait affirmer :
  • un panneau solaire produit moins qu'une éolienne, inutile de le poser ;
  • une pompe à chaleur produit moins d'une éolienne, inutile de l'installer ;
  • une chaudière bois ou granulés produit moins qu'une éolienne, inutile de s'équiper ;
  • une éolienne produit moins qu'une centrale nucléaire, inutile de la construire.
Bref, on ne fait plus rien car c'est toujours mieux chez le voisin !

D'un point de vue physique, dire qu'une éolienne de 2 MW produit plus qu'un moulin de 20 kW est trivial et surtout incomplet. Par exemple, dans le même acabit, le seul barrage de Grand-Maison (1800 MW) a une puissance instantanée mobilisable équivalente à celle qu'auraient près de 2000 éoliennes de 2 MW (en incluant les rendements électromécaniques respectifs). Voilà qui semble tourner maintenant en faveur des barrages, il suffirait d'en construire quelques-uns pour remplacer toutes les éoliennes françaises! Ce serait tout aussi absurde de dire cela. Ce qu'il faudrait comparer en réalité, c'est la densité de puissance par unité de surface, de masse ou de volume. L'eau ayant une masse volumique plus élevée que l'air, l'hydraulique pouvant exploiter l'énergie potentielle gravitaire (contrairement à l'éolien n'utilisant que l'énergie cinétique), la régularité des écoulements donnant un meilleur facteur de charge au dispositif à eau plutôt qu'à air, l'hydro-électricité l'emporte plutôt sur l'éolien (ou le solaire) quand on compare ce qui est comparable.

Mais à dire vrai, cette compétition entre énergies renouvelables n'a pas d'intérêt ! L'argument "cela ne produit rien" est traditionnellement employé par les partisans de l'énergie nucléaire ou de l'énergie fossile quand ils veulent contester l'intérêt des énergies renouvelables. C'est étonnant de le voir propagé contre l'hydraulique par des personnes qui se prétendent par ailleurs concernées par la transition écologique et énergétique.


On est libre de trouver le potentiel énergétique des moulins "négligeable", mais chacun sait que la transition énergétique post-carbone sera formée d'une multitude d'initiatives qui sont chacune "négligeable" par rapport à la somme des enjeux. Il est "négligeable" d'isoler sa maison, de mettre des panneaux solaires sur son toit, de passer d'une voiture thermique à une voiture électrique, de manger moins de viande ou de privilégier des circuits courts. Pourtant, ces actions "négligeables" sont encouragées pour limiter les émissions carbone ou réduire la dépendance aux importations d'énergie fossile.

Parmi les propriétaires ou exploitants des dizaines de milliers d'ouvrages hydrauliques en France, certains veulent produire de l'électricité. Pour eux, ce n'est pas du tout "négligeable" : au nom de quoi faudrait-il les décourager? Prenons des exemples concrets issus de notre expérience associative, pour comprendre le décalage entre certains propos doctrinaires et les réalités vécues :
  • un couple est sur le point d'acheter un moulin dans une zone très isolée, il souhaite produire son énergie localement, 4 kW de puissance assez régulière et suffisante aux besoins de consommation de son foyer ;
  • un ménage a installé une turbine de 6 kW qui lui permet de ne plus utiliser sa chaudière fioul, il a la capacité d'en installer une autre pour les besoins de ses enfants qui vivent dans la maison mitoyenne ;
  • un jeune exploitant possède une entreprise familiale qui relance les moulins de quelques dizaines de kW, il vient d'inaugurer une petite centrale de 50 kW produisant l'équivalent de la moitié de la consommation du village où elle est installée ;
  • une commune dispose d'un barrage d'ancienne usine hydro-électrique qui, avec 150 kW de potentiel, pourrait produire l'équivalent de la consommation de tout un quartier de la ville.
Donc, la question pour ces gens, et pour tous les autres passionnés ou professionnels d'hydraulique en France, n'est pas de savoir dans l'abstrait si un moulin produit moins qu'une éolienne et plus qu'un panneau solaire. Ils ont envie de réaliser des projets très locaux, qui ont du sens pour eux, qui produisent une énergie ni fossile ni fissile, à partir d'un génie civil déjà en place depuis plusieurs siècles, dont ils sont par ailleurs propriétaires ou bailleurs.

Personne n'a jamais prétendu que la petite hydro-électricité pourrait représenter à elle seule la solution aux problèmes énergétiques des Français. En revanche, elle fait partie du bouquet énergétique que l'on peut développer, en synergie avec plusieurs autres sources renouvelables. Son avantage : ses infrastructures sont déjà présentes sur tout le territoire grâce au patrimoine préservé des moulins, ains qu'aux barrages de divers usages (eau potable, irrigation, loisir, rétention de crue, etc.). La version actuelle du Référentiel des obstacles à l'écoulement de l'Onema totalise environ 70.000 seuils et barrages, le nombre total dépassant sans doute les 100.000 selon certains experts ayant travaillé sur ce référentiel (chiffre cité in Souchon et Malavoi 2012).

Les deux estimations de potentiel hydro-électriques dont on dispose (rapport Dambrine 2006  et étude de convergence Ministère UFE DGEMEDDE/UFE 2013) sont incomplètes par construction: la première exclut les sites de moins de 10 kW (qui représentent plus de 50 % des moulins), la seconde les sites de moins de 100 kW (plus de 90 % des moulins). Sur une base limitative de 30 000 moulins de plus de 10 kW, Dambrine 2006 estimait le potentiel à 1 TWh / an. Le potentiel réel total des petites puissances en rivière peut être approché à trois fois cette valeur, soit 3 TWh / an. Pour donner un ordre de grandeur, l’équipement des moulins et autres ouvrages représenterait l’équivalent de la totalité de l’éclairage public en France (après effet du plan de réduction de cet éclairage).

La France consomme environ 500 TWh / an d'électricité (chiffre appelé à augmenter si l'on passe des usages thermiques à des usages électriques, ou à tout le moins à se maintenir si, dans le même temps, on fait des économies d'énergie). La petite hydro-électricité pourrait donc à terme représenter 0,6% de la production électrique nationale. L'ensemble de l'hydro-électricité s'élève plutôt entre 10% et 15%. Ces chiffres pourraient être plus élevés si nous avions une politique volontariste dans le domaine hydraulique car de nombreuses rivières et vallées sont encore équipables, sans compter les hydroliennes fluviales et marines, les station de pompage-turbinage en retenues artificielles et autres options liées à l'omniprésente énergie de l'eau.


Rappelons pour finir les avantages spécifiques de l'énergie hydraulique, car au-delà du seul productible, toutes les énergies ne se valent pas quand on fait leur bilan environnemental, climatique et économique :
  • elle a le meilleur bilan carbone de toutes les énergies en région boréale et tempérée, et plus encore quand on restaure des sites anciens (GIEC SRREN Report 2012) ;
  • elle a le meilleur bilan matière première, car sa technologie est simple, concentrée, robuste et à longue durée de vie (Kleijn et al 2011 et Van Der Voet et al 2013).;
  • elle a le meilleur taux de retour sur investissement énergétique (EROEI), c'est-à-dire qu'elle est la plus efficace quand on intègre ce qu'elle consomme et ce qu'elle produit sur toute la durée de vie (Murphy et Halls 2010) ;
  • elle a une forte acceptabilité sociale, car elle n'a pas de nuisance visuelle ou sonore, n'altère pas les paysages, ré-utilise en général des ouvrages existants et est associée à des retenues qui ont de nombreux autres usages sociaux ;
  • elle a une bonne rentabilité économique et coûte moins cher au contribuable (CSPE) que d'autres énergies moins mature (solaire, hydrolien, etc.) ;
  • elle est bien répartie sur le territoire, ne demande pas de développer le réseau très haute tension et permet de produire à proximité de la consommation (moins de perte en distribution) ;
  • elle permet à tout un tissu économique local de se développer pour l'installation et la maintenance des équipements.
Face à la somme de ses avantages, le seul motif pour lequel il faudrait empêcher le développement de l'énergie hydro-électrique serait un impact très grave sur les milieux. Or, il s'agit là encore très souvent d'idées reçues (voir liens ci-dessous), qui ont été propagées ces dernières années à des fins plus militantes et idéologiques que réellement informatives. Il serait absurde de nier qu'un ouvrage en rivière modifie le biotope local ou qu'une turbine présente un risque de mortalité piscicole. Les travaux scientifiques montrent que les seuils et barrages ont bel et bien des effets sur les milieux, mais que ces effets sont modestes (certains positifs), d'autant plus modestes que l'ouvrage a une petite dimension. C'est particulièrement vrai en France où l'essentiel des dégradations de rivière vient des pollutions chimiques et des changements d'usages des sols sur les bassins versants, sans lien avec les ouvrages hydrauliques. Par ailleurs, des mesures d'éco-conception permettent de corriger l'essentiel des impacts observés, à condition de favoriser l'investissement public dans des dispositifs ichtyocompatibles.

Il convient pour finir de souligner que le changement climatique est considéré par une majorité de chercheurs comme la première cause de modification des peuplements naturels et d'altération de la biodiversité à échelle du siècle à venir. Retarder la transition énergétique post-carbone sous divers prétextes fallacieux, c'est augmenter le risque pour tous les milieux, aquatiques ou non. Aucune source d'énergie n'est consensuelle, toutes soulèvent des oppositions (en particulier quand elles sont développées à échelle industrielle) : l'analyse des avantages et des inconvénients de la petite hydro-électricité montre un bilan nettement positif pour les milieux et les sociétés. Cela doit conduire les personnes raisonnables à favoriser son développement.

Rétablissons donc une idée plus juste de l'énergie des moulins : le potentiel de la petite hydro-électricité des moulins est modeste, comme sont modestes de nombreuses initiatives dans le domaine de la transition énergétique et écologique. Une seule source d'énergie ne parviendra pas à remplacer les productions fossile et fissile : il faut les associer toutes. Avec un horizon de déploiement visant à terme les 3 TWh / an, l'équipement hydro-électrique des rivières et retenues pourrait représenter l'équivalent de l'éclairage public de la France métropolitaine. Plus de 2000 petits producteurs injectent déjà sur le réseau, et sans doute autant s'alimentent en autoconsommation grâce à leur moulin. Mais le potentiel est bien plus élevé, avec 70.000 à 100.000 sites hérités du passé, en place sur nos rivières avec plus ou moins de restauration à prévoir. L'énergie hydraulique a d'innombrables atouts : très bon bilan carbone et matières premières, source bien répartie sur tout le territoire, prévisibilité adaptée aux réglages de charge des gestionnaires du réseau de distribution, rentabilité économique correcte (donc moindre coût fiscal en soutien public), impact paysager quasi-nul, occupation modeste des sols, bonne acceptabilité sociale, usages multiples des retenues. Les impacts des ouvrages sur la faune aquatique existent mais, dans le domaine de la petite hydraulique, ils restent modestes. Ces impacts peuvent en large partie être corrigés par des aménagements adaptés aux nouveaux enjeux écologiques. 

A lire en complément
Idée reçue #02 : "Les seuils et barrages ont un rôle majeur dans la dégradation des rivières et des milieux aquatiques"
Idée reçue #04 : "Les ouvrages hydrauliques nuisent à l'auto-épuration de la rivière"
Les moulins à eau et la transition énergétique: faits et chiffres 2015 

Illustrations : turbine et seuil d'une petite centrale hydro-électrique en Bourgogne, sur l'Ouche.

23/11/2015

Cartographie des cours d'eau: gare aux qualifications arbitraires des biefs comme rivières

Plusieurs litiges sont survenus entre élus, agriculteurs et agents de l'ONEMA à propos de curages de «fossés» pour les uns et de «cours d'eau» pour les autres. L’entretien des fossés, des canaux, des biefs est parfois assimilé par la police de l’eau à une intervention dans un «cours d’eau», entraînant procès-verbal pour le contrevenant n’ayant pas déposé de dossier de déclaration de travaux à la Préfecture. La Ministre de l'Ecologie a demandé par instruction le 3 juin 2015 que la cartographie identifiant tous les vrais cours d'eau soit réalisée avant le 15 décembre 2015. Le point sur cette question et quelques conseils pour éviter les dérives. En particulier, sauf exception tenant à l'évolution de l'hydrologie locale, aucune propriétaire de moulin ne doit accepter que son bief (canal d'amenée et canal de fuite) soit cartographié comme cours d'eau.

L’administration a donc entrepris de revoir la cartographie des cours d’eau français (voir le pdf de l'instruction). La cartographie actuelle résulte d’un copier-coller de l’IGN jusque dans le moindre chevelu des têtes de bassins versants, avec des qualifications douteuses de cours d’eau. L’objectif sous-jacent était peut-être de faire répondre un linéaire hydrologique maximaliste aux exigences et prescriptions du Code de l’environnement ? Ce ne fut pas sans lourdes conséquences.

Cette actualisation, aussi  légitime qu’indispensable, s’explique par les contentieux observés à l’encontre de ceux qui entretiennent l’espace rural. Elle doit aussi permettre de susciter auprès des propriétaires attentistes, la nécessité d’agir à nouveau … dans un cadre apaisé. Indépendamment du fait que ce très court délai pose problème, quelques rappels historiques sont nécessaires.


Cours d’eau : une définition fluctuante et repoussée par le législateur
La notion de «cours d'eau» n'a jamais été définie par la loi depuis la Révolution. Depuis celle du 19 août 1790 sur le «libre cours des eaux». Aucune des grandes lois sur l'eau – 1898, 1964, 1992 et 2006 – ne s'y est risquée, sans aucun doute par l'évolution permanente des usages, car une éventuelle cartographie postérieure à chaque loi aurait été différente.

L'administration régalienne avait initié, par circulaire ministérielle du 30 juillet 1861, un recensement précis des cours d'eau - localisation, longueur, largeur, profil, pente, surface et débit, etc. (tableau A des services hydrauliques départementaux des Ponts & Chaussées), tenu à jour périodiquement.

Plus récemment, par une circulaire du 2 mars 2005, le Directeur de l'eau au Ministère souhaitait définir à l'échelon des territoires la «notion de cours d'eau», fondée sur les seuls deux critères jurisprudentiels de l'époque : présence et permanence d'un lit naturel et permanence d'un débit suffisant la majeure partie de l'année. Il ajoutait que la concertation locale devait se faire avec les différents acteurs, en particulier la profession agricole, mais tenait à préciser que les « méthodes scientifiques » d'incidence d'évaluation d'aménagements ou d'opérations particulières n'avaient pas à interférer avec la législation, ni à constituer une référence pour les missions de police.

Il faisait là allusion à un avis du Conseil supérieur de la pêche (CSP), daté du 14 octobre 2002, qui définissait toute une série de critères hiérarchisés dont la condition de base était la présence d'un thalweg, présence qui, croisée avec un seul des critères mentionnés, emportait la qualification de cours d'eau. Or, ces critères du CSP – devenu Onema en 2006 – se retrouvent dans les éléments de cadrage de l'instruction gouvernementale du 3 juin 2015. Ce n'est sans doute pas un hasard.

Aux deux critères jurisprudentiels mentionnés en 2005 est venu s'en ajouter un troisième, découlant d'un arrêt du Conseil d'État du 21 octobre 2011 : «constitue un cours d'eau, un écoulement d'eaux courantes dans un lit naturel à l'origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant une majeure partie de l'année».

Trois critères cumulatifs… mais des interprétations peuvent subsister
Les trois critères retenus pour définir un cours d'eau sont donc actuellement:
  • présence et permanence d'un lit naturel à l'origine,
  • permanence d'un débit suffisant une majeure partie de l'année,
  • alimentation par une source.
La prise en compte de ces trois critères est relativement aisée, même s'ils peuvent poser problème dans certaines régions.

Il est malheureusement à craindre que la prise en compte des éléments de cadrage – annexe 1 de l'Instruction du Gouvernement – ne lèveront pas toutes  les ambiguïtés et pourraient continuer à alimenter des contentieux, ajoutés à ceux générés par le mot «suffisant» accolé au débit.

A titre d'exemple, il est précisé dans les éléments de cadrage, qu'en cas d'incertitude, un faisceau d'indices – repris de l'avis du CSP de 2002 – pourra être considéré. On pourrait être amené à juger de la présence de «coquilles vides ou non» (dans le critère de «présence de vie aquatique») ou à évaluer des «bras artificiels tels que des biefs» (dans le critère «lit naturel à l'origine»). Tous éléments,  parfois subjectifs, sont laissés à la discrétion des services de l'Onema.

Le paragraphe «Concertation» de l’Instruction ministérielle est de même facture que celui qui avait présidé aux classements au L 214-17, dans des délais encore plus réduits et paraît avoir été rédigé pour ne pas encourir de censure du Conseil d'État ou des tribunaux administratifs. Entre autre chose, il préconise l'instauration éventuelle d'une commission Cours d'eau – comprenant a minima un agent de l'Onema, un représentant de la fédération de pêche, un élu local et un représentant de l'agriculture. Le logigramme de mise en œuvre de la méthode d'identification d'un cours d'eau en cas d'incertitude est rigoureusement impossible à mettre en œuvre dans les courts délais impartis. On observe par ailleurs que les propriétaires d'ouvrages hydrauliques ne sont pas intégrés a priori dans la concertation: si aucun bief n'est intégré dans la cartographie, c'est logique; mais si (comme on peut le craindre) certains services instructeurs tentent de désigner des canaux de moulins ou usines à eaux comme des cours d'eau, cela risque de produire des contentieux.


Entretien des cours d’eau : en profiter pour clarifier le statut des canaux et biefs
Le dernier paragraphe de l'Instruction concerne l'entretien courant des cours d'eau. Il se contente de demander l'établissement d'un «Guide des bonnes pratiques» sur le modèle de celui de la DGALN (direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature), adapté aux conditions locales.

Or cet entretien pose des problèmes que l'article L 215-14, issu de la LEMA de 2006, n'a pas résolu, notamment en ce qui concerne les biefs ou canaux créés de la main de l’homme.

Avant la LEMA de 2006, l'article L 215-14 CE stipulait que l'entretien devait se faire afin «de maintenir l'écoulement naturel des eaux». Depuis la LEMA, l'entretien a pour objet «de maintenir le cours d'eau dans son profil d'équilibre», (divers articles du Code Rural définissant les opérations d'entretien) dans les conditions d'un décret du Conseil d' État. Ce décret  du 14 décembre 2007 a créé l'article R 215-2 CE, qui détermine l'entretien selon les opérations prévues par le L 215-14 CE «sous réserve que le déplacement ou l'enlèvement localisé des sédiments...n'aient pas pour effet de modifier sensiblement le profil en long et en travers du lit mineur».

Outre que le mot «sensiblement» puisse donner lieu à des interprétations arbitraires, l'enlèvement des sédiments renvoie au L 214-1, expressément visé par l'instruction gouvernementale du 3 juin 2015, et conséquemment au R 214-1 CE, c'est à dire la nomenclature IOTA des travaux sur la rivière.

Le 3-2-1-0 de cette nomenclature expose ainsi l’obligation d’entretien :
entretien des cours d'eau ou de canaux, le volume des sédiments extraits au cours d'une année :
  • supérieur à 2000 m3 : régime d’autorisation,
  • inférieur ou égal à 2000 m3 dont la teneur en sédiments est supérieur ou égale au niveau de référence S1 : régime d’autorisation,
  • inférieur ou égal à 2000 m3 dont la teneur en sédiments est inférieure ou égale au niveau de référence S1 : régime de déclaration. 
Il est loisible de penser que l'administration visait par les mots  «cours d'eau ou canaux» ces derniers en tant que voies navigables. Il n'en reste pas moins, en l'absence de précision, que les canaux propres aux ouvrages hydrauliques, également artificiels, peuvent être visés par cet article. Cette ambiguïté de rédaction doit être levée, afin d'éviter toute interprétation arbitraire et à charge.

D'autre part, le 3-2-1-0 s'est vu adjoindre l'arrêté du 9 août 2006, complété par ceux du 23 décembre 2009, 8 février 2013 et 17 juillet 2014, qui détermine le niveau S1 : quantité de polluants exprimé en mg par kilo de sédiment sec, avec obligation d'analyse par laboratoire agréé.

Tout riverain ou propriétaire d'ouvrage hydraulique, désireux de satisfaire à ses obligations d'entretien, peut donc être obligé de faire face à des dépenses exorbitantes (analyses, enlèvement, voire traitement) du fait d'une situation dont il n’est pas responsable. Cela peut mettre en péril l'exploitation du droit d'eau des ouvrages hydrauliques.

Un groupe de travail ministériel travaillerait depuis octobre 2014 sur l'ambiguïté de l'interprétation de mot «canaux». Mais pendant ce temps, les décrets et arrêtés sont applicables et les contentieux s'accumulent.

Discussion
On peut souligner à ce stade les points suivants :
  • il paraît douteux que cette révision de la cartographie, acceptée par la ministre dans un but légitime, puisse être réalisée de façon exhaustive et fiable compte tenu des délais impartis et des modalités de concertation;
  • les ambiguïtés doivent être levées rapidement comme par exemple l’intitulé de l’art R214-1 du CE (sa rubrique 1.2.1.0 comprend « cours d’eau, plan d’eau ou canal ») permet de faire l’objet de prescriptions complémentaires à la restauration écologique. Or le mot « canal » n’entre évidemment plus dans le champ des critères cumulatifs énoncés;
  • la responsabilité des riverains et propriétaires d'ouvrages hydrauliques concernant les opérations d'entretien et d'enlèvement des sédiments et atterrissements  doit être revue et précisée ; 
  • ne seront donc plus « cours d’eau » :
- tout ce qui a été creusé de la main de l’homme : rigole, bief, béal et canal de fuite de moulin, canal d’irrigation…
- les ruisseaux en assec pendant de nombreux mois,
- les petits rus temporaires qui naissent avec les eaux de ruissellement;
  • une sémantique consensuelle nationale devrait être utilisée. Le département de l’Ain, par exemple a publié la cartographie soumise à concertation. On y découvre :
- le « cours d’eau par défaut » serait celui identifié par un SIG et non contrôlé sur le terrain. C’est inadmissible dans la mesure où la marge d’erreur est trop forte pour le considérer «cours d’eau». On peut imaginer que cette cartographie s’effectuerait par étapes successives. Si c'est le cas, cet inventaire de «cours d’eau par défaut» doit être renommé «cours d’eau à valider» ou «cours d’eau à confirmer»,
- le « cours d’eau expertisé » signifie-t-il qu’il s’agit d’un postulat hors concertation? Le principe d’une expertise contradictoire doit être instauré, car en fonction de facteurs édaphiques et climatiques, l’analyse peut varier considérablement,
- la rubrique « non cours d’eau » est intéressante dans la mesure où elle confirme le caractère exhaustif de l’inventaire et évite les erreurs.
Notre conseil 
Nous encourageons les associations à se signaler à la Préfecture, à rappeler que les biefs sont des canaux artificiels non assimilables à des rivières et à signifier que si l'administration a un avis contraire, cet avis exige une procédure contradictoire.

Illustration : en haut, source CR, droits réservés. Les contentieux entre élus, exploitants et police de l'eau se sont multipliés ces dernières années, en raison du statut ambigu de certains chenaux. En bas, source Moulin Garnier, droits réservés. Il est aujourd'hui difficile de savoir si le curage d'un bief est libre, soumis à déclaration ou soumis à autorisation. Le texte réglementaire est ambigu, les services instructeurs tiennent des discours différents selon les départements.