Constat : «des interpellations récurrentes et parfois vives que m’adressent des élus locaux ou des propriétaires privés montrent que, dans certains cas, cette politique génère encore trop d’incompréhensions qu’il convient de corriger. C’est en particulier le cas pour les moulins»
Nous apprécions que les interpellations de Madame la Ministre aient des effets et qu’elles aient été entendues. Les récentes et nombreuses questions des élus ont suscité cette recommandation aux Préfets. Cependant, compte tenu des problèmes posés par les réformes de continuité écologique, cette bonne intention ne dissipe pas nos craintes sur le fond.
Nous ne souscrivons pas au terme «incompréhensions». Il faut sortir de ce serpent de mer vieux de presque 10 ans du Ministère et des Agences de l’eau selon lequel il y aurait un déficit de compréhension, qui pourrait être compensée par de la pédagogie et de l’information. Pour être plus direct, il faut arrêter de prendre les gens pour des idiots ou des moutons, adopter un minimum de recul et admettre que si tant de gens interpellent une ministre, c'est probablement parce que les choix de l'administration placée sous sa tutelle posent de vrais problèmes, des problèmes non solubles dans une "incompréhension" mais plutôt situés dans la nature même de la réforme concernée.
Nous avons parfaitement compris la réforme de continuité écologique, les sites Hydrauxois et OCE comptent parmi ceux qui publient le plus en France aujourd'hui sur cette question, tant au plan juridique, technique et scientifique qu'au plan des retours d'expérience et analyses de terrain, et ces pages ont déjà été lues et partagées des dizaines de milliers de fois.
Nous souhaitons que le Ministère comprenne parfaitement que
- nous n’acceptons pas les "choix" intenables que cette réforme nous offre : soit la destruction, soit des aménagements à des coûts exorbitants pour le particulier et des milliards d’euros à terme pour les finances publiques;
- nous n’acceptons pas ces travaux lourds aux résultats environnementaux très modestes sur les milieux, parfois même négatifs, et des résultats qui ne sont presque jamais estimés sous forme d'objectifs chiffrés de réussite ;
- nous n’acceptons pas la remise en cause du 3e patrimoine de France qui est un témoignage exceptionnel de l'histoire de nos rivières et de nos vallées;
- nous n’acceptons pas la destruction d'un formidable potentiel pour des petites productions énergétiques renouvelables, décentralisées et propres ;
- nous n’acceptons pas une mise en œuvre administrative essentiellement alimentée par certains lobbies connus pour leur stigmatisation des ouvrages en rivière (FNE, FNPF) sans écoute réelle des autres parties prenantes ;
- nous n’acceptons pas le déni de tous les services rendus (actuels ou potentiels) des ouvrages, qui pourraient être un vecteur de redynamisation des territoires ruraux ;
- nous n’acceptons pas l'inégalité de traitement entre les petits ouvrages privés indument désignés comme des problèmes graves et les grands ouvrages publics opportunément épargnés du classement alors qu'ils sont les plus impactants ;
- nous n’acceptons pas cette certitude affichée sur les diagnostics, qui ne tient jamais compte des échecs ni des échéances reportées (le ‟bon état 2015” est déjà lointain) et qui ne s’appuie ni sur des mesures complètes, ni sur des connaissances robustes.
Mission CGEDD : «en complément de la première mission menée par le conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) en 2012, j’ai demandé à nouveau à ce conseil de faire un état des lieux précis et une analyse de l’ensemble des blocages et des sites conflictuels, liés en particulier à des moulins, afin de faire des propositions pour faciliter le consensus autour de la mise en conformité des seuils et barrages en rivière»
Mme la Ministre devrait savoir que sur les 11 premières recommandations du CGEDD en 2012, la seule (à charge) qui a été réellement suivie d’effet est le classement des rivières (l’origine du problème), et que les 10 autres sont soit à peine ébauchées (3) soit totalement à l’abandon (7) (voir cette synthèse). La Direction de l’eau et de la biodiversité affiche une attitude méprisante, elle ne donne aucune suite aux recommandations qui lui sont faites, elle n’a montré en trois ans aucune volonté d’intégrer les moulins dans les instances de délibération, de développer des grilles multicritères d’évaluation des ouvrages, d’analyser le potentiel de la petite hydroélectricité, etc.
La première chose que le CGEDD devrait logiquement faire, ce serait de renseigner Mme la Ministre sur le fait qu’elle préconise en 2016 un nouveau rapport pour des problèmes déjà clairement posés en 2012… et n’ayant reçu aucune solution ni début d’exécution de la part de la DEB ni de l’Onema ni des Agences de l’eau. Cette inertie administrative est la meilleure démonstration que le dialogue est impossible, comme il l'était déjà lors du Parce 2009, pour la simple raison qu'un certain nombre de hauts fonctionnaires DEB, DREAL de bassin, Onema en charge du dossier de la continuité écologique ont comme horizon la destruction du maximum d'ouvrages, et pour y pousser les propriétaires l'imposition de règles totalement exorbitantes dans leur coût et leur délai, sans aucune intention de prendre en compte à leur juste valeur les autres dimensions des ouvrages : histoire, culture, patrimoine, énergie, usages.
Cette écologie-là est clairement punitive, destructive, excessive. Jamais on ne demanderait à une autre partie prenante de la rivière les dépenses, les sacrifices et les efforts que l'on demande aux propriétaires de moulins, étangs et retenues: ce traitement discriminatoire doit cesser.
Mais qu’à cela ne tienne, puisque Mme la Ministre en appelle au CGEDD: nous nous prêterons au jeu de ce nouveau rapport, d’autant qu’au cours des trois dernières années des dizaines d’opérations ont montré les problèmes concrets de mise en œuvre, l’absence dramatique de suivi, la déficience d’analyse coût-bénéfice, la surdité aux objections des riverains et des usagers, les devis à centaines de milliers d'euros... Dans le même temps, des dizaines de travaux scientifiques ont souligné la fragilité de l’arrière-plan des connaissances de la continuité écologique et sa faible place dans nos obligations DCE 2000. Autant de facteurs qui doivent induire une révision drastique du classement des rivières et à un changement d'orientation complet des politiques de continuité : ce sera la position que nos défendrons dans un rapport en préparation à l'intention du CGEDD, et nos lecteurs savent que les arguments en ce sens ne manquent pas.
Options en rivière : «supprimer entièrement les seuils n’est pas la seule solution puisque de nombreuses autres alternatives ont pu être mises en œuvre : passes à poissons, abaissement de la hauteur du seuil, suppression partielle pour maintenir un écoulement d’eau dans le bief du moulin, ou encore gestion coordonnée des vannages»
Du point de vue du droit d’eau, arasement, dérasement, suppression partielle, brèche, etc. ont le même effet de changer la consistance légale et, dans la majorité des cas, d’empêcher la reprise d’une activité énergétique. De même, ces solutions conduisent en général à ne pas avoir un tirant d'eau assuré dans le bief en été, donc à produire des effets de marnage néfastes au bâti, au paysage et au bien-être des occupants.
Ces «alternatives» ne sont donc pas considérées comme valables par les propriétaires attachés au respect de leurs droits et à l’intégrité de leur bien. Ne sont envisageables que trois options :
- statu quo car le seuil ne pose pas de réel problème aux milieux (ce qui est fort souvent le cas);
- ouverture de vannes mais dans le respect de la consistance légale, sans nuire aux usages ni au droit des tiers (donc ouverture limitée à certaines phases crues-migrations, et non pas permanente des mois entiers ce qui vide la retenue et le bief);
- passes à poissons ou autres dispositifs de franchissement dans la limite d'équipement des 10% de module propre au débit minimum biologique, et à condition que ces dispositifs connus pour être très coûteux soient largement subventionnés.
- le nombre total des obstacles à l’écoulement devant être aménagés (à tout le moins étudiés) en rivières classées L2,
- le nombre total des ouvrages aménagés / encore à aménager,
- la répartition exacte des solutions choisies sur les chantiers réalisés (dérasement, arasement, dispositifs de franchissement, ouverture de vanne).
Un simple catalogue non chiffré de quelques actions locales sera donc jugé irrecevable, car bien trop vague et sans information réelle sur la situation actuelle. Il conviendra que la base de données des ouvrages déjà aménagés en rivières L2 précise le coût total de l’opération et le montant des subventions publiques. Sans cette rigueur et cette transparence, il n’est pas possible de débattre de la réforme. La moindre des choses est de tenir le tableau de bord des politiques publiques afin de permettre un vrai débat démocratique sur la réalité, et non des effets de communication sur une représentation partielle de cette réalité.
Enfin dans ce courrier, Mme Ségolène Royal appelle les Préfets et les services à rassembler des exemples d’opérations « réussies ». Cette notion de réussite n’est actuellement adossée à aucun critère scientifique : nous ne manquerons pas rappeler au CGEDD que la réussite de la continuité écologique se prouve par des chiffres et des résultats sur les critères de qualité DCE 2000, au lieu d’exhiber des images naïves, des power-points sommaires et des compte-rendu auto-référents confinant à la propagande (voir le mauvais exemple du recueil d’expériences de l’Onema). Nous attendons de vrais indicateurs pour qualifier des travaux «réussis» : non seulement des indicateurs écologiques mesurés, mais aussi une analyse des services rendus par les écosystèmes avant / après sans oublier aucune dimension, naturelle, culturelle, sociale, économique.
Sursis pour les moulins à difficulté : «Dans l’immédiat, sans attendre les résultats de cette mission, je vous demande de ne plus concentrer vos efforts sur ces cas de moulins (ou d’ouvrages particuliers) où subsistent des difficultés ou des incompréhensions durables. Ces points de blocage ne trouveront de solution qu’au travers de solutions adaptées, partagées et construites le plus souvent au cas par cas»
Il s’agit à nos yeux de la seule avancée réelle de ce courrier, et d’une trêve que certains propriétaires, assaillis par les DDT et les syndicats de rivières, harcelés, épuisés, vont certainement apprécier. Ils pourront envisager de mettre leur ouvrage en conformité plus sereinement que sous la baïonnette d’un PV de l’Onema, dans le spectre d’une mise en demeure de la DDT ou sous la pression d'accepter l'analyse d'un bureau d'étude qui, immanquablement, conclura à la prétendue gravité de l'impact comme à la prétendue nécessité de dépenses exorbitantes.
Nous demandons bien sûr à toutes nos consoeurs associatives d'envoyer copie de ce courrier à leurs adhérents, d'en envoyer une copie commentée aux services instructeurs (DDT, Onema, Agence de l'eau) et de signaler toute persistance de pression indue en vue de pousser à l'effacement ou à la ruine, afin que les élus et le Ministère en soient immédiatement informés.
En conclusion : mobilisation générale 2016 !
L'année 2016, dernière année pleine avant les premières échéances réglementaires du classement des rivières, va être décisive pour l'avenir des moulins et des réformes de continuité écologique. Nous appelons nos lecteurs et le réseau national des fédérations, associations et syndicats aux actions suivantes:
- continuer le recueil des signatures pour le moratoire sur le classement de rivières tout au long des 6-9 mois de la mission du CGEDD, le maintien d'une pression démocratique ayant déjà porté ses fruits et étant indispensable au plan local comme au plan national,
- compiler dans les meilleurs délais, pour cette mission du CGEDD, les exemples passés de pressions sur les ouvrages et d'opérations somptuaires en rivières sans précaution environnementale et patrimoniale (voir le modèle de nos témoignages, vous pouvez nous envoyer copie des documents et informations),
- signaler toute pression sur ouvrage refusant les solutions imposées de continuité par courrier recommandé au Préfet et à la Ministre, car si la demande de Mme Royal est claire, ce n'est pas pour autant que chaque service DDT-M ou Onema ou Agence de l'eau cessera certaines habitudes ayant détérioré la situation depuis plusieurs années.