03/07/2016

Les moulins n'ont pas fait disparaître les saumons du bassin de Loire

Les saumons étaient encore largement présents dans les rivières du bassin de Loire à la fin du XIXe siècle. Là où ils avaient commencé à régresser (Cher, Loire supérieure, Vienne supérieure, Creuse), c'était le fait de constructions assez précisément identifiées dans les archives par les travaux classiques de R. Bachelier : le plus souvent des barrages réalisés à la demande de l'Etat, et non pas le fait d'une accumulation des modestes seuils présents depuis l'Ancien Régime. Par la suite, l'édification de dizaines de grands barrages va bloquer presque tous les axes migrateurs. Nous regrettons que ces faits ne soient pas rappelés clairement par les services instructeurs (notamment l'Onema). Nous déplorons plus encore que la France ait engagé une politique aberrante de destruction prioritaire et indistincte des ouvrages hydrauliques de taille modeste, alors que la restauration de continuité demande la mise en oeuvre de modèles de priorisation fondés sur des objectifs scientifiquement validés et socialement acceptés. 

En juin dernier s'est tenue sur le bassin Loire-Bretagne une rencontre des services de l'Etat en charge de la continuité avec les représentants des fédérations de moulins (rencontre à laquelle Hydrauxois n'a pas été conviée). Un représentant de l'Onema a projeté un exposé où figuraient ces cartes de répartition du saumon "avant le XIXe siècle" et "à la fin du XXe siècle". Une précision sur l'écran indique que la saumon a régressé sur le bassin de Loire à l'époque des seuils, par un "effet cumulé".


Ce choix de présentation nous paraît très contestable. L'histoire du saumon en Loire a été reconstituée en 1963 et 1964 par une monographie de R. Bachelier dans le Bulletin français de pisciculture. Chez les experts des poissons (et en particulier à l'Onema), tout le monde connaît ce travail qui fait encore autorité.

Or, R. Bachelier est très précis dans l'histoire de la régression du saumon. Voici la carte de la répartition du grand migrateur à la fin du XIXe siècle.

Cette carte est beaucoup plus instructive pour les moulins puisqu'elle montre une assez large répartition des frayères encore actives sur le bassin de Loire, malgré la présence de tous les ouvrages fondés en titre ou réglementés au cours du XIXe siècle.

Sur les axes où le saumon a déjà régressé, que nous dit R. Bachelier ?

Obstruction de la Loire supérieure : elle est le fait du service de navigation intérieure (donc de l'Etat) avec la construction des barrages de Decize (1836) et de Roanne (1843), suivie de la mise en eau permanente du canal de Decize en 1845.

Obstruction de la Vienne supérieure : elle a commencé avec la construction par le service de l'artillerie (de nouveau l'Etat donc) d'un seuil de 2 m en 1822 à Châtellerault. Le manque de franchissabilité a conduit à y construire 2 échelles à poissons en 1864 puis 1889, avec finalement une échancrure en 1904.

Obstruction du Cher : elle a été le fait des services de navigation là encore, avec un ouvrage à Preuilly devenu infranchissable en 1858.

Obstruction de la Creuse : une papeterie obtient l'autorisation de construire un barrage en 1857 à La Haye-Descartes, avec une rehausse en 1860. Cela entraîna une chute brutale des pêches à l'amont, impliquant de construire une large échelle à poissons en 1881.

Les travaux de Bachelier montrent donc que :
  • la majorité du bassin de Loire restait ouverte aux saumons à l'époque des moulins fondés en titre ou réglementés (dans l'enquête des Ponts et Chaussées de 1888, sur la Loire remontée jusqu'à Issarlès en Ardèche ; Allier remontée jusqu'à Veyrune en Ardèche ; Cher jusqu'à Preuilly ; Vienne jusqu'à Nedde en Haute-Vienne ; Creuse jusqu'à Felletin) ;
  • les premiers blocages sur les grands axes migrateurs ont été le fait de barrages de taille plus importante, construits le plus souvent à l'initiative de l'Etat pour favoriser le désenclavement de territoires et la navigation  ;
  • ces blocages sont le fait d'ouvrages précisément documentés, et non pas d'une accumulation d'ouvrages de petites tailles déjà présents ;
  • c'est enfin la construction de grands barrages sur tout le bassin au XXe siècle qui a fermé l'accès à presque toutes les frayères amont du bassin de Loire.
Il est à noter que les mêmes faits s'observent sur le bassin de la Seine, où c'est l'hydraulique de navigation (et la pollution de l'agglomération parisienne) qui ont fait régresser au premier chef le saumon, et non pas la petite hydraulique des moulins (voir cette analyse). Rappelons ce que disait Louis Roule, dans une autre étude classique sur le saumon et son histoire : "Les anciens barrages n’étaient pas très nuisibles. Peu élevés, construits en plan inclinés, ils pouvaient s’opposer à la montée pendant les périodes de basses eaux, mais non en crues ni en eaux moyennes ; ils se couvraient alors d'une lame d’eau suffisante pour le passage, et le courant sur leur plan incliné n’était pas assez violent pour arrêter l’élan des saumons. Tel n’est pas le cas des barrages actuels, plus élevés et verticaux (…) La montée reproductrice se trouve arrêtée complètement, sauf parfois dans le cas des crues exceptionnelles et dans les barrages de hauteur moyenne qui peuvent être noyés sous la lame d’eau" (Roule 1920).

Améliorer la franchissabilité, oui ; tout casser pour des dogmes, non
Les moulins sont disposés à améliorer la franchissabilité des ouvrages (dont certains ont été rehaussés au cours des 100 dernières années) sur les axes des grands migrateurs amphihalins. Cela peut se faire par des mesures de gestion de vannage ou par des créations de passes à poissons fonctionnelles, à condition que le besoin soit caractérisé à l'aval, que les mesures représentent des coûts tolérables pour la collectivité et des contraintes raisonnables pour le maître d'ouvrage. En revanche, les moulins n'accepteront jamais d'être les victimes expiatoires d'une idéologie intégriste de la "renaturation" exigeant de transformer les paysages de vallée et de détruire le patrimoine historique au nom de quotas halieutiques décidés dans des bureaux ou du retour à une "rivière sauvage" fantasmée (y compris la Loire, qui n'est en rien le "dernier fleuve sauvage d'Europe" vu son très lointain passé d'endiguement et de dragage, ainsi que la modification des processus sédimentaires sur les bassins versants). Toute rivière est en équilibre dynamique, toute rivière est "anthropisée" : il faut commencer par la reconnaissance de cette évidence produite par l'évolution sociale et biologique, pour travailler si nécessaire à la restauration ciblée de fonctionnalités ou à la protection ciblée de biotopes d'intérêt.

Depuis longtemps déjà, l'Agence de l'eau Loire-Bretagne et les services instructeurs de ce bassin déploient une politique agressive de destruction des ouvrages de moulins (voir par exemple le rapport Malavoi 2003), pendant que les plus grands obstacles à l'écoulement sont toujours en place. Ce bassin Loire-Bretagne a développé et promu précipitamment des outils sans base scientifique sérieuse comme le taux d'étagement, cela alors que la littérature scientifique internationale appelle à employer sur les bassins versants des modèles de priorisation beaucoup plus fins pour lutter contre la fragmentation des cours d'eau (voir un exemple chez Grantham et al 2014, voir aussi Fuller et al 2015, recension à venir sur ce site). Il n'y a qu'en France que l'on mène une politique totalement aberrante consistant à détruire sans discernement et en priorité des ouvrages modestes, sur la base de classements de rivière essentiellement inspirés d'anciennes règlementations de pêche du XXe siècle, et non pas fondés sur les travaux les plus récents d'une vraie science de la restauration.

Les moulins n'ont pas à être les boucs émissaires des échecs de la politique de l'eau, ni les terrains d'expérimentation de quelques apprentis-sorciers. Dans le cas particulier des saumons de la Loire, essayer de leur faire porter une responsabilité significative dans l'affaissement des populations au cours des 150 années écoulées n'est pas tenable. Nous attendons des services de l'Etat et établissements administratifs qu'ils donnent des informations correctes et précises. Quant au retour des grands migrateurs amphihalins et à la défragmentation des cours d'eau, procédons par ordre en lieu et place du classement massif des cours d'eau de 2012: il faut aménager les ouvrages dans le sens de la montaison, à mesure que le blocage de populations migratrices est attesté lors des campagnes de contrôle, en choisissant par concertation les solutions adaptées. Mais aussi en interrogeant les citoyens pour savoir s'ils estiment que la dépense publique en ce domaine est réellement d'intérêt général : depuis des décennies que l'on prétend restaurer les populations de saumons de la Loire, la moindre des choses est de faire régulièrement des bilans publics complets sur les sommes dépensées, les résultats obtenus et les perspectives de progrès.

Références citées
Bachelier R (1963), L’histoire du saumon en Loire, 1, Bull. Fr. Piscic. 211, 49-70
Bachelier R (1964), L’histoire du saumon en Loire, 2, Bull. Fr. Piscic. 213, 121-135
Roule L. (1920), Etude sur le saumon des eaux douces de la France considéré au point de vue de son état naturel et du repeuplement de nos rivières, Imprimerie nationale, 178 p.

02/07/2016

Avis négatif sur les effacements des ouvrages de Tonnerre, demande au préfet de surseoir

L'Association pour la restauration et la protection de l'environnement naturel du Tonnerrois (ARPENT),  l’Association de sauvegarde du petit patrimoine tonnerrois et l'association Hydrauxois émettent un avis négatif sur le projet d'effacement des ouvrages hydrauliques de la ville de Tonnerre. Elles demandent à la Ministre de l'environnement et au préfet de l'Yonne de surseoir à l'exécution de ce chantier, dans l'attente d'une meilleure justification de la dépense publique, d'une approche motivée des enjeux écologiques prioritaires de la rivière et d'une prise en compte équilibrée des différentes dimensions associées aux ouvrages hydrauliques.



Considérant que Mme la Ministre de l'Environnement, par lettre d'instruction du 9 décembre 2015 adressé aux Préfets, a écrit : "Dans l’immédiat, sans attendre les résultats de cette mission [confiée au CGEDD par la Ministre], je vous demande de ne plus concentrer vos efforts sur ces cas de moulins (ou d’ouvrages particuliers) où subsistent des difficultés ou des incompréhensions durables. Ces points de blocage ne trouveront de solution qu’au travers de solutions adaptées, partagées et construites le plus souvent au cas par cas";

Considérant que la loi française sur l'eau et les milieux aquatiques (article L 214-17 Code de l'environnement) demande que tout ouvrage hydraulique de rivière classée en liste 2 soit "géré, entretenu et équipé" selon des règles définies par l'autorité administrative, et non pas arasé ou dérasé;

Considérant que l'article 29 de la loi 2009-967 dite Grenelle évoque la notion d'un "aménagement" des ouvrages "les plus problématiques" dans le cadre de la Trame bleue, et non pas un effacement des ouvrages modestes comme le sont les deux seuils concernés;

Considérant que la masse d'eau FR HR65, "l'Armançon du confluent du ruisseau de Baon (exclu) au confluent de l'Armance (exclu)", est en état chimique dégradé par les HAP, que la priorité DCE est de trouver une solution à ce facteur dégradant de qualité et qu'aucune preuve n'est avancée que le projet d'effacement des ouvrages n'est pas de nature à aggraver cet état chimique;

Considérant que l'état piscicole de cette masse d'eau, mesurée par l'Indice Poisson Rivière pour la DCE, est en classe "bonne" ou "excellente" dans les relevés de 2003, 2008 et 2012, et tend à s'améliorer graduellement depuis quinze ans, de sorte qu'il n'est nul besoin prioritaire d'améliorer ce compartiment de qualité par des opérations destructives;

Considérant que les travaux des chercheurs (Beslagic S et al (2013a), CHIPS: a database of historic fish distribution in the Seine River basin (France), Cybium, 37, 1-2, 75-93) ont montré que "la situation des peuplements [de poissons] ne semble guère avoir évolué sur l’Armançon (un affluent de l’Yonne) entre la fin du XIXe siècle et aujourd’hui", de sorte que l'hypothèse d'un effet négatif et cumulatif dans le temps des ouvrages sur les poissons paraît infirmé par ces données de recherche;

Considérant que la faible hauteur des ouvrages (0,97 m et 1,65 m au module), la conformation en pente de leur parement et l'existence d'échancrures latérales les rendent en particulier franchissables aux espèces migratrices (ici anguilles) qui sont la cible première du classement des rivières de Seine-Normandie par arrêté de décembre 2012, les anguilles étant attestées dans les pêches de contrôle à l'amont du bassin;

Considérant que les rapports des bureaux d'études Cariçaie 2012, Segi 2015 et le dossier soumis à enquête publique n'ont procédé à aucun inventaire complet de biodiversité des zones à aménager, de sorte que la gain écologique n'est pas motivé et que le risque de mise en danger d'espèces menacées n'est pas vérifié, ce qui est contraire aux articles L 110-1, L 163-1 et L 411-1 du Code de l'environnement;

Considérant que la mission Hydratec 2006-2007 (JR Malavoi), commanditée par le Sirtava aujourd'hui SMBVA, concluait à l'absence d'enjeux sédimentaires sur le bassin – "Le bassin de l’Armançon présente environ 400 km de rivières importantes : l’Armançon lui-même (200 Km) et ses principaux affluents et sous-affluents (Brenne, Oze, Ozerain et Armance). D’un point de vue géodynamique, ces rivières, bien que très influencées par les activités anthropiques (nombreux barrages, anciens rescindements de méandres et travaux divers liés notamment à la construction du canal de Bourgogne, nombreuses protection de berges « rustiques » (dominantes) ou très « lourdes » (plutôt rares) présentent une activité géodynamique assez importante. Les érosions de berges, plus ou moins actives selon les secteurs, sont à l’origine d’une charge alluviale importante qui garantit, malgré la présence de barrages « piégeurs d’alluvions », un équilibre sédimentaire. Cette fourniture de charge alluviale évite notamment les incisions du lit, dommageables pour les ouvrages d’art (ponts, digues, protections de berges sur des secteurs à enjeux). Cette activité géodynamique permet aussi le maintien de milieux intéressant du point de vue écologique : des habitats aquatiques diversifiés (en dehors des retenues générées par les seuils) ; un substrat alluvial indispensable pour les biocénoses aquatiques" – de sorte que l'enjeu sédimentaire du projet n'est pas motivé, outre le fait que les ouvrages de taille modeste sont quasi-transparents à la charge solide lors des crues morphogènes ;

Considérant que l'étude géotechnique du BE Fondasol a établi que les deux ponts à l'amont des ouvrages sont en mauvais état pour leurs piles et leurs culées, sans fondation profonde en premier examen, et que l'arasement des ouvrages risque d'affaiblir ces structures par des variations plus prononcées du niveau d'eau à l'amont;

Considérant qu'aucun régime de responsabilité juridique en cas de dommage différé aux tiers et aux milieux liés à l'arasement n'a été établi, alors qu'il reviendrait au Syndicat de l'Armançon SMBVA ou à l'Etat de préciser qu'ils assument tous les risques futurs liés au changement des écoulements et qu'ils libèrent les propriétaires d'ouvrages de cette responsabilité;

Considérant que le projet proposé en enquête publique n'établit pas l'absence de l'ensemble des polluants à surveiller dans les sédiments ni l'évitement de leur remobilisation dommageable à la rivière ou aux captages (arrêté du 9 août 2006 relatif à la nomenclature du R 214-1 Code de l'environnement);

Considérant qu'un effacement d’ouvrage ne doit pas induire ni faciliter l’introduction d’une espèce indésirable ou d'une épizootie dans un milieu qui en est indemne (article L411-3 Code de l’environnement, article L 228-3 Code rural et de la pêche), et que ce point n'est pas sérieusement établi dans le projet dont l'objectif est de faciliter la circulation des espèces aquatiques, y compris les invasifs ou indésirables, et les pathogènes dont ils peuvent être porteurs;

Considérant que la ville de Tonnerre a obtenu en 2015 le label de "petite cité de caractère", que les ouvrages et leurs plans d’eau font partie du patrimoine historique, paysager et technique de la ville, que leur effacement contribue à une perte de mémoire collective sur les usages riverains ;

Considérant que nous n'avons pas eu connaissance d'un arrêté préfectoral d'annulation ou de modification du droit d'eau ou du règlement d'eau des ouvrages concernés par le projet, de sorte que leur consistance légale doit être respectée tant qu'un tel arrêté n'est pas promulgué et son délai de contestation respecté;

Considérant que ce projet, sans réel enjeu écologique démontré au regard de ce qui précède, représente une dépense d'argent public inutile, en particulier face à des priorités de premier ordre comme la prévention des inondations et la limitation des pollutions, induit une dégradation dommageable du patrimoine hydraulique de Tonnerre et implique la perte d'un potentiel énergétique qui pourrait être à l'avenir exploité pour améliorer le bilan carbone du territoire ;

l’Association Hydrauxois, l'Association ARPENT (Association pour la Restauration et la Protection de l'Environnement Naturel du Tonnerrois) et l’Association de Sauvegarde du Petit Patrimoine Tonnerrois demandent :

  • à M. le Commissaire enquêteur de donner un avis négatif au projet d'effacement de deux ouvrages hydrauliques de Tonnerre (services techniques et Bief Saint-Nicolas);
  • à M. le Préfet de l'Yonne de suspendre ce projet dans l’attente de données complémentaires et dans le respect de l'instruction donnée par Mme la Ministre.

Copie à Mme la Ministre de l'Environnement.

A nos consoeurs associatives : plusieurs des motivations du refus des effacements de Tonnerre ont des arguments généraux que vous pouvez reprendre librement pour vous opposer à d'autres projets qui concernent vos territoires (pour notre part, nous refuserons également les effacements sur le Cousin et l'Ource). N'hésitez pas à le faire, en prenant la même procédure : dépôt d'avis en enquête publique, demande au Préfet de surseoir, copie à la Ministre de l'Environnement.

Aux citoyens de Tonnerre : le dernier jour pour donner votre avis à l'enquête publique est le mardi 5 juillet, 14-17 h, en mairie.

A lire : l'ensemble des articles et analyses sur le sujet en cliquant sur l'onglet Tonnerre de notre site.

01/07/2016

Des petits barrages favorables aux salamandres (Kirchberg et al 2016)

Aux Etats-Unis, des chercheurs montrent que trois espèces de salamandre sont 4 à 20 fois plus nombreuses en aval des petits barrages que dans les tronçons non fragmentés des têtes de bassin. Le phénomène peut s'expliquer par la stabilisation du débit induite par le barrage, les changements morphologiques et trophiques, l'effet chimique sur l'eau. "Les petits barrages peuvent jouer un rôle écologiquement important pour les communautés situées à l'aval", concluent les scientifiques. Ces barrages modestes étant encore peu étudiés par les chercheurs, ils appellent à la plus grande prudence dans la tendance actuelle à leur démantèlement au nom de la conservation.



Jeffery Kirchberg et ses collègues (Université du Kentucky, Université du Sud Sewanee, Tennessee) observent que les grands barrages ont été associés aux déclins de certaines espèces en rivières et longuement analysés, alors que "les petits barrages sont largement sous-étudiés" par la recherche scientifique. Les auteurs ont vérifié la répartition de salamandres dans 10 paires de tronçons tantôt en flux libre, tantôt fragmentés par des barrages de taille inférieure à 5 m et de retenue inférieur à 0,8 ha. Deux transects ont été réalisés à 20 m et à 50 m à l'aval des barrages, avec trois à six échantillonnages entre avril et octobre.

Une abondance 4 à 20 fois supérieure à l'aval des barrages
Six espèces d'amphibiens ont été capturées au total, dont trois plus de 150 fois. Les larves de ces trois espèces de salamandre (Desmognathus conanti, Eurycea wilderae et Pseudotriton ruber) ont été étudiées plus précisément en raison de leur expansion sur le plateau de Cumberland (zone d'étude) et de leur stratégies de vie assez différentes. Les larves se sont révélées respectivement 3.9, 19.6 et 9.8 fois plus abondantes à l'aval des barrages que dans les flots libres. Pour ce qui est des propriétés physico-chimiques de l'eau de l'eau, le pH et la concentration de fer ont une corrélation positive à la présence des urodèles, la conductivité étant négativement associée.

Comment expliquer ce résultat, qui n'était pas attendu? Une première explication peut venir des conditions hydrologiques plus stables assurées par les barrages, notamment la limitation des sécheresses saisonnières. Une autre hypothèse tient à ce que les eaux plus exposées à la lumière des retenues sont plus productives, et donc plus favorables à la production trophique bénéfique aux salamandres. Il est aussi possible que le blocage du barrage crée un effet d'accumulation.

Une claire reconnaissance de certains effets bénéfiques des petits barrages
Les chercheurs concluent : "Cette étude rejoint un corpus croissant de littérature indiquant que les petits barrages peuvent jouer un rôle écologiquement important pour les communautés situées à l'aval (…) En bénéfices secondaires, les petits barrages réduisent aussi les mouvements des espèces aquatiques invasives et servent de puits à des contaminants et toxiques environnementaux".

Et ils ajoutent : "Bien que les petits et grands barrages puissent causer des problèmes environnementaux et que les groupes conservationnistes appellent régulièrement à soutenir leur effacement, nous encourageons à évaluer avec prudence le démantèlement des barrages selon le contexte de leur taille, de leur position sur le réseau, et de la présence d'espèces rares, migratrices ou invasives".

Voilà une nouvelle étude qui rejoint très exactement la position de prudence que nous défendons, et plaide pour des aménagements sélectifs en faveur des migrateurs, sans destruction. Mais les gestionnaires pressés de rivières sont loin de respecter ces précautions, puisqu'on les pousse au résultat au détriment de la qualité des travaux préparatoires. Les inventaires préalables de biodiversité des biefs, retenues et zones adjacentes aux ouvrages sont plus que jamais nécessaires avant la mise en oeuvre de la continuité écologique sur un bassin versant.

Référence : Kirchberg K et al (2016), Evaluating the impacts of small impoundments on stream salamanders, Aquatic Conservation: Marine and Freshwater Ecosystems, DOI: 10.1002/aqc.2664

Illustration : salamandre à deux lignes de Blue Ridge (Eurycea wilderae), Joseph B. Lax-Salinas, CC BY-SA 3.0

30/06/2016

Zéro perte nette de biodiversité? Cela doit s'appliquer aux effacements d'ouvrages

La loi prévoit déjà de limiter les atteintes à l'environnement lors des chantiers ayant des impacts sur les habitats et espèces en place, et les députés viennent de renforcer ce dispositif dans le cadre des discussions sur la loi Biodiversité. Nous demandons (et appelons nos consoeurs associatives à demander) que ces dispositions s'appliquent en toute rigueur aux chantiers de destruction d'ouvrages hydrauliques, dont la plupart sont hélas totalement dépourvus d'analyse de la biodiversité locale. Un modèle de courrier en ce sens est ici proposé. Il sera utilement adressé pour chaque effacement aux publics suivants : services administratifs (Dreal, DDT, Onema, Agence de l'eau, au premier chef DDT en charge du contrôle réglementaire des chantiers en rivière) ; syndicats de rivière et de bassin versant ; fédérations départementales de pêche ou bureaux d'études mandatés pour des diagnostics de sites et de tronçons.



Depuis la loi du 10 juillet 1976, le principe "éviter, réduire, compenser" régit les chantiers ayant un impact sur l'environnement : il s'agit d'abord d'éviter ou de réduire un impact, ensuite de le compenser s'il est inévitable. Dans le cadre de l'examen de la loi de Biodiversité, les députés ont choisi de renforcer ce principe en posant l'objectif de "zéro perte nette de biodiversité".

Notre association appelle ses consoeurs à exiger dès que la loi sera votée (au cours de l'été) la mise en oeuvre de ces mesures de précaution sur tous les chantiers d'effacement d'ouvrages hydraulique en rivière (dont certains sont programmés pour l'étiage de septembre). Nous proposons ci-dessous une formulation "standard" à adresser au service instructeur de la Préfecture, formulation que chacun aura soin d'adapter à la rivière et au site concernés par des arguments ad hoc.

Demande au Préfet de mise en oeuvre des procédures d'évaluation et sauvegarde de la biodiversité sur un programme d'effacement d'ouvrage hydraulique en rivière

Attendu que 
  • le vivant tend à coloniser tous les espaces disponibles, par adaptation aux propriétés physiques et chimiques qu'il rencontre;
  • par leur existence, les ouvrages hydrauliques de type seuil ou barrage augmentent le volume instantané d'eau disponible pour le vivant dans le bassin versant et créent de nouveaux habitats par rapport à ceux que la rivière produit spontanément;
  • les habitats lentiques des retenues et plans d'eau, ainsi que les habitats annexes des canaux et biefs, produisent une diversité locale des écoulements qui est bénéfique à certaines espèces adaptées à ces nouvelles propriétés thermiques, rhéologiques, morphologiques et trophiques;
  • ces habitats présentent des fonctionnalités protectrices intéressantes de refuge à certaines conditions (crues violentes, étiages sévères);
  • l'intérêt du gain d'habitats lié à un effacement pour certaines espèces spécialisées (rhéophiles, sténothermes, migratrices, etc.) ne suffit pas à garantir un gain net de biodiversité, cet intérêt doit être évalué en fonction des habitats déjà disponibles pour ces espèces sur l'ensemble du tronçon d'une part, en fonction de la perte occasionnée pour d'autres espèces adaptées au site en l'état d'autre part;
  • la densité de barrages et seuils d'un tronçon tend à avoir une corrélation positive à la richesse spécifique piscicole totale du tronçon (Van Looy et al 2014);
  • la biodiversité des milieux aquatiques ne se résume pas aux poissons (2% environ des espèces) mais concerne l'ensemble de la faune et de la flore vivant directement dans l'eau (insectes, crustacés, arachnides, mollusques, amphibiens, etc. Balian et al 2008) ou dans sa proximité (oiseaux, mammifères, reptiles, etc.);
  • les populations et assemblages biologiques à l'amont et à l'aval d'un obstacle à l'écoulement diffèrent, ce qui produit un accroissement de bêta-diversité (Mueller et al 2011, nombreux autres travaux);
  • des habitats entièrement artificiels comme des canaux peuvent servir de zone de reproduction à des espèces piscicoles menacées en France (Aspe et al 2014);
  • d'innombrables retenues et plans d'eau artificiels sont aujourd'hui inscrits dans les périmètre des ZNIEFF et des zones Natura 2000, ce qui indique la nécessité de ne jamais présumer un état "dégradé" pour une masse d'eau artificielle, mais au contraire de toujours contrôler la diversité réelle présente dans chaque site que l'on s'apprête à modifier ou faire disparaître.
Nous demandons que :
  • le projet d'effacement soit assorti d'un inventaire de biodiversité sur au moins quatre points de contrôle (station amont non impactée, retenue, bief, station aval non impactée);
  • la biodiversité totale de l'hydrosystème formé par le tronçon aménagé soit évaluée et quantifiée à partir du recueil de données;
  • l'évolution de cette biodiversité totale après l'effacement de l'ouvrage soit modélisée;
  • toute perte nette de biodiversité totale conduise au rejet du projet d'effacement et à la préservation du site en l'état.
Le refus par le responsable du chantier d'effacement de procéder à ces mesures diagnostiques et prudentielles l'expose à des poursuites au motif de non-respect des art. L 110-1 CE et L 163-1 CE. 

Nota : les liens ci-dessus renvoient aux articles Hydrauxois de commentaires des travaux, où vous trouverez des analyses et des graphiques complémentaires libres d'emploi pour appuyer votre demande. Le lien vers la source primaire de chaque publication scientifique est disponible en bas de ces articles. Ces précisions ne sont pas indispensables au service instructeur, puisque la demande consiste basiquement à procéder à un inventaire de biodiversité et un diagnostic d'évolution locale avant de détruire des habitats existants hébergeant certaines espèces.

Conclusion : arrêtons de bâcler les diagnostics de site et les chantiers d'effacement
Un certain nombre de gestionnaires de rivière entendent donner des leçons d'écologie aux propriétaires d'ouvrages hydrauliques et aux riverains. Nous verrons si ces  gestionnaires ont l'honnêteté et la rigueur intellectuelles d'appliquer à leurs propres projets les préceptes exigeants dont ils se réclament et qu'ils imposent aux autres. Aucun effacement ne devrait désormais être accepté sans les contrôles élémentaires des propriétés, fonctionnalités et diversités de l'hydrosystème en place, avec la garantie vérifiable d'un gain écologique par rapport à l'existant si l'ouvrage est effacé.

Illustrations
La diversité des écoulements à Belan-sur-Ource, hydrosystème actuel avant effacement d'un ouvrage programmé par le syndicat SICEC. Les peuplements biologiques de ces zones et leur évolution en cas d'effacement ont-ils été contrôlés en phase de programmation du chantier? Pas à notre connaissance.

A lire et utiliser en complément
Vade-mecum de l'association pour garantir le respect du droit lors des effacements d'ouvrages en rivière

29/06/2016

200 millénaires de nature modifiée par l'homme (Boivin et al 2016)

Huit chercheurs font le bilan des dernières décennies de recherche en archéologie, paléo-écologie et génétique appliquées à la biodiversité. Il en résulte un démenti définitif de certaines représentations naïves mais encore dominantes : bien loin d'une nature vierge jusqu'à date récente ou respectée scrupuleusement par les civilisations antérieures, c'est toute l'expansion humaine depuis 200 millénaires qui a modifié en profondeur l'abondance, la composition et la diversité des espèces et des écosystèmes sur Terre. Avec notamment d'innombrables extinctions locales de l'époque préhistorique aux premières civilisations urbaines. Il existe malgré l'ancienneté de cette tendance une évidente accélération moderne de ce grand bouleversement, en raison des nouveaux moyens dont l'homme s'est doté dans sa stratégie de "construction de niche". La compréhension fine du passé de la biodiversité est désormais une composante nécessaire de la qualité et de l'efficacité de sa protection future. On en est par exemple très loin dans certaines opérations amnésiques et prétentieuses de "renaturation de cours d'eau", sans parler de certaines publicités mensongères sur des "rivières sauvages". Protéger le vivant et préserver les services rendus par les écosystèmes, c'est d'abord éduquer sur la réalité de leurs trajectoires dans l'évolution.

Quand on parle de l'empreinte écologique de l'humanité ou de la "sixième extinction" de la biodiversité, la plupart ont à l'esprit la société industrielle moderne, notamment la "grande accélération" de l'Anthropocène au XXe siècle. La hausse de la démographie, la perturbation des grands cycles (eau, carbone, azote, phosphore, soufre, ozone, etc.) par les activités humaines, la puissance transformatrice du développement industriel moderne, le changement climatique global seraient les causes principales et modernes de la crise écologique. En contrepoint, on s'imagine que les périodes pré-industrielles voyaient une humanité sobre et sage coexister avec une nature presque vierge, en même temps que les peuples autochtones avant la conquête occidentale du monde vivaient dans le respect des équilibres locaux de leur environnement.

Ce récit est familier. Il nous rassure par son schéma binaire et simple. Mais il est faux. Nicole L. Boivin (université d'Oxford) et ses collègues viennent de publier dans les PNAS un passionnant article de perpective scientifique sur l'évolution à long terme des espèces sous l'influence humaine. "L'altération anthropique des distributions d'espèces a été caractérisée comme un phénomène moderne, avec des antécédents historiques limités et tout à fait insignifiants. Cette vision conventionnelle échoue à rendre compte de plusieurs décennies de recherche archéologique, paléo-écologique et génétique qui révèlent une histoire longue et omniprésente de transformation de la biodiversité globale", expliquent les chercheurs. Ils insistent sur l'importance cruciale des données pour faire de la bonne science écologique : analyse des anciens ADN (aDNA), isotopes stables et microfossiles, nouvelles méthodes morphométriques, chronométriques et statistiques ont apporté une masse d'informations depuis quelques décennies.

Quatre étapes dans l'anthropisation de la nature
Les scientifiques discernent quatre périodes clés de la transformation anthropique de la nature. Cette modification est assimilée à une "construction de niche" : l'homme bâtit son propre milieu, en conformité à la nature sociale et technicienne de son espèce, ce qui a pour effet de changer les milieux des autres espèces.

La colonisation globale. Homo sapiens était présent en Afrique voici environ 195.000 ans, il avait colonisé chaque région du globe voici 12.000 ans. Ce premier mouvement est déjà associé à des phénomènes complexes d'extinction, disparition, translocation d'espèces. Par exemple, l'humanité paléolithique utilise le feu pour éclaircir les contrées qu'elle colonise, ce qui modifie les communautés de plantes. Des marsupiaux et des rongeurs franchissent des milliers de kilomètres et colonisent eux aussi de nouveaux territoires dans le sillage des implantations humaines. Localement, on peut identifier quelques surexploitations de poissons, rongeurs, singes et oiseaux. Le Quaternaire tardif est déjà le siège d'une extinction massive : 101 des 150 genres connus de la mégafaune (animaux plus lourds que 44 kg) disparaissent entre 50.000 et 10.000 ans avant le présent.

L'invention de l'agriculture et du pastoralisme. Voici 10 à 15 millénaires commence un mouvement de domestication qui se traduit par l'émergence d'espèces et sous-espèces produites par l'homme : chiens, chèvres, moutons, vaches, poules, etc. Les vertébrés sauvages vont devenir minoritaires en biomasse par rapport aux vertébrés domestiqués. Des innovations similaires et parallèles concernent la production d'espèces végétales, avec l'usage croissant des sols pour une production agricole. Entre 8000 et 4000 avant le présent, on arrive déjà à discerner dans les archives atmosphériques (glaces, sédiments) des variations du niveau global de méthane et de dioxyde de carbone associées à l'agriculture. Les espèces introduites par l'homme apportent des pathogènes, comme par exemple le reflux des ormes sous la pression des scolytes. La transformation des forêts en milieux ouverts (champs et prairies) est la principale évolution des paysages, ce qui modifie notamment la composition des lacs et rivières telle qu'on peut la reconstituer par les diatomées, les macrophytes et les foraminifères. Les plaines alluviales voient augmenter les populations de milieux mésotrophes ou eutrophes, signe d'un changement de l'activité sédimentaire et des apports énergétiques dans les milieux aquatiques.

La colonisation des îles. Les îles sont des milieux particuliers en raison de leur isolement géographique naturel, ce qui a beaucoup intéressé les observateurs et théoriciens de l'écologie. Il y existe un fort endémisme (beaucoup d'espèces uniques au territoire), peu de redondance fonctionnelle (quelques espèces se spécialisent dans des interactions locales bien identifiées), des dérives particulières des populations (goulot d'étranglement génétique, nanisme comme adaptation aux limites du milieu, etc.). De Chypre à la Polynésie, des Caraïbes aux îles du Pacifique, l'arrivée de l'homme a coïncidé avec un très important taux d'extinction insulaire. Par exemple les deux-tiers des oiseaux non passereaux des 41 îles du Pacifique ont disparu dès l'époque préhistorique, bien avant l'arrivée tardive des Européens. Inversement, des espèces non natives ont été introduites dans tous les milieux insulaires, renforçant l'effet d'une modification de la faune et la flore induite par les activités humaines de chasse, pêche et agriculture.

L'urbanisation et les réseaux d'échange. A partir de l'âge du Bronze émergent de sociétés urbaines à travers la planète, qui sont aussi des sociétés plus complexes et plus techniciennes. Les espèces faunistiques et floristiques de certaines régions densément peuplées et à fort échanges, comme la Méditerranée, sont très largement bouleversées. On en trouve encore la trace aujourd'hui, avec par exemple des zones forestières françaises dont la biodiversité actuelle peut être réinscrite dans une trajectoire commencée à l'époque de l'occupation romaine. Cette époque romaine à elle seule introduit dans son aire d'expansion 50 nouvelles espèces végétales à fin alimentaire. La forêt amazonienne, que des colons ont pu fantasmer comme l'archétype de la "forêt vierge", a été densément colonisée et exploitée par des entités politiques fortes plusieurs millénaires avant l'arrivée des Européens.


Les propriétés physiques, chimiques et biologiques locales ne cessent d'évoluer sous l'effet de l'action humaine. Exemples de l'élimination des grands herbivores changeant l'albedo et la température (A), de l'effet précoce de l'agriculture sur la composition des sols et forêts (B), de la sédimentation des masses d'eau selon l'occupation des berges (C). Extrait de Boivin et al 2016, art cit, droit de courte citation.

Cinq conséquences pour la recherche et la protection de la biodiversité
Nicole L. Boivin et ses collègues tirent cinq conclusions de leur revue des travaux sur l'histoire longue de la biodiversité.
  • On ne peut minorer l'ancienneté et l'importance des influences humaines sur les milieux. "Les activités humaines de construction de niche ont globalement eu un impact majeur sur l'abondance, la composition, la distribution et la diversité génétique – aussi bien taux d'extinction que trajectoires de déplacement – des espèces".
  • La nature vierge, sauvage ou pristine est un mythe moderne sans consistance. "Il existe un lien fort entre les schémas actuels de biodiversité et les processus historiques. Les effets combinés des activités humaines à travers les millénaires incluent sur toutes les surfaces continentales la création d'assemblages d'espèces très cosmopolites et extensivement modifiés. Les paysages 'vierges' n'existent tout simplement pas, et cela depuis des millénaires.".
  • On observe une tendance à l'accélération des changements de biodiversité, qui n'est pas constante mais plutôt avec des pauses et des impulsions, ainsi qu'une tendance à la concentration de la biomasse dans des espèces de plantes et d'animaux utiles à l'homme (ou l'accompagnant).
  • La restauration, conservation et protection du vivant doivent être informées par les données sur l'histoire longue de la biodiversité. "Les données archéologiques et paléo-écologiques sont essentielles pour identifier et comprendre l'histoire longue et la pénétration de ces impacts humains. Les écologues et autres chercheurs sont souvent insuffisamment informés des bases de données archéologiques ou historiques". 
  • L'homme n'a pas que des impacts délétères sur les paysages. Si les effets négatifs de l'expansion et de l'occupation humaines concentrent souvent l'attention des chercheurs, car leur trace archéologique est plus aisée à identifier, il ne faut pas négliger l'intérêt de l'émergence de paysages capables de supporter des populations toujours plus denses à travers les millénaires. 

En conclusion : nous avons besoin de beaucoup de connaissances, et de beaucoup d'humilité aussi
La science est une source inépuisable de connaissance et d'émerveillement. C'est aussi une leçon d'humilité, en particulier quand elle éclaire le passé, les puissantes déterminations dont le présent est le fruit, notre ignorance encore énorme à leur sujet. Les recherches de Boivin et de ses collègues ne peuvent que nourrir en contraste un sentiment de stupéfaction face à la légèreté de certains discours et de certaines pratiques en écologie de la restauration.  Quand on observe des aménageurs de l'environnement pérorer du haut de leur savoir partiel sur ce que serait "l'état de référence naturel" des hydrosystèmes, quand on lit des considérations complexes sur des "biotypologies théoriques" essayant d'essentialiser un état figé et situé des peuplements aquatiques, quand on voit des groupes de pression tromper les gens sur le marketing des "rivières sauvages" ou des "derniers fleuves sauvages d'Europe", on aimerait que cette humilité et cette connaissance inspirent davantage une certaine politique et une certaine militance de l'eau en France.

Référence : Boivin NL et al (2016), Ecological consequences of human niche construction: Examining long-term anthropogenic shaping of global species distributions, PNAS, 113, 23, 6388–6396.