05/06/2016

Greensplashing: le grand désordre de la politique de l'eau

En anglais le verbe splash veut dire à la fois "éclaboussser" et "faire sensation". Ce que nous appelons greensplashing dans le domaine de l'eau, c'est une politique écologique produisant des annonces et multipliant des mesures dans tous les sens, sans modélisation préalable, sans cohérence globale, sans effet optimal. La prime actuelle en faveur d'opérations de suppression des ouvrages ou de renaturation des sites en est une illustration : désordre dans l'analyse des problèmes écologiques des rivières, profusion d'actions non coordonnées, inclinaison à mettre en valeur des chantiers plus spectaculaires qu'efficaces. Ce greensplashing est aussi l'alibi d'évitement des questions de fond, que l'on n'ose même pas poser: quelles rivières voulons-nous, quelles natures voulons-nous?

On connaît déjà le greenwashing, pratique consistant à utiliser des prises de position favorables à l'environnement sans engagement substantiel derrière, comme pur argument de communication publicitaire, réputationnelle ou institutionnelle. Le terme ne s'applique pas vraiment aux politiques publiques de l'eau : elles sont effectivement (et non superficiellement) engagées dans une tentative d'améliorer la qualité de l'eau. Leur problème : elles s'y prennent mal.

Il y a certes quelques réussites, comme le recul des phosphates depuis 25 ans, mais beaucoup d'échecs, à commencer par la faible progression de l'état écologique et chimique des masses d'eau tel que l'Europe le définit depuis l'année 2000. Une partie de ces échecs vient d'un choix discutable de la Commission européenne et des experts qui l'ont conseillée sur ce dossier : l'idée fausse selon laquelle des rivières anthropisées de longue date pourraient revenir facilement vers un état de référence "naturel" (voir Bouleau et Pont 2015). En vérité, ce n'est pas facile du tout, et c'est même assez improbable qu'un hydrosystème modifié revienne à l'état dans lequel il était voici 50 ans, 500 ans ou 5000 ans. Il n'est pas dit que ce soit toujours désirable non plus. La nature comme la société change tout le temps, et en général ces deux-là changent irréversiblement.

Mais une autre partie de l'échec français de la politique de l'eau vient des institutions publiques et de leurs choix. Et c'est là qu'intervient le greensplashing. Le greensplashing, c'est à la fois un désordre dans l'analyse des problèmes écologiques des rivières, une profusion d'actions non coordonnées et une inclinaison à mettre en valeur des actions plus spectaculaires qu'efficaces.


Programmations sans colonne vertébrale : la fabrique du greensplashing
Premier point de désordre : les textes de conception et programmation de la politique publique, synthèses Onema, SDAGE, SAGE, contrats rivières et autres. Cela part dans tous les sens, sous forme de catalogues de bonnes intentions de la lutte contre le réchauffement climatique, les pollutions diffuses, les prélèvements excessifs, la fragmentation longitudinale et latérale, la dégradation ou l'urbanisation des lits majeurs, etc. Il manque dans tout cela la colonne vertébrale, la base de toute politique fondée sur la preuve et la donnée : la modélisation scientifique.

Un modèle, c'est simplement ce qui permet d'intégrer des données pour produire une bonne description des phénomènes et une bonne prédiction de leur évolution.

Enumérer des pressions ne dit rien, il faut connaître leurs effets relatifs sur les milieux, leurs synergies, estimer les probabilités de réponse en cas d'atténuation ou élimination des pressions, analyser de manière réaliste le coût et la facilité d'adoption des mesures, connaître les échelles spatiales et temporelles de réponse des milieux. C'est le rôle d'une science multidisciplinaire de la conservation, préservation et restauration des milieux aquatiques. On n'adresse pas un phénomène complexe comme la rivière (et ses riverains!) avec un catalogue plus ou moins arbitraire d'actions "mécanistiques" sur une somme incomplète de causes isolées, en espérant qu'au bout du compte tout cela produira un effet… largement inconnu dans son ampleur et son délai.

Une bonne science n'est pas seulement là pour donner de bonnes directions, elle est aussi nécessaire pour circonscrire nos incertitudes : incertitude provisoire liée à un défaut de données ou de modèles, incertitude structurelle liée au caractère non prédictible d'un phénomène. Comment un gestionnaire ou un politique peut-il espérer être crédible s'il promet toutes sortes de résultats sans élément tangible sur le degré de certitude de leur réalisation? C'est la pensée magique. Ou du greensplashing.

La politique de l'eau est en retard dans ce recours à la science et à la modélisation, et on peut comparer avec la politique du climat : combattrait-on le réchauffement climatique sans avoir 50 ans de modèles derrière nous, sans mesurer la part relative de chaque gaz à effet de serre et de chaque source d'émission de ces gaz, sans avoir une idée précise de leur pouvoir radiatif et une fourchette à peu près fiable de leur effet sur la température de surface après rétro-actions? Si l'on ne change que marginalement la part d'émission liée au transport et à la production d'énergie, on ne luttera que marginalement contre l'effet de serre anthropique. Multiplier des actions et des déclarations sur des sources mineures, cela ne change pas le problème au point de vue physique, et cela l'aggrave au point de vue sociopolitique puisqu'on entretient l'illusion de l'efficience, laissant à la génération suivante le soin de traiter le problème différé. Pour l'eau, nous en sommes à peu près là : on fait beaucoup de choses, mais sans idée du résultat, sans même savoir parfois si la prévision d'un résultat est possible.

Saupoudrage sans queue ni tête dans l'action locale : la pratique du greensplashing
Second symptôme du greensplashing : le grand désordre dans l'exécution des programmes en rivière. Prenons pour exemple le domaine de la restauration physique des rivières, qui connaît une importance croissante dans les programmes d'intervention des Agences de l'eau (voir Morandi et al 2016), en particulier la continuité écologique longitudinale. C'est aussi l'exemple que nous connaissons le mieux dans notre pratique associative.

Qu'observe-t-on sur le terrain ? Les aménagements n'ont aucune cohérence en terme de continuité, les ouvrages aval ne sont pas traités avant les ouvrages amont, les grands barrages infranchissables ne sont pas aménagés avant les petits seuils partiellement ou totalement franchissables. Les syndicats, parcs naturels et autres exécutants de la politique de l'eau ne développent (quasiment) jamais de modèle de connectivité sur les bassins versants dont ils ont la charge, de sorte qu'ils sont incapables de hiérarchiser les tronçons et les stations selon leur importance écologique dans le réseau hydrographique. Les pêches de contrôle sur l'ensemble du linéaire sont rarement disponibles et quand elles le sont, on ne les compare pas aux données historiques connues des populations piscicoles, de sorte qu'on ne connaît pas la tendance de long terme des assemblages locaux, leur risque d'extinction, leur résilience, etc. Les indicateurs de biodiversité ne sont pas plus mobilisés, alors qu'un des objectifs affichés est d'améliorer la richesse spécifique, taxonomique et fonctionnelle d'un hydrosystème, laquelle ne se résume pas à quelques espèces de poissons spécialisés. La dynamique sédimentaire du bassin versant n'est pas analysée, et quand elle l'est, on ne tient de toute façon pas compte des conclusions (syndrome de l'enfermement de l'étude dans un tiroir et de la poursuite de la politique généraliste exigée par le financeur public, fut-elle contredite ou relativisée par les conclusions empiriques d'une analyse locale). Le changement climatique n'est pas intégré dans les choix d'aménagement, alors qu'il est supposé être le premier facteur de contrôle des paramètres hydrologique et thermique.

La même chose s'observe pour certaines restaurations mineures de berges ou de lits. Il n'y a pas d'analyses avant-après sur des indicateurs définis comme d'intérêt écologique: on intervient à l'aveugle, en supposant qu'un certain type de micro-habitat (largeur-débit-pente-substrat) aurait un intérêt "supérieur" par rapport à l'habitat existant, mais en ne le démontrant pas avant d'agir et en ne le vérifiant pas après l'action. C'est donc le greensplashing dans toute sa splendeur : multiplication de petites actions plus ou moins opportunistes et arbitraires, communication satisfaite sur le caractère "visible" de l'action, défaut d'une vision d'ensemble de la rivière (y compris déjà une vision écologique substantielle) et de rigueur sur l'analyse des résultats, c'est-à-dire les bénéfices écologiques en face des coûts économiques.

Comment en sortir?
Depuis une quarantaine d'années, l'écologie s'est institutionnalisée et "scientificisée". L'âge des contestations romantiques ou révolutionnaires de la société industrielle est derrière nous, de même que l'âge des généralités généreuses où il suffit de prononcer quelques mots "totems" consensuels pour verdir sa parole et recueillir un blanc seing de sa politique. Dans la même période, nous avons appris une chose : l'économie et l'environnement ne font pas forcément bon ménage. Le reconnaître posément et en débattre est mieux que de vouloir euphémiser, relativiser, brouiller dans d'improbables discours publics (ou privés) promettant toujours plus de croissance économique avec toujours moins de flux énergétiques et matériels ayant des effets sur la biosphère. Si nous sommes dans l'âge de l'Anthropocène, il faut l'assumer : la nature n'est pas cette instance séparée de l'humanité, mais le co-produit de l'action humaine. Quelles natures voulons-nous? Quelles rivières voulons-nous? La réponse n'est plus soluble dans les conservations et restaurations d'une naturalité idéale (voir Lévêque et van der Leeuw ed 2003).

Au cours de ces quatre décennies, l'environnement est aussi entré dans la norme, la loi et la réglementation, ce qui implique des contrôles, des coûts, des contraintes. Donc une vigilance sur la légitimation scientifique des choix publics et une exigence démocratique sur leurs justifications. L'écologie comme idéologie offre trop souvent un prisme à peu près inexploitable: tout ce qui est favorable à la "nature" est bon et prioritaire. Sauf que cela ne fonctionne pas ainsi dans une société: l'environnement n'est qu'un des paramètres d'une politique publique, les citoyens ne définissent pas le "bon" de la même manière (selon leurs valeurs, leurs cultures, leurs intérêts, leurs expériences… tout ce qui fait l'heureuse diversité humaine), la "nature" est toujours une représentation construite, les chercheurs et experts sont rarement en situation de consensus, la limitation de tout budget implique des priorités, la volonté de muséifier la nature et de proscrire tout impact n'a pas de sens, etc.

Comment sortir du greensplashing (et aussi bien du greenwashing, pas plus enviable)? Voici quelques pistes de réflexion:
  • sortir de la pseudo-logique de l'urgence sur fond de catastrophisme déplacé ou de contraintes intenables (dénoncer notamment l'objectif fantaisiste de la DCE sur un "bon état écologique et chimique de 100% des masses d'eau" en 2027, calendrier de technocrates déconnectés sans aucun réalisme sur l'état actuel des rivières et des nappes, la difficulté institutionnelle et sociétale à développer des projets les concernant, le coût économique des compensations et des restaurations, le temps de relaxation des milieux);
  • proposer à nos partenaires européens et internationaux la création d'un "GIEC de l'eau", initiative qui a une cohérence dans son objet multidiciplinaire d'étude en même temps qu'elle répond à des enjeux écologiques, économiques et sociaux de première importance à échelle du siècle;
  • développer les budgets de la recherche académique sur l'eau, tant pour améliorer la connaissance fondamentale que pour produire des modèles applicables par le gestionnaire sur les différents domaines d'intérêt (le débit, la température, la pollution, la connectivité, les métapopulations, etc.) et définir les domaines où l'incertitude systémique ne permet aucune prédiction fiable;
  • financer des acquisitions et bancarisations de données, qui manquent sur la plupart des masses d'eau, des indicateurs d'intérêt écologique et des populations;
  • construire des projets pilotes exemplaires au plan de la qualité de la gouvernance démocratique et de la rigueur du suivi scientifique, dont le bilan permettra de décider de l'intérêt à les généraliser;
  • promouvoir le principe de gestion adaptative et intégrative, c'est-à-dire systématiser la concertation, la consultation et le retour d'expérience pour corriger les choix s'ils se révèlent inopérants  (au lieu de programmes contraignants à l'issue déjà fixée à l'avance);
  • définir et engager les seules actions "sans regret" où il existe un consensus fort sur la programmation (évidence d'un effet toujours nuisible aux milieux ou d'une menace d'extinction) et une solvabilité économique dans la réalisation;
  • prendre au sérieux les critères de gestion environnementale comme les services rendus par les écosystèmes, qui ne sont pas des déclarations d'intention floues mais d'abord des outils d'objectivation des bénéfices environnementaux pour les sociétés.

04/06/2016

Quelques réflexions sur les inondations du printemps 2016

Le centre de la France est frappé par des inondations, dont la médiatisation nationale est renforcée par le fait qu'elles touchent la région parisienne. La réflexion actuelle sur les écoulements de rivière est souvent dominée par l'idée d'une restauration de leur libre circulation, ou renaturation. Les crues et leur cortège de détresses rappellent que l'attente sociale se situe plutôt du côté de la maîtrise et du contrôle des flots (création et entretien de retenues, de digues, de fossés d'évacuation). On aurait cependant tort d'opposer systématiquement une approche à l'autre : sur un sujet touchant la sécurité des biens et des personnes, engageant aussi la responsabilité des autorités, les positions dogmatiques doivent céder la place à des analyses empiriques. C'est d'autant plus nécessaire qu'avec la Gemapi, dont le "pi" signifie "prévention des inondations", les élus locaux et les établissements de bassin versant vont être sous pression pour garantir une dépense publique de l'eau orientée sur les priorités d'intérêt général. 


Les crues et inondations sont des aléas naturels, à la mémoire aussi ancienne et douloureuse que celle de l'humanité. On peut en limiter les effets, on ne peut en effacer les causes. Par définition, des épisodes hydro-météorologiques exceptionnels produiront toujours des débits exceptionnels, qu'il s'agisse de crues lentes par saturation des sols et aquifères, de crues rapides de quelques jours par épisodes pluvieux très soutenus, voire de crues éclairs de quelques heures. Toutes choses égales par ailleurs, le changement climatique risque d'augmenter la probabilité des phénomènes extrêmes au long de ce siècle : plus d'énergie dans le système climatique (effet de serre) signifie plus d'évaporation, de convection, de transport. Donc une intensification attendue du cycle de l'eau, même si les déclinaisons régionales et locales sont impossibles à prédire avec précision.

Les crues de la fin mai et du début juin 2016 ont été provoquées par le blocage d'une perturbation active au sud de l'Allemagne, avec des remontées d'air chaud et humide entraînant des précipitations exceptionnelles. Sur la période du 28 mai au 1er juin, les départements les plus affectés ont été le Loiret, le Loir-et-Cher, le Cher, l'Essonne et l'Yonne avec une quantité d'eau tombée en trois jours sans équivalent depuis 1960. Des niveaux de crue centennale ont été atteints sur certains tronçons du Loing. Le barrage de Pannecière (Yonne), dont la fonction est d'écrêter les crues de l'Yonne et de la Seine, a saturé sa capacité de retenue. Les crues étant limitées à certains affluents de rive gauche, la Seine est cependant restée assez loin du niveau atteint à Paris en 1910 (8,62 m, en 2016 6,10 m), les 7 m ayant été dépassés en 1920 et 1955. Le niveau des 6 m atteint en 2016 l'a été 8 fois depuis 1872, la crue la plus récente du même ordre se plaçant en 1982.

Notre époque a globalement diminué la vulnérabilité des personnes par rapport aux bilans meurtriers des crues frappant les générations précédentes, mais elle est devenue extrêmement sensible à l'aléa, rêvant d'un "risque zéro" qui n'existe pas. Pourtant, certains facteurs relevant de la responsabilité humaine aggravent les effets locaux puis cumulatifs des crues.

Ainsi, les sols labourés ou artificialisés, les zones dévégétalisées retiennent moins l'eau et ruissellent plus rapidement, les lits majeurs déconnectés voire occupés par des bâtis ne servent plus de champ d'expansion latérale de l'écoulement, la construction en zone inondable produit un jour ou l'autre la dégradation par inondation (le "risqueur" étant rarement le payeur dans ces cas-là, le régime d'indemnisation pour catastrophe naturelle depuis 1982 collectivisant le risque). Par ailleurs, notre capital immobilisé (propriétés privées, équipements publics) s'est accru de manière régulière au fil des générations, donc une crue de même intensité provoque davantage de dégâts matériels et de coûts assurantiels aujourd'hui qu'hier. Ces tendances sont aggravées par une perte de la mémoire du risque : les plus grandes inondations à échelle de bassins fluviaux se situent entre le XVIIIe siècle et la première partie du XXe siècle en France, les années 1950-1980 ont plutôt été marquées par un certain "repos hydrologique" ayant assoupi la réflexion sur une génération. Cela sur fond de dé-naturation tendancielle des modes de vie et des représentations : les sociétés de plus en plus urbaines sont de plus en plus coupées de l'exposition directe aux cycles naturels, coupure propice à des représentations quelque peu ignorantes, voire fantasmatiques, de la nature.


Les crues et inondations posent la question des stratégies d'aménagement des bassins versants: une fois reconnu que le risque zéro n'existe pas, il reste légitime de chercher à minimiser ce risque dans la durée.

La réponse traditionnelle aux crues consiste dans des travaux de modification des écoulements : digue, barrages, retenues, canaux et fossés de décharge, etc. C'est le paradigme du contrôle hydraulique, qui a présidé pendant près de deux siècles aux choix des grands services d'aménagement comme les Ponts & chaussées (avant déjà, aux digues et levées au bord des fleuves et rivières). Face à cette option hydraulique, il existe un paradigme hydro-écologique : ne plus chercher à contraindre la rivière, mais modifier plutôt les pratiques humaines de façon à réduire la puissance des crues et limiter les impacts des inondations, tout en produisant des effets écologiquement désirables (typiquement, relibérer la plaine d'inondation). Ces deux paradigmes n'ont pas la même temporalité : on peut construire assez rapidement des aménagements hydrauliques – quoique les précautions de chantier, études d'impact et voies de recours rendent les choses plus difficiles aujourd'hui qu'hier –, on ne peut modifier que lentement l'hydromorphologie d'un bassin versant, ce qui suppose notamment de changer en profondeur des pratiques d'urbanisation et d'agriculture déjà implantées.

Il est probable qu'il existe de bonnes et de mauvaises idées dans ces stratégies hydrauliques / hydro-écologiques en rapport aux crues et inondations. La recherche doit l'étudier en priorité, par des analyses de cas et des modélisations. Il est nécessaire de faire le bilan hydrologique réel de ces options, mais on s'aperçoit par exemple que la très récente expertise collective ayant théoriquement cet objectif (analyse des effets cumulés des retenues) ne produit pas de réponse claire sur le sujet (Irtsea 2016, voir nos commentaires). Nous sommes donc en situation d'incertitude, le premier besoin est de la réduire par davantage de recherche et des débats publics alimentés par des données objectives.

Ce dont il faut symétriquement se déprendre, ce sont les positions dogmatiques. Dans l'état actuel des représentations du gestionnaire français, on se méfiera particulièrement du dogme très à la mode de la restauration morphologique, visant à libérer et renaturer les écoulements tout en rendant complexes voire impossibles les créations de retenues, les restaurations de barrages, les entretiens de digues, les curages de fossés, etc. Cela fait par exemple 20 ans que le programme d'un 5e grand lac réservoir de protection des crues de la Seine est à l'étude (La Bassée en Seine-et-Marne), mais bloqué. Sur certaines communes, comme Auvernaux, des élus se plaignent déjà de la complexité de curage des fossés d'évacuation des eaux de crue. On a agi de manière excessive dans un certain sens voici quelques décennies, avec une tendance au bétonnage, au recalibrage et à l'exploitation systématique des lits, des berges, des versants ; gardons-nous de montrer la même outrance mal informée en sens inverse, sous prétexte d'une tardive mais soudaine illumination écologique de l'ingénierie.

L'année 2018 verra la mise en place de la Gemapi (gestion des eaux, des milieux aquatiques et de prévention des inondations), dont la responsabilité reviendra désormais aux intercommunalités et aux établissements de bassin versant. Le volet "inondations" va être au centre de l'attention, car il a des conséquences humaines et juridiques fortes (outre le fait qu'en face d'une nouvelle taxe sur l'eau, chacun exigera des résultats concrets). La politique de l'eau n'a pas aujourd'hui les moyens de l'ensemble de ses ambitions, et la pratique actuelle du "saupoudrage" des financements (un peu pour la pollution, un peu pour la restauration, un peu pour le risque inondation…) ne manquera pas d'être questionnée de manière beaucoup plus critique. Il est du devoir des élus et des associations de terrain de rappeler où sont les priorités de l'action publique, pas seulement en analysant ce que l'on fait, mais aussi en alarmant sur ce que l'on ne fait pas. Car à budget limité, c'est un jeu à somme nulle : ce qui est dépensé sur un poste ne l'est pas sur un autre.

Vu les résultats médiocres de notre pays sur la qualité écologique et chimique des eaux, vu le retour régulier des problématiques de crues et inondations (aussi bien que de sécheresses et d'étiages sévères) et vu la probabilité que ces questions deviennent plus aiguës au fil des ans, nous n'aurons pas vraiment le luxe de continuer longtemps des diagnostics sommaires et des choix inefficaces. La première leçon des inondations, c'est un rappel des responsabilités dans la hiérarchie des priorités et la nécessité d'une politique à long terme fondée sur une information scientifique fiable.

A lire en complément
OCE (2013), Crues, inondations, étiages, pour une évaluation du risque lié à la modification des obstacles à l'écoulement, (pdf)

Illustrations : le zouave du Pont de l'Alma (Seine, Paris le 3 juin 2016, Siren-Com CC share alike 4.0) ; le Loing à Moret-sur-Loing, République de Seine et Marne du 2 juin 2016, droits réservés.

02/06/2016

Destruction des ouvrages hydrauliques de l'Orge: l'Etat passe en force

Malgré un avis négatif du commissaire-enquêteur à l'issue de l'enquête publique, le Préfet de l'Essonne vient d'autoriser la destruction des ouvrages hydrauliques de l'Orge. Encore un choix méprisant la concertation démocratique et le devoir de précaution des politiques publiques. 

Les parlementaires interrogeant le Ministère de l'Environnement sur les dérives de la continuité écologique reçoivent des réponses apaisantes. A en croire nos hauts fonctionnaires hors-sol, "les ouvrages concernés font l'objet d'informations, de concertations, d'études multicritères, afin de rechercher la meilleure solution technique et financière".

Mais voilà, c'est un mensonge. Un de plus depuis dix ans que la Direction de l'eau et de la biodiversité trompe son monde en menant un programme non concerté, sous-informé et précipité de destruction du maximum d'ouvrages hydrauliques en rivière.


Le Syndicat mixte de la Vallée de l'Orge a présenté en 2015 un dossier de déclaration d'intérêt général (DIG) en vue de démanteler 7 ouvrages sur l'Orge aval. Comme nous l'avions exposé, le commissaire-enquêteur a rendu un avis défavorable à ce projet au terme de l'enquête publique. Sa critique n'était pas mince : la copie du syndicat manquait des éléments essentiels à tout projet de restauration digne de ce nom (gain écologique et chimique, information des riverains, bilan du risque inondation, étude géologique des fondations du bâti, etc.).

Par arrêté du 25 avril 2016 (pdf), le Préfet de l'Essonne vient d'autoriser malgré tout le démantèlement des ouvrages. La Ministre de l'Environnement avait demandé en décembre 2015 de suspendre les effacements posant des problèmes, en attendant le rapport du CGEDD : peine perdue, la machine administrative à effacer continue son travail destructeur, au mépris de la concertation démocratique.

Nous appelons bien entendu les propriétaires et riverains refusant cette issue à déposer au tribunal administratif une requête en annulation de cet arrêté (voir article 29 du texte en lien), et nous sommes à leur disposition pour les aider à motiver cette requête.

A noter
Une étude de l'Université Paris 6 sur l'Orge avait montré que les banquettes latérales mises à jour par la suppression des clapets sont, en bilan de flux global, des sources d'azote pour la rivière (en raison de la phase ammonium notamment), voir cette présentation de Cécile et al 2014. Mais le Ministère de l'Environnement n'étant toujours pas capable d'appliquer la Directive Nitrates de 1991, on sait bien que la pollution chimique de l'eau n'est plus la priorité face au nouveau dogme de la renaturation morphologique. L'Orge aval étant très urbanisée, et la plupart des stations d'épuration n'étant pas adaptées au traitement des micropolluants émergents, les poissons de la rivière "renaturée" jouiront en toute liberté d'un cocktail de contaminants, cocktail qui ira ensuite se déverser sans contrainte vers la Seine…

A lire en complément
Les vrais blocages de la continuité écologique: un collectif d'associations écrit au CGEDD
Tonnerre, Avallon, Belan-sur-Ource... les effacements d'ouvrages continuent de plus belle

31/05/2016

La petite hydraulique en 1927 et aujourd'hui

Entre 1927 et aujourd'hui, la puissance installée de la petite hydro-électricité a augmenté. Mais le nombre de sites produisant à partir de l'énergie hydraulique (électrique et non-électrique) a quant à lui chuté d'un facteur 10. Les sites se sont donc modernisés, mais concentrés. La plupart des ouvrages étant encore en place, il existe un potentiel de développement hydro-électrique bien réparti sur l'ensemble du territoire national, en autoconsommation comme en injection réseau. A l'heure où la France souhaite développer des alternatives aux sources fossiles et fissiles, faire émerger des projets hydrauliques locaux doit devenir une option à part entière de la politique énergétique et climatique des territoires.

En 1927, la France totalisait 345 usines hydro-électriques entre 150 et 1000 kVA (puissance totale installée 110,03 MW), 3905 usines de moins de 150 kVA (puissance totale 79,80 MW) et 29253 moulins et usines à eau non électriques (puissance totale 396,90 MW). Par ailleurs, il y avait déjà plus de 700 usines hydro-électriques d'une puissance supérieure à 1000 kVA (totalisant 954,90 MW de puissance, non représentées dans le tableau ci-dessous). Cliquer l'image pour agrandir ou télécharger, et voir l'équipement de votre département en 1927.


On peut observer les points suivants :
  • si des grands barrages hydro-électriques ont été construits après 1927, une bonne part de la puissance installée était déjà en place au premier tiers du XXe siècle;
  • en tendance, le nombre d'usines hydro-électriques a plutôt baissé entre 1927 et aujourd'hui (on estime qu'il y a environ 2500 producteurs de petite puissance injectant sur le réseau), mais la puissance de ces petits producteurs a augmenté (de l'ordre de 2000 MW aujourd'hui);
  • il existerait sur les rivières françaises entre 100.000 et 120.000 obstacles à écoulement dont 60.000 à 80.000 seraient des seuils de moulins ou barrages d'usages divers. Le potentiel de développement de la petite et très petite hydro-électricité sur ces ouvrages déjà en place reste donc important sur le territoire national;
  • la puissance mobilisable par la petite hydro-électricité est modeste (hors hypothèse de nouvelles constructions), mais elle a sa part dans le mix des territoires à énergie positive, appelés à limiter leur consommation et à déployer de manière complémentaire toutes les ressources renouvelables disponibles localement (éolien, solaire, hydraulique fluviale et marine, biomasse, géothermie);
  • restaurer, moderniser et équiper progressivement le patrimoine hydraulique français, le rendre à cette occasion ichtyophile et mieux géré écologiquement, voilà un programme plus intelligent, plus durable et plus constructif que sa casse organisée sur argent public et pression de lobbies minoritaires. D'autant que cette source d'énergie a su montrer au fil du temps une bonne acceptabilité sociale et une compatibilité avec les autres usages des rivières où elle est installée.

Source : Ministère des travaux publics, Service central des forces hydrauliques et des distributions d'énergie électrique (1931), Statistique de la production et de la distribution de l'énergie électrique en France, Impr. nationale (Paris)

Découvrir la petite hydraulique
Les moulins à eau et la transition énergétique: faits et chiffres 2015

30/05/2016

Cartographie: l'administration persiste à classer les biefs comme cours d'eau, et non canaux

D'après nos premiers échanges avec les DDT de la Nièvre et de la Côte d'Or, ainsi que les retours sur l'Yonne, l'administration veut qualifier comme "cours d'eau" les biefs et canaux des moulins, à l'exception de ceux qui alimentent des usines hydro-électriques en activité. Nous refusons cette qualification comme contraire à la jurisprudence et au projet de loi biodiversité s'en inspirant, mais aussi comme source de multiples problèmes à venir pour l'entretien déjà complexe des biefs et des ouvrages hydrauliques. Dans cet article, nous montrons que la prétention du Ministère de l'Environnement à désigner comme cours d'eau un bief qui capte la majeure partie du débit repose sur une base jurisprudentielle particulièrement fragile. Les propriétaires de biefs doivent signaler dès à présent leur désaccord aux DDT-M.

Rappel : par instruction du 3 juin 2015, le Ministère de l'Environnement a demandé aux préfets de procéder à une cartographie des rivières, afin de définir ce qui est un cours d'eau et ce qui ne l'est pas (fossés, canaux).

Enjeu : être considéré comme "cours d'eau" implique des règles particulières d'entretien des berges et du lit, notamment des dossiers d'autorisation avec étude d'impact et enquête publique si le linéaire concerné par les travaux dépasse 100 m. Par ailleurs, la notion de cours d'eau est liée à des enjeux connexes (débit réservé, continuité écologique).

Problème : alors que la jurisprudence du Conseil d'Etat (21 octobre 2011, n°334322) pose comme l'une des conditions nécessaires d'existence d'un cours d'eau "un lit naturel à l'origine", l'instruction du 3 juin 2015 a tenté d'élargir la notion aux biefs et canaux en posant : "Ce critère ne doit pas par ailleurs faire perdre de vue que, en fonction des usages locaux, des bras artificiels (tels que des biefs) laissés à l’abandon et en voie de renaturation peuvent être considérés comme des cours d’eau. De même si un bras artificiel capte la majeure partie du débit, au détriment du bras naturel (et remettant en cause le critère de permanence de l’écoulement) le bras artificiel pourra être considéré comme cours l’eau."

Pour appuyer la position selon laquelle la "renaturation" ou "l'abandon" serait un motif de qualification de bief comme cours d'eau, l'instruction du 3 juin 2015 ne cite aucune loi ni aucune jurisprudence. Nous considérons donc cette proposition comme non recevable au plan juridique. (De surcroît, nous observons que l'administration tend à classer tous les biefs comme cours d'eau, même ceux qui sont toujours entretenus à fin hydraulique ou paysagère.)

Pour affirmer qu'un bief qui "capte la majeure partie du débit" doit être regardé comme un cours d'eau, l'instruction cite un arrêt de la Cour d'appel administrative de Bordeaux. Or cette base jurisprudentielle est fragile, et non unanime, comme nous allons le voir. Avant de l'examiner, rappelons que le poids d'une décision de justice sur la doctrine juridique est d'autant plus fort que l'instance est élevée dans l'ordre judiciaire : ce sont d'abord les décisions du Conseil constitutionnel, du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui permettent d'asseoir les interprétations jurisprudentielles du droit. Or, ces décisions restent rares sur la question de la définition de ce qu'est un cours d'eau (par opposition au fossé ou au canal). Il est inexact de prétendre qu'une abondante jurisprudence aurait déjà réglé la question: cette dernière reste encore une friche normative, et la prudence s'impose quand le Ministère prétend avancer trop rapidement sur ce terrain.



Dans l'arrêt n°10BX00470 mis en avant par l'instruction du Ministère de l'Environnement, la Cour administrative d'appel de Bordeaux juge en 2010 un litige de riverain sur la répartition de l'écoulement des eaux entre un canal de dérivation et un canal de déversoir. Dans ses attendus, la Cour pose les observations suivantes :

"Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le moulin de Mauvezin d'Armagnac, mentionné sur la carte de Cassini, est alimenté par les eaux de la Douze grâce à la présence, à environ 500 mètres en amont du moulin, d'un seuil de dérivation dont l'objet est d'empêcher les eaux, lorsque les vannes sont fermées, d'emprunter la partie basse de la vallée afin qu'elles se dirigent vers le canal d'amenée, situé dans l'axe de la rivière ; que, depuis que ce seuil existe, et en dehors des périodes limitées où les vannes sont ouvertes soit en période de crues soit pour permettre l'entretien des ouvrages du moulin, les eaux de la rivière s'écoulent pour l'essentiel dans le canal d'amenée du moulin ; que ce canal, affecté à l'écoulement normal des eaux de la Douze, cours d'eau non domanial, est ainsi, lui-même, un cours d'eau non domanial ; que, toutefois, il ressort également des pièces du dossier que les eaux en provenance du canal d'amenée, si elles ne s'écoulent désormais plus que marginalement par le canal de fuite, s'écoulent normalement par le canal de décharge ou canal déversoir, de sorte que, s'ils ont entraîné une modification de la répartition des eaux de la Douze entre le canal de fuite et le canal de décharge de l'ancien moulin, les travaux réalisés par les consorts A n'ont pas affecté le libre cours des eaux de cette rivière ; que, dans ces conditions, en ne faisant pas usage des pouvoirs de police qu'il tient des dispositions de l'article L. 215-7 du code de l'environnement pour assurer le libre cours desdites eaux, le préfet des Landes n'a pas fait une inexacte application de ces dispositions."

Bien que la question soit évoquée dans le considérant de la Cour, le point principal examiné par les magistrats n'est pas ici de savoir si le canal est bien un cours d'eau. A la suite de travaux sur un moulin, le débit du canal de fuite a été limité au profit d'un canal de déversoir, et la plaignante situé à l'aval demande le rétablissement du débit initial. Elle sera déboutée. Cela implique que le juge estime que le libre écoulement des eaux dans le canal n'est pas impératif (ce qui aurait été le cas si le canal de fuite était une rivière pleinement reconnue comme telle) et qu'une dérivation latérale (par le déversoir) est possible en l'espèce.

Il est donc difficile d'interpréter ce jugement comme une définition normative du canal comme cours d'eau, ce que suggère la lecture très interprétée de la circulaire du 3 juin 2015.

Dans l'ordre civil et judiciaire, la Cour d'appel de Limoges, par l'arrêt récent n°14/00712 du 29 juin 2015, examine en revanche de manière beaucoup plus directe la question de savoir si un canal de moulin ou bief est assimilable à un cours d'eau. Dans cette affaire, les plaignants se divisent sur le fait de définir un bief comme bras de rivière afin de déterminer son régime de propriété.

"En l'espèce, il apparaît à l'examen du plan cadastral que le cours d'eau en litige est bien une dérivation de la Tardoire qui a été créée pour alimenter le moulin vers lequel il se dirige directement (canal d'amenée) puis pour permettre à l'eau de revenir dans le lit de la rivière (canal de fuite).

Ce canal de dérivation qui a été créé par la main de l'homme et qui est bordé de poteaux qui servent à conforter les berges traverse la propriété des époux Z... et, seulement sur une partie de son cours, longe les parcelles E 147, E 148 et E 149 appartenant aux consorts X... Y... qu'il sépare de la parcelle D 530 de leurs voisins qui, elle englobe la totalité de la dérivation et est bordée, sur sa partie sud, par le véritable cours de la Tardoire.

Cette dérivation a été créée, jadis, pour desservir le mécanisme hydraulique du moulin dont elle était un accessoire. Ce terme de 'dérivation' est utilisé par les autorisations administratives données aux époux Z... pour le curage du bief.

Dans une lettre du 28 novembre 2007, la DDA de la Haute Vienne, Service de l'eau, de l'environnement et de la forêt, précise bien que ces ouvrages 'ne sont pas situés sur le cours d'eau' ; elle autorise M. Z... à procéder au curage du 'tronçon dérivé au lieudit …' en indiquant qu'il s'agit du curage des canaux d'amenée et de fuite ; l'autorisation est donnée sous réserve de 'ne modifier ni l'ouvrage de dérivation des eaux, ni le point de restitution'.

Ainsi, pour l'autorité publique, le cours de la Tardoire ne se confond pas, contrairement à ce que soutiennent les appelants, avec le canal dérivé qui se situe entre 'l'ouvrage de dérivation', situé à l'Ouest de la parcelle D 530 des époux Z..., et le 'point de restitution' qui se situe à l'Est de cette parcelle.

Par ailleurs l'administration reconnaît que la dérivation qui avait pour vocation d'alimenter le mécanisme du moulin inclut 'les canaux d'amenée d'eau et de fuite'. Certes ces autorisations ont été délivrées sous réserve du droit des tiers. Il reste que, comme le fait l'observation de la configuration des lieux, elles confortent le sens qu'il convient de donner au mot bief qui est utilisé dans l'acte du 3 février 1983 par lequel les époux Z... ont acquis leur fond.

Cet acte est un titre de propriété qui, lui, est opposable aux consorts X...- Y... et il résulte des observations ci-dessus que le bief mentionné dans ce titre est bien l'intégralité de la dérivation qui traverse la parcelle D 530 des époux Z... en longeant une partie de la propriété des intimés, dérivation qui inclut les canaux d'amenée d'eau et de sortie.

Il est indifférent qu'un acte du 3 décembre 1923 par lequel l'auteur des appelants, M. E..., a acquis de la société MOREAU un jardin anciennement cadastré P 52 qui correspondrait aux actuelles parcelles E 148 et E 149 décrive ce jardin comme joignant la 'rivière Tardoire'.

Cette désignation qui est erronée dans la mesure où le canal qui longe les parcelles E 148 et E 149 est en réalité une dérivation de la rivière créée artificiellement pour le service de l'ancien moulin n'a pas pu faire acquérir de droit au propriétaire desdites parcelles sur le cours d'eau improprement qualifié de rivière."

La Cour d'appel de Limoges précise donc bien que le riverain d'un bief ne peut prétendre acquérir des droits propres à la riveraineté d'un cours d'eau, en raison du  caractère artificiel de la dérivation, que l'on ne peut assimiler à une rivière. On observe au demeurant qu'en l'espèce, les services administratifs ont correctement qualifié le canal dans leurs procédures.

Conclusion
Les moulins et usines à eau ont, depuis 10 ans, une mauvaise expérience des interprétations administratives de la loi. Il faut donc identifier et clarifier rapidement ce qui ne manquera pas d'être source de problèmes futurs. C'est le cas avec l'assimilation indue des canaux et biefs à des cours d'eau. Cette position actuellement soutenue par l'administration pour la majorité des biefs est de nature à soulever des conflits locaux d'interprétation. A titre d'exemple, si le bief est un cours d'eau, le débit réservé ou débit minimum biologique ne s'applique plus nécessairement (puisque le bief est un bras de rivière au même titre que le bras naturel court-circuité), l'exigence de continuité peut s'étendre au bief lui-même (pour la même raison), des opérations d'entretien comme le curage peuvent demander des mois d'instruction préalable en dossier d'autorisation "loi sur l'eau", etc. Arrêtons ces usines à gaz et à contentieux : le droit de l'eau a besoin de clarification, la gestion des ouvrages hydrauliques, déjà difficile, deviendra impossible si l'on ne met pas un frein aux exigences toujours plus tatillonnes venues des bureaux de la Direction de l'eau et de la biodiversité.

Il est nécessaire de protéger les milieux naturels, il est utile de définir de bonnes pratiques d'entretien des canaux, il est délétère de confondre ces deux besoins dans une réforme illisible pour les usagers.

Illustration : la prise d'eau d'un bief. Celui-ci est un canal artificiel et ne peut être assimilé à un cours d'eau, ce qui est non-conforme à la jurisprudence du Conseil d'Etat ("lit naturel à l'origine") et ce qui aurait pour effet de rendre bien trop complexes certaines tâches usuelles d'entretien. Le droit de l'eau, en particulier le droit des travaux et ouvrages hydrauliques, a besoin de simplification et de réalisme, pas de complications inutiles ni d'exigences disproportionnées.

A savoir : nous allons débattre de ces questions, comparer les pratiques administratives et indiquer la marche à suivre lors de nos 4es rencontres hydrauliques du 25 juin (débats de l'après-midi).