19/06/2016

Bessy-sur-Cure : premiers arguments pour une sauvegarde du seuil et de son plan d'eau

L’association Hydrauxois a été saisie par ses adhérents de la commune de Bessy-sur-Cure afin de participer à la recherche d’une solution raisonnable et viable sur les aménagements des ouvrages hydrauliques formant le plan d’eau de la Commune. Il apparaît que les deux solutions actuellement avancées ne sont pas recevables : soit un effacement, qui soulève une vive opposition en raison du caractère structurant du plan d’eau ; soit un aménagement très lourd de franchissabilité, qui n’est pas solvabilisé en l’état des financements publics. Nous publions un extrait de notre premier rapport en défense des ouvrages de Bessy-sur-Cure, montrant notamment la force des enjeux patrimoniaux et sociaux du plan d'eau, en même temps que la faiblesse objective des enjeux écologiques sur la Cure aval. La destruction n'est pas une option, en particulier sur une rivière où les grands barrages (Crescent, Settons) sont sans projet de continuité piscicole et sédimentaire. 



Le caractère structurant de l’ouvrage et du plan d’eau de Bessy-sur-Cure
Le seuil de Bessy-sur-Cure a été régulièrement entretenu depuis les années 1980, comme le montrent l’historique précis des chantiers de l’Association de sauvegarde et les dons faits par l’Association à la Commune. Cet ouvrage hydraulique et ses abords ne peuvent être désignés comme étant en état d’abandon. Au contraire, en raison du fort investissement local dans la préservation du site, la perspective de sa destruction totale ou partielle est très mal vécue.

Nous contestons fermement le propos tenu par M. le Préfet sur le supposé état de «délabrement avancé» de l’ouvrage avancé dans son courrier du 04/12/2015. Voici les éléments d’appréciation du génie civil tels qu’ils ressortent du diagnostic NCA 2014 :


Ces observations ne permettent pas de conclure à un état de «délabrement avancé» : les besoins de reprises sur l’ouvrage sont assez classiques pour ce type de construction, conçue en «seuil poids» triangulaire ou trapézoïdal avec des organes mobiles de petites dimensions, et ces besoins s’inscrivent dans la gestion normale d’un ouvrage subissant régulièrement l’assaut des crues. Un chiffrage réaliste du coût des reprises nécessaires sera recherché par l’association et les riverains.

Le seuil  a une dimension « structurante » pour le site et la population, ce dont témoignent de manière convergente les observations suivantes (pour la plupart présentes dans le diagnostic NCA 2014, avec certains compléments) :

  • Le relèvement artificiel de la ligne d’eau par le seuil de Bessy favorise l’alimentation et le soutien de la nappe d’accompagnement. Deux captages d’eau (sur trois) sont dans l’emprise du remous liquide de la retenue et bénéficient de son soutien de nappe.
  • Le plan d’eau est associé à de nombreux usages locaux : pêche, baignade, canotage, aires de détente. Il fait l’objet d’une signalétique dans le village indiquant son intérêt pour les habitants et les touristes. 
  • Le plan d’eau bénéficie d’un fort attachement de la population locale, incarné par la pétition pour sa sauvegarde (environ 1100 signatures), l’existence d’une association dédiée à son entretien, la vive émotion suscitée dès 2011-2012 par l’hypothèse d’une destruction du site, la mobilisation associative et citoyenne en faveur du maintien du paysage actuel de retenue.
  • Les ouvrages représentent un potentiel énergétique qui pourrait être mobilisé dans le cadre fixé par la loi de transition énergétique et par les dispositions aujourd’hui soutenues par le Ministère de l’Environnement (territoires à énergie positive, appels d’offres sur les énergies bas-carbone). 
  • Plusieurs riverains se situant dans l’abord direct du remous liquide de la retenue ou du bras de dérivation ont exprimé leur souhait de voir préservée la valeur foncière de leur propriété (valeur directement liée à cette riveraineté du plan d’eau ou du bief en eau, au paysage qu’elle offre ou aux usages qu’elle permet).
  • La propriétaire et le bailleur ont manifesté leur attachement à la valeur historique et patrimoniale de l’ouvrage hydraulique, témoignage vivant du rôle de l’hydraulique dans l’occupation humaine de la vallée de la Cure.


Des générations d'habitants se sont baignées dans le plan d'eau du village, qui a été régulièrement entretenu. Les riverains et habitués n'acceptent pas que cet espace de vie et de loisir soit rayé de la carte pour des motifs écologiques assez secondaires au regard du bon état de la masse d'eau et de l'absence d'impacts graves démontrés. Voir les crédits photos en bas de cet article.

En complément de ces éléments, il convient aussi de souligner que l’évaluation du coût d’un chantier d’effacement à 50 k€ HT (NCA, rapport de phase 2, 2015) n’est pas réaliste. Outre les fortes contraintes (analyse et gestion des sédiments, consolidation des berges et bâtis menacés, mise en place d’un suivi, etc.) et la probable complexité juridique (risque de contentieux), ce type de chantier implique d’accompagner la disparition du site par des restaurations paysagères ainsi que des compensations ou indemnisations pour les tiers lésés. Le coût d’un effacement non «bâclé» à Bessy-sur-Cure se situerait donc plutôt entre 500 k€ et 1 M€. A titre d’exemples en cours sur la région : coût estimé de 1,3 M€ pour effacer deux ouvrages (2 et 0,8 m) à Montbard, Artelia 2016 ; sur un petit site isolé avec 1 m de chute, 30 m de largeur en seuil mobile (moins complexe qu’un seuil fixe, vannes déjà déposées), pas d’enjeu de riveraineté ni d’usage, coût de 95 k€ d’un effacement à Belan-sur-Ource, Sicec 2016.

A retenir : L’ouvrage hydraulique et le plan d’eau de Bessy-sur-Cure ne sont pas en état de ruine, de délabrement ni d’abandon. Ils ont un caractère manifestement structurant en raison des usages et représentations associés. Ce constat paraît exclure l’hypothèse de leur effacement au titre de la continuité écologique. 

Les impacts écologiques de l’ouvrage de Bessy-sur-Cure dans leur contexte

Impact sur les flux liquides : quasi-nul - Ces impacts sont reconnus par NCA comme négligeables par rapport à l’influence des grands barrages modifiant de manière substantielle l’hydrologie du bassin de la Cure et de l’Yonne.

Impact sur le transit sédimentaire :  négligeable - Il est reconnu que «les ouvrages ne modifient (…) que très peu la nature du substrat présent de l’amont et à l’aval de la zone d’étude. Le substrat dominant est de type sablo-graveleux avec un pavage caillouteux voire pierreux. Une légère diminution de la granulométrie du pavage peut être observée entre l’amont et l’aval des ouvrages » (NCA 2014). L’étude a mis en évidence une sédimentation régressive habituelle avec la présence d’un ouvrage (la retenue tend naturellement à se remplir de sédiments), mais pas de déficit notable à l’aval (pas d’érosion progressive) : « Cela met en évidence un déficit de transport solide qui peut se traduire par une érosion progressive en aval du seuil. Ce phénomène n’a pu être mis en évidence lors des reconnaissances de terrain.» (ibid.) Rappelons qu’en vertu des lois de l’hydraulique, un ouvrage de petite dimension a rapidement une influence quasi-nulle sur le régime sédimentaire : passé une phase de dépôt amont et érosion aval consécutive à la construction, le système atteint un nouvel équilibre où les crues assurent le transport solide par charriage et suspension. Les impacts des seuils de moulin sont sans commune mesure avec ceux des grands barrages qui ont une capacité de stockage sédimentaire de l’ordre du million de m3.

Impact sur la continuité piscicole : franchissabilité partielle - Les ouvrages ne posent pas de problème à la dévalaison des espèces, la continuité vers l’aval étant assurée dans de bonnes conditions en surverse ou en sous-verse par les différents points de passage (vannes, déversoirs, seuil). Concernant la montaison, les truites, brochets et anguilles adultes peuvent franchir les ouvrages à certaines conditions de hautes eaux ou, au contraire, de basses eaux (diagnostic NCA 2014). La franchissabilité est donc partiellement assurée, mais elle est altérée pour les espèces de petite taille ou les juvéniles.

Impact sur la physicochimie de l’eau : quasi-nul - Il est reconnu que l’eau de la Cure au droit du site et sur les stations de contrôle est en classe physico-chimique bonne ou excellente pour les critères DCE (MES,  O2 diss., DBO, DCO, nitrates, phosphates, pH, conductivité) «Les mesures réalisées mettent en évidence une eau conforme aux normes de la DCE sur les 3 stations de la Cure. Ces mesures ne mettent pas en évidence d’impact significatif des ouvrages.» (NCA 2014)

Dimension négligeable du seuil par rapport aux grands barrages, IPR excellent de la masse d’eau, peuplement historique à l’époque des moulins
Une opération de restauration physique de rivière représente des coûts publics souvent importants. Elle est susceptible de nuire fortement aux usages existants,  au cadre de vie des habitants, au patrimoine historique et paysager. Il en résulte qu’une telle opération doit être motivée par des gains écologiques significatifs (ou par une urgence démontrée) et qu’elle doit être proportionnée aux enjeux avérés. Outre les éléments rassemblés par NCA et précédemment rappelés, notre association souligne les points suivants.

- Les principaux « points noirs » en continuité piscicole, morphologie et thermie de la rivière Cure sont bien sûr constitués par les grands barrages (Settons, Crescent, Chaumeçon) qui ne sont pas dans les tronçons classés de la masse d’eau et qui ne font pas l’objet de projets d’aménagement (hormis une amélioration dans la gestion du débit réservé et du débit d’étiage, à effet relativement marginal par rapport à l’impact).

- Nous regrettons que NCA n’ait pas procédé à une analyse complète de biodiversité de la retenue : les poissons migrateurs et rhéophiles ne représentent que 0,2% de la biodiversité aquatique totale, les alternances lentiques-lotiques peuvent produire des gains de richesse spécifique (poissons, invertébrés, macrophytes) sur une masse d’eau, les milieux de retenues ont des intérêts pour des espèces non-aquatiques (oiseaux, mammifères), etc.

- Il a été montré par la recherche scientifique en histoire de l’environnement que les travaux des premiers icthyologues sont des sources recevables pour évaluer les trajectoires historiques de peuplement (voir Beslagic 2013 et la base Chips). En particulier, la monographie d’Emile Moreau sur les peuplements du bassins de l’Yonne (Moreau 1897, 1898) est considérée comme source fiable pour évaluer des abondances passées, complémentant ainsi les archives des pêches CSP-Onema. Le tableau ci-dessous montre les abondances à la fin du XIXe siècle, quand il y avait davantage de moulins sur le lit (dont celui de Bessy) qu’aujourd’hui. Principal enseignement : les espèces d’intérêt sont pour beaucoup assez ou très communes à l’époque où les moulins et leurs seuils étaient présents.


- L’Indice poisson rivière (IPR puis IPR+) est un indice normalisé, échantillonné par hydro-éco-région, servant à mesurer la qualité piscicole des masses d’eau pour le rapportage français à la Directive cadre européenne sur l’eau (DCE 2000). Entre 2008 et 2013, il y a eu 7 relevés IPR sur la Cure aval (Accolay, Voutenay-sur-Cure, Asquins). L’intérêt est que ces relevés ont été réalisés à l’amont (1) et à l’aval (6) du seuil de Bessy, ce qui permet que vérifier s’il y a dégradation sur le continuum fluvial. Tous les relevés IPR de la Cure aval sont dans la classe « excellente », c’est-à-dire la meilleure classe de qualité.


Il serait utile que l’Onema et la Fédération de pêche 89 produisent le détail des relevés piscicoles amont / aval afin d’analyser les densités de chaque assemblage et les scores internes constitutifs de l’IPR (richesse spécifique biomasse, composante de rhéophilie etc.). A noter : notre association ne considère pas la biotypologie de Verneaux 1976-77 (parfois utilisée par la DR Onema BFC et les FDPPMA) comme outil pertinent d’analyse, en raison des critiques faites depuis longtemps déjà sur la robustesse de sa construction hors du domaine franc-comtois (par exemple Wasson 1989) et surtout en raison des travaux Onema-Irstea réalisés à partir des années 2000 sur la zonation par hydro-écorégion et sur le nouveau panel statistique de référence des populations piscicoles. Ces points seront si nécessaire développés en accompagnement d’une future proposition de gestion et équipement du site.

Rappelons enfin que l’étude de phase 2 NCA 2015 a établi la franchissabilité partielle du pertuis de la vanne de décharge du moulin : « L’ouverture saisonnière du pertuis du moulin pour le scénario B offre une voie de passage préférentielle et franchissable pour une grande partie des espèces repères sur le cours d’eau (truite et brochet). Elle ne peut suffire toutefois à rétablir à elle seule la continuité piscicole de façon totale et satisfaisante à l’échelle du site compte tenu des autres voies d’eaux concurrentes existantes et de la sélectivité piscicole de l’ouvrage en configuration ouverte (difficultés de franchissement pour les petites espèces). »

La loi française ne demande pas une continuité «totale», mais une continuité pour les espèces «migratrices» à supposer que l’on démontre au préalable un déficit de migration entre l’amont et l’aval. En l’état des travaux de NCA, cette démonstration n’est pas apportée faute d’une analyse piscicole longitudinale et historique. Les éléments de ce chapitre montrent que la continuité partielle est avérée sur la masse d’eau.

A retenir : Au regard des éléments rassemblés par NCA et des compléments apportés par notre association, il apparaît que la rivière Cure est principalement impactée par des grands barrages sans projet actuel de franchissabilité piscicole et de transparence sédimentaire. Malgré cela, l’indice de qualité piscicole de la basse vallée de la Cure est de qualité excellente à l’amont comme à l’aval de Bessy-sur-Cure. Les impacts écologiques du seuil et du plan d’eau de Bessy-sur-Cure sont négligeables sur la granulométrie et la morphologie aval,  sur la physico-chimie, sur le flux liquide. Les seuls impacts notables concernent la franchissabilité des petites espèces rhéophiles et des juvéniles de truites ou de brochets, mais le bon IPR indique que cela ne nuit pas au compartiment piscicole du classement écologique DCE (dont la circulaire de 2013 rappelait l’objectif prioritaire d’atteinte). Ces données actuelles convergent avec les données historiques.  Ces éléments soulignent combien une solution radicale comme l’effacement ou une solution coûteuse comme des passes toutes espèces serait disproportionnée à l’enjeu réel du site de Bessy-sur-Cure. Au demeurant, aucun objectif tangible de gain écologique n’a été associé aux premières propositions NCA : or, c’est seulement sur la base d’indicateurs précis et garantis de résultats dans le compartiment biologique que l’on peut prendre des décisions.

Conclusion provisoire : et la suite ?
Ce premier rapport fait apparaître :
- un fort attachement des riverains et propriétaires à l’hydrosystème existant ;
- une dimension structurante de l’ouvrage et de son plan d’eau au regard des usages ;
- des enjeux écologiques très modestes ;
- une masse d’eau en bon état sur les compartiments de la DCE 2000 concernés par les impacts éventuels de l’ouvrage, en particulier sur l’état piscicole excellent (malgré la présence de grands barrages infranchissables et sans projet d’aménagement à l’amont).

L’association Hydrauxois souhaite que :
  • les parties prenantes s’accordent sur le caractère disproportionné et inadapté de l’effacement des ouvrages de Bessy-sur-Cure ;
  • le bureau d’étude NCA formalise un nouveau projet d’aménagement cohérent avec ces enjeux écologiques (très faibles) et patrimoniaux (très forts), par exemple une solution simple de franchissement (plan de gestion des vannages, avec option passe rustique sans dérasement à la condition suspensive d’un financement public).
Dans l’hypothèse où ce ne serait pas possible pour le BE NCA, l’association aidera les propriétaires et les riverains à formaliser une proposition en ce sens, qu’elle soumettra en leurs noms au service instructeur (et à l’Agence de l’eau). Il conviendra alors d’échanger sur la recevabilité de la proposition, dans le cadre habituel d’une procédure contradictoire.

Quoiqu’il en soit, nous suggérons de ne prendre aucune décision tant que le processus initié par Mme la Ministre de l’Environnement ne sera pas arrivé à son terme : examen des recommandations du CGEDD pour sortir des blocages de gouvernance et de financement de la continuité écologique, examen des choix éventuels du Ministère pour adapter la mise en oeuvre à ces recommandations.

Photos de Bessy dans cet article : Gérard Charpentier, Martine Poinsot, Michel Français, tous droits réservés.

Pétition : une pétition pour la sauvegarde du plan d'eau a été ouverte.  

16/06/2016

Sauvegarde des moulins: faut-il croire Ségolène Royal ou le site de son Ministère?

La Ministre de l'Environnement a plusieurs fois appelé à cesser la destruction des moulins. La loi sur l'eau de 2006 n'a jamais envisagé cette issue. La loi Grenelle de 2009 non plus. Mais le site du Ministère de l'Environnement, dans une mise à jour récente, promet toujours de nombreuses destructions d'ouvrages pour motif de continuité écologique. Cette idéologie administrative de l'effacement n'a aucune légitimité démocratique, et sa violence institutionnelle empêche désormais toute avancée sur la gestion concertée des ouvrages.

Ségolène Royal en février 2015 : "Les règles du jeu doivent être revues, pour encourager la petite hydroélectricité et la remise en état des moulins".

Ségolène Royal en novembre 2015: "Nous devons sauvegarder les petits moulins sur les rivières et produire de l'électricité".

Ségolène Royal en janvier 2016: "À la suite du débat parlementaire, j’ai donné instruction aux préfets de mettre un terme aux destructions de petits ouvrages et de moulins, dans l’attente d’un examen plus approfondi de la situation."

Loi de 2006 votée par les représentants des citoyens: "Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant."

Loi de 2009 votée par les représentants des citoyens: "l'aménagement des obstacles les plus problématiques pour la migration des poissons sera mis à l'étude".

Mise à jour récente du site du Ministère de l'Environement: "Sur le plan écologique cependant, il est important de signaler que le gain apporté à la continuité et à l’hydromorphologie du cours d’eau, et donc à l’atteinte du bon état écologique, par la suppression totale ou quasi-totale d’un ouvrage, est sans commune mesure avec les autres types d’interventions. (…) C’est pourquoi cette solution est souvent mise en avant par les acteurs de la restauration de la continuité pour qu’elle puisse être étudiée et adoptée à chaque fois que cela est possible. (…) Compte tenu du nombre très important d’ouvrages dans les lits mineurs des cours d’eau (plus de 80 000 recensés officiellement en 2015) et du niveau de segmentation des cours d’eau et d’artificialisation de leur pente qui en découle, il est indispensable de supprimer un certain nombre d’ouvrages existants pour envisager d’atteindre le bon état."

Les choses sont donc limpides : une poignée de hauts fonctionnaires au sein du Ministère de l'Environnement continue de développer une idéologie administrative de la destruction des ouvrages hydrauliques, à l'encontre des textes de loi votés par les parlementaires, et maintenant des orientations publiques de leur ministre de tutelle.

Ce qui est tout aussi limpide : nous ne reconnaissons aucune légitimité démocratique (ni scientifique) à ces dérives d'interprétation visant à la destruction des ouvrages, et nous vous invitons à venir nombreux à nos prochaines rencontres hydrauliques du 25 juin, dont vous pourrez repartir avec cette banderole de résistance et de combat!


14/06/2016

Idée reçue #16: "L'évaporation estivale des retenues nuit fortement aux rivières"

La nouvelle idéologie administrative des ouvrages hydrauliques, mise en place au cours des années 2000, est désormais connue dans son mécanisme argumentaire: exagérer par tout moyen les impacts écologiques des seuils et barrages pour mieux justifier leur suppression (ou entraver leur construction). Soit le contraire de ce qu'une idéologie administrative antérieure, sans doute aussi excessive et autoritaire, avait promu à l'âge d'or des Ponts & chaussées. Dans les arguments souvent entendus: les retenues des seuils et barrages favoriseraient l'évaporation de l'eau en été, ce qui dégraderait de manière conséquente la rivière. Il est certain que l'eau s'évapore davantage en été. Mais quand on regarde les volumes concernés, il est non moins certain que cela représente de très faibles quantités : l'ordre de grandeur est de quelques dixièmes de millimètres à quelques millimètres de hauteur de lame d'eau, ou quelques centilitres à quelques dizaines de litres/seconde pour des bassins versants entiers.

Dans une analyse sur les prétendues "idées fausses" sur la continuité écologique, le Ministère de l'Environnement affirme
"Les retenues génèrent une évaporation forte d’eau en période estivale car une eau stagnante peu profonde se réchauffe beaucoup plus vite et plus fortement qu’une eau courante. Sur une longue durée d’ensoleillement, plus la surface d’eau exposée est importante plus les pertes par évaporation seront significatives."
Procédé habituel de la rhétorique manipulatrice: des adjectifs et des adverbes ("forte, fortement, importante, significative"), mais pas de chiffres ni d'ordres de grandeur. Dans une étude de 2003, sur laquelle nous reviendrons car elle a joué un rôle conséquent dans la construction de cette idéologie administrative des ouvrages hydrauliques, Jean-René Malavoi évoque la question de l'évaporation. Le contexte de l'étude est celui de Loire-Bretagne. L'auteur écrit:
"Les effets des ouvrages sur l’hydrologie d’étiage (hors problèmes de débit réservé dans les tronçons court-circuités) sont assez modestes car liés essentiellement à l’évaporation dans le plan d’eau amont. 
Ils sont donc plutôt faibles mais peuvent éventuellement être importants en région chaude où l’évaporation est forte. Si l’on prend un taux d’évaporation moyen pour le bassin Loire Bretagne de 100 mm par mois, de juin à septembre (soit 100 l/m2), un plan d’eau de 10 m de large sur 1000 m de long (configuration classique pour un petit seuil sur un petit cours d’eau) évapore environ 1 million de litres par mois, soit 0.4 l/s.
Cela peut sembler dérisoire à l’échelle d’un ouvrage, mais l’effet sur des dizaines de retenues successives devient très significatif.
A titre d’exemple, les 81 seuils recensés sur la Sèvre Nantaise représentent un linaire en remous de l’ordre de 110 kilomètres, soit une surface de l’ordre de 165 hectares pour une largeur moyenne de 15 mètres. 
L’évaporation en période estivale sur cette superficie atteint 64 l/s, soit de l’ordre de 10 % du débit d’étiage quinquennal à Clisson (QMNA 1/5 = 682 l/s)." (Malavoi 2003)
Le QMNA 5 désigne les débits d'étiage sévère, dont le temps de retour est en moyenne d'une année sur cinq. La valeur de 10% de ce QMNA5 est donc très faible, même dans l'hypothèse d'effet cumulatif envisagé par Malavoi. Quand la rivière a si peu de débit, avec généralement des assecs et des pertes en zones karstiques, une modeste lame d'eau ailleurs,  les hauteurs d'eau plus profondes des retenues peuvent jouer un rôle de refuge / ressource pour une partie de la faune et de la flore. Le meilleur moyen de mesurer ces effets, ce serait de procéder à des campagnes de contrôle des peuplements aux périodes d'étiage – ce que l'Onema ne juge pas utile de faire, à notre connaissance (ci-dessous, exemple de rivière "renaturée" en été...).



Autre donnée, plus récente : le rapport préliminaire Irstea-Onema sur les impacts cumulés des retenues (Irstea 2016). On peut y lire les observations suivantes :
"La question de l'évaporation issue des retenues est ignorée dans une partie des études consultées. Quand la question est traitée, l'impact est supposé correspondre à la différence entre l'évaporation de l'ensemble des retenues et l'évapo-transpiration induite par un couvert végétal (souvent une prairie) d'une surface équivalant à celles des retenues. Parmi ces études, citons :
- l'étude d'impact de la zone des Trois Rivières (Rhône-Alpes) : la perte nette annuelle par évaporation induite par les retenues (630 km2) est estimée à 200 000 m3, soit 0,3 mm par unité de surface ou 6L/s. En juillet, cette perte atteint 68 000 m3 soit l'équivalent d'une lame d'eau de 0,11 mm sur l'ensemble du bassin versant ou d'un débit de 26 l/s. Cette perte correspond à la différence entre l'évaporation de la retenue et celle d'une prairie.
- l'EVP Layon (Pays de Loire): la différence entre volumes évaporé et évapotranspiré est nulle en dehors des périodes sèches (novembre-avril). Pour la période estivale (Juin-Septembre), la différence est d'autant plus importante que les étés sont secs : en 2003 la différence a atteint 6,7 Mm3 sur l'année, dont 5,9 Mm3 pour la période estivale (en 2003, p59-60 rapport), soit l'équivalent d'une lame d'eau de 5,3 mm/an, ou de 4,7 mm sur la période estivale (territoire du Layon-Aubance 1259 km2).
- l'étude d'impact de la DREAL Pays de Loire (Nov 2012) sur le Layon : les pertes par évaporation sont estimées à 100 mm par surface unitaire de retenues, ce qui correspond à 3 % du volume d'eau capté par la retenue au moment de son remplissage." (Irstea 2016)
On constate dans ces exemples des variations de niveau de la lame d'eau quelques dixièmes de millimètre à quelques millimètres. Pour donner un ordre de grandeur, un habitant consomme en moyenne 1875 m3/an d'eau en France, tous usages personnels et professionnels du territoire confondus (source Eaufrance). Donc une perte annuelle de 200.000 m3/an (cas des Trois Rivières), c'est l'équivalent de la consommation d'une grosse centaine d'habitants. Soit une quantité quasi-négligeable sur des bassins versants autrement peuplés, surtout si l'on intègre l'afflux estival de la saison touristique et les autres usages d'irrigation plus intensifs en été.

La conclusion est donc claire : il est exact de dire qu'une retenue favorise l'évaporation, il est inexact d'affirmer que ce phénomène impacte "fortement" la quantité d'eau disponible sur un bassin versant. La quantité évaporée ne fait pas la différence par rapport au débit d'étiage, et l'intérêt d'avoir des zones d'eau profonde liées aux retenues doit être estimé par des analyses de terrain sur toutes les espèces animales et végétales, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. La parole publique ruine la confiance des citoyens dans sa crédibilité en intentant des procès de si mauvaise foi aux ouvrages hydrauliques, alors que l'eau, l'air, le sol et le vivant sont si massivement altérés par ailleurs.

Références citées : Malavoi JR / AREA (2003), Stratégie d'intervention de l'Agence de l'eau sur les seuils en rivière (pdf), pp 37-38 ; Irstea (2016), Rapport préliminaire en vue de l'expertise collective sur les effets cumulés des retenues (pdf), pp. 19-20.

Illustration : filet d'eau du Vicoin à l'étiage, après effacement d'un seuil, opération présentée comme "exemplaire" par l'Onema. Pourquoi ne pas comparer les peuplements aquatiques (toutes espèces, pas que les poissons) dans les retenues et dans les écoulements libres lors des étiages sévères? Cela permettrait d'objectiver les choses, au lieu de véhiculer de généralités non réfutables. (Photo JM Pingault, tous droits réservés).

A lire en complément 
Idée reçue #10 : "Etangs et retenues réchauffent toujours les rivières et nuisent gravement aux milieux"

12/06/2016

Bourbre à Saint-André-le-Gaz: mobilisation contre un effacement d'ouvrage

La Fédération de pêche de l'Isère veut procéder à l'effacement partiel d'un ouvrage à Saint-André-le-Gaz en passant par une simple déclaration administrative, alors que les écoulements de la rivière Bourbre et du canal du Gaz seront modifiés sur plusieurs centaines de mètres. Les riverains, qui ne souhaitent pas échancrer le seuil, attendent au minimum une enquête publique pour faire valoir leurs droits. Et si possible une solution non destructive permettant de respecter les autres enjeux paysagers, patrimoniaux et aussi écologiques, avec une zone humide en partie alimentée par les pertes du canal. Mobilisation locale pour empêcher les travaux prévus dans quelques jours (mercredi 15 juin à 08:30) et intervention de notre association auprès de la Préfecture. Merci de diffuser cet article et de vous mobiliser pour aider les riverains à se défendre. Il est temps de dire non à la casse du patrimoine de nos rivières. 



Sur la rivière Bourbre, à Saint-André-le-Gaz (Isère), une étude de "restauration écologique du seuil d’alimentation du canal du Gaz" a été lancée en 2014 sous la maîtrise d'ouvrage de la Fédération départementale de pêche. Plusieurs fois remanié, ce canal date de l'Ancien Régime. Il a alimenté un moulin, une usine textile, une centrale hydro-électrique. Ces usages ont disparu au cours du XXe siècle. L'actuel ouvrage répartiteur est très modeste, avec une chute comprise entre 0,8 et 0,9 m (voir photo ci-dessus).

Prime au poisson, mépris du patrimoine: Onema et fédé de pêche dans leurs oeuvres
La rivière Bourbre n'est pas classée en liste 2 sur ce tronçon amont : il n'y a donc pas d'obligation réglementaire d'aménager. Trois scénarios ont été proposés, avec des variantes. L'Onema Lyon a demandé le franchissement des truites, mais aussi d'autres espèces y compris non migratrices comme le chabot. Il a été affirmé que les droits d'eau étaient abandonnés alors que la convention de 2003 avec le syndicat sur cet abandon était expressément suspendue à la réalisation d'autres travaux, qui n'ont pas été réalisés (donc les droits d'eau ne sont pas caducs).


Extrait du diagnostic Burgeap 2014, droit de courte citation

Le diagnostic piscicole indique un IPR mauvais, sans que les diverses causes de détérioration de la qualité de l'eau et de son peuplement aient été analysées par le bureau d'études ni la Fédération de pêche. On observe (image ci-dessus, cliquer pour agrandir) que les populations des pêches de contrôle sont soit constantes, soit en hausse entre 1999 et 2011. On observe aussi que des espèces rhéophiles sont déjà présentes (truite, chabot, loche franche…), même si l'habitat n'est manifestement pas optimal pour elles. On ne connaît pas l'état des populations à l'amont ou l'aval de la zone d'influence du seuil, donc l'ignorance est à peu près complète sur les enjeux réels de ce chantier (voir cet article sur les techniques usuelles de manipulation de l'information et de l'opinion dans les chantiers de destruction).

Ce sont les pressions habituelles observées sur nos cours d'eau : franchissement pour toutes espèces au lieu de limiter à des enjeux migrateurs réels, gains piscicoles minuscules qui intéressent éventuellement les pêcheurs mais ne répondent pas spécialement à l'intérêt général des citoyens ni à des enjeux environnementaux significatifs, diagnostics écologiques incomplets car centrés sur les seuls poissons et n'analysant pas l'ensemble des impacts anthropiques, pressions sur les riverains pour pousser à des solutions inutilement coûteuses, mise en avant de la démolition au service des poissons, mais au détriment de tous les autres enjeux liés à l'hydraulique ancienne.

Echancrer le seuil sur simple déclaration… pour éviter une enquête publique?
La Fédé de pêche et l'Onema ont écarté les choix non destructifs et se sont orientés vers une large échancrure, équivalent à un arasement partiel. Cette solution n'a pas l'assentiment des riverains pour plusieurs raisons : préférence pour le confortement et l'aménagement de l'existant, baisse prévisible du débit alloué au canal, risque de moindre alimentation d'une zone humide latérale en Znieff (gérée par une association locale).

Un accord semblait possible sur la base d'un débit minimum d'étiage garanti à 120 l/s dans le canal. Mais il n'a pas été donné suite à cette proposition – ce qui indique combien certains ne sont pas disposés à des solutions raisonnables et consensuelles.

Les riverains ont eu la mauvaise surprise de découvrir que le chantier a fait l'objet d'une simple déclaration à la Préfecture, au lieu d'une autorisation. Or, les dossiers "loi sur l'eau" sont stricts dans leur procédure, comme le savent tous les usagers. La Fédération de pêche aurait-elle un régime préférentiel dont ne jouit pas le commun des mortels confronté à la complexité des dossiers d'autorisation?

A la demande d'un riverain, l'association Hydrauxois a saisi la Préfecture, la Fédération de pêche et le greffe du Tribunal administratif pour faire savoir qu'elle jugeait le chantier non réglementaire, car un linéaire de plus 100 m (rivière et canal, tous deux classés "cours d'eau") sera modifié dans son profil en long : cela doit faire objet d'une autorisation administrative avec étude d'impact, analyse des droits des tiers, enquête publique (art R 214-1 et art R 214-6 Code envir.). Si la Fédération de pêche veut passer en force, un constat d'huissier sera réalisé. Une plainte avec demande de remise en état et dommages sera déposée s'il est vérifié que le profil d'écoulement est changé sur plus de 100 m et que les services instructeurs comme le maître d'ouvrage ont volontairement ignoré notre requête.

Nota : la destruction du seuil est actuellement prévue le mercredi 15 juin au matin. Si vous êtes dans la région et si vous pouvez venir mercredi matin pour exprimer votre refus de cette destruction inutile du patrimoine hydraulique, nous vous demandons de votre mettre urgemment en contact avec M. Yves Gonnet (yves.gonnet1 (at) orange.fr), qui vous donnera les informations locales sur le suivi des événements.

Illustrations : photographies Yves Gonnet, tous droits réservés.

Ajout du 14 juin 2016 : on nous informe que le chantier a été suspendu. La mobilisation prévue le 15 juin au matin l'est aussi, mais notre vigilance reste entière.

10/06/2016

Populations biologiques à l'amont et à l'aval de petits barrages (Mueller et al 2011)

La continuité écologique "à la française" vise à effacer le maximum d'ouvrages en rivière, tout en avançant des informations très lacunaires sur les enjeux biologiques associés aux seuils et barrages. Les citoyens étant mal informés, ils pensent parfois qu'un ouvrage détruit une bonne partie du vivant. Il n'en est rien. Nous revenons ici sur l'une des (rares) études consacrées à des ouvrages de petite dimension, avec analyse du périphyton, des macrophytes, des invertébrés et des poissons. On s'aperçoit que l'impact est observable, mais qu'il n'a pas du tout le caractère de gravité que lui attribuent en France les gestionnaires de rivière. La variation des habitats produit une variation des espèces amont/aval dans la proximité du seuil, ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose pour la biodiversité. Seule une vision intégriste de la conservation (supprimer tout habitat anthropisé comme "dégradé") défend la nécessité de détruire préférentiellement les singularités que représentent  les seuils et barrages en rivière. Nous devons sortir de ces dogmes et exiger des diagnostics complets sur chaque rivière, afin que les citoyens jugent en toute connaissance de cause de l'intérêt de la dépense publique en continuité écologique.

Melanie Mueller, Joachim Pander et Juergen Geist (Université de Münich) ont analysé 5 sites sur des rivières allemandes (Günz, Leitzach, Moosach, Sächsische Saale, Wiesent), aux modules allant de 2,64 à 8,35 m3/s, dotés de barrages de petite dimension (hauteur de 1,3 à 4,2 m), la plupart construits au XXe siècle.

L'objectif des auteurs est d'analyser les modifications biologiques et morphologiques induites par les ouvrages, afin de produire des données pour la construction d'un indicateur multivarié d'impact. Ils ont pour cela procédé à 15 analyses amont et 15 analyses aval, dans une zone d'influence très proche du barrage (quelques centaines de mètres).

Nous n'entrerons pas dans le détail de leurs observations, qui intéresse surtout le chercheur ou l'ingénieur. Nous allons nous concentrer sur l'effet biologique pour les 4 communautés observées, périphyton (algues essentiellement, 129 espèces), macrophytes (18 espèces, 13 familles), macro-invertébrés (93 espèces, 51 familles) et poissons (27 espèces, neuf familles, et une espèce d'agnathe, lamproie).


Extrait de Mueler et al 2011, arti. cit., droit de courte citation

Ce graphique ci-dessus compare pour l'amont (gris foncé) et pour l'aval (gris clair) trois scores : la richesse spécifique (total des espèces), l'indice de Shannon (mesure de biodiversité incluant la précédente avec des correcteurs) et l'équitabilité ("evenness", permettant de vérifier si les espèces se répartissent égalitairement dans la diversité ou si l'une domine très largement la métapopulation). Les "boites à moustaches" exposent la valeur médiane et les quantiles 25-75%, les pointillés indiquant les valeurs minima et maxima.

On constate que :
  • les populations amont et aval diffèrent;
  • les médianes de la population amont sont plus faibles que celles de la population aval;
  • les différences restent néanmoins modestes car les scores se superposent largement sur l'ensemble de leur distribution, et les médianes sont généralement très proches (sauf certains cas comme les invertébrés en richesse spécifique ou les macrophytes en indice de Shannon).  

Un deuxième schéma donne la bêta-diversité, c'est-à-dire la comparaison des populations présentes dans les écosystèmes amont-aval. Un score de 0 indique qu'il n'y a aucune espèce commune (donc une diversité maximale entre les deux écosystèmes), un score de 1 indique la parfaite identité de deux assemblages.


Extrait de Mueler et al 2011, arti. cit., droit de courte citation.

Le point intéressant à observer ici, c'est que nous sommes loin de l'identité entre l'écosystème amont et l'écosystème aval. Cela tend à indiquer que la différenciation des habitats se traduit aussi par une différenciation des espèces présentes. En d'autres termes, un gain de biodiversité totale.

Discussion
Du point de vue de l'écologue, ces variations sont certainement significatives. Du point de vue du citoyen, elles paraissent assez triviales. On sait que les habitats à l'amont et à l'aval d'un barrage diffèrent, on s'attend à ce que les populations biologiques diffèrent aussi puisqu'elles ne rencontrent pas les mêmes conditions de milieu. Et alors? En quoi est-ce grave pour le vivant?

C'est tout le problème d'une certaine posture présente dans les sciences de la conservation et de la restauration depuis leur naissance dans les années 1980: à partir du moment où l'on trouve une différence entre un habitat anthropisé et un habitat non anthropisé (et par définition, on en trouvera toujours), on va considérer que la réhabilitation du premier est plus ou moins une nécessité.

Même si elle paraît scientifiquement argumentée (par des calculs, des mesures, etc.), cette injonction à "renaturer" n'a en soi rien de particulièrement scientifique: les écosystèmes naturels / artificiels sont différents, dire que l'un est "bon" et l'autre "mauvais" relève d'un jugement de valeur étranger à l'exercice de la science (voir Lévêque 2013, nous reviendrons dans d'autres articles sur la genèse d'une confusion présente dès le début des sciences de la conservation). Dans l'exemple de Mueller et al 2011 ici commenté, on voit bien que l'enjeu n'est pas de choisir entre un système quasiment dépourvu de vivant d'un côté, un système d'une grande richesse d'un autre : les communautés sont diverses, au sein de chaque biotope comme entre eux.

Aujourd'hui, cette vulgarisation des résultats de la recherche n'est pas faite, alors même qu'on engage des programmes de conservation ou de restauration généralistes, non pas centrés sur des espèces en danger critique d'extinction ou sur des "points chauds" de biodiversité, mais sur des reprofilages fonctionnels des bassins versants entiers. Ce qui a un coût considérable, des effets indésirables sur les usages de l'eau et sur d'autres facteurs d'intérêt écologique. Or, la société a le droit de se voir exposer les détails de ces programmes, d'obtenir la mesure de l'impact au départ et du gain écologique attendu, d'estimer si la dépense d'argent public est justifiée, de juger si l'état futur de l'hydrosystème renaturé est, ou non, préférable à l'état actuel de l'hydrosystème anthropisé.

Ceux qui entretiennent la société dans l'ignorance sur ces questions sont ceux qui profitent de cette ignorance. La dépense publique en écologie n'a pas à satisfaire des intérêts sectoriels ni à conforter des mandarinats locaux: elle doit améliorer la qualité écologique des milieux, pour cela déjà décrire leur état et comprendre leur dynamique, tout en intégrant les attentes sociales des riverains et usagers.

Référence : Mueller M et al (2011), The effects of weirs on structural stream habitat and biological communities, Journal of Applied Ecology, 48, 6, 1450-1461