04/01/2016

Faible impact des barrages sur les poissons: nouvelle confirmation scientifique (Cooper et al 2016)

Une nouvelle étude nord-américaine d'hydro-écologie quantitative confirme le rôle modeste des barrages et autres ouvrages hydrauliques sur les peuplements piscicoles à échelle des bassins hydrographiques. Cette recherche ne parvient à expliquer que 15 à 32% de la variance totale de présence des poissons étudiés, et au sein de ce score déjà restreint, les barrages n'impactent que 10 à 32% des différences observées entre tronçons. Les chercheurs admettent que l'effet est "modeste" – encore ces travaux n'isolent-il pas la très petite hydraulique, largement majoritaire sur nos bassins versants. Ces résultats convergent avec ceux d'autres études récentes et exigent que l'on repense les choix français de continuité écologique, leurs attendus, leurs objectifs et leurs méthodes. Les connaissances évoluent, nos choix de gestion doivent s'adapter et non pas se figer dans des dogmes administratifs sans intérêt.

La région étudiée par Arthur R. Cooper et ses collègues (Université du Michigan, Bureau des Grands Lacs) englobe les états du Michigan, du Wisconsin et du Minnesota, soit un territoire de superficie comparable à la France (514.000 km2), avec 262.000 km de rivières. Le réseau hydrographique compte notamment 2305 grands barrages. La zone regroupe trois écorégions : Grands Lacs laurentiens, vallée supérieure du Mississipi, régions des lacs Winnipeg-English (voir carte ci-dessous).


Source Cooper el al 2016 (droit de courte citation)

Sur ces territoires, les chercheurs ont sélectionné 10 indicateurs d'influence naturelle (par exemple pente, précipitation, débit) et anthropique (par exemple fraction des terres cultivées, densité de population). La fragmentation par les ouvrages hydrauliques a été détaillée en 14 métriques orientées vers l'aval ou vers l'amont, pour situer chaque site dans l'impact cumulatif de la fragmentation, mesurer les linéaires en circulation libre du chenal principal et de ses affluents, tenir compte des effets de débit de chasse depuis les barrages-réservoirs. Les masses d'eau ont été classées en tête de bassin (HW) ou vallée moyenne (MS), avec des eaux chaudes ou froides (seuil à 19,5°C Tmax en juillet).

Le travail a consisté à examiner le résultat des pêches sur les rivières et lacs, soit un total de 59 espèces dans 14 familles. Parmi elles, les chercheurs ont sélectionné des espèces indicatrices qui présentent une réponse positive, négative ou mixte à la fragmentation. Ils ont ensuite procédé à une analyse canonique des correspondances, technique statistique permettant de pondérer l'influence relative de certains facteurs (ici la fragmentation par les barrages) dans un phénomène variable (ici les probabilités de présence de poisson mesurées par le CPUE, un indicateur nord-américain).


Le tableau ci-dessus (cliquer pour agrandir) donne les résultats de l'analyse. On observe d'abord que la variance totale expliquée (c'est-à-dire ici les espèces qui répondent au signal recherché) est faible : entre 15 et 32% selon les types de rivière et leur température. Au sein de cette variation expliquée, les facteurs naturels expliquent 28 à 45% des différences observées, les facteurs anthropiques hors barrage 9 à 35% et les barrages 10 à 32%. L'influence la plus forte des barrages (32% de la variance expliquée, elle-même de 17%) se trouve dans les vallées moyennes à eau froide. L'influence vers l'amont est plus marquée en têtes de bassin et l'influence vers l'aval en vallées moyennes.

Les auteurs admettent que "ces niveaux [d'influence] peuvent paraître modestes", et qu'ils sont comparables à d'autres résultats de la littérature scientifique. Ils rappellent qu'il faut apprécier les autres impacts anthropiques sur les bassins versants.

Nos commentaires
Cette nouvelle étude nord-américaine s'inscrit dans une démarche d'hydro-écologie quantitative : il ne s'agit pas d'analyser des impacts locaux (comparaison amont-aval d'un barrage, ou avant-après un effacement), mais de pondérer l'influence relative de facteurs sur un important linéaire. Ces techniques, qui supposent la disposition de mesures homogènes sur le maximum de variables dans un grand nombre d'hydrosystèmes, sont relativement récentes (elles émergent au cours des années 2000, et surtout 2010).

Les résultats d'Arthur R Cooper et de ses collègues rejoignent ceux de Wang et al 2011, Van Looy et al 2014, Villeneuve et al 2015 pour montrer que l'influence des barrages sur les assemblages piscicoles reste modeste (voir deux synthèses ici et ici). Il convient de garder à l'esprit que ces études ne distinguent pas le poids spécifique de la petite et de la grande hydrauliques (ce qui serait faisable en segmentant par tronçon et en intégrant des facteurs qualitatifs liés à la hauteur de l'ouvrage, à la pente de son versant aval, etc). Par ailleurs, ces travaux scientifiques identifient des variations de fréquence de certaines espèces dans les assemblages piscicoles de tronçon, mais pas des risques d'extinction locale. La moindre probabilité d'occurrence de certaines espèces en zone lentique des retenues et réservoirs est un résultat attendu (transition des spécialistes vers les généralistes détectée par Cooper et al dans cette étude, après d'autres), mais ce résultat ne nous dit rien sur la dynamique démographique des espèces, sur leur vulnérabilité, sur la probabilité de maintenir une biodiversité totale élevée sur l'ensemble de la rivière ou encore sur les effets de certaines évolutions attendues (comme le changement hydroclimatique). Toutes choses qui devraient être les principales préoccupations du gestionnaire.

Cette nouvelle recherche confirme que les discontinuités longitudinales provoquées par les barrages ont des effets modestes sur les peuplements piscicoles des rivières et lacs quand on envisage l'ensemble des bassins versants. A la lueur des avancées de nos connaissances, il est plus que jamais nécessaire de procéder à un audit complet de la politique française de continuité écologique, de ses objectifs environnementaux et de son efficacité rapportée à ses coûts. En dehors de besoins spécifiques des grands migrateurs (non couverts par cette étude de Cooper et al.), il n'apparaît pas que la restauration de continuité longitudinale produira des effets massifs sur la qualité piscicole des rivières, notamment sur nos obligations européennes de bon état biologique des masses d'eau.

Plus généralement, la discontinuité des rivières est un phénomène historique ancien en Europe et on peut penser que les peuplements biologiques se sont adaptés à ces conditions physiques. L'intérêt de favoriser certains assemblages (généralement rhéophiles) ne peut être fondé que sur des menaces précises d'extinction locale, pour des espèces n'ayant pas une large répartition géographique, mais ne saurait être un objectif de principe au regard de ses coûts élevés, de ses impacts négatifs sur le patrimoine et les services rendus par les ouvrages, de ses effets limités à des restaurations très locales d'habitats. La continuité écologique telle qu'elle est menée en France risque de verser dans un dogme administratif de l'effacement des ouvrages, ou bien de leur aménagement "réflexe", sans analyse critique des effets espérés et des priorités écologiques.

D'ores et déjà, il n'est plus possible de tenir cette politique pour légitime tant qu'elle n'aura pas fait l'objet d'une évaluation scientifique indépendante à la lueur des travaux parus depuis 5 ans, tant en analyse multifactorielle d'hydro-écologie quantitative qu'en analyse critique des restaurations morphologiques (leurs protocoles, leurs résultats). Au lieu de dépenser des fortunes dans des subventions publiques de micro-analyses partielles de sites par des bureaux d'étude, nous serions avisés d'élargir le financement de notre recherche académique, de produire des modèles descriptifs-prédictifs plus efficaces et de cesser la précipitation désordonnée de l'action en rivière.

Référence : Cooper AR et al (2016), Identifying indicators and quantifying large-scale effects of dams on fishes, Ecological Indicators, 61, 2, 646–657

03/01/2016

Histoire des rivières: quand l'urgence était de démanteler les barrages… des pêcheurs

Les peuplements des rivières ont été modifiés de très longue date, tant par les changements physiques des écoulements liés aux retenues de moulins, aux étangs, aux canaux, aux aménagements des rivières flottables et aux écluses des fleuves navigables que par les influences de la pêche et de la pisciculture. Les discussions parlementaires relatives au vote du Code de la pêche (1829) rappellent que la préoccupation des élus était à l'époque les barrages à filet des pêcheurs davantage que ceux des moulins et usines, jugés franchissables pour la "remonte" des migrateurs. Ces débats apportent un indice supplémentaire sur l'impact modeste de la petite hydraulique d'Ancien Régime, tout en rappelant la nécessité d'une évaluation scientifique (indépendante) de l'effet multiséculaire de la pêche sur les peuplements ichtyologiques. Plus largement, c'est la notion de milieu naturel qu'il conviendrait de problématiser au regard de l'anthropisation ancienne des rivières.

Le Code de la pêche fluviale est promulgué par ordonnance royale le 24 avril 1829. Il s'agit à l'époque de moderniser les dispositions de l'ordonnance de 1669, édicté par Colbert sous Louis XIV pour établir le régime de conservation des forêts et des eaux, et de la loi du 4 mai 1802.

L'article 24 du Code énonce :
Il est interdit de placer dans les rivières navigables ou flottables, canaux et ruisseaux, aucun barrage, appareil ou établissement quelconque de pêcherie ayant pour objet d'empêcher entièrement le passage du poisson.

Dans la discussion à la Chambre de députés, M. Mestadier, rapporteur de la commission, avance l'argument suivant:
"Ce serait en vain que le législateur prendrait tous les moyens d'empêcher le dépeuplement des rivières, soit en déterminant lui-même la forme des filets et engins, les temps, saisons et heures de la pêche, la dimension des poissons, soit en proscrivant l'emploi de drogues ou appâts qui sont de nature à enivrer le poisson ou à le détruire, s'il permettait les barrages qui, empêchant la remonte du poisson, nuisent plus au repeuplement des rivières que toutes les drogues et tous les engins prohibés, et si l'administration ne tenait pas sévèrement la main à la prompte destruction des barrages frauduleusement construits pendant l'anarchie à laquelle le projet de loi mettra enfin un terme. Pourvu par la nature de l'instinct et de la force nécessaires pour affronter et vaincre les plus grandes difficultés, les poissons franchissent les digues, les déversoirs les plus rapides. Ils remontent les fleuves et rivières souvent jusqu'à leur source pour y déposer leur frai. Au lieu de présenter des deux côtés une pente douce sur laquelle le cours d'eau, quoique très rapide, ne peut pas arrêter la remonte, des barrages présentent au poisson qui remonte une face perpendiculaire qui oppose à ses efforts un obstacles invincible, le fait retomber dans les filets placés au pied du barrage, et empêche ainsi la reproduction. C'est donc avec raison que l'article 24 interdit les barrages ayant pour objet d'empêcher entièrement le passage du poisson. A cet égard, nulle possession n'a pu donner le droit, car la possession ne pourrait pas faire supposer un titre. Ce serait le droit d'empêcher le repeuplement des rivières, et on ne prescrit ni contre le droit naturel, ni contre la police générale, le bon ordre, le droit public".

Commentaires

Dans les impacts ayant modifié les rivières au cours des derniers siècles, on oublie souvent le rôle de la pêche. Avant de devenir très majoritairement une pêche de loisir après la guerre de 1914-18 et plus encore à compter des Trente glorieuses, elle fut une pêche alimentaire et de subsistance. L'ordonnance de Colbert au XVIIe siècle prenait déjà des mesures pour interdire la pêche à certaines périodes (nuit, frai), en raison de risques de disparition locale de certaines espèces. Le Code de la pêche s'inscrit donc dans ce sillage, en réponse à une pression. Le spectre du dépeuplement des rivières et l'importance de l'économie rurale vivrière au XIXe siècle conduiront ensuite à l'émergence d'une pisciculture d'inspiration scientifique, visant à maîtriser la reproduction des poissons en élevage, à empoissonner rivières et étangs de manière plus intensive, à acclimater des espèces étrangères, notamment nord-américaines. (Ce qui ne manquera évidemment pas d'avoir d'autres effets sur les ressources.)

En faisant allusion aux poissons qui remontent les fleuves pour aller frayer vers la source, le rapporteur à la Chambre des députés a probablement en tête des grands migrateurs amphihalins (saumon, truite de mer, grande alose, lamproie marine, anguille). Les autres espèces de poissons, qui ont des déplacements plus courts sur un biotope plus restreint, ne correspondent pas à ce comportement. Rappelons que la pêche aux saumons, aux aloses et aux lamproies avait été autorisée à toute saison par l'Ordonnance de 1669 (article VII, titre De la pêche), sans limitation contrairement aux interdits en temps de frai (février-juin) pour d'autres espèces. Cela indique soit l'abondance relative de ces espèces sur les rivières de l'époque, soit leur importance dans l'alimentation et le besoin de ne pas entraver leur pêche.

La mention de la "pente douce" des seuils des usines est intéressante. Pour les ouvrages les plus anciens (seuils fixes en rivière, sans organe mobile ou avec modeste vanne latérale), on trouve souvent ce profil en forme de "barrage poids" avec des versants amont et aval au parement inégal présentant effectivement une pente entre 30 et 60°. Ce type de profil favorise la reptation des anguilles. Si le seuil est modeste, et s'il y a fosse d'appel, il est franchissable par saut (ou par nage quand les crues surversent l'ouvrage avec des vitesses moindres vers les bords). Il n'est pas rare d'observer une échancrure ou une baisse de niveau à une extrémité de ce genre de seuil. On retrouve chez L Roule (1920) des considérations sur l'évolution du profil des barrages en lien à la raréfaction du saumon (voir cet article).

Pour autant, les barrages des moulins et usines attiraient aussi l'attention des édiles. M. Mestadier ajoute lors du débat sur le Code de la pêche la précision suivante: "Je profite de la circonstance pour émettre le voeu qu'à l'avenir, lorsqu'une administration autorisera des barrages pour les usines, elle prenne pour règle une ordonnance de nos rois qui avait décidé qu'aucun barrage pour des usines ne pourrait avoir lieu sans qu'il y eût des vannes ouvertes pendant le temps de frai." Ces préoccupations seront régulièrement exprimées au XIXe siècle. Par exemple, dans un département comme le Finistère (où les petits fleuves côtiers représentent un enjeu migrateur), un arrêté préfectoral fixe à la fin des années 1830 une largeur minimale de vanne de 2,5 m pour les nouveaux ouvrages. Il faudra attendre la loi sur la pêche du 31 mai 1865 pour que d'une part la pêche soit interdite toute l'année sur certaines rivières protégées, d'autres part des échelles à poissons puissent être prescrites sur certains cours d'eau (après enquête et décret en Conseil d'Etat).

Source : Brousse M. (1829), Code de la pêche fluviale, avec l'exposé des motifs, la discussion des deux chambres, et des observations sur les articles, Charles-Béchet (Paris), 250 p.

Illustration : Les quatre paysages [3] Le moulin à eau, estampe de Jacques Callot (v.1620-1630). On observe un pêcheur à filet au pied du seuil du moulin.

02/01/2016

Moulin d'Aulnay sur l'Indre, 5 ans de pressions

Nous recevons et publions un nouveau témoignage de propriétaires d'un moulin sur l'Indre aval. Alors que le bien a été impeccablement restauré, fait l'objet d'animations locales en été et ne peut certainement pas être réputé en ruine ou à l'abandon, voici l'ensemble des pressions et stigmatisations subies en l'espace de quelques années : tentative DDT-Onema de casser le droit d'eau, travaux superflus exigés par le syndicat de rivière, pour finir demande de passes à poissons de près de 100 k€. Beaucoup se reconnaîtront dans cette séquence que subissent tant de moulins en France, en particulier dans les bassins les plus dogmatiques en terme d'effacements (Loire-Bretagne, Seine-Normandie). Combien de propriétaires plus faibles, plus isolés, plus âgés ont fini par baisser les bras et céder face à cet acharnement? Ces pratiques insupportables doivent cesser, elles sont indignes de l'action publique et ne produiront que des conflits.



Propriétaire du Moulin d’Aulnay depuis 1987 par héritage, suite au décès de mon père, qui avait acheté ce moulin en 1939 (l’activité du meunier avait cessé en 1938), le moulin est « fondé en titre » puisqu’antérieur à 1789. Il apparaît dans les textes en 1517, appartenant à Gilles Berthelot, seigneur d’Azay le Rideau ; puis en 1525 il est la propriété de Jean de Rouzay, seigneur d’Osnay.

Membre de l’Association des Moulins de Touraine (AMT) depuis de nombreuses années, nous assistions aux réunions et étions toujours très attentifs à leurs conseils. Aussi nous nous sommes immédiatement rapprochés de l’Association lorsque la propriété a été visitée  (sans notre accord) par l’Onema le 14 mars 2011.

En effet, deux agents de l’Onema assermentés ont demandé à l’épouse du gardien l’ouverture de la propriété. Raison avancée : non-déclaration de cessation d’activité au Moulin d’Aulnay. Les agents de police prennent des photos, ne trouvent pas le repère indiquant la côte légale de retenue, précisent que « toutes les vannes doivent systématiquement rester ouvertes » puis rédigent un rapport. Ils nous demandent qu’une déclaration de cessation d’activité soit adressée (selon un modèle joint)  à la Préfecture. A noter que le modèle de lettre n’est ni plus ni moins qu’un abandon des droits d’eau – information reçue de l’AMT.

Par téléphone, le 21 avril 2011, un agent  de l’Onemanous rappelle nos obligations,  et nous indique que l’infraction supposée – si elle se maintenait – relèverait d’une amende de 1 500 €.

Le 19 avril 2012, un appel d’une technicienne de rivière du SAVI nous informe que la Communauté  de Communes du Pays d’Azay le Rideau prévoit de réaliser des travaux de restauration et d’entretien sur l’Indre et ses affluents. Une procédure de demande de déclaration d’intérêt général doit être réalisée et précédée d’une enquête publique, laquelle se tient à Azay le Rideau en  mai 2012. Il nous est indiqué que sur la Boire de Montigny, les berges doivent être nettoyées sur 5 à 10 m, avec entretien de la végétation. Un arrêté Préfectoral du 11 septembre 2012 acte la programmation des travaux de restauration.

Puis, les 26 mai, 10 juin, 2 juillet 2014, le SAVI  vient constater sur nos parcelles «ce qui est gênant pour l’écoulement d’eau» : végétation et arbres.  Identification de  50 arbres à abattre, puis à la suite d’une deuxième visite, 12 arbres supplémentaires doivent être abattues : l’acidité des feuilles des peupliers perturberait les poissons ! Deux sociétés d’abattage effectuent en août et octobre 2014 ces travaux que nous prenons entièrement à notre charge, désirant ainsi conserver notre droit de propriété privée ; car le SAVI accordait une subvention de 80 % sur le coût total occasionné par les travaux dans le cadre d’une Convention, laquelle précisait :
  • le détail des travaux (végétation et arbres à abattre), 
  • les délais d’exécution (6 mois), 
  • mais mentionnait  que la participation du SAVI à la prise en charge d’une partie du coût des travaux était subordonnée  au droit d’accès à la parcelle postérieurement à la réalisation des travaux (ce qui en d’autres termes veut tout simplement dire : libre accès au public sur votre propriété)
Le 15 janvier 2015, le bureau d’études BETERU de Toulouse nous informe téléphoniquement «être diligenté par le SAVI» pour réaliser une étude « sur le bon état écologique de L’Indre, la libre circulation des poissons et des sédiments ». L’étude portera sur 15 moulins dont le nôtre.

Le 23 mars de cette année, une lettre recommandée AR de la DDT nous demande d’étudier « l’impact de nos ouvrages sur le transport des sédiments et la circulation des poissons migrateurs », et si cela s’avère nécessaire de réaliser les travaux dans les cinq ans à compter de la publication de l’arrêté de classement – paru 32 mois plus tôt, de sorte qu’il nous restait  donc 28 mois pour nous exécuter !

Notre réponse en LRAR précise qu’une étude était financée par le SAVI sur le même thème, que nos berges et déversoir étaient entretenus, nos vannes en bon état et vannage bien assuré.

Le 20 octobre 2015, le technicien de rivière du SAVI nous remet du rapport du BETERU en présence d’un représentant de  l’AMT  et d’un ancien propriétaire de moulin.

Les préconisations sont au nombre de trois et chiffrées :
  • Effacement complet, 50 200 € : déconnexion des bras de l’Indre présents en amont – frayères- seuil et déversoir dans le périmètre d’un château.
  • Arasement partiel, 21 000 € : abaissement des lignes d’eau en période de basses et moyennes eaux. Risque de déconnecter des bras de l’Indre présents en amont et qui accueillent des frayères. Architecte des bâtiments de France peut être «  pas d’accord ».
  • Maintien du seuil et équipement, 82 200 € : construction de deux types de passes à poisson (rustique et à bassins de 17 à 25 m de longueur), échancrure dans le seuil, fosse de réception, maintien de l’ensemble des usages présents en amont, frayères, ouverture du bief aux espèces piscicoles. Bonne gestion des vannes. Nécessité de suivre les instructions de l’ABF.
Ce troisième scénario est privilégié par BETERU. Refus de notre part des 3 scénarios et renouvellement de notre suggestion : travailler à simplement améliorer le bras principal de contournement qui assure la montaison des poissons, et le bras mineur actuellement bouché par deux buses et une vanne, qui peut être rénovée. Le SAVI nous demande de signer une convention en vue de faire réaliser  par le BETERU une nouvelle étude sur ce schéma. A suivre…

Nos commentaires
La Cour des comptes avait relevé dans son rapport de 2013 sur les "scandales de l'Onema" la très curieuse politique de surveillance de cet Office : 100% de contrôle sur les seuils et barrages, 20% sur les stations d'épuration, 1% sur les installations agricoles en zone sensible nitrates. Négligents face aux pollutions, les services administratifs s'acharnent sur les propriétaires de moulins, en commençant par essayer de casser le droit d'eau ou le règlement d'eau de l'ouvrage, selon une stratégie fixée par la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie (lors du Plan d'actions pour la restauration de continuité écologique de 2009). La raison en est simple : une fois le droit d'eau cassé, le Préfet peut exiger la "remise en état" du site aux frais du maître d'ouvrage – c'est-à-dire la destruction complète du barrage et la renaturation de l'écoulement sur le site.

Sur l'aménagement du barrage, les demandes sont de toute évidence des "charges spéciales et exorbitantes": les propriétaires sont fondés à les refuser, sauf s'ils sont indemnisés des travaux. Ces derniers représentent des coûts élevés pour un intérêt écologique très douteux. Le bureau d'études a envisagé une montaison pour les brochets, alors que cette espèce n'est pas migratrice et requiert surtout des annexes latérales pour son frai. Quant aux anguilles, deuxième espèce d'intérêt sur le site et seul vrai migrateur concerné, les pêches de contrôle montrent qu'elles sont présentes sur l'Indre amont, ce qui suggère que l'obstacle (d'une hauteur très modeste, surversé en crue, présentant plusieurs points de passage) ne représente pas un problème majeur pour l'espèce. (Si les brochets et anguilles sont des espèces demandant une telle protection qu'il faut envisager en leurs noms la destruction des propriétés ou leurs aménagements ruineux, nous suggérons au Ministère de l'Ecologie de commencer plutôt par interdire leur pêche sur tout le territoire, ce qui sera certainement un bon moyen d'augmenter les recrutements. Egalement un bon moyen de démontrer que c'est le seul intérêt des milieux aquatiques et non celui du lobby pêcheur qui dicte la politique publique des ouvrages hydrauliques décidée dans certains bureaux de La Défense...).

Notons que ce cas se tient sur une rivière de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne. Celle-ci est tristement célèbre pour être le laboratoire des politiques les plus agressives en matière d'effacement. La même Agence de l'eau a des résultats médiocres sur la qualité écologique des rivières (pas de progrès significatif en 10 ans malgré des milliards d'euros dépensés) et n'est même pas capable de produire une analyse de leur état chimique dans son dernier état des lieux, en contravention avec nos obligations européennes sur la surveillance des masses d'eau (voir cet onglet du site). Cela ne l'empêche pas de signer des contrats avec les syndicats en faisant pression (financière) pour des dépenses somptuaires sur l'hydromorphologie.

Une quinzaine d'autres ouvrages sont concernés sur le tronçon. Nous conseillons vivement à l'Association des moulins de Touraine d'informer les propriétaires de leurs droits et de les convaincre d'adopter en commun la seule position qui vaille : refus pur et simple de céder à ces pressions et chantages, opposition d'un front résolu au gestionnaire et à la Préfecture, sensibilisation des riverains. Quand l'administration montrera un minimum de respect pour les ouvrages hydrauliques, quand on sortira de l'enfer des réglementations tatillonnes pour des bénéfices environnementaux quasi-nuls et quand les Agences de l'eau financeront correctement (c'est-à-dire intégralement) les passes à poissons, il sera éventuellement temps de dialoguer. Pour l'heure, il faut saisir les élus et l'opinion des pressions scandaleuses subies par les ouvrages (en priorité faire signer le moratoire). Et quand ce sera nécessaire, il faudra saisir le tribunal (voir la marche à suivre dans ce vade-mecum).

Nota : nous avons demandé par courrier électronique au SAVI copie du contrat territorial signé avec l'Agence de l'eau et les données de qualité chimique / écologique de la rivière. Aucune réponse.

Propriétaires, associations : n'hésitez pas à nous faire parvenir des synthèses, témoignages et documents qui reflètent la situation que doivent affronter aujourd'hui les moulins et autres ouvrages hydrauliques. Les pressions ne prospèrent que dans l'opacité et dans l'isolement de chaque maître d'ouvrage, la transparence et l'information sont nos meilleures armes contre l'arbitraire. La plupart des élus à qui nous avons pu montrer la vraie nature de la politique de continuité écologique, exemples concrets à l'appui, ont été effarés de cette situation. Certains d'entre eux ont déjà interpellé la Ministre (voir leurs prises de parole au Sénat et à l'Assemblée), et il faut renforcer ce sursaut démocratique en 2016. 

01/01/2016

Voeux 2016



La période est sombre pour le patrimoine hydraulique de notre pays. Tout au long de l'année 2015, nous avons dû supporter le spectacle affligeant de ces pelleteuses envoyées en rivière pour effacer des ouvrages. Tout au long de l'année 2015, nous avons dû subir la mécanique froide d'une machine administrative enrôlée par sa tutelle pour contraindre les riverains à adopter une certaine idéologie de la rivière dans laquelle ils ne se reconnaissent pas.

Ces actions punitives et destructives usurpent la notion d'intérêt général. Nous savons aujourd'hui qu'elles ont bien peu de chance de permettre à notre pays d'atteindre le bon état chimique et écologique de ses eaux, victimes de décennies de dégradations et pollutions sans rapport avec les ouvrages. Nous savons aujourd'hui que ces actions ne sont ni le fruit de connaissances très fermes ni l'effet d'un consensus très large, mais plutôt le produit d'une dérive interne à l'appareil d'Etat. Allant bien au-delà de la volonté du législateur, interprétant la loi dans une direction partisane, n'écoutant que certains lobbies au lieu d'entendre les premiers concernés dont la rivière est le cadre de vie, certaines instances administratives ont voulu placer les propriétaires d'ouvrages hydrauliques face à un choix intenable : soit accepter la destruction de leur bien, soit être conduit à la ruine. Ceux-là récoltent ce qu'ils ont semé : le désespoir qui nourrit la colère.

Par ses excès et par ses manipulations, cette dérive a produit une grave crise de confiance envers l'action publique. Nous ne pouvons accepter que l'Etat devienne le fossoyeur du patrimoine de notre pays au nom d'expérimentations hasardeuses décidées en comités fermés. Nous ne pouvons accepter que l'Etat pratique une suspicion et un harcèlement de chaque instant à l'encontre d'une partie des citoyens dont le seul crime est d'exprimer leur attachement aux ouvrages centenaires des rivières ou de produire une énergie bas-carbone – cette même énergie dont on clame par ailleurs qu'elle doit devenir le combat de ce siècle face au changement climatique. Nous ne pouvons accepter que l'Etat flatte l'irresponsabilité collective en refusant d'acter et sanctionner les échecs manifestes de la politique de l'eau, valant à notre pays des retards sur toutes les directives européennes, et parfois déjà des condamnations.

Nous appelons donc à un sursaut démocratique. Et à un changement radical de cap des choix français en terme de continuité écologique.

Au plan national, cet engagement a pris en 2015 la forme de l'appel à moratoire sur la mise en oeuvre du classement des rivières au titre de la continuité écologique. Des représentants des moulins, des riverains, des hydro-électriciens, des pisciculteurs, des propriétaires d'étangs et forêts, des agriculteurs, des défenseurs du patrimoine et du paysage portent cet appel. Leur unité dit assez la gravité et l'urgence de la situation. Plus de 1000 élus et personnalités ont déjà rejoint cet appel, et au plan local plus de 250 institutions. De nombreux députés et sénateurs ont interpellé le gouvernement en lui demandant de prendre en considération le caractère conflictuel des choix opérés sur les ouvrages hydrauliques et de choisir une nouvelle direction. Nous verrons la réponse de Mme la Ministre de l'Ecologie. Ses premières observations et décisions – sur le barrage de la Sélune, sur le développement de la petite hydro-électricité, sur le refus d'une écologie punitive, sur la nécessité d'une vraie concertation et participation – nous donnent quelque espoir d'un retour à la raison et au bon sens.

L'avenir des ouvrages hydrauliques en rivière classée va se décider dans les prochains mois. L'année 2016 sera nécessairement dédiée à ce combat, comme le fut déjà l'année 2015. L'association Hydrauxois y sera en première ligne. Nous aimerions bien sûr retourner à notre objectif premier, qui est la valorisation du patrimoine, de l'environnement et de l'énergie de nos rivières, ainsi que la transmission d'une culture hydraulique si belle et si nécessaire. Mais pour cela, il faut encore que les ouvrages existent. Tant que leur existence même sera en question, tant que leur transmission aux générations futures sera en péril, nous n'aurons d'autre choix que de nous battre pour obtenir leur reconnaissance et leur protection.

Malgré l'adversité, soudés par elle dans la solidarité et la lutte, nous vous souhaitons à tous une année sereine et confiante.

31/12/2015

Recueil d'expériences de l'Onema: un bon aperçu du manque de rigueur en effacement des ouvrages hydrauliques

Pour convaincre les élus et les gestionnaires de l'intérêt d'effacer les ouvrages, l'Onema publie un recueil d'expériences en hydromorphologie. On s'aperçoit que le coût moyen d'effacement des 29 ouvrages présentés dans les fiches dépasse les 250 k€, que les deux-tiers des opérations n'ont pas de diagnostic initial ni de bilan avant-après, qu'aucun effacement ne procède à un bilan DCE 2000 du tronçon, à une analyse quantifiée des services rendus par les écosystèmes ni à une analyse coût-efficacité sur le critère écologique que l'on prétend améliorer. Ce recueil nous convainc donc d'une seule chose: il faut de toute urgence prononcer un moratoire sur la continuité écologique, afin de reprendre la question sur des bases scientifiques plus robustes et des méthodologies plus rigoureuses. Actuellement, on nage dans l'improvisation et la dépense pour la dépense, sans autre stratégie apparente que "restaurer de l'habitat" à l'aveugle, en absence de toute priorisation construite par modèle et sélection de sites d'intérêt écologique particulier.

Il est bien connu de la recherche scientifique internationale que les opérations de restauration morphologique de rivière présentent des résultats ambivalents et, pour beaucoup, des méthodologies médiocres (voir notre synthèse ; en particulier Morandi et al 2014 pour l'analyse de 44 projets de restauration en France). Cette préoccupation est apparue dans les années 2000, à mesure que certains concepts (comme la continuité écologique) sont devenus des outils pour les gestionnaires et ont nourri des programmes d'intervention en rivière. D'abord aux Etats-Unis, puis en Europe, des chercheurs ont tiré la sonnette d'alarme sur le flou conceptuel et technique entourant les objectifs de "restauration des rivières".

Dans un article très commenté, Margaret A Palmer et 20 collègues ont publié une synthèse sur les standards scientifiques attendus d'une opération de restauration écologique réussie (Palmer et al 2005). Ces chercheurs ont posé 5 critères de qualité pour ces opérations:
  • un état dynamique (ie incluant des tendances) du système initial et de l'ensemble de ses pressions;
  • une ou plusieurs mesures quantifiées de progrès de l'état écologique du site;
  • une amélioration de la résilience du système;
  • une absence de dommages à long terme (végétation, sédiments, espèces invasives);
  • un bilan écologique avant-après.
Ces attentes ne concernent que l'état écologique du tronçon concerné, sans se pencher sur la question des coûts économiques et des services rendus par les écosystèmes, ni sur le bilan chimique des retenues (azote, phosphore, carbone, rétention des pollutions aiguës). Elles n'incluent pas non plus le fait que les résultats des restaurations de rivière montrent des effets variables dans le temps (voir Kail et al 2015). Autant dire qu'il faudrait y voir un cahier des charges minimal pour le volet écologique, qui devrait normalement être doublé d'une  évaluation multicritère des autres dimensions des ouvrages (paysage, patrimoine, énergie, irrigation, recharge de nappe, loisirs, etc.). C'est particulièrement nécessaire en France et en Europe, où l'occupation et la valorisation de l'espace ne répondent pas aux mêmes critères qu'en Amérique du Nord.

L'Onema publie un recueil d'expériences en hydromorphologie, dont l'objectif est "d’inciter à la mise en œuvre de nouvelles actions de restaurations physiques du cours d’eau". Nous avons analysé les 29 actions présentées dans le compartiment "effacement total ou partiel d’obstacles transversaux" (ont été exclues les 5 actions ne portant pas sur un ouvrage précis, mais présentant des mesures de gestion sur tronçon). Les effacements d'ouvrages (ou d'étangs) représentent environ la moitié des opérations exposées dans le recueil— ce qui rappelle la dimension très destructive de la restauration morphologique" à la française".

Le tableau de synthèse ci-dessous montre quelques données d'intérêt (cliquer pour agrandir).


On observe que :
  • le coût total est de 8 millions € pour 29 ouvrages. Le coût moyen par opération est de 256 k€, le coût moyen au mètre de chute aménagée de 89 k€. Ces chiffres cachent des disparités importantes puisque le coût médian par mètre de chute est de 28 k€ et le coût médian par opération de 85 k€;
  • ces coûts paraissent minimisés puisqu'aucune indemnité des propriétaires n'est comptabilisée et le suivi à long terme n'est pas chiffré;
  • seules 11 opérations (38%) font l'objet d'un bilan avant-après, c'est-à-dire que dans les deux-tiers des cas, l'opération de restauration écologique ne fixe pas d'objectifs et ne peut pas justifier de résultats;
  • une seule opération présente des résultats quantifiés (à tout le moins dans le recueil); 
  • aucune opération n'a procédé à une évaluation des services rendus par les écosystèmes;
  • aucune opération ne présente l'évolution du bilan écologique et chimique DCE (statut du tronçon selon la directive-cadre sur l'eau);
  • aucune opération ne précise le bilan des espèces invasives;
  • aucune opération ne semble avoir un suivi qui excède les 5 ans.

Dans la quasi-totalité des cas, les gestionnaires concentrent leur approche sur une logique de "restauration d'habitat", par quoi il faut essentiellement entendre le remplacement d'une zone lentique par une zone lotique, avec le cas échéant des frayères pour des espèces d'intérêt halieutique. Le problème de cette approche est triple:
  • elle ne correspond à aucune obligation légale ni réglementaire, mais à une certaine appréciation (plus ou moins arbitraire) de la gravité relative de l'altération par le service instructeur ou le gestionnaire;
  • elle n'est pas généralisable (les coûts observés sur 29 ouvrages et rapportés aux 80.000 obstacles du Référentiel de l'Onema représenteraient une dépense de 21 milliards d'euros), donc elle devrait être sélective au plan de l'intérêt écologique (ce qu'elle n'est manifestement pas);
  • elle n'est (généralement) pas de nature à obtenir le bon état chimique et écologique des masses d'eau, ce qui est pourtant l'engagement prioritaire de la France à l'horizon 2027.
La politique française de continuité écologique a besoin d'un audit complet en vue de redéfinir ses méthodes et ses objectifs (voir aussi cette analyse). En particulier, le choix d'un classement massif des rivières françaises (entre 10.000 et 20.000 ouvrages à aménager en 5 ans seulement) a été prématuré au plan des connaissances sur les rivières, et précipité au regard de son calendrier ingérable d'exécution comme de ses coûts économiques importants.