Conseiller scientifique de plusieurs Agences de l'eau, directeur de recherche émérite à l'IRD, hydrobiologiste et spécialiste des milieux aquatiques continentaux, Christian Lévêque a toute légitimité pour évoquer la question des rivières. Ce chercheur de renom critique la continuité écologique "à la française" dans une tribune libre parue ce mois. Une première, dont on espère qu'elle va ouvrir le débat nécessaire sur une politique publique en butte à de fortes oppositions de terrain et à un certain scepticisme sur ses attendus comme ses résultats.
Les lecteurs de notre site ont fait connaissance des travaux de Christian Lévêque dans notre recension de son essai de 2013, où le chercheur posait déjà de nombreuses questions dérangeantes sur le statut de l'écologie, oscillant entre science "neutre" des milieux dynamiques (donc notamment anthropisés) et conservation plus "militante" des espèces menacées. La tribune qu'il vient de donner pour le site H2O se concentre sur la question de la continuité écologique.
"On a un peu trop vite érigé en dogme cette question de la continuité écologique"
Christian Lévêque souligne d'abord que la mise en oeuvre de la continuité écologique a été le fait de représentations plus idéologiques que proprement scientifiques : "Dans nos démocraties les mouvements militants étant mieux écoutés que les citoyens, il a été décidé (sans concertation avec les riverains) qu’il fallait effacer seuils et barrages pour retrouver une certaine forme de virginité des cours d’eau bien plus importante à leurs yeux que les cours d’eau fragmentés. Par la même occasion, on pensait répondre aux injonctions de la directive européenne sur l’eau (DCE) concernant le retour au "bon état écologique", une autre expression porteuse de représentations idéologiques et dépourvue de sens précis pour un scientifique." Cette gouvernance défaillante produit un sentiment d'usurpation démocratique : le riverain ou l'usager de l'eau est confronté à des normes complexes et de toute façon inaccessibles à la critique ; certains usages (pêche) et certaines représentations (écologie militante) ont eu dans le dossier de la continuité des rivières un poids démesuré par rapport aux pratiques habituelles de concertation dans la mise en oeuvre des politiques publiques.
Le chercheur rappelle également que la signification des aménagements hydrauliques, plus largement des rivières, ne peut être réduite au prisme de leur fonctionnalité écologique: "Dans les faits on a un peu trop vite érigé en dogme cette question de la continuité écologique, car tout cela demande une étude au cas par cas, et de la concertation. Un début de mise en application un peu brutal, associé à un manque de psychologie, a suscité le mécontentement de nombreux riverains pour qui soit le moulin, soit la retenue, a aussi une signification de nature patrimoniale, économique ou ludique. Car dans la balance des coûts/bénéfices associés aux barrages on peut opposer la valeur écologique à la valeur patrimoniale et affective de certains aménagements. On ne peut ignorer aussi que nombre de retenues sont devenues des centres de loisirs et d’activité économique pour les riverains. Ces aménités sont aussi des services écosystémiques qui méritent considération au même titre que l’état écologique." Nous n'avons que trop déploré ici ces travers : réduction utilitaire de l'ouvrage à son "usage" au sens d'activité industrielle et commerciale ("absence d'usage" devenant synonyme de "droit de détruire"), indifférence ou ignorance des opérateurs en rivières vis-à-vis de ce qui sort du couple sacro-saint hydrobiologie / hydromorphologie (désintérêt assez problématique des gestionnaires pour l'histoire, la culture, l'énergie, le paysage, l'esthétique, le loisir… tous ces prismes par lesquels les citoyens regardent aussi, et d'abord, leurs rivières).
En ce sens, la continuité écologique exemplifie des approches antagonistes de ce que doivent être les rapports entre l'homme et la nature. "En réalité, observe Chrisian Lévêque, on a vu s’affronter autour de la continuité écologique, deux conceptions de la nature. L’une selon laquelle la nature a une valeur intrinsèque, et pour laquelle restaurer consiste à retrouver un état initial, parfois qualifié de pristine, en supprimant toutes les contraintes d’origines anthropiques qui sont perçues comme autant de causes de dégradation. L’autre qui consiste à penser que notre nature en Europe est une co-construction processus spontanés /activités humaines, et qu’elle est le produit d’un compromis entre des usages sans pour autant négliger les aspects éthiques et esthétiques. L’une tend à exclure l’homme pour retrouver une hypothétique nature vierge. L’autre considère que l’homme fait partie de la nature et en est un des acteurs." Ce point est à l'origine d'un malentendu fondamental, mais aussi d'une contradiction manifeste. Malentendu fondamental : le discours de la "rivière sauvage" n'est porté que par une très petite minorité militante, et il est pourtant endossé in fine par des autorités politico-administratives comme la voie de "l'intérêt général". Contradiction manifeste : la continuité écologique se déploie sur le registre de la renaturation, alors qu'absolument tous les autres paramètres biologiques, physiques et chimiques du bassin versant sont artificialisés, et de longue date (activités agricoles, sylvicoles, industrielles, halieutiques ; pollutions domestiques ; empoissonnement des eaux, introductions involontaires d'espèces ; modification des berges, des sols, des végétations riveraines ; effets globaux des aérosols, des gaz à effet de serre, des altérations des grands cycles carbone, azote, phosphore ; prélèvement quantitatif de la ressource, etc.). A moins de sombrer dans le ridicule ou de faire preuve d'une naïveté enfantine (la rivière réduite à ce que l'on voit de ses écoulements), on doit admettre que changer quelques centaines de mètres de retenue lentique en habitats lotiques n'a rien à voir avec un quelconque "retour" à une nature pré-humaine, ni avec la "restauration" d'un état antérieur ou de fonctionnalités disparues (avec ou sans obstacle faisant varier des conditions locales, la rivière reste de toute façon un flux matériel, énergétique et biologique).
Autres points déplorés par Christian Lévêque : le problème persistant de la pollution des eaux et sédiments (dont on sait qu'il annule souvent les effets des mesures de restauration physique) et le centrage sur certaines espèces à intérêt plus halieutique ou symbolique que réellement écologique : "On peut faire remarquer que le rétablissement de la continuité écologique n’aura de chances de succès que si, et même avant tout, on améliore significativement la qualité physico-chimique de l’eau. Améliorer l’habitat si la qualité de l’eau n’est pas au rendez-vous est un coup d’épée dans l’eau. D’autre part, il est incontestable que la reproduction de certaines espèces de poissons est entravée par la présence d’obstacles. Mais cela ne concerne il faut le dire que quelques espèces dont la valeur emblématique (et donc patrimoniale) est néanmoins forte (saumon, anguille, alose, etc.). Dans certains cas, il existe des solutions alternatives à l’arasement des obstacles : passes à poissons, contournement, etc." Il faut ajouter là-dessus que la suppression des zones à écoulement lentique a toute chance d'aggraver le bilan des pollutions, puisque ces retenues sont des puits d'azote, phosphore et autres contaminants (aussi généralement des puits de carbone en milieu tempéré, même si le bilan est plus complexe).
Allant plus loin, le chercheur rappelle que les aménagements en rivière sont aussi des créateurs de singularités et donc de biodiversité – un point totalement absent des diagnostics menés aujourd'hui sur les rivières : "les aménagements n’entraînent pas une érosion de la biodiversité, comme on le dit parfois. De fait, ils créent de l’hétérogénéité et de nouveaux habitats. En aménageant on perd certaines espèces et on en gagne d’autres car la biodiversité ne se réduit pas aux seuls poissons". De fait, nous attendons toujours que l'Onema, l'Irstea ou les fédérations de pêche nous disent ce qui vit exactement dans la vase des retenues (par exemple), plus globalement que les diagnostics de biodiversité ne soient ni réduits à des poissons ou des polluo-indicateurs, ni limités à l'échelle spatiale du site à restaurer (c'est l'ensemble de l'hydrosystème qui gagne ou perd en diversité biologique, pas une section très limitée d'un seul tronçon). Autre contradiction mise en avant par Christian Lévêque : l'effacement des obstacles favorise aussi bien les espèces invasives (qui profitent par ailleurs de nos échanges mondialisés comme de notre climat réchauffé), ce qui ne va pas dans le sens de la conservation d'une "intégrité biotique", notamment vers les têtes de bassins :"la continuité écologique facilite les mouvements des espèces (en nombre limité néanmoins) elle ouvre des autoroutes aux espèces invasives contre lesquels on prétend lutter. Il y a là manifestement des incohérences dans les politiques."
Pour un débat de fond sur la continuité des rivières
Si l'on en juge par les retours des fédérations et syndicats d'usagers, moulins et riverains participant aux discussions ministérielles, la Direction de l'eau et de la biodiversité comme les principaux lobbies de la continuité (FNE, FNPF) excluent tout débat de fond sur la continuité écologique. Il faudrait en discuter à la marge des modalités d'application, mais on ne saurait questionner sa nécessité ni son urgence. C'est le propre des croyances et des dogmes que de refuser ainsi l'examen de la raison critique et le débat contradictoire.
Comme le rappelle la tribune de Christian Lévêque, il y a au contraire d'excellentes raisons de procéder à un ré-analyse complète de ce concept récent de "continuité écologique".
Cet exercice doit être politique, car les choix publics en rivières visent à refléter l'ensemble des attentes sociales, des intérêts sectoriels, des représentations symboliques ou idéologiques, des engagements associatifs, ce qui n'est manifestement pas le cas pour la mise en oeuvre actuelle de la continuité.
Cet exercice doit aussi et surtout être scientifique, car les travaux de recherche des vingt dernières années posent de nombreuses questions aux sciences naturelles comme aux sciences sociales. Quelle est la place relative de la morphologie dans les indicateurs de qualité biologique ou chimique des masses d'eau? Quels modèles de bassin versant autorisent à décrire et prédire des gains écologiques sur le compartiment de la continuité longitudinale? Quels critères permettent de hiérarchiser les impacts d'ouvrages (selon leur hydraulicité rapportée aux caractéristiques sédiments / écoulements / peuplements)? Quelles données historiques nous fournissent des séries assez longues pour comprendre les facteurs de variabilité naturelle / forcée des peuplements? Quel est le rôle des ouvrages dans l'épuration chimique de l'eau, dans le ralentissement de colonisation des espèces invasives, dans le bilan carbone, dans la biodiversité totale et non seulement halieutique d'une masse d'eau? Quelle place peuvent (ou non) jouer les ouvrages dans la prévention et l'adaptation au changement climatique et océanique? Quelles procédures devraient accompagner la continuité comme mesure d'aménagement de territoire (pas seulement de milieu) appropriable par les populations riveraines? Quelles sont les modalités sociales et symboliques de valorisation / dévalorisation des ouvrages, comment peuvent-elles s'articuler à un intérêt général et à un portage politique? Etc.
Ces questions ne sont pas triviales, leurs réponses ne résident certainement pas dans des intuitions politiques ni des convictions militantes (ce qui est aussi vrai pour les protecteurs que pour les destructeurs des ouvrages), mais dans des vrais projets de recherche. Ces questions auraient dû être posées avant la mise en oeuvre à grande échelle de la continuité écologique, sur la base d'études expérimentales portant sur plusieurs dizaines à centaines de sites, et de croisement par modèle des descripteurs de bassin (plusieurs millions de données disponibles grâce au monitoring DCE notamment). Ce ne fut pas le cas, nous payons le prix de la précipitation militante et politicienne, avec sur les bras une réglementation largement inapplicable en raison des coûts économiques qu'elle induit, des oppositions sociales qu'elle engendre et des bénéfices écologiques incertains qu'elle promet. Et si on limitait la casse?
A lire également
Christian Lévêque (2016), Quelles rivières pour demain? Réflexions sur l'écologie et la restauration des cours d'eau, Quae, 287 p.
Les rivières ont été aménagées pour maîtriser les risques d’inondation, améliorer la navigation, ou encore promouvoir les loisirs. Elles ont aussi été polluées par nos déchets de toute sorte. Pourtant, elles interpellent fortement notre imaginaire et attirent de nombreux citoyens, soucieux de retrouver le contact avec la nature sur les rives de cours d’eau qui ne sont plus des systèmes naturels, au sens strict du terme, mais des systèmes patrimoniaux. Au cours des siècles, certains usages ont disparu, d’autres sont nés, avec diverses conséquences sur le fonctionnement des hydrosystèmes. De nos jours, sans délaisser les fonctions économiques des cours d’eau, les sociétés s’inquiètent de leur « bon état écologique » et de leur devenir, dans la perspective du changement climatique. Cela doit nous interroger sur les objectifs des opérations de restauration écologique. Quelle sera leur pertinence dans quelques décennies? Que cherche-t-on à restaurer? Quelles natures voulons-nous? L’histoire nous montre que nos relations aux rivières ont changé, et ce livre en explore de multiples aspects. L’auteur, qui a pris part aux programmes de recherches multidisciplinaires sur la dynamique des systèmes fluviaux, initiés en France dans les années 1980, sait qu’il n’y a ni "équilibre", ni retour en arrière possible. La gestion des rivières doit donc s’inscrire dans une démarche prospective et adaptative pour tenter de concilier le fonctionnement écologique et les attentes des sociétés
20/04/2016
19/04/2016
Sage de la Risle: l'ouverture permanente des vannes refusée par la commission d'enquête publique
Ouvrir les vannes dix mois sur douze ? Cette solution peu réaliste du SAGE de la Risle, assez typique des excès administratifs en matière de prescription de continuité écologique, vient d'être retoquée par la Commission d'enquête publique. Après le cas de l'Orge, il est heureux que les commissaires enquêteurs montrent de plus en plus d'esprit critique: la mobilisation des riverains et usagers paie. Que vont décider le syndicat et le Préfet pour la Risle? Pendant ce temps-là, les pollutions continuent sur le bassin.
Le SAGE de la Risle, pour lequel notre association avait été sollicitée, vient de faire l'objet d'une enquête publique (on peut télécharger le rapport ici). Les commissaires enquêteurs ont émis un avis négatif concernant l'article 2 du Règlement, qui prévoit une ouverture des vannes dix mois sur douze. Ils en appellent à une meilleure concertation, ce qui est bien le moins qu'on puisse attendre pour ce supposé modèle de "démocratie de l'eau" que sont les SAGE.
Voici les points mis en avant par la Commission :
"Cet article de par son aspect impératif, son absence de discernement et son imprécision n'est pas recevable en l'état:
- l'ouverture ex-abrupto durant dix mois n'est ni adaptée ni concevable,
- l'établissement de la continuité écologique doit être recherché après concertation avec les propriétaires et les exploitants par une étude au cas par cas,
- la conservation du droit d'eau, fut-il générateur d'authenticité, doit être effective,
- la preuve des pratiques habituelles en usage ne doit pas être apportée par les propriétaires,
En conséquence cet article devra être refondu en prenant en compte ces impératifs se rapportant aux observations de la commission."
Le principe d'une ouverture des vannes 10 mois sur 12 pose de nombreux problèmes :
Un bassin complètement pollué… mais il est tellement plus simple de s'acharner sur les moulins
Le même SAGE constate à propos de la qualité des eaux de la Risle :
"La Risle et ses affluents présentent une qualité des eaux satisfaisante qui s'améliore globalement au fil des ans. Néanmoins, ce constat rassurant est à moduler. En effet, il reste deux paramètres très pénalisants pour la bonne qualité des eaux superficielles : les teneurs en nitrates et en matières phosphorées.
Si une amélioration semble se dessiner sur les stations les plus critiques pour le paramètre "phosphore", l'altération de la qualité par les nitrates est globale à l'ensemble du bassin versant et sans évolution favorable au cours des treize dernières années d'observation. (...)
En ce qui concerne les sédiments, on constate :
- une pollution polymétallique sur le site de St Sulpice sur Risle (cuivre, plomb et zinc),
- des niveaux élevés en cadmium sur l'ensemble du linéaire de la Risle, mais plus particulièrement en aval de Fontaine la Soret ;
- une pollution chronique au chrome en aval de Pont-Audemer;
- une tendance à l'augmentation progressive des teneurs en mercure, aussi bien sur la Risle que sur la Charentonne.
Enfin, les sites de la Ferrières St Hilaire et de Fontaine la Soret ont été répertoriés parmi les vingt stations de la Haute Normandie (rivières et captages d'eau confondus) où les problèmes de pollution par les phytosanitaires sont les plus importants."
Curieux que la situation "s'améliore globalement"! On a donc un bassin dont la qualité de l'eau superficielle comme souterraine est dégradée (pour les polluants que l'on mesure, soit une infime proportion de ceux qui circulent dans les milieux). Au lieu de pinailler les débits minima biologiques et de proposer des mesures absurdes d'ouverture quasi-permanente des vannes, les fonctionnaires en charge de la qualité de l'eau devraient commencer à s'intéresser aux vrais problèmes. A moins que la doctrine de la "libre circulation" consiste à détourner les yeux des polluants que l'on envoie dans l'estuaire de la Seine...
Illustration : perte de la Risle en 2012, due à des bétoires, ayant obligé à creuser d'urgence un canal de dérivation depuis l'amont. C'est sûr qu'ouvrir les vannes ne peut que profiter aux milieux… (source Wikimedia Commons, Nortmannus, Travail personnel, Wikipedia)
Le SAGE de la Risle, pour lequel notre association avait été sollicitée, vient de faire l'objet d'une enquête publique (on peut télécharger le rapport ici). Les commissaires enquêteurs ont émis un avis négatif concernant l'article 2 du Règlement, qui prévoit une ouverture des vannes dix mois sur douze. Ils en appellent à une meilleure concertation, ce qui est bien le moins qu'on puisse attendre pour ce supposé modèle de "démocratie de l'eau" que sont les SAGE.
Voici les points mis en avant par la Commission :
"Cet article de par son aspect impératif, son absence de discernement et son imprécision n'est pas recevable en l'état:
- l'ouverture ex-abrupto durant dix mois n'est ni adaptée ni concevable,
- l'établissement de la continuité écologique doit être recherché après concertation avec les propriétaires et les exploitants par une étude au cas par cas,
- la conservation du droit d'eau, fut-il générateur d'authenticité, doit être effective,
- la preuve des pratiques habituelles en usage ne doit pas être apportée par les propriétaires,
En conséquence cet article devra être refondu en prenant en compte ces impératifs se rapportant aux observations de la commission."
Le principe d'une ouverture des vannes 10 mois sur 12 pose de nombreux problèmes :
- la demande est peu discriminante, alors que l'objectif biologique est de favoriser des migrations de certaines espèces à certaines époques;
- la mesure revient à vider quasiment tout le temps la retenue et le bief, donc à rendre caduque la consistance légale (hauteur, débit) du droit d'eau attaché à chaque bien (cela commence ainsi et quelques années plus tard, on reçoit un arrêté préfectoral prononçant l'annulation de ce droit d'eau...);
- la mise hors d'eau des biefs a toutes sortes de conséquences négatives (fragilisation des berges et des bâtis, aspect inesthétique, reprise végétative, impossibilité de produire de l'énergie, etc.) ;
- l'ouverture (obligatoire) des vannes en période de crue suffit à assurer le transport par charriage de la charge excédentaire amont, généralement constituée de matériaux à faible granulométrie;
- le rôle épurateur des retenues vis-à-vis des pollutions chimiques est proportionné au temps de résidence hydraulique (ralentir la cinétique, favoriser des dépôts dans les zones latérales aux marges du courant principal, préférer la surverse en dehors de la période estivale où il faut faire passer l'eau de fond plus fraîche).
Un bassin complètement pollué… mais il est tellement plus simple de s'acharner sur les moulins
Le même SAGE constate à propos de la qualité des eaux de la Risle :
"La Risle et ses affluents présentent une qualité des eaux satisfaisante qui s'améliore globalement au fil des ans. Néanmoins, ce constat rassurant est à moduler. En effet, il reste deux paramètres très pénalisants pour la bonne qualité des eaux superficielles : les teneurs en nitrates et en matières phosphorées.
Si une amélioration semble se dessiner sur les stations les plus critiques pour le paramètre "phosphore", l'altération de la qualité par les nitrates est globale à l'ensemble du bassin versant et sans évolution favorable au cours des treize dernières années d'observation. (...)
En ce qui concerne les sédiments, on constate :
- une pollution polymétallique sur le site de St Sulpice sur Risle (cuivre, plomb et zinc),
- des niveaux élevés en cadmium sur l'ensemble du linéaire de la Risle, mais plus particulièrement en aval de Fontaine la Soret ;
- une pollution chronique au chrome en aval de Pont-Audemer;
- une tendance à l'augmentation progressive des teneurs en mercure, aussi bien sur la Risle que sur la Charentonne.
Enfin, les sites de la Ferrières St Hilaire et de Fontaine la Soret ont été répertoriés parmi les vingt stations de la Haute Normandie (rivières et captages d'eau confondus) où les problèmes de pollution par les phytosanitaires sont les plus importants."
Curieux que la situation "s'améliore globalement"! On a donc un bassin dont la qualité de l'eau superficielle comme souterraine est dégradée (pour les polluants que l'on mesure, soit une infime proportion de ceux qui circulent dans les milieux). Au lieu de pinailler les débits minima biologiques et de proposer des mesures absurdes d'ouverture quasi-permanente des vannes, les fonctionnaires en charge de la qualité de l'eau devraient commencer à s'intéresser aux vrais problèmes. A moins que la doctrine de la "libre circulation" consiste à détourner les yeux des polluants que l'on envoie dans l'estuaire de la Seine...
Illustration : perte de la Risle en 2012, due à des bétoires, ayant obligé à creuser d'urgence un canal de dérivation depuis l'amont. C'est sûr qu'ouvrir les vannes ne peut que profiter aux milieux… (source Wikimedia Commons, Nortmannus, Travail personnel, Wikipedia)
17/04/2016
Les étangs piscicoles à barrage éliminent les pesticides (Gaillard et al 2016)
On savait déjà que les retenues d'eau contribuent à épurer les rivières en éliminant des nutriments, évitant ainsi en partie l'eutrophisation des zones aval, littoraux et estuaires. Une équipe de chercheurs lorrains vient de montrer que les étangs construits par barrage sur un cours d'eau sont aussi efficaces pour éliminer des pesticides, avec des taux pouvant atteindre 100% sur certaines molécules. Cette efficacité pourrait être supérieure à celle des zones humides reconstruites, en raison d'un temps de résidence hydraulique plus long. "En vue de maintenir la continuité écologique des cours d'eau, la suppression des barrages est actuellement promue. Avant que des actions en ce sens soient entreprises, une meilleure connaissance de l'influence de ces masses d'eau sur la ressource, incluant la qualité de l'eau, est nécessaire", écrivent les scientifiques. Mais ce message parviendra-t-il aux décideurs qui, déjà très en retard sur la pollution de l'eau par les nutriments et plus encore par les micropolluants émergents, ont souvent promu la continuité écologique comme alibi de leur impuissance et détournement de l'attention citoyenne sur des impacts secondaires? Il faut protéger nos étangs, biefs, retenues et réservoirs au lieu de les détruire. Et faire de la lutte contre les pollutions une priorité de nos politiques publiques de l'eau, à hauteur de la menace représentée par les centaines de contaminants qui détériorent les nappes, les rivières, les plans d'eau et leurs milieux.
Juliette Gaillard et ses collègues (Université de Lorraine, Université du Québec, Inra, Anses Nancy) ont examiné la capacité d'un étang piscicole à éliminer la charge en pesticides de son bassin versant. Les auteurs prennent d'abord soin d'exposer les motivations de leur travail.
Pesticides, étangs et précipitation à effacer les barrages
Les herbicides, fongicides et insecticides représentent chaque année une charge de 210.000 tonnes d'ingrédients actifs (ai) appliquée à 178,8 millions d'hectares de surfaces cultivées dans l'Europe des 25. La dose moyenne est de 1,2 kg ai/ha en Europe, mais de 2,3 kg ai/ha en France, marché qui représente à lui seul 28% des phytosanitaires sur le continent. La littérature scientifique estime que 0,1 à 10% des quantités de pesticides appliqués sur les bassins versants finissent dans les masses d'eau superficielles. La directive-cadre européenne (DCE) 2000 impose l'atteinte du bon état chimique des masses d'eau, sur la base d'un échantillon de ces pesticides.
Outre la limitation à la source, une des mesures de compensation envisagées est le développement de zones humides agissant comme des tampons par sorption-desorption (fixation de la molécule) et biodégradation. Les auteurs observent que les caractéristiques favorables des zones humides (augmentation du temps de résidence hydraulique, croissance biologique et sédimentation) se retrouvent aussi bien dans les étangs piscicoles à barrage. Ces étangs sont souvent associés aux petits cours d'eau de tête de bassin versant, dans des zone agricoles ou forestières. On estime qu'ils occupent aujourd'hui une surface de 112.000 ha. Leur développement est très ancien puisque les moines ont généralisé ces viviers en pisciculture extensive dès le Moyen Âge, notamment pour l'élevage de la carpe. Lorraine, Dombes, Brenne, Forez, Bresse, Jura et Franche-Comté sont quelques-unes des régions françaises présentant les plus fortes densités d'étangs piscicoles à barrage.
Les chercheurs observent notamment : "En vue de maintenir la continuité écologique des cours d'eau, la suppression des barrages est actuellement promue. Avant que des actions en ce sens soient entreprises, une meilleure connaissance de l'influence de ces masses d'eau sur la ressource en eau, incluant la qualité de l'eau, est nécessaire". On ne saurait mieux dire: une politique massive d'effacement des ouvrages décidée avant une analyse scientifique approfondie de l'ensemble de leurs effets sur le milieu relève de la croyance idéologique, indigne d'inspirer une politique publique!
Résultat sur un étang lorrain: de 0-8% à 100% d'élimination des pesticides
Juliette Gaillard et ses collègues ont analysé un étang lorrain dans le Saulnois ("pays du sel") au Sud de la Moselle. La surface de l'étang est de 4,4 ha pour un bassin versant de 86,2 ha. Sa profondeur moyenne est de 0,9 m, avec un maximum de 2,2 m au pied du barrage. Les apports d'eau dans le barrage viennent du cours d'eau (seul tributaire permanent), des précipitations, du ruissellement et des échanges avec la nappe. Le temps de résidence hydraulique moyen (volume total de la retenue divisé par le flux de sortie annuel) est de 97 jours, avec des variations selon les saisons. Les chercheurs font observer que ce temps de résidence varie de 0,04 à 27 jours pour une zone humide reconstruite, donc que les étangs comparent avantageusement sur ce critère.
Au total, 42 substances actives sont utilisées dans ce bassin versant : herbicides (n = 26), fongicides (n = 11), insecticides (n = 4) et molluscicide (n = 1). Le taux d'usage par hectare de terre arable est de 2,1 kg ai pour les herbicides, 0,3 kg ai pour les fongicides, 0,02 kg ai pour les insecticides et 0,06 kg ai pour les molluscicides. Pour des raisons de cohérence méthodologique et de représentativité, les chercheurs ont étudié une sélection de 7 d'entre eux, 5 herbicides (clethodim, clopyralid, fluroxypyr, MCPA, prosulfocarb) et 2 fongicides (boscalid, propiconazole). La campagne d'échantillonnage des eaux à l'amont et à l'aval de l'étang a durée un an de mars 2013 à mars 2014, avec au total 52 échantillons. Seule la phase dissoute aqueuse a été examinée, par spectrométrie de masse tandem (LC-ESI-MS/MS).
La figure ci-dessous indiquent le calcul des charges entrantes, sortantes et l'efficacité de la suppression à l'exutoire (cliquer pour agrandir).
On voit (colonne de droite) que le taux d'élimination dans l'eau à l'exutoire varie de 0-8% pour le prosulfocarb à 100% pour le clopyralid. L'efficacité relative de l'étang dans la réduction de charge en pesticides du flux dépend de multiples facteurs, temps de résidence pour l'hydrolyse, exposition au rayonnement pour la photolyse, etc. Par exemple, les composés basiques comme le prosulfocarb sont peu sensibles à la dégradation physique ou chimique, et dépendent donc surtout de la voie biologique (bio-assimilation). Le composé étant utilisé en octobre, ce n'est pas une période favorable pour ce mode de dégradation, d'où probablement un faible résultat. Les auteurs soulignent que leur étude n'a pas réalisé un bilan de masse total des pesticides dans l'eau, les sédiments, les poissons et les macrophytes, ce qui serait nécessaire pour une analyse plus fine des voies de sédimentation et dégradation, mais aussi pour une évaluation de l'écotoxicité de la charge en polluants du bassin.
Les chercheurs concluent : "la culture en étang piscicole de barrage est une pratique ancienne de production de poisson, et notre recherche montre que, bien que non conçus pour traiter des sources diffuses de polluants, les étangs piscicoles ont un potentiel pour le faire et devraient être intégrés dans les plans régionaux de gestion de qualité de l'eau". Nous ne pouvons que souscrire à cette conclusion. Mais la politique actuelle des Agences de l'eau n'obéit pas vraiment à cette orientation...
Discussion
Il existe déjà une abondante recherche scientifique montrant le rôle positif des retenues et réservoirs sur le cycle du carbone, de l'azote et du phosphore (voir notre rubrique auto-épuration). Ce travail des chercheurs lorrains a pour mérite d'explorer le champ encore peu connu de leur influence sur les micropolluants, en particulier les pesticides.
Le résultat nous rappelle la double faute des choix politiques français et européens en matière de qualité de l'eau.
Première faute : la pollution chimique des milieux aquatiques fait l'objet d'une complaisance manifeste. Il n'existe par exemple que 41 substances surveillées dans l'état chimique au sens de la directive-cadre européenne sur l'eau, alors que des dizaines de milliers de composés d'origine humaine circulent dans les eaux et que plusieurs centaines sont connus pour avoir des effets toxiques. Les pesticides ne sont qu'une famille (certes importante) de polluants, avec les métaux surveillés dans l'état physico-chimique : ils ne doivent pas faire oublier les HAP, les produits pharmaceutiques humains et vétérinaires, les retardateurs de flammes, les micro- et nano-plastiques, et tant d'autres substances que nos stations d'épuration ne sont pas conçues pour éliminer et que nos réseaux de surveillance sont très loin de contrôler en routine. Cette mansuétude des outils de contrôle et des normes de qualité européennes (dénoncée par certains chercheurs voir Stehle et Schulz 2015) est aggravée par un certain laxisme dans la surveillance. Notre plus grande agence de l'eau en terme de linéaire de bassin (Loire-Bretagne) est ainsi incapable de présenter aux citoyens un état chimique DCE en 2016, ce qui montre la faillite des systèmes de contrôle au regard du programme minimaliste de la DCE, a fortiori leur incapacité à analyser les centaines de molécules qui devraient être suivies. L'Union européenne a déjà sévèrement critiqué le rapportage français de la DCE. Même sur des pollutions classiques et anciennes comme les nitrates, la France fait le service minimum alors que sur certains bassins, les progrès ont cessé depuis une quinzaine d'années (voir encore l'exemple de Loire-Bretagne).
Seconde faute : corrélativement à son impuissance historique sur l'analyse et la gestion efficaces de la pollution chimique, et peut-être par un rapport de cause à effet, la France a fait le choix profondément absurde de promouvoir la destruction des chaussées, seuils et barrages qui, alimentant des étangs, des moulins, des usines hydroélectriques, des captages ou des zones récréatives, contribuent à épurer les eaux chargées de contaminants. Au nom d'une "continuité écologique" dont les bénéfices sur les milieux restent bien souvent à démontrer, particulièrement en tête de bassin, et dont les services rendus sont défavorables, on promeut ainsi la diffusion des polluants dans les milieux. Cette dérive tenant à la porosité politico-administrative au marketing des lobbys davantage qu'à l'argumentation scientifique et au principe de précaution doit cesser.
Référence : Gaillard J et al (2016), Potential of barrage fish ponds for the mitigation of pesticide pollution in streams, Environmental Science and Pollution Research, 23, 1, 23-35
Complément : On lira avec profit la thèse de Juliette Gaillard (lien pdf) : Gaillard J (2014), Rôle des étangs de barrage à vocation piscicole dans la dynamique des micropolluants en têtes de bassins versants, Université de Lorraine
Illustration (en haut) : étang de Bussières sur la Romanée, en Morvan.
Juliette Gaillard et ses collègues (Université de Lorraine, Université du Québec, Inra, Anses Nancy) ont examiné la capacité d'un étang piscicole à éliminer la charge en pesticides de son bassin versant. Les auteurs prennent d'abord soin d'exposer les motivations de leur travail.
Pesticides, étangs et précipitation à effacer les barrages
Les herbicides, fongicides et insecticides représentent chaque année une charge de 210.000 tonnes d'ingrédients actifs (ai) appliquée à 178,8 millions d'hectares de surfaces cultivées dans l'Europe des 25. La dose moyenne est de 1,2 kg ai/ha en Europe, mais de 2,3 kg ai/ha en France, marché qui représente à lui seul 28% des phytosanitaires sur le continent. La littérature scientifique estime que 0,1 à 10% des quantités de pesticides appliqués sur les bassins versants finissent dans les masses d'eau superficielles. La directive-cadre européenne (DCE) 2000 impose l'atteinte du bon état chimique des masses d'eau, sur la base d'un échantillon de ces pesticides.
Outre la limitation à la source, une des mesures de compensation envisagées est le développement de zones humides agissant comme des tampons par sorption-desorption (fixation de la molécule) et biodégradation. Les auteurs observent que les caractéristiques favorables des zones humides (augmentation du temps de résidence hydraulique, croissance biologique et sédimentation) se retrouvent aussi bien dans les étangs piscicoles à barrage. Ces étangs sont souvent associés aux petits cours d'eau de tête de bassin versant, dans des zone agricoles ou forestières. On estime qu'ils occupent aujourd'hui une surface de 112.000 ha. Leur développement est très ancien puisque les moines ont généralisé ces viviers en pisciculture extensive dès le Moyen Âge, notamment pour l'élevage de la carpe. Lorraine, Dombes, Brenne, Forez, Bresse, Jura et Franche-Comté sont quelques-unes des régions françaises présentant les plus fortes densités d'étangs piscicoles à barrage.
Les chercheurs observent notamment : "En vue de maintenir la continuité écologique des cours d'eau, la suppression des barrages est actuellement promue. Avant que des actions en ce sens soient entreprises, une meilleure connaissance de l'influence de ces masses d'eau sur la ressource en eau, incluant la qualité de l'eau, est nécessaire". On ne saurait mieux dire: une politique massive d'effacement des ouvrages décidée avant une analyse scientifique approfondie de l'ensemble de leurs effets sur le milieu relève de la croyance idéologique, indigne d'inspirer une politique publique!
Résultat sur un étang lorrain: de 0-8% à 100% d'élimination des pesticides
Juliette Gaillard et ses collègues ont analysé un étang lorrain dans le Saulnois ("pays du sel") au Sud de la Moselle. La surface de l'étang est de 4,4 ha pour un bassin versant de 86,2 ha. Sa profondeur moyenne est de 0,9 m, avec un maximum de 2,2 m au pied du barrage. Les apports d'eau dans le barrage viennent du cours d'eau (seul tributaire permanent), des précipitations, du ruissellement et des échanges avec la nappe. Le temps de résidence hydraulique moyen (volume total de la retenue divisé par le flux de sortie annuel) est de 97 jours, avec des variations selon les saisons. Les chercheurs font observer que ce temps de résidence varie de 0,04 à 27 jours pour une zone humide reconstruite, donc que les étangs comparent avantageusement sur ce critère.
Au total, 42 substances actives sont utilisées dans ce bassin versant : herbicides (n = 26), fongicides (n = 11), insecticides (n = 4) et molluscicide (n = 1). Le taux d'usage par hectare de terre arable est de 2,1 kg ai pour les herbicides, 0,3 kg ai pour les fongicides, 0,02 kg ai pour les insecticides et 0,06 kg ai pour les molluscicides. Pour des raisons de cohérence méthodologique et de représentativité, les chercheurs ont étudié une sélection de 7 d'entre eux, 5 herbicides (clethodim, clopyralid, fluroxypyr, MCPA, prosulfocarb) et 2 fongicides (boscalid, propiconazole). La campagne d'échantillonnage des eaux à l'amont et à l'aval de l'étang a durée un an de mars 2013 à mars 2014, avec au total 52 échantillons. Seule la phase dissoute aqueuse a été examinée, par spectrométrie de masse tandem (LC-ESI-MS/MS).
La figure ci-dessous indiquent le calcul des charges entrantes, sortantes et l'efficacité de la suppression à l'exutoire (cliquer pour agrandir).
Illustration extraite de Gaillard et al 2016, art. cit., droit de courte citation.
Les chercheurs concluent : "la culture en étang piscicole de barrage est une pratique ancienne de production de poisson, et notre recherche montre que, bien que non conçus pour traiter des sources diffuses de polluants, les étangs piscicoles ont un potentiel pour le faire et devraient être intégrés dans les plans régionaux de gestion de qualité de l'eau". Nous ne pouvons que souscrire à cette conclusion. Mais la politique actuelle des Agences de l'eau n'obéit pas vraiment à cette orientation...
Discussion
Il existe déjà une abondante recherche scientifique montrant le rôle positif des retenues et réservoirs sur le cycle du carbone, de l'azote et du phosphore (voir notre rubrique auto-épuration). Ce travail des chercheurs lorrains a pour mérite d'explorer le champ encore peu connu de leur influence sur les micropolluants, en particulier les pesticides.
Le résultat nous rappelle la double faute des choix politiques français et européens en matière de qualité de l'eau.
Première faute : la pollution chimique des milieux aquatiques fait l'objet d'une complaisance manifeste. Il n'existe par exemple que 41 substances surveillées dans l'état chimique au sens de la directive-cadre européenne sur l'eau, alors que des dizaines de milliers de composés d'origine humaine circulent dans les eaux et que plusieurs centaines sont connus pour avoir des effets toxiques. Les pesticides ne sont qu'une famille (certes importante) de polluants, avec les métaux surveillés dans l'état physico-chimique : ils ne doivent pas faire oublier les HAP, les produits pharmaceutiques humains et vétérinaires, les retardateurs de flammes, les micro- et nano-plastiques, et tant d'autres substances que nos stations d'épuration ne sont pas conçues pour éliminer et que nos réseaux de surveillance sont très loin de contrôler en routine. Cette mansuétude des outils de contrôle et des normes de qualité européennes (dénoncée par certains chercheurs voir Stehle et Schulz 2015) est aggravée par un certain laxisme dans la surveillance. Notre plus grande agence de l'eau en terme de linéaire de bassin (Loire-Bretagne) est ainsi incapable de présenter aux citoyens un état chimique DCE en 2016, ce qui montre la faillite des systèmes de contrôle au regard du programme minimaliste de la DCE, a fortiori leur incapacité à analyser les centaines de molécules qui devraient être suivies. L'Union européenne a déjà sévèrement critiqué le rapportage français de la DCE. Même sur des pollutions classiques et anciennes comme les nitrates, la France fait le service minimum alors que sur certains bassins, les progrès ont cessé depuis une quinzaine d'années (voir encore l'exemple de Loire-Bretagne).
Seconde faute : corrélativement à son impuissance historique sur l'analyse et la gestion efficaces de la pollution chimique, et peut-être par un rapport de cause à effet, la France a fait le choix profondément absurde de promouvoir la destruction des chaussées, seuils et barrages qui, alimentant des étangs, des moulins, des usines hydroélectriques, des captages ou des zones récréatives, contribuent à épurer les eaux chargées de contaminants. Au nom d'une "continuité écologique" dont les bénéfices sur les milieux restent bien souvent à démontrer, particulièrement en tête de bassin, et dont les services rendus sont défavorables, on promeut ainsi la diffusion des polluants dans les milieux. Cette dérive tenant à la porosité politico-administrative au marketing des lobbys davantage qu'à l'argumentation scientifique et au principe de précaution doit cesser.
Référence : Gaillard J et al (2016), Potential of barrage fish ponds for the mitigation of pesticide pollution in streams, Environmental Science and Pollution Research, 23, 1, 23-35
Complément : On lira avec profit la thèse de Juliette Gaillard (lien pdf) : Gaillard J (2014), Rôle des étangs de barrage à vocation piscicole dans la dynamique des micropolluants en têtes de bassins versants, Université de Lorraine
Illustration (en haut) : étang de Bussières sur la Romanée, en Morvan.
16/04/2016
Quand des obstacles infranchissables ne posent pas problème à la rivière...
Le réseau Rivières Sauvages, dont nous avons déjà exposé la conception très explosive de la continuité écologique, vient de labelliser deux nouvelles rivières dans l'Ain, la Dorches et la Vézéronce. Ces rivières sont deux affluents rive droite du Rhône. De manière assez amusante, l'une et l'autre présentent deux obstacles naturels tout à fait infranchissables pour les poissons, crustacés, mollusques et autres espèces aquatiques : cascade du château de la Dorches et chute du Pain de sucre sur la Vézéronce (image ci-dessous).
Si l'on en croit la doxa, un tel obstacle infranchissable (naturel ou artificiel) produit un isolement génétique des populations, une pression démographique, une perte de capacité à s'adapter à des altérations ponctuelles et à se repeupler à partir d'un pool externe de recolonisation du lit. Depuis le temps que la nature a placé ces barrières, on devrait donc observer des rivières devenues des quasi-déserts biologiques où survivent de rares populations dégénérées. Pourtant, au regard des critères européens de qualité, les deux rivières sont considérées comme en bon ou très bon état biologique. C'est assez mystérieux. Espérons en tout cas que Rivières sauvages ne "supervise" pas le dynamitage de ces deux obstacles naturels, comme il l'a fait avec un obstacle artificiel (autrement plus modeste) sur la Valserine.
On peut nourrir quelques craintes pour la suite des opérations dans l'Ain. Il est en effet exposé dans le communiqué de Rivières sauvages : "à l’horizon 2018, le Département de l’Ain ambitionne d’obtenir le label 'site rivières sauvages' sur trois nouveaux cours d’eau : la Semine (affluent de la Valserine), la Pernaz (affluent du Rhône), l’Arvière (affluent du Séran), qui présentent toutes des qualités remarquables mais qui nécessitent un programme de restauration et de conservation pour répondre à tous les critères du label". Comme toujours, on nage dans la contradiction : il s'agit de promouvoir des cours d'eau soi-disant "sauvages", mais ces cours d'eau demandent quand même des chantiers humains de recalibrage. Autant dire qu'ils ont été modifiés hier par l'homme dans une direction, le seront demain dans une autre direction, et que tout cela n'a pas grand chose à voir avec le caractère "sauvage" de la rivière : c'est simplement ce qu'une société humaine décide de valoriser à un moment donné de son histoire. Au demeurant, il est tout à fait légitime de valoriser des espaces naturels et récréatifs, si cela ne pose pas de problèmes à la population locale. Mais est-il très pédagogique d'ajouter la confusion de la référence au "sauvage"? La valorisation du naturel passera-t-elle demain par une approche intégriste visant à effacer toute présence humaine permanente en rives?
A noter : d'après certains échanges sur les forums de canyoning, les habitants de Surjoux et alentours (Vézéronce) n'ont pas toujours été tout à fait ravis des hordes de touristes "verts" et de leurs effets sur les milieux ou les propriétés ; quant aux canyoners, ils se plaignent de leur côté des pollutions visibles de l'eau par rejets non conformes. C'est finalement le côté humain, très humain, de ces rivières que l'on prétend "sauvages"...
Sources image : IGN; Office du tourisme Ain ; Mark Reeve droits réservés.
On peut nourrir quelques craintes pour la suite des opérations dans l'Ain. Il est en effet exposé dans le communiqué de Rivières sauvages : "à l’horizon 2018, le Département de l’Ain ambitionne d’obtenir le label 'site rivières sauvages' sur trois nouveaux cours d’eau : la Semine (affluent de la Valserine), la Pernaz (affluent du Rhône), l’Arvière (affluent du Séran), qui présentent toutes des qualités remarquables mais qui nécessitent un programme de restauration et de conservation pour répondre à tous les critères du label". Comme toujours, on nage dans la contradiction : il s'agit de promouvoir des cours d'eau soi-disant "sauvages", mais ces cours d'eau demandent quand même des chantiers humains de recalibrage. Autant dire qu'ils ont été modifiés hier par l'homme dans une direction, le seront demain dans une autre direction, et que tout cela n'a pas grand chose à voir avec le caractère "sauvage" de la rivière : c'est simplement ce qu'une société humaine décide de valoriser à un moment donné de son histoire. Au demeurant, il est tout à fait légitime de valoriser des espaces naturels et récréatifs, si cela ne pose pas de problèmes à la population locale. Mais est-il très pédagogique d'ajouter la confusion de la référence au "sauvage"? La valorisation du naturel passera-t-elle demain par une approche intégriste visant à effacer toute présence humaine permanente en rives?
A noter : d'après certains échanges sur les forums de canyoning, les habitants de Surjoux et alentours (Vézéronce) n'ont pas toujours été tout à fait ravis des hordes de touristes "verts" et de leurs effets sur les milieux ou les propriétés ; quant aux canyoners, ils se plaignent de leur côté des pollutions visibles de l'eau par rejets non conformes. C'est finalement le côté humain, très humain, de ces rivières que l'on prétend "sauvages"...
15/04/2016
Loi Patrimoine et protection des moulins: où en est-on?
La loi "Liberté de création, architecture et patrimoine", dite plus simplement loi Patrimoine ou loi PAC, est en cours d'élaboration à l'Assemblée nationale et au Sénat. Plusieurs amendements ont été défendus par des élus, mais les plus intéressants ont été censurés par les députés. Point sur la suite des délibérations parlementaires.
En mars, à l'occasion de la seconde lecture de la loi Patrimoine, l'Assemblée nationale a supprimé un article proposé en amendement qui assurait l'introduction des "systèmes hydrauliques" comme "élément du patrimoine culturel, historique et paysager" protégé de la France. Les députés ont également écarté une modification de l'article L 211-1 du Code de l'environnement visant à garantir que la "gestion équilibrée et durable" de la ressource en eau assure la préservation de ce patrimoine. Il est assez dramatique que nos élus ne conçoivent pas la protection du patrimoine bâti des rivières comme une condition d'équilibre de leur gestion: veut-on signer un blanc-seing au lobby du BTP qui, sous couvert d'un pseudo-progrès pseudo-écologique, se frotte les mains face à la multiplication des chantiers à financement public de destruction et démantèlement d'ouvrages? Va-t-on rester passif face à cette mode absurde qui prétend effacer dix siècles d'histoire sans même être capable de garantir le moindre objectif de résultat vis-à-vis de nos vraies obligations sur la qualité biologique, chimique et physique de l'eau?
Le seul élément de protection qui a pour le moment échappé à la lecture en forme de censure de l'Assemblée concerne l'article L 214-17 CE. Les exigences de la continuité écologique (transport suffisant des sédiments et circulation des poissons migrateurs) doivent être "mises en oeuvre dans le respect des objectifs de protection, de conservation et de mise en valeur du patrimoine protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l'article L151-19 du code de l'urbanisme", dans la formulation actuellement retenue en amendement.
Dans l'hypothèse où cette protection serait maintenue, il resterait à définir sa concrétisation : un groupe de travail, mis en place par le Ministère de la Culture, doit examiner la manière de concilier les objectifs de continuité écologique et la problématique des chaussées de moulins. Espérons que le remède ne soit pas pire que le mal et n'ajoute pas un peu plus de complications sur un dossier déjà ingérable pour les propriétaires à force d'inflation réglementaire depuis 10 ans...
La seconde lecture de la loi Patrimoine au Sénat reprend le 24 mai prochain. Il faut que les associations de moulins, riverains et protecteurs du patrimoine se mobilisent en écrivant à leurs élus pour revenir à un texte garantissant une meilleure défense des ouvrages hydrauliques.
Chercher des solutions simples, et déjà sortir de l'idéologie destructrice de la "renaturation"
Sur le fond, la conciliation de la continuité écologique et du patrimoine est assez simple : il suffit (quand c'est réellement nécessaire) de financer des passes à poissons ou rivières de contournement, permettant de restaurer la franchissabilité piscicole tout en préservant les sites et leur vocation hydraulique. Sachant que l'enjeu sédimentaire d'un ouvrage modeste est à peu près nul.
Mais voilà, le non-dit de toute cette affaire, c'est que la Direction de l'eau et la biodiversité du Ministère de l'Environnement, l'Onema et les Agences de l'eau ont développé depuis 10 ans un programme de destruction de seuils et barrages allant bien au-delà des exigences de la loi. Cette idéologie de la renaturation ne veut pas seulement assurer le franchissement des poissons, elle entend faire disparaître tout bief, toute retenue, tout obstacle à l'écoulement. Fonctionnant comme réductionnisme écologique appauvri, cette vision est incapable de concevoir que les rivières, leurs ouvrages, leurs usages sont aussi des faits historiques et sociaux, que l'on ne peut pas réduire à une simple naturalité (encore moins quand cette naturalité confine au fantasme de la "rivière sauvage" ou de l'"intégrité biotique", avec comme horizon des peuplements "natifs" indéfiniment stables dans l'évolution, voir les critiques de Lévêque 2013, Bouleau et Pont 2015.)
Tant que cette dérive ne sera pas identifiée et combattue, les problèmes persisteront dans la mise en oeuvre de la continuité écologique. Et les milieux aquatiques continueront de se dégrader des multiples agressions dont ils sont victimes, l'effet des seuils de moulins étant le plus souvent négligeable par rapport aux autres impacts, outre les nombreux services rendus par les écosystèmes aménagés par rapport à des rivières "sauvages".
En mars, à l'occasion de la seconde lecture de la loi Patrimoine, l'Assemblée nationale a supprimé un article proposé en amendement qui assurait l'introduction des "systèmes hydrauliques" comme "élément du patrimoine culturel, historique et paysager" protégé de la France. Les députés ont également écarté une modification de l'article L 211-1 du Code de l'environnement visant à garantir que la "gestion équilibrée et durable" de la ressource en eau assure la préservation de ce patrimoine. Il est assez dramatique que nos élus ne conçoivent pas la protection du patrimoine bâti des rivières comme une condition d'équilibre de leur gestion: veut-on signer un blanc-seing au lobby du BTP qui, sous couvert d'un pseudo-progrès pseudo-écologique, se frotte les mains face à la multiplication des chantiers à financement public de destruction et démantèlement d'ouvrages? Va-t-on rester passif face à cette mode absurde qui prétend effacer dix siècles d'histoire sans même être capable de garantir le moindre objectif de résultat vis-à-vis de nos vraies obligations sur la qualité biologique, chimique et physique de l'eau?
Le seul élément de protection qui a pour le moment échappé à la lecture en forme de censure de l'Assemblée concerne l'article L 214-17 CE. Les exigences de la continuité écologique (transport suffisant des sédiments et circulation des poissons migrateurs) doivent être "mises en oeuvre dans le respect des objectifs de protection, de conservation et de mise en valeur du patrimoine protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l'article L151-19 du code de l'urbanisme", dans la formulation actuellement retenue en amendement.
Dans l'hypothèse où cette protection serait maintenue, il resterait à définir sa concrétisation : un groupe de travail, mis en place par le Ministère de la Culture, doit examiner la manière de concilier les objectifs de continuité écologique et la problématique des chaussées de moulins. Espérons que le remède ne soit pas pire que le mal et n'ajoute pas un peu plus de complications sur un dossier déjà ingérable pour les propriétaires à force d'inflation réglementaire depuis 10 ans...
La seconde lecture de la loi Patrimoine au Sénat reprend le 24 mai prochain. Il faut que les associations de moulins, riverains et protecteurs du patrimoine se mobilisent en écrivant à leurs élus pour revenir à un texte garantissant une meilleure défense des ouvrages hydrauliques.
Chercher des solutions simples, et déjà sortir de l'idéologie destructrice de la "renaturation"
Sur le fond, la conciliation de la continuité écologique et du patrimoine est assez simple : il suffit (quand c'est réellement nécessaire) de financer des passes à poissons ou rivières de contournement, permettant de restaurer la franchissabilité piscicole tout en préservant les sites et leur vocation hydraulique. Sachant que l'enjeu sédimentaire d'un ouvrage modeste est à peu près nul.
Mais voilà, le non-dit de toute cette affaire, c'est que la Direction de l'eau et la biodiversité du Ministère de l'Environnement, l'Onema et les Agences de l'eau ont développé depuis 10 ans un programme de destruction de seuils et barrages allant bien au-delà des exigences de la loi. Cette idéologie de la renaturation ne veut pas seulement assurer le franchissement des poissons, elle entend faire disparaître tout bief, toute retenue, tout obstacle à l'écoulement. Fonctionnant comme réductionnisme écologique appauvri, cette vision est incapable de concevoir que les rivières, leurs ouvrages, leurs usages sont aussi des faits historiques et sociaux, que l'on ne peut pas réduire à une simple naturalité (encore moins quand cette naturalité confine au fantasme de la "rivière sauvage" ou de l'"intégrité biotique", avec comme horizon des peuplements "natifs" indéfiniment stables dans l'évolution, voir les critiques de Lévêque 2013, Bouleau et Pont 2015.)
Tant que cette dérive ne sera pas identifiée et combattue, les problèmes persisteront dans la mise en oeuvre de la continuité écologique. Et les milieux aquatiques continueront de se dégrader des multiples agressions dont ils sont victimes, l'effet des seuils de moulins étant le plus souvent négligeable par rapport aux autres impacts, outre les nombreux services rendus par les écosystèmes aménagés par rapport à des rivières "sauvages".
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