En 2015, plusieurs rapports indépendants avaient déjà critiqué assez vertement la politique française de l'eau et de l'environnement. L'OCDE vient de procéder à un semblable examen de nos choix publics environnementaux, avec des conclusions similaires. Extraits choisis dans le domaine de l'eau, de l'énergie renouvelable et de la concertation démocratique, assortis de quelques commentaires en lien à nos luttes associatives.
Energie renouvelable : l'objectif de 23% en 2020 peu probable
"L’économie française est l’une des plus sobres en carbone parmi les pays de l’OCDE. Cela est dû à la prépondérance du nucléaire dans le mix énergétique (graphique 1) : en 2014, l’énergie nucléaire représentait près de la moitié de l’approvisionnement total en énergie primaire (ATEP) et plus des trois quarts de la production d’électricité. Les énergies renouvelables ne représentaient que 9 % de l’ATEP et 16 % de la production d’électricité, une faible performance comparée à la moyenne des pays européens membres de l’OCDE (13 % et 31 % respectivement) (AIE, 2015). L’objectif de la France d’atteindre 23 % de renouvelables dans sa consommation finale brute d’énergie d’ici 2020, en application de la directive européenne afférente (2009/28/CE), sera difficile à atteindre."
Commentaire : dans le domaine de l'hydro-électricité, qui reste la première des énergies renouvelables et la mieux adaptée pour compenser la fatalité de certaines autres sources d'énergie, les normes environnementales de plus en plus complexes, lourdes et imprévisibles tendant à décourager les porteurs de projet. La France va plus loin dans l'absurde en détruisant les seuils et barrages d'anciens moulins et usines à eau, qui sont autant de sources potentielles d'énergie hydraulique (environ 80.000 sites exploitables).
Pesticides : l'un des plus gros consommateurs au monde
"La France est le premier producteur agricole de l’UE. Sa production a légèrement diminué depuis 2000. Les excédents d’éléments nutritifs (azote et phosphore) ont également baissé. En revanche, l’usage des pesticides a augmenté, faisant de la France l’un des plus gros consommateurs de produits phytosanitaires du monde. L’utilisation de ces produits est liée au type de productions (vignes et arboriculture), à la hausse des surfaces en grandes cultures au détriment des surfaces en herbe et aux conditions climatiques. L’objectif de réduire leur usage de moitié entre 2008 et 2018 ne sera pas atteint, et a été repoussé à 2025 (graphique 1). La présence de pesticides dans les cours d’eau et les nappes phréatiques est préoccupante et la situation a peu évolué depuis 2000. Ces produits contaminent également l’air et les sols, pour lesquels les mesures de contrôle sont insuffisantes."
Commentaire : dans les pays d'Europe occidentale, l'usage agricole des sols du bassin versant est le premier prédicteur de la qualité de l'eau des rivières, lacs, étangs et nappes, ainsi que de la qualité des bio-indicateurs des milieux aquatiques. Ce fait est aussi largement reconnu dans la littérature scientifique qu'il est minoré dans le discours de certains gestionnaires de rivière. Certains affirment sans rire que la destruction de moulins centenaires pourrait "auto-épurer" la rivière de ses pollutions, ce qui dit assez notre incapacité à regarder les réalités en face.
Ressource hydrique : certains zones déjà stressées
"La France subit un stress hydrique modéré, mais la ressource en eau se raréfie dans certains territoires et les étiages s’aggravent dans le sud du pays. Les prélèvements d’eau ont décru depuis 2000."
Commentaire : le changement climatique promet une amplification des phénomènes extrêmes, dont les sécheresses et étiages sévères associés (mais aussi les crues). Casser les outils de régulation locale des niveaux d'eau (seuils, barrages, digues, retenues, canaux, biefs) est un manque élémentaire de prudence, alors que tout le monde se gargarise du principe de précaution.
DCE 2000 : retard sur les objectifs
"La pollution des cours d’eau par les matières organiques et phosphorées a diminué grâce notamment à une réglementation plus contraignante et aux progrès de l’assainissement, mais la pollution par les nitrates et les pesticides perdure. Comme beaucoup de pays européens, la France a demandé des reports de délais (à échéance 2021), se voyant dans l’incapacité d’atteindre l’objectif de bon état des eaux fixé pour 2015 par la Directive-cadre sur l’eau."
Commentaire : dans le cas des nitrates, la France est déjà en retard sur ses objectifs de… 1991 (directive européenne). Personne ne croit sérieusement que les masses d'eau françaises seront à 100% en bon état écologique et chimique d'ici 2027. Faire du faux-semblant et de l'invraisemblable la base du discours public, c'est renforcer la défiance et la désintérêt des citoyens.
Démocratie de l'environnement : problème de représentativité
"Le Grenelle de l’environnement a été un moment fort de la démocratie environnementale en France. Il a fondé le modèle de la « gouvernance à cinq », qui associe l’État, les élus, les entreprises, les syndicats et les organisations non gouvernementales (ONG), et il a directement impliqué les citoyens dans le processus à travers des débats locaux et des consultations sur internet. Sa démarche a été reprise dans le cadre des conférences environnementales annuelles et elle est institutionnalisée par le Conseil national de la transition écologique (CNTE). Cependant, lors du Grenelle comme aujourd’hui, la représentativité des participants pose question. Les syndicats et les ONG ont moins la capacité d’être systématiquement présents, et leur présence ne suffit pas à garantir la représentativité de la société civile (Gossement, 2013). Le renforcement du dialogue social environnemental reste une priorité en France, notamment suite à des mouvements de contestation qui ont ébranlé la politique du gouvernement. La consultation du public concernant les plans, programmes et projets intervient trop tard, à un stade auquel le projet ne peut pas être remis en question et où seuls des changements marginaux peuvent être apportés (AE, 2015 ; Duport, 2015)."
Commentaire : la France ne paraît pas capable de sortir de la gouvernance balisée, centralisée, autoritaire et limitée à des "happy few" qui caractérise son exercice du pouvoir, en particulier son idéologie administrative. Quant à la contestation écologiste des "projets inutiles", si audible à Sivens ou Notre-Dame-des-Landes, on attend toujours sa mobilisation sur les milliers de pelleteuses en rivière que promet la réforme de continuité soi-disant "écologique". Curieusement, certains lobbies hypersubventionnés qui participent à la concertation gouvernementale "officielle" ne trouvent rien à redire au gâchis d'argent public quand il s'agit de casser des moulins et de vider des étangs sans la moindre analyse sérieuse sur le bilan réel en biodiversité et sans écoute des gens voulant préserver leur cadre de vie.
Conclusion
Le destin d'un rapport émanant d'une instance technocratique pour critiquer la politique d'une autre instance technocratique est d'être conjointement et prudemment enfermé dans les tiroirs des technocraties concernées. Il est à craindre que le rapport OCDE 2016 suive cette trajectoire de moindre remous. Qui se souvient que les rapports Lesage 2013 et Levraut 2013 avaient pointé les graves défaillances de la politique de française de l'eau? Qui se souvient que la Cour des comptes avait vertement critiqué l'Onema en 2013 et les Agences de l'eau en 2015? Qui se souvient que la Commission européenne avait pointé les insuffisances du rapportage sur l'eau en 2012 et de nouveau en 2015? L'administration, qui est prompte à considérer la sanction comme le seul moyen de modifier le comportement des administrés, répugne curieusement à appliquer le même principe à ses propres insuffisances, échecs ou retards. Quand certaines institutions dérivent dans une indifférence atavique aux critiques et une incapacité manifeste à la réforme, il reste aux citoyens le recours aux luttes démocratiques de terrain.
Référence : OCDE (2016), Examens environnementaux de l’OCDE : France 2016, éditions OCDE.
19/07/2016
18/07/2016
Continuité écologique : bonnes et mauvaises pratiques parmi les Agences de l'eau
La Bourgogne se trouve en tête de trois grands bassins versants (Seine, Loire, Rhône). Cette particularité permet à notre association de comparer les expériences d'échange avec les administrations et gestionnaires en charge de l'eau. Dans le domaine des ouvrages hydrauliques, le plus gros des problèmes de gouvernance se concentre sur les bassins Loire-Bretagne et Seine-Normandie. Une des raisons? L'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse et son comité de bassin ont développé une politique plus raisonnable et équilibrée de la continuité écologique. Ainsi qu'une communication plus précise et plus transparente. Explications.
L'Agence de l'eau est un établissement administratif en charge de la redistribution financière des taxes sur l'eau et de la définition des programmes d'aménagement des bassins. C'est un acteur-clé de la politique menée sur les rivières à travers les orientations définies par le comité de bassin — et surtout préparées par les commissions techniques, car sur des sujets pointus comme la gestion de l'eau, l'essentiel se joue dans la formalisation préalable des textes (que les membres du comité de bassin votent sans avoir le temps ni la capacité d'approfondir).
Ce qu'une Agence de l'eau n'a pas envie de financer a peu de chance de voir le jour, vu les coûts des travaux en rivière rapportés aux faibles moyens des particuliers, des communes et des établissements intercommunaux comme les syndicats de rivière.
Depuis quatre ans, on constate que nos problèmes associatifs de gouvernance en Bourgogne se concentrent d'abord sur le bassin Seine-Normandie, ensuite sur Loire-Bretagne, et dans une moindre mesure sur Rhône-Méditerranée. (Nota : pour simplifier, nous désignons parfois ci-dessous les bassins par leurs acronymes, LB pour Loire-Bretagne, SN pour Seine-Normandie RMC pour Rhône-Méditerranée-Corse, AE signifiant agence de l'eau). Quelles en sont les raisons ?
Classement des rivières de 2013
Le classement des rivières à fin de continuité écologique, en particulier la liste 2 qui impose des mises en conformité sur un court délai (5 ans), concerne un linéaire nettement plus important en bassins Loire et Seine qu'en bassin Rhône. On dira que cela tient à la présence du bassin atlantique, pool de migrateurs plus conséquent que la Méditerranée. C'est inexact. Par exemple sur la tête de bassin séquanien, des centaines de kilomètres de linéaire ont été classés L2 malgré l'absence d'enjeux amphihalins (hors l'anguille qui pose peu de problème de migration sur la majeure partie de ces rivières, sauf celles fragmentées par de grands barrages). Il n'en pas été de même sur la tête du bassin rhodanien, dans la même région Bourgogne-Franche Comté.
La conséquence est évidente : moins d'ouvrages classés, c'est moins d'urgence et de pression, plus de moyens humains et financiers pour analyser chaque cas, plus de prudence et de progressivité dans la mise en oeuvre des améliorations sur ce compartiment. Autre conséquence de ce différentiel entre bassins: la politique de l'eau est peu lisible, des cours d'eau très similaires en position sur le réseau, en fragmentation par des moulins et autres ouvrages, en peuplements piscicoles sont tantôt classés tantôt non classés.
Dans le domaine technique et scientifique qu'est l'écologie des milieux aquatiques, il ne devrait pas y avoir une vérité d'un côté de la ligne de partage des eaux et une autre au-delà. On a donc un certain arbitraire administratif dans la désignation des masses d'eau d'intérêt pour la continuité écologique. Certaines Agences se sont "fait plaisir" en classant un grand nombre de rivières en 2012-2013, au point que ce classement est devenu ingérable dans le court délai de 5 ans (environ 10% seulement des ouvrages traités en Loire-Bretagne et Seine-Normandie, à un an seulement de l'échéance réglementaire). L'Agence de l'eau RMC a été plus réaliste de ce point de vue.
Gestion de la continuité écologique longitudinale dans la programmation de bassin
La lecture du dernier SDAGE 2016-2021 de l'AERMC est instructive : la continuité longitudinale (dispositions 6A-05 et suivante) y est bien sûr présente, mais modulée plus intelligemment qu'ailleurs.
Le texte sur la mise en conformité précise ainsi : "Aucune solution technique, qu’il s’agisse de dérasement, d’arasement, d’équipement ou de gestion de l’ouvrage, ne doit être écartée a priori. La question de l’effacement constitue une priorité dans les cas d’ouvrages n’ayant plus de fonction ou d’usage, ou lorsque l’absence d’entretien conduit à constater légalement l’abandon de l’usage." Certes, et nous le regrettons, l'effacement reste de première intention dans le cas flou des ouvrages sans "fonction" ou "usage". Mais il est clairement rappelé au préalable qu'on ne peut écarter les autres solutions. Au demeurant, on lit plus loin dans le même texte que le "patrimoine bâti et vernaculaire" doit être pris en considération dans les analyses coût-avantage des programmes de continuité des SAGE.
L'Agence de l'eau RMC évite aussi l'emploi des instruments trop grossiers comme les taux d'étagement, valorisés en LB et SN malgré leur base scientifique à peu près inexistante (voir en détail comment ces mesures sont décidées de façon arbitraire en commission) et leur inadaptation à un diagnostic fin des impacts réels de la fragmentation (voir par exemple Fuller et al 2015).
Cette gouvernance plus ouverte et moins dogmatique qu'ailleurs a été vérifiée en tête de bassin dans les échanges avec les services instructeurs de l'AERMC et dans les choix proposés sur certaines rivières classées L2. Nous ne sommes pas dans la logique du financement quasi-exclusif de l'effacement pratiquée ailleurs (le financement des solutions de franchissement étant dans les autres bassins pour l'essentiel limité aux usines hydro-électriques injectant sur le réseau ou aux ouvrages structurant de type navigation, fourniture d'eau potable, irrigation, soit au final très peu d'ouvrages).
Mise à disposition des informations, rigueur du volet connaissance
Enfin, la dernière différence que nous percevons concerne la politique de l'information. Toutes les Agences de l'eau souffrent d'un problème dans l'acquisition des connaissances sur chaque masse d'eau, le relevé de tous les indicateurs exigibles par la DCE 2000, la dispersion des données chez un grand nombre d'acteurs, leur bancarisation et leur intercalibrage assez aléatoires.
Un autre problème récurrent est la mise à disposition au public des jeux complets et historiques de ces données sur chaque masse d'eau du territoire. Néanmoins, l'Agence de l'eau RMC se différencie par un souci réel de publication du maximum d'informations par des interfaces relativement simples à utiliser (voir ce site et par exemple cette interface de recherche).
Autre point de différenciation : le conseil scientifique de l'Agence de l'eau RMC est plus étoffé que celui de ses consoeurs (à date l'Agence de l'eau Loire-Bretagne n'en a même pas... alors qu'elle est un mauvais élève en atteinte des objectifs de qualité, voir ici et ici), ce conseil publie plus régulièrement des avis.
Conclusion
Depuis le vote de la loi sur l'eau de 2006 et de la loi de Grenelle de 2009, des dérives administratives d'interprétation ont mené à un conflit ouvert entre l'administration et les propriétaires d'ouvrages hydrauliques. La raison en est la volonté affichée de privilégier la destruction pure et simple des seuils, barrages et digues. Les Agences de l'eau qui ont retranscrit le plus fidèlement cette approche brutale et dogmatique (Seine-Normandie, Loire-Bretagne) sont celles qui rencontrent le plus d'opposition sur le terrain – un point qui nous a été confirmé récemment dans nos discussions avec les inspecteurs du CGEDD. Le contre-exemple relativement pacifié du bassin Rhône-Méditerranée-Corse montre que ce n'est pas une fatalité : si nous sommes encore loin des bonnes pratiques de routine en diagnostic écologique de rivière, au moins n'observe-t-on pas de précipitation à classer des milliers de seuils et barrages au titre de la continuité écologique pour financer leur destruction à la chaîne. Si l'on veut réellement améliorer la gouvernance des ouvrages, il vaudrait mieux suivre les bons exemples que les mauvais…
L'Agence de l'eau est un établissement administratif en charge de la redistribution financière des taxes sur l'eau et de la définition des programmes d'aménagement des bassins. C'est un acteur-clé de la politique menée sur les rivières à travers les orientations définies par le comité de bassin — et surtout préparées par les commissions techniques, car sur des sujets pointus comme la gestion de l'eau, l'essentiel se joue dans la formalisation préalable des textes (que les membres du comité de bassin votent sans avoir le temps ni la capacité d'approfondir).
Ce qu'une Agence de l'eau n'a pas envie de financer a peu de chance de voir le jour, vu les coûts des travaux en rivière rapportés aux faibles moyens des particuliers, des communes et des établissements intercommunaux comme les syndicats de rivière.
Depuis quatre ans, on constate que nos problèmes associatifs de gouvernance en Bourgogne se concentrent d'abord sur le bassin Seine-Normandie, ensuite sur Loire-Bretagne, et dans une moindre mesure sur Rhône-Méditerranée. (Nota : pour simplifier, nous désignons parfois ci-dessous les bassins par leurs acronymes, LB pour Loire-Bretagne, SN pour Seine-Normandie RMC pour Rhône-Méditerranée-Corse, AE signifiant agence de l'eau). Quelles en sont les raisons ?
Classement des rivières de 2013
Le classement des rivières à fin de continuité écologique, en particulier la liste 2 qui impose des mises en conformité sur un court délai (5 ans), concerne un linéaire nettement plus important en bassins Loire et Seine qu'en bassin Rhône. On dira que cela tient à la présence du bassin atlantique, pool de migrateurs plus conséquent que la Méditerranée. C'est inexact. Par exemple sur la tête de bassin séquanien, des centaines de kilomètres de linéaire ont été classés L2 malgré l'absence d'enjeux amphihalins (hors l'anguille qui pose peu de problème de migration sur la majeure partie de ces rivières, sauf celles fragmentées par de grands barrages). Il n'en pas été de même sur la tête du bassin rhodanien, dans la même région Bourgogne-Franche Comté.
La conséquence est évidente : moins d'ouvrages classés, c'est moins d'urgence et de pression, plus de moyens humains et financiers pour analyser chaque cas, plus de prudence et de progressivité dans la mise en oeuvre des améliorations sur ce compartiment. Autre conséquence de ce différentiel entre bassins: la politique de l'eau est peu lisible, des cours d'eau très similaires en position sur le réseau, en fragmentation par des moulins et autres ouvrages, en peuplements piscicoles sont tantôt classés tantôt non classés.
Dans le domaine technique et scientifique qu'est l'écologie des milieux aquatiques, il ne devrait pas y avoir une vérité d'un côté de la ligne de partage des eaux et une autre au-delà. On a donc un certain arbitraire administratif dans la désignation des masses d'eau d'intérêt pour la continuité écologique. Certaines Agences se sont "fait plaisir" en classant un grand nombre de rivières en 2012-2013, au point que ce classement est devenu ingérable dans le court délai de 5 ans (environ 10% seulement des ouvrages traités en Loire-Bretagne et Seine-Normandie, à un an seulement de l'échéance réglementaire). L'Agence de l'eau RMC a été plus réaliste de ce point de vue.
Gestion de la continuité écologique longitudinale dans la programmation de bassin
La lecture du dernier SDAGE 2016-2021 de l'AERMC est instructive : la continuité longitudinale (dispositions 6A-05 et suivante) y est bien sûr présente, mais modulée plus intelligemment qu'ailleurs.
Le texte sur la mise en conformité précise ainsi : "Aucune solution technique, qu’il s’agisse de dérasement, d’arasement, d’équipement ou de gestion de l’ouvrage, ne doit être écartée a priori. La question de l’effacement constitue une priorité dans les cas d’ouvrages n’ayant plus de fonction ou d’usage, ou lorsque l’absence d’entretien conduit à constater légalement l’abandon de l’usage." Certes, et nous le regrettons, l'effacement reste de première intention dans le cas flou des ouvrages sans "fonction" ou "usage". Mais il est clairement rappelé au préalable qu'on ne peut écarter les autres solutions. Au demeurant, on lit plus loin dans le même texte que le "patrimoine bâti et vernaculaire" doit être pris en considération dans les analyses coût-avantage des programmes de continuité des SAGE.
L'Agence de l'eau RMC évite aussi l'emploi des instruments trop grossiers comme les taux d'étagement, valorisés en LB et SN malgré leur base scientifique à peu près inexistante (voir en détail comment ces mesures sont décidées de façon arbitraire en commission) et leur inadaptation à un diagnostic fin des impacts réels de la fragmentation (voir par exemple Fuller et al 2015).
Cette gouvernance plus ouverte et moins dogmatique qu'ailleurs a été vérifiée en tête de bassin dans les échanges avec les services instructeurs de l'AERMC et dans les choix proposés sur certaines rivières classées L2. Nous ne sommes pas dans la logique du financement quasi-exclusif de l'effacement pratiquée ailleurs (le financement des solutions de franchissement étant dans les autres bassins pour l'essentiel limité aux usines hydro-électriques injectant sur le réseau ou aux ouvrages structurant de type navigation, fourniture d'eau potable, irrigation, soit au final très peu d'ouvrages).
Mise à disposition des informations, rigueur du volet connaissance
Enfin, la dernière différence que nous percevons concerne la politique de l'information. Toutes les Agences de l'eau souffrent d'un problème dans l'acquisition des connaissances sur chaque masse d'eau, le relevé de tous les indicateurs exigibles par la DCE 2000, la dispersion des données chez un grand nombre d'acteurs, leur bancarisation et leur intercalibrage assez aléatoires.
Un autre problème récurrent est la mise à disposition au public des jeux complets et historiques de ces données sur chaque masse d'eau du territoire. Néanmoins, l'Agence de l'eau RMC se différencie par un souci réel de publication du maximum d'informations par des interfaces relativement simples à utiliser (voir ce site et par exemple cette interface de recherche).
Autre point de différenciation : le conseil scientifique de l'Agence de l'eau RMC est plus étoffé que celui de ses consoeurs (à date l'Agence de l'eau Loire-Bretagne n'en a même pas... alors qu'elle est un mauvais élève en atteinte des objectifs de qualité, voir ici et ici), ce conseil publie plus régulièrement des avis.
Conclusion
Depuis le vote de la loi sur l'eau de 2006 et de la loi de Grenelle de 2009, des dérives administratives d'interprétation ont mené à un conflit ouvert entre l'administration et les propriétaires d'ouvrages hydrauliques. La raison en est la volonté affichée de privilégier la destruction pure et simple des seuils, barrages et digues. Les Agences de l'eau qui ont retranscrit le plus fidèlement cette approche brutale et dogmatique (Seine-Normandie, Loire-Bretagne) sont celles qui rencontrent le plus d'opposition sur le terrain – un point qui nous a été confirmé récemment dans nos discussions avec les inspecteurs du CGEDD. Le contre-exemple relativement pacifié du bassin Rhône-Méditerranée-Corse montre que ce n'est pas une fatalité : si nous sommes encore loin des bonnes pratiques de routine en diagnostic écologique de rivière, au moins n'observe-t-on pas de précipitation à classer des milliers de seuils et barrages au titre de la continuité écologique pour financer leur destruction à la chaîne. Si l'on veut réellement améliorer la gouvernance des ouvrages, il vaudrait mieux suivre les bons exemples que les mauvais…
15/07/2016
Pourquoi et comment gérer la fragmentation des rivières (Fuller et al 2015)
Trois chercheurs publient aux Etats-Unis une synthèse sur la fragmentation des rivières, ses causes, ses effets et les réflexions qui s'imposent aux gestionnaires. Ils concluent à la nécessité d'une étude fine de cette fragmentation et d'une hiérarchie des priorités d'intervention, informée par la science. Ce travail confirme, après d'autres, l'inconséquence des choix français depuis plusieurs années : classement massif de rivières à fin de défragmentation sur très court délai, absence de fondements scientifiques solides dans l'étude de chaque cours d'eau concerné, suppression inefficace d'obstacles sur la seule base du financement disponible (y compris de très petites barrières sans enjeu écologique réel), gabegie économique alors que les fonds sont limités, indifférence aux valeurs sociétales autres que les enjeux de conservation. L'administration française (direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Environnement, Agences de l'eau, Onema) doit sortir de son actuel déni irresponsable, reconnaître l'insuffisante préparation de sa programmation, acter l'immédiate nécessité d'une réforme en profondeur de la politique de continuité écologique.
Matthew R. Fuller, Martin W. Doyle et David L. Strayer (Université Duke ; Institut Cary d'étude des écosystèmes) publient une synthèse (revue de la littérature scientifique) sur les causes et conséquences de la fragmentation des réseaux de rivières. Ils observent que cette fragmentation est l'un des paramètres qui modifie en profondeur la biodiversité des systèmes aquatiques, mais que son interaction avec d'autre facteurs (par exemple changement climatique, introduction d'espèces) et le délai temporel d'expression de ses effets n'en rendent pas l'étude ni la gestion aisées.
La diversité des discontinuités naturelles et anthropiques (et l'importance de prendre en compte la hauteur des barrages)
Un premier mérite des trois auteurs est de rappeler la grande diversité des formes de fragmentation des rivières. Les agents naturels de fragmentation physique sont les chutes, les cascades, les canyons, les lacs naturels, les zones humides (quand le lit de la rivière change de substrat, de vitesse, de température, de conditons hydrologiques), les barrages d'embâcles et les barrages de castor (l'espère nord-américaine étant plus industrieuse en surface que l'espèce européenne).
S'y ajoutent d'autres discontinuités naturelles : les rivières intermittentes (par tarissement des échanges avec une source ou une nappe, par perte en zone karstique), les zones hypoxiques ou à rupture thermique, les barrières biologiques que peut représenter la présence d'un prédateur ou de forts compétiteurs.
A ces agents naturels de fragmentation s'ajoutent les agents anthropiques, à commencer par les seuils et barrages (aux Etats-Unis par exemple, 87.000 barrages de plus de 3 m, 2 millions de seuils de moins de 3 m). Les chercheurs font remarquer : "Les barrages varient beaucoup en franchissabilité, depuis les hauts barrages avec des grandes retenues qui sont des barrières à peu près complètes aux organismes totalement aquatiques et des barrières fortes à des organismes ayant une phase terrestre ou aérienne, jusqu'aux barrages de faible hauteur avec des petites retenues, qui ne posent pas de problèmes à ces espèces avec stage aérien ou terrestre et qui sont franchissables au moins pendant les hautes eaux par les espèces aquatiques".
L'illustration ci-dessous montre à gauche les ordres de grandeur des agents naturels et anthropiques de fragmentation, à droite l'estimation d'effet en croisement perméabilité-longévité de l'obstacle, cliquer pour agrandir. (On observe que les petits barrages sont dans le même ordre d'impact que les barrages de castor, voir aussi par exemple Hart el al 2002)
Parmi les autres fragmentations anthropiques, Fuller et ses collègues citent les buses, les barrières chimiques de pollution (dont zones hypereutrophes, anoxiques), les barrières biologiques des introductions parfois massives d'espèces invasives et prédatrices.
Effets de la fragmentation: des conclusions divergentes, un certain "manque de clarté"
Les trois chercheurs observent que certaine études scientifiques rapportent un effet majeur de la fragmentation sur la biodiversité des systèmes d'eaux douces alors que d'autres ne trouvent pas d'impact notable ou considèrent la fragmentation comme un facteur moindre de dégradation. Ils parlent d'un "manque de clarté" dans les conclusions de la recherche, et l'attribuent à plusieurs causes possibles:
Un exemple de modélisation à effectuer : la probabilité d'extinction d'espèces résidentes en fonction de la durée de l'isolement et la superficie du bassin concerné. Extrait de Fuller et al 2015, at cit, droit de courte citation.
Quelques conséquences pour le gestionnaire
Nécessité d'une analyse approfondie - "Tout cela suggère qu'il n'est pas raisonnable d'attendre un seul signal simple de la fragmentation sur tous les systèmes, toutes les espèces et toutes les barrières, et qu'une analyse approfondie de la fragmentation demandera des considérations prudentes sur la biologie des espèces, les régimes de perturbation, les autres impacts humains, les caractéristiques du réseau, les attributs des obstacles, et le temps".
Insuffisance des taux d'étagement / fractionnement / fragmentation - Les auteurs signalent la possibilité de calculer le taux de fractionnement (défini dans l'article comme TCL, total core lenght, soit la longueur totale du réseau minus la longueur totale de l'habitat modifié par l'agent de fragmentation, incluant l'influence amont et aval), une mesure parfois utilisée en France (voir cet article). Mais ils mettent en garde sur ces outils rudimentaires: "Bien qu'une statistique comme le TCL puisse être utile pour une évaluation grossière et une comparaison entre les réseaux de rivières, elle a plusieurs défauts. D'abord, comme le DCI [dendritic connectivity index, taux de fragmentation en France], elle est très espèce-dépendante et demandera à être évaluée séparément pour chaque espèce ou guilde d'espèces. Ensuite, elle ne prend pas en considération la qualité de l'habitat libre [core habitats] ou des habitats affectés, alors qu'il est hautement improbable que tous les habitats libres seront adaptés ou que tous les habitats affectés seront inadaptés aux espèces d'intérêt. De plus, l'effet à échelle du réseau d'un système d'obstacles dépendra de la forme du réseau de drainage (…) Finalement, et comme nous le discutons, toutes les métriques de fragmentation et de connectivité sont fonction des caractéristiques des agents de fragmentation".
Définir un optimum de fragmentation sur chaque rivière - "Plutôt qu'assumer simplement que la fragmentation devrait être restaurée à ses niveaux naturels, le gestionnaire doit d'abord décider du niveau optimum de fragmentation pour atteindre un objectif de conservation (…) L'ajustement de la franchissabilité des obstacles demande une attention particulière. Dans certains cas, la suppression de l'obstacle n'est pas faisable, nécessaire ou le meilleur usage de ressources limitées".
Intégrer les effets positifs et les valeurs sociétales, être sélectif dans l'aménagement des obstacles - "Cette analyse [de la fragmentation] demandera de prendre en considération le coût et la faisabilité de l'effacement de chaque obstacle, ses bénéfices potentiels pour les espèces cibles, et tous ses effets secondaires, soit positifs soit négatifs, sur d'autres objectifs de conservation ou sur les valeurs sociétales. Historiquement, le statu quo a consisté à supprimer toute barrière du réseau fluvial pourvu qu'un financement puisse être obtenu. Cependant, cette approche ad hoc pour gérer la fragmentation peut ne pas être la manière la plus efficiente d'allouer des fonds limités. Dans les cas où la conservation d'espèces est une priorité, les gestionnaires devraient plutôt choisir des frappes chirurgicales sur des obstacles qui affectent de façon disproportionnée l'espèce d'intérêt, même s'il en résulte moins d'effacements d'obstacles dans l'ensemble".
Commentaires: la politique française de continuité écologique, rudimentaire, surdimensionnée et sous-informée
Le travail de Matthew R. Fuller et de ses deux collègues jette une lumière crue sur les insuffisances de la politique française de continuité écologique (voir cette introduction aux dérives de l'interprétation française de la continuité ; voir cet exemple de travaux assez sommaires ayant inspiré le gestionnaire). Qu'observons-nous en effet ?
La continuité écologique à la française n'a pas besoin de réformettes à sa marge, mais d'une révision complète de sa programmation et de sa mise en oeuvre.
Référence : Fuller MR et al (2015), Causes and consequences of habitat fragmentation in river networks, Annals of the New York Academy of Sciences, 1355, 1, 31–51
A lire sur le même thème
Développer des grilles de priorisation écologique des ouvrages hydrauliques (Grantham et al 2014)
Matthew R. Fuller, Martin W. Doyle et David L. Strayer (Université Duke ; Institut Cary d'étude des écosystèmes) publient une synthèse (revue de la littérature scientifique) sur les causes et conséquences de la fragmentation des réseaux de rivières. Ils observent que cette fragmentation est l'un des paramètres qui modifie en profondeur la biodiversité des systèmes aquatiques, mais que son interaction avec d'autre facteurs (par exemple changement climatique, introduction d'espèces) et le délai temporel d'expression de ses effets n'en rendent pas l'étude ni la gestion aisées.
La diversité des discontinuités naturelles et anthropiques (et l'importance de prendre en compte la hauteur des barrages)
Un premier mérite des trois auteurs est de rappeler la grande diversité des formes de fragmentation des rivières. Les agents naturels de fragmentation physique sont les chutes, les cascades, les canyons, les lacs naturels, les zones humides (quand le lit de la rivière change de substrat, de vitesse, de température, de conditons hydrologiques), les barrages d'embâcles et les barrages de castor (l'espère nord-américaine étant plus industrieuse en surface que l'espèce européenne).
S'y ajoutent d'autres discontinuités naturelles : les rivières intermittentes (par tarissement des échanges avec une source ou une nappe, par perte en zone karstique), les zones hypoxiques ou à rupture thermique, les barrières biologiques que peut représenter la présence d'un prédateur ou de forts compétiteurs.
A ces agents naturels de fragmentation s'ajoutent les agents anthropiques, à commencer par les seuils et barrages (aux Etats-Unis par exemple, 87.000 barrages de plus de 3 m, 2 millions de seuils de moins de 3 m). Les chercheurs font remarquer : "Les barrages varient beaucoup en franchissabilité, depuis les hauts barrages avec des grandes retenues qui sont des barrières à peu près complètes aux organismes totalement aquatiques et des barrières fortes à des organismes ayant une phase terrestre ou aérienne, jusqu'aux barrages de faible hauteur avec des petites retenues, qui ne posent pas de problèmes à ces espèces avec stage aérien ou terrestre et qui sont franchissables au moins pendant les hautes eaux par les espèces aquatiques".
L'illustration ci-dessous montre à gauche les ordres de grandeur des agents naturels et anthropiques de fragmentation, à droite l'estimation d'effet en croisement perméabilité-longévité de l'obstacle, cliquer pour agrandir. (On observe que les petits barrages sont dans le même ordre d'impact que les barrages de castor, voir aussi par exemple Hart el al 2002)
Extrait de Fuller et al 2015, at cit, droit de courte citation.
Effets de la fragmentation: des conclusions divergentes, un certain "manque de clarté"
Les trois chercheurs observent que certaine études scientifiques rapportent un effet majeur de la fragmentation sur la biodiversité des systèmes d'eaux douces alors que d'autres ne trouvent pas d'impact notable ou considèrent la fragmentation comme un facteur moindre de dégradation. Ils parlent d'un "manque de clarté" dans les conclusions de la recherche, et l'attribuent à plusieurs causes possibles:
- les pertes attribuables à la fragmentation sont souvent l'effet d'interaction avec d'autres facteurs, rendant difficile la discrimination des causes;
- contrairement à des pertes instantanées (comme pour des pollutions aiguës par exemple), le plein effet d'une fragmentation peut prendre des années, voire des décennies;
- certains effets de la fragmentation sont bénéfiques à la diversité, par la création de nouveaux habitats par rapport à ceux de l'hydrosystème naturel ("certains estiment que cette biodiversité artificielle a moins de valeur que la biodiversité naturelle", notent les auteurs);
- l'effet de la fragmentation dépend de la taille des segments fragmentés (plus sévère dans des petits bassins avec petites populations);
- toutes les espèces ne répondent pas avec la même vitesse, les migrateurs diadromes (par exemple salmonidés, aloses) répondant très vite en raison des longues distances à parcourir, les migrateurs potamodromes exprimant une réponse moins rapide (a fortiori les non migrateurs), cf par exemple ci-dessous une possible modélisation du risque d'extinction locale (cliquer pour agrandir).
Un exemple de modélisation à effectuer : la probabilité d'extinction d'espèces résidentes en fonction de la durée de l'isolement et la superficie du bassin concerné. Extrait de Fuller et al 2015, at cit, droit de courte citation.
Quelques conséquences pour le gestionnaire
Nécessité d'une analyse approfondie - "Tout cela suggère qu'il n'est pas raisonnable d'attendre un seul signal simple de la fragmentation sur tous les systèmes, toutes les espèces et toutes les barrières, et qu'une analyse approfondie de la fragmentation demandera des considérations prudentes sur la biologie des espèces, les régimes de perturbation, les autres impacts humains, les caractéristiques du réseau, les attributs des obstacles, et le temps".
Insuffisance des taux d'étagement / fractionnement / fragmentation - Les auteurs signalent la possibilité de calculer le taux de fractionnement (défini dans l'article comme TCL, total core lenght, soit la longueur totale du réseau minus la longueur totale de l'habitat modifié par l'agent de fragmentation, incluant l'influence amont et aval), une mesure parfois utilisée en France (voir cet article). Mais ils mettent en garde sur ces outils rudimentaires: "Bien qu'une statistique comme le TCL puisse être utile pour une évaluation grossière et une comparaison entre les réseaux de rivières, elle a plusieurs défauts. D'abord, comme le DCI [dendritic connectivity index, taux de fragmentation en France], elle est très espèce-dépendante et demandera à être évaluée séparément pour chaque espèce ou guilde d'espèces. Ensuite, elle ne prend pas en considération la qualité de l'habitat libre [core habitats] ou des habitats affectés, alors qu'il est hautement improbable que tous les habitats libres seront adaptés ou que tous les habitats affectés seront inadaptés aux espèces d'intérêt. De plus, l'effet à échelle du réseau d'un système d'obstacles dépendra de la forme du réseau de drainage (…) Finalement, et comme nous le discutons, toutes les métriques de fragmentation et de connectivité sont fonction des caractéristiques des agents de fragmentation".
Définir un optimum de fragmentation sur chaque rivière - "Plutôt qu'assumer simplement que la fragmentation devrait être restaurée à ses niveaux naturels, le gestionnaire doit d'abord décider du niveau optimum de fragmentation pour atteindre un objectif de conservation (…) L'ajustement de la franchissabilité des obstacles demande une attention particulière. Dans certains cas, la suppression de l'obstacle n'est pas faisable, nécessaire ou le meilleur usage de ressources limitées".
Intégrer les effets positifs et les valeurs sociétales, être sélectif dans l'aménagement des obstacles - "Cette analyse [de la fragmentation] demandera de prendre en considération le coût et la faisabilité de l'effacement de chaque obstacle, ses bénéfices potentiels pour les espèces cibles, et tous ses effets secondaires, soit positifs soit négatifs, sur d'autres objectifs de conservation ou sur les valeurs sociétales. Historiquement, le statu quo a consisté à supprimer toute barrière du réseau fluvial pourvu qu'un financement puisse être obtenu. Cependant, cette approche ad hoc pour gérer la fragmentation peut ne pas être la manière la plus efficiente d'allouer des fonds limités. Dans les cas où la conservation d'espèces est une priorité, les gestionnaires devraient plutôt choisir des frappes chirurgicales sur des obstacles qui affectent de façon disproportionnée l'espèce d'intérêt, même s'il en résulte moins d'effacements d'obstacles dans l'ensemble".
Commentaires: la politique française de continuité écologique, rudimentaire, surdimensionnée et sous-informée
Le travail de Matthew R. Fuller et de ses deux collègues jette une lumière crue sur les insuffisances de la politique française de continuité écologique (voir cette introduction aux dérives de l'interprétation française de la continuité ; voir cet exemple de travaux assez sommaires ayant inspiré le gestionnaire). Qu'observons-nous en effet ?
- De 10.000 à 15.000 ouvrages ont été désignés à fin d'aménagement dans un délai très court (5 ans), soit une dépense virtuelle de milliards d'euros sans la moindre analyse scientifique à la base de la programmation nationale (PARCE 2009) ou des programmations de bassin (classements 2012-2013).
- Les rivières ne font pas l'objet de diagnostic écologique complet, ni de diagnostic détaillé de leur connectivité rapportée aux peuplement biologiques d'intérêt (voir cet article).
- Le choix des aménagements réalisés n'a presqu'aucune justification écologique empirique par rapport à la réalité du réseau hydrographique, à l'état de sa biodiversité, aux données sur la dynamique de ses populations piscicoles et à la franchissabilité de l'obstacle, il résulte de la rencontre entre un diagnostic sommaire et un financement complaisant par Agence de l'eau (en faveur de l'effacement dans la majorité des cas).
- Ce sont souvent les ouvrages les plus modestes (seuils et chaussées déjà partiellement franchissables, sans emprise sur le lit majeur etc.) qui sont traités les premiers, et le gestionnaire n'a pas hésité à donner le mauvais exemple en découpant le classement de continuité écologique pour éviter les principaux blocages (grands barrages, souvent de gestion publique, voir cet article).
- Les choix d'aménagement sont centrés quasi-exclusivement sur des enjeux de conservation piscicole (sans modélisation du bénéfice démographique réel sur les espèces concernées), et les autres dimensions des ouvrages (paysage, patrimoine, énergie) sont négligées, alors que le mode européen d'occupation et valorisation des territoires est différent de l'expérience nord-américaine, ce qui demanderait des grilles spécifiques de priorisation.
La continuité écologique à la française n'a pas besoin de réformettes à sa marge, mais d'une révision complète de sa programmation et de sa mise en oeuvre.
Référence : Fuller MR et al (2015), Causes and consequences of habitat fragmentation in river networks, Annals of the New York Academy of Sciences, 1355, 1, 31–51
A lire sur le même thème
Développer des grilles de priorisation écologique des ouvrages hydrauliques (Grantham et al 2014)
12/07/2016
Lettre à Ségolène Royal sur ses instructions que l'on ignore et sur les moulins que l'on détruit
Face à la poursuite des effacements systématiques d'ouvrages hydrauliques en Côte d'Or et dans l'Yonne, l'association Hydrauxois demande à la Ministre de l'Environnement de faire respecter l'instruction aux préfets de décembre 2015 sur le gel des destructions de moulins, dans l'attente des recommandations du CGEDD. Nous remercions par avance nos lecteurs icaunais et cote-doriens d'informer leurs élus parlementaires de cette question et de leur demander de saisir à leur tour la Ministre (lettre complète téléchargeable à ce lien).
Madame la Ministre,
La mise en œuvre de la continuité écologique des cours d’eau, plus particulièrement le choix administratif de privilégier la destruction des ouvrages réputés « sans usage », soulève une vive indignation et une opposition croissante au bord des rivières.
Pour cette raison, le 9 décembre 2015, vous avez écrit aux préfets de France pour leur demander de mettre transitoirement un terme aux effacements problématiques de moulins ou autres ouvrages particuliers, en même temps que vous avez sollicité une nouvelle mission du CGEDD (la troisième sur ce dossier) en vue de comprendre la nature des blocages. Nous avons salué ce geste et nous vous en remercions par la présente. Nous avons d’ailleurs rencontré les inspecteurs chargés de cette mission, dans un esprit très attentif aux problèmes associés à la mise en œuvre de la continuité écologique.
Hélas, force est de constater que votre volonté d’apaiser la situation en écartant temporairement les solutions destructrices n’est pas toujours respectée.
Nous en voulons pour preuve les cinq projets d’effacement (huit ouvrages au total) exposés en annexe de ce courrier, pour lesquels notre association en lien avec plusieurs consoeurs et des collectifs de riverains a été amenée à donner un avis négatif en enquête publique.
La diversité des rivières (Seine, Ource, Armançon, Cousin) et des maîtres d’ouvrage par délégation (Sicec, Sirtava-SMBVA, Parc naturel régional du Morvan) concernés rappelle hélas combien la destruction du patrimoine, du paysage et du potentiel énergétique des rivières tend à devenir une option routinière pour le gestionnaire.
Nous ne pouvons nous y résoudre.
Il s’agit d’abord de préserver un certain cadre de vie et un certain héritage culturel auxquels les riverains sont légitimement attachés. Quand les deux-tiers des habitants d’un village signent une pétition pour demander la conservation du plan d’eau du moulin et la recherche d’une solution non-destructrice dont chacun sait qu’elle existe, est-ce normal de voir le syndicat de rivière, l’Agence de l’eau et l’ensemble des services instructeurs persister dans la solution définie à l’avance (et totalement financée sur fonds publics) de la casse pure et simple du patrimoine hydraulique concerné?
Il s’agit aussi de s’opposer à une gabegie d’argent public : chaque effacement coûte ici de l’ordre d’une centaine de milliers d’euros, pour de très petits ouvrages, dans des zones rurales où de telles sommes ne sont pas anodines. Cette dépense heurte les citoyens dans une période difficile pour tout le monde, de surcroît dans un domaine (la gestion et la qualité des rivières) où de nombreux besoins ne sont pas aujourd’hui satisfaits – qu’il s’agisse de la lutte contre les pollutions diffuses agricoles, industrielles et domestiques, de la mise aux normes des assainissements face aux micropolluants émergents, de l’adaptation au changement climatique ou encore de la prévention des inondations, dont l’actualité récente a rappelé toute l’urgence.
Une représentation fausse voudrait que les propriétaires d’ouvrages hydrauliques, les riverains et les usagers s’opposent à la version destructrice de la continuité écologique au nom d’un conservatisme (voire d’un passéisme) et d’une méconnaissance de l’écologie des milieux aquatiques. Il n’en est rien, et les cas que nous vous soumettons le démontrent. Car la critique que nous portons aux effacements d’ouvrages est aussi, en bonne part, une critique écologique.
Qu’observons-nous en effet dans les cinq chantiers d’effacement concernés par cette lettre?
L’effacement des seuils ne relève pas seulement d’une « écologie punitive » (ici même « destructive ») que vous avez jadis condamnée — à juste titre car jamais les citoyens ne s’intéresseront réellement et durablement à leur environnement sous l’effet de la menace réglementaire ou du chantage financier à quoi se résume pour le moment la mise en œuvre de la continuité écologique. Cet effacement des seuils relève plus gravement d’une écologie non fondée sur la preuve et la donnée, une écologie arbitraire où l’on met en œuvre machinalement des solutions toutes faites, le rapport du bureau d’études offrant le service minimum pour légitimer une programmation de toute façon décidée à l’avance.
Car quelle est donc cette « écologie » qui ne prend pas soin de déjà mesurer avec précision l’état biologique, chimique et physique de chaque rivière (comme nous y oblige pourtant la DCE depuis 16 ans), de définir de vraies priorités grâce à des modèles scientifiquement éprouvés, d’étudier longuement les écosystèmes qu’elle prétend améliorer, d’écouter ce qu’attendent les riverains en terme de services rendus par ces écosystèmes, de pratiquer la concertation avec tous les acteurs associatifs (et non une sélection parcimonieuse d’entre eux), de concilier les motifs d’intérêt général propres à une gestion équilibrée de l’eau, ce qui inclut le patrimoine, le paysage, l’énergie bas carbone qui pourrait être remobilisée sur chaque site?
Madame la Ministre,
Comme plus de 300 associations de terrain ayant déjà signé l’appel à moratoire sur les destructions d’ouvrage dans le cadre de la continuité écologique, nous passons chaque année des milliers d’heures bénévoles à étudier, protéger, valoriser, faire connaître et ré-équiper l’exceptionnel patrimoine hydraulique de nos territoires. Certains seuils et petits barrages sont effectivement « sans usage » aujourd’hui… mais le temps de vie de ce patrimoine se compte en siècles, et nous pourrions vous donner des dizaines d’exemples d’ouvrages qui ont finalement été restaurés avec soin, et parfois équipés pour produire une énergie locale et propre. De même, certains seuils et barrages ne sont pas correctement gérés : nous sommes les premiers à rappeler à nos adhérents leurs devoirs vis-à-vis de la rivière et des tiers, à participer à des médiations quand il y a des problèmes ainsi qu’à les informer des nouvelles approches en gestion des milieux aquatiques.
Au classement des rivières de 2012 et 2013, lors des premières tentatives pour convaincre certains maîtres d’ouvrage de la soi-disant urgence d’effacer leurs ouvrages hydrauliques, nous avions d’abord cru à un malentendu dû à quelques excès locaux d’interprétation. Après tout, ni la loi sur l’eau de 2006 ni la loi « Grenelle » de 2009 créant les trames bleues n’ont jamais cité dans leurs textes cette option d’effacement des seuils et barrages, appelant au contraire à les gérer, aménager, équiper ou entretenir.
Depuis 3 ans, force a été de constater que la volonté prioritaire de détruire répond, non pas à quelques excès locaux de zèle, mais bien à une programmation systématique par la direction de l’eau et de la biodiversité de votre Ministère comme par certaines Agences de l’eau. Sur les rivières concernées par les effacements nous menant à vous saisir, et alors même que de nombreuses solutions sont supposées être envisageables, il nous est au demeurant impossible de vous citer pour cet été 2016 un seul chantier de passe à poissons ou un seul protocole de gestion des vannes : n’est-ce pas le témoignage d’un déséquilibre manifeste dans la mise en œuvre du classement des rivières, en faveur des solutions radicales et irrémédiables de disparition des ouvrages et de tout leur hydrosystème associé?
Nous avons signalé aux services de Mme la Préfète de Côte d’Or et de M. le Préfet de l’Yonne, en copie de cette lettre, que nous nous opposerons aux destructions programmées sur nos rivières, par voie contentieuse si cela devenait nécessaire. Nous espérons bien sûr ne pas en arriver là, car le conflit est synonyme d’échec. Chacun d’entre nous a un besoin précieux de temps et d’énergie pour accomplir des choses positives et constructives, en particulier pour améliorer nos cours d’eau, pour préserver leurs patrimoines naturels et culturels, pour développer leurs usages en bonne intelligence, pour léguer aux générations futures une rivière vivante et humaine à la fois.
Nous sollicitons donc de votre vigilance et de votre bienveillance le rappel de votre instruction du 9 décembre 2015 et le gel effectif des effacements d’ouvrages tant que la mission du CGEDD n’a pas produit des recommandations permettant de déployer des bonnes pratiques dans la gestion écologique des rivières.
Illustration : le seuil et le site du moulin de Perrigny-sur-Armançon, menacés de destruction imminente.
Madame la Ministre,
La mise en œuvre de la continuité écologique des cours d’eau, plus particulièrement le choix administratif de privilégier la destruction des ouvrages réputés « sans usage », soulève une vive indignation et une opposition croissante au bord des rivières.
Pour cette raison, le 9 décembre 2015, vous avez écrit aux préfets de France pour leur demander de mettre transitoirement un terme aux effacements problématiques de moulins ou autres ouvrages particuliers, en même temps que vous avez sollicité une nouvelle mission du CGEDD (la troisième sur ce dossier) en vue de comprendre la nature des blocages. Nous avons salué ce geste et nous vous en remercions par la présente. Nous avons d’ailleurs rencontré les inspecteurs chargés de cette mission, dans un esprit très attentif aux problèmes associés à la mise en œuvre de la continuité écologique.
Hélas, force est de constater que votre volonté d’apaiser la situation en écartant temporairement les solutions destructrices n’est pas toujours respectée.
Nous en voulons pour preuve les cinq projets d’effacement (huit ouvrages au total) exposés en annexe de ce courrier, pour lesquels notre association en lien avec plusieurs consoeurs et des collectifs de riverains a été amenée à donner un avis négatif en enquête publique.
La diversité des rivières (Seine, Ource, Armançon, Cousin) et des maîtres d’ouvrage par délégation (Sicec, Sirtava-SMBVA, Parc naturel régional du Morvan) concernés rappelle hélas combien la destruction du patrimoine, du paysage et du potentiel énergétique des rivières tend à devenir une option routinière pour le gestionnaire.
Nous ne pouvons nous y résoudre.
Il s’agit d’abord de préserver un certain cadre de vie et un certain héritage culturel auxquels les riverains sont légitimement attachés. Quand les deux-tiers des habitants d’un village signent une pétition pour demander la conservation du plan d’eau du moulin et la recherche d’une solution non-destructrice dont chacun sait qu’elle existe, est-ce normal de voir le syndicat de rivière, l’Agence de l’eau et l’ensemble des services instructeurs persister dans la solution définie à l’avance (et totalement financée sur fonds publics) de la casse pure et simple du patrimoine hydraulique concerné?
Il s’agit aussi de s’opposer à une gabegie d’argent public : chaque effacement coûte ici de l’ordre d’une centaine de milliers d’euros, pour de très petits ouvrages, dans des zones rurales où de telles sommes ne sont pas anodines. Cette dépense heurte les citoyens dans une période difficile pour tout le monde, de surcroît dans un domaine (la gestion et la qualité des rivières) où de nombreux besoins ne sont pas aujourd’hui satisfaits – qu’il s’agisse de la lutte contre les pollutions diffuses agricoles, industrielles et domestiques, de la mise aux normes des assainissements face aux micropolluants émergents, de l’adaptation au changement climatique ou encore de la prévention des inondations, dont l’actualité récente a rappelé toute l’urgence.
Une représentation fausse voudrait que les propriétaires d’ouvrages hydrauliques, les riverains et les usagers s’opposent à la version destructrice de la continuité écologique au nom d’un conservatisme (voire d’un passéisme) et d’une méconnaissance de l’écologie des milieux aquatiques. Il n’en est rien, et les cas que nous vous soumettons le démontrent. Car la critique que nous portons aux effacements d’ouvrages est aussi, en bonne part, une critique écologique.
Qu’observons-nous en effet dans les cinq chantiers d’effacement concernés par cette lettre?
- Les indices poissons rivières des tronçons (bio-indicateurs DCE de qualité piscicole) sont déjà bons voire excellents, alors que les ouvrages fragmentent le lit depuis plusieurs siècles,
- ces ouvrages sont tous de tailles très modestes et partiellement franchissables aux migrateurs (ici truites, anguilles) objets du classement L 214-17 CE des rivières,
- les gestionnaires ignorent les travaux scientifiques d’histoire environnementale attestant la présence abondante des espèces d’intérêt à l’époque des moulins ou la stabilité séculaire des peuplements piscicoles,
- le risque de pollution chimique des sédiments remobilisés est négligé dans quatre des cinq chantiers,
- les biefs et retenues sont réputés des habitats « dégradés » sans même procéder à une analyse in situ de la biodiversité et à un examen de leur rôle refuge lors des étiages sévères ou lors des crues (ce qui a par exemple été attesté pour des espèces d’intérêt patrimonial comme les moules d’eaux douces),
- le rôle favorable des zones d’eaux lentes pour l’épuration des nutriments et des pesticides est ignoré, et son effet est donc non mesuré sur les sites,
- le rôle de barrière qu’ont parfois les seuils pour de petites espèces invasives est également laissé de côté,
- la possibilité de produire de nouveau une énergie hydro-électrique à excellent bilan carbone est écartée, alors que le changement climatique est désigné comme la menace de premier ordre pour les milieux et les sociétés, sa prévention étant en conséquence notre premier devoir collectif.
L’effacement des seuils ne relève pas seulement d’une « écologie punitive » (ici même « destructive ») que vous avez jadis condamnée — à juste titre car jamais les citoyens ne s’intéresseront réellement et durablement à leur environnement sous l’effet de la menace réglementaire ou du chantage financier à quoi se résume pour le moment la mise en œuvre de la continuité écologique. Cet effacement des seuils relève plus gravement d’une écologie non fondée sur la preuve et la donnée, une écologie arbitraire où l’on met en œuvre machinalement des solutions toutes faites, le rapport du bureau d’études offrant le service minimum pour légitimer une programmation de toute façon décidée à l’avance.
Car quelle est donc cette « écologie » qui ne prend pas soin de déjà mesurer avec précision l’état biologique, chimique et physique de chaque rivière (comme nous y oblige pourtant la DCE depuis 16 ans), de définir de vraies priorités grâce à des modèles scientifiquement éprouvés, d’étudier longuement les écosystèmes qu’elle prétend améliorer, d’écouter ce qu’attendent les riverains en terme de services rendus par ces écosystèmes, de pratiquer la concertation avec tous les acteurs associatifs (et non une sélection parcimonieuse d’entre eux), de concilier les motifs d’intérêt général propres à une gestion équilibrée de l’eau, ce qui inclut le patrimoine, le paysage, l’énergie bas carbone qui pourrait être remobilisée sur chaque site?
Madame la Ministre,
Comme plus de 300 associations de terrain ayant déjà signé l’appel à moratoire sur les destructions d’ouvrage dans le cadre de la continuité écologique, nous passons chaque année des milliers d’heures bénévoles à étudier, protéger, valoriser, faire connaître et ré-équiper l’exceptionnel patrimoine hydraulique de nos territoires. Certains seuils et petits barrages sont effectivement « sans usage » aujourd’hui… mais le temps de vie de ce patrimoine se compte en siècles, et nous pourrions vous donner des dizaines d’exemples d’ouvrages qui ont finalement été restaurés avec soin, et parfois équipés pour produire une énergie locale et propre. De même, certains seuils et barrages ne sont pas correctement gérés : nous sommes les premiers à rappeler à nos adhérents leurs devoirs vis-à-vis de la rivière et des tiers, à participer à des médiations quand il y a des problèmes ainsi qu’à les informer des nouvelles approches en gestion des milieux aquatiques.
Au classement des rivières de 2012 et 2013, lors des premières tentatives pour convaincre certains maîtres d’ouvrage de la soi-disant urgence d’effacer leurs ouvrages hydrauliques, nous avions d’abord cru à un malentendu dû à quelques excès locaux d’interprétation. Après tout, ni la loi sur l’eau de 2006 ni la loi « Grenelle » de 2009 créant les trames bleues n’ont jamais cité dans leurs textes cette option d’effacement des seuils et barrages, appelant au contraire à les gérer, aménager, équiper ou entretenir.
Depuis 3 ans, force a été de constater que la volonté prioritaire de détruire répond, non pas à quelques excès locaux de zèle, mais bien à une programmation systématique par la direction de l’eau et de la biodiversité de votre Ministère comme par certaines Agences de l’eau. Sur les rivières concernées par les effacements nous menant à vous saisir, et alors même que de nombreuses solutions sont supposées être envisageables, il nous est au demeurant impossible de vous citer pour cet été 2016 un seul chantier de passe à poissons ou un seul protocole de gestion des vannes : n’est-ce pas le témoignage d’un déséquilibre manifeste dans la mise en œuvre du classement des rivières, en faveur des solutions radicales et irrémédiables de disparition des ouvrages et de tout leur hydrosystème associé?
Nous avons signalé aux services de Mme la Préfète de Côte d’Or et de M. le Préfet de l’Yonne, en copie de cette lettre, que nous nous opposerons aux destructions programmées sur nos rivières, par voie contentieuse si cela devenait nécessaire. Nous espérons bien sûr ne pas en arriver là, car le conflit est synonyme d’échec. Chacun d’entre nous a un besoin précieux de temps et d’énergie pour accomplir des choses positives et constructives, en particulier pour améliorer nos cours d’eau, pour préserver leurs patrimoines naturels et culturels, pour développer leurs usages en bonne intelligence, pour léguer aux générations futures une rivière vivante et humaine à la fois.
Nous sollicitons donc de votre vigilance et de votre bienveillance le rappel de votre instruction du 9 décembre 2015 et le gel effectif des effacements d’ouvrages tant que la mission du CGEDD n’a pas produit des recommandations permettant de déployer des bonnes pratiques dans la gestion écologique des rivières.
Illustration : le seuil et le site du moulin de Perrigny-sur-Armançon, menacés de destruction imminente.
10/07/2016
Diagnostic écologique de chaque rivière: le travail que nous attendons des gestionnaires
Aujourd'hui les Agences de l'eau abondent les syndicats pour toutes sortes d'opérations disparates en rivières, sans grande cohérence ni pertinence, ce que nous avons appelé le greensplashing. C'est une dépense non optimale d'argent public, qui interdit d'asseoir un discours légitime, fondé sur la donnée et la preuve au service des décisions, particulièrement quand ces dernières sont contestées. Ce qui est le cas de certains chantiers de continuité écologique. Au commencement de toute action sur une rivière en son bassin versant, il doit exister un diagnostic complet des masses d'eau, et si possible un modèle de priorisation. Nous en sommes très loin, et au lieu de dépenser des fortunes pour des travaux sur sites de bureaux d'étude, commençons par proposer comme préalable (donc financer) une étape d'acquisition et d'interprétation des données, suivie d'une explication aux citoyens sur la réalité des enjeux et d'un échange sur leurs attentes par rapport à la rivière.
Dans les cinq opérations en cours d'effacement sur les rivières du Nord de la Bourgogne, nous avons constaté la persistance des travers que nous déplorons depuis plusieurs années déjà. Autant l'écologie comme orientation de l'action en rivière est brandie par le gestionnaire avec fierté (mais de manière souvent assez abstraite et générique), autant l'écologie comme science et comme pratique est très négligée par la faible exigence des travaux préparatoires. Le cas particulier des ouvrages hydrauliques fait l'objet de diagnostics biaisés quand il s'agit d'objectiver l'intérêt relatif du chantier au plan écologique et d'estimer son intérêt général par la conciliation entre l'écologie et d'autres enjeux relevant eux aussi d'une forme de bien commun (paysage, patrimoine, etc.).
Certains pensent que l'association Hydrauxois s'oppose systématiquement à l'effacement. C'est inexact : notre association s'oppose (et s'opposera) systématiquement à l'effacement défini a priori et de manière dogmatique comme une solution préférable, ainsi qu'à la dépense publique sans garantie de résultat. L'écologie n'est pas un domaine où l'on procède par décision centralisée, lointaine et autoritaire : on doit toujours partir des faits d'observation de l'écosystème concerné. Nous attendons en conséquence des syndicats (donc des Agences de l'eau qui financent la connaissance et l'action) la base élémentaire de toute concertation sur une masse d'eau : une information complète (des données), un régime de démonstration (des preuves ou faisceaux de présomption), un engagement de résultats (des suivis). Mais aussi une écoute des citoyens dont la rivière est le cadre de vie, écoute ne pouvant se résumer à l'imposition d'une programmation définie à l'avance.
Ce que les syndicats doivent réunir sur chaque bassin (des données objectives et complètes)
Les informations ci-dessous sont la base d'un modèle de décision : idéalement un modèle conçu par des chercheurs (mais l'écologie appliquée est très en retard par rapport à ses prétentions de conservation et restauration des milieux), par défaut un arbre de décision dont chaque étape s'appuie sur des réponses objectives, avec des niveaux de confiance dans la robustesse de l'information disponible – des données peu fiables devant conduire, par précaution, à l'abstention.
Analyse de l'ensemble des indicateurs DCE : état biologique (poissons, diatomées, invertébrés, etc.), état physico-chimique (dont nutriments et gradient verticaux / longitudinaux de température), état chimique (contaminants type pesticides), sur un nombre variable de points de contrôle selon la précision des phénomènes à caractériser (par exemple des sources localisées de pollutions, des ruptures thermiques, etc.). Certaines mesures peuvent être étendues au-delà des strictes obligations DCE (par exemple, analyse chimique des micropolluants dont on sait qu'ils excèdent largement la cinquantaine de substances contrôlées par le rapportage DCE).
Analyse morphologique et sédimentaire : l'ensemble des descripteurs sur les berges et le lit, la granulométrie, le substrat et son colmatage, les annexes, la connectivité latérale aux écotones du lit majeur, etc. Vue d'ensemble de la dynamique fluviale par l'usage de l'outil SYRAH avec descriptions des pressions de bassin connues (dont usages des sols) et application du protocole CARHYCe sur des stations représentatives.
Description complète des obstacles à l'écoulement : au sein de la morphologie, le cas des obstacles longitudinaux doit faire l'objet d'un focus détaillé en rivière classée au titre de la continuité écologique, c'est-à-dire calcul du taux d'étagement ou taux de fractionnement, du taux de fragmentation (discontinuité rapportée à la connectivité des affluents et annexes de l'exutoire principal analysé), indices de franchissabilité ICE sur chaque ouvrage par espèces et par gamme de débit.
Analyse piscicole détaillée : analyse par indice poisson rivière révisé IPR+ (et non pas des biotypologies théoriques relativement désuètes comme Verneaux 1976-77), avec toutes ses métriques constitutives (pour un diagnostic fin), sur des stations représentatives du bassin, en zone de libre écoulement et en zone anthropisée, selon une répartition pertinente par rapport à la nature de la fragmentation (zoom autour des grands obstacles, des accumulations d'obstacles). Focus si nécessaire sur le cycle de vie local des migrateurs.
Inventaire de biodiversité : outre les motivations factuelles des zonages de protection (Znieff, Natura 2000, corridors biologiques TVB), il est utile de disposer de l'inventaire le plus complet possible de la biodiversité des masses d'eau (dont lacs, étangs, retenues) du bassin, en s'appuyant sur les travaux naturalistes et des campagnes d'observation.
Recherche en histoire de l'environnement local : l'état instantané d'un système ne dit rien sur sa trajectoire, sur la manière dont il se comporte (évolue, bifurque, oscille, etc.), alors que le vivant est par nature dynamique. Il est préférable d'avoir le maximum de données en profondeur historique, pour comprendre la variabilité de la rivière sur ses paramètres biologiques, physiques, chimiques (par exemple données hydro-climatiques, archives de pêches anciennes, relevés CSP depuis 50 ans, phylogénie moléculaire, paléo-écologie, archéologie et histoire du bassin dont stratigraphie, cartographies anciennes, etc.).
Bancarisation et intégration de ces données : il ne suffit pas d'avoir des données, encore faut-il les exploiter. Nombre de gestionnaires souffrent du syndrome d'empilement des "rapports enfermés dans le tiroir" : on commande des tas d'études (pour avoir un sentiment de confiance), sans vérifier que les résultats seront exploitables et additionnables aux travaux déjà existants, ni intégrables aux référentiels développés par l'expertise publique (Onema Irstea). Parfois même sans tirer les conséquences de ce que dit réellement l'étude!
Ce que les bureaux d'études doivent réaliser sur chaque ouvrage (de vraies analyses multicritères)
Une fois que l'on a un diagnostic satisfaisant de la rivière, on peut décider de quelques priorités de l'action. Quand on en vient au cas des ouvrages hydrauliques, les descripteurs biologiques, physiques et chimiques sont requis sur une analyse stationnelle (amont retenue, retenue, aval chute).
S'y ajoutent les éléments indispensables de la grille multicritères demandée par le CGEDD depuis 2012, mais presque jamais mise en place :
Les objections irrecevables à nos demandes
"Ces informations sont inutiles, on en sait déjà assez" : c'est évidemment absurde, l'écologie est une science du contexte et de la complexité. Faire des choix sur une base lacunaire ou en appliquant mécaniquement des préceptes trop généraux produira des échecs voire des effets négatifs (ce qui est hélas fréquent, voir cette synthèse). La moindre des choses quand on intervient sur un tronçon en vue d'améliorer son environnement, c'est de posséder tous ses descripteurs pertinents. Dans tout domaine un tant soit peu technique et scientifique, on agit ainsi : aurait-on confiance dans le prescription d'un médecin qui ne vérifie pas tous les symptômes de son patient, ne procède pas à tous les examens nécessaires au diagnostic, ne se renseigne pas sur l'état actuel des sciences de la vie et de la santé? Eh bien la rivière, que l'on prétend justement "soigner " voire "sauver", attend exactement le même engagement de rigueur.
"Ces informations sont impossibles à réunir" : beaucoup d'entre elles sont obligatoires au regard de nos engagements européens nés de diverses directives sur l'eau, notamment depuis 16 ans pour la DCE. Il serait inquiétant pour les citoyens d'entendre que nous sommes incapables de caractériser l'état de nos masses d'eau. Après, il est clair que réunir toutes les informations prend du temps, exige une planification rigoureuse et demande une vision claire des besoins propres à l'écologie des rivières. Mais c'est justement le but des SDAGE, des SAGE, des contrats rivières et autres outils de programmation à échelle de bassins ou de rivières. On ne crée pas ces outils pour produire des catalogues approximatifs de dépense de l'argent public, mais pour garantir l'intelligence, la cohérence et le pertinence des actions.
"Ces informations sont bien trop coûteuses" : nous l'avons déjà fait observer, c'est une question de répartition des lignes budgétaires au sein des programmes d'intervention des Agences. L'argent existe (de l'ordre de 3 milliards d'euros à investir par an sur la métropole), c'est son utilisation qui est en question. Agissons un peu moins dans la précipitation (ce qui coûte cher), travaillons un peu plus sur les connaissances et les diagnostics, ainsi que sur la concertation. Nous dépensons déjà des fortunes pour des rapports locaux de bureaux d'études qui ne servent pas toujours à grand chose, au lieu de financer une solide base publique et interopérable de données, ainsi que des modèles de priorisation qui permettraient pas la suite de dépenser moins, mais mieux.
"Ces informations demandent un temps que nous n'avons pas". Cette objection est sans doute la plus fondée, mais elle révèle un dysfonctionnement majeur de la politique publique de l'eau. Nous nous sommes donnés des objectifs irréalistes, dont chacun sait qu'ils sont impossibles à atteindre : par exemple traitement de 10.000 à 15.000 ouvrages hydrauliques en 5 ans (classement de continuité 2013-2018), bon état chimique et écologique des 100% des masses d'eau en une génération (DCE 2000-2027). Ces programmations sont assorties d'obligations de rapportage et de contrôle se traduisant par une manie du bilan "autojustificateur". L'effet est catastrophique : perte de crédibilité de la parole institutionnelle par des objectifs insensés, produisant d'inévitables échecs suivis de contorsions dissimulatrices ; pressions court-termistes d'urgence voire de précipitation contraire à la sérénité d'une politique publique et, particulièrement dans le domaine de l'environnement, à l'exigence de concertation avec les citoyens ; caractère de plus en plus désincarné, mécanique (programmes et normes indiscutables) de l'action en rivière au lieu d'un travail d'implication des riverains.
Illustration : la Cure à Bessy. Sur ce chantier d'aménagement d'ouvrage, tout comme sur la Brenne à Montbard, notre association a d'ores et déjà alerté le gestionnaire et les services instructeurs sur le fait que le diagnostic réalisé n'est pas complet. Soit on continue à vouloir "faire du chiffre" en appliquant le dogme d'effacement prioritaire du financeur des études et des chantiers (ici Agence de l'eau Seine-Normandie), soit on prend le temps d'estimer complètement les impacts et les enjeux, d'objectiver le gain écologique attendu, de discuter les attentes et les objections des citoyens concernés, de chercher des solutions de consensus dans une logique de "gestion durable et équilibrée" voulue par la loi.
Dans les cinq opérations en cours d'effacement sur les rivières du Nord de la Bourgogne, nous avons constaté la persistance des travers que nous déplorons depuis plusieurs années déjà. Autant l'écologie comme orientation de l'action en rivière est brandie par le gestionnaire avec fierté (mais de manière souvent assez abstraite et générique), autant l'écologie comme science et comme pratique est très négligée par la faible exigence des travaux préparatoires. Le cas particulier des ouvrages hydrauliques fait l'objet de diagnostics biaisés quand il s'agit d'objectiver l'intérêt relatif du chantier au plan écologique et d'estimer son intérêt général par la conciliation entre l'écologie et d'autres enjeux relevant eux aussi d'une forme de bien commun (paysage, patrimoine, etc.).
Certains pensent que l'association Hydrauxois s'oppose systématiquement à l'effacement. C'est inexact : notre association s'oppose (et s'opposera) systématiquement à l'effacement défini a priori et de manière dogmatique comme une solution préférable, ainsi qu'à la dépense publique sans garantie de résultat. L'écologie n'est pas un domaine où l'on procède par décision centralisée, lointaine et autoritaire : on doit toujours partir des faits d'observation de l'écosystème concerné. Nous attendons en conséquence des syndicats (donc des Agences de l'eau qui financent la connaissance et l'action) la base élémentaire de toute concertation sur une masse d'eau : une information complète (des données), un régime de démonstration (des preuves ou faisceaux de présomption), un engagement de résultats (des suivis). Mais aussi une écoute des citoyens dont la rivière est le cadre de vie, écoute ne pouvant se résumer à l'imposition d'une programmation définie à l'avance.
Ce que les syndicats doivent réunir sur chaque bassin (des données objectives et complètes)
Les informations ci-dessous sont la base d'un modèle de décision : idéalement un modèle conçu par des chercheurs (mais l'écologie appliquée est très en retard par rapport à ses prétentions de conservation et restauration des milieux), par défaut un arbre de décision dont chaque étape s'appuie sur des réponses objectives, avec des niveaux de confiance dans la robustesse de l'information disponible – des données peu fiables devant conduire, par précaution, à l'abstention.
Analyse morphologique et sédimentaire : l'ensemble des descripteurs sur les berges et le lit, la granulométrie, le substrat et son colmatage, les annexes, la connectivité latérale aux écotones du lit majeur, etc. Vue d'ensemble de la dynamique fluviale par l'usage de l'outil SYRAH avec descriptions des pressions de bassin connues (dont usages des sols) et application du protocole CARHYCe sur des stations représentatives.
Description complète des obstacles à l'écoulement : au sein de la morphologie, le cas des obstacles longitudinaux doit faire l'objet d'un focus détaillé en rivière classée au titre de la continuité écologique, c'est-à-dire calcul du taux d'étagement ou taux de fractionnement, du taux de fragmentation (discontinuité rapportée à la connectivité des affluents et annexes de l'exutoire principal analysé), indices de franchissabilité ICE sur chaque ouvrage par espèces et par gamme de débit.
Analyse piscicole détaillée : analyse par indice poisson rivière révisé IPR+ (et non pas des biotypologies théoriques relativement désuètes comme Verneaux 1976-77), avec toutes ses métriques constitutives (pour un diagnostic fin), sur des stations représentatives du bassin, en zone de libre écoulement et en zone anthropisée, selon une répartition pertinente par rapport à la nature de la fragmentation (zoom autour des grands obstacles, des accumulations d'obstacles). Focus si nécessaire sur le cycle de vie local des migrateurs.
Inventaire de biodiversité : outre les motivations factuelles des zonages de protection (Znieff, Natura 2000, corridors biologiques TVB), il est utile de disposer de l'inventaire le plus complet possible de la biodiversité des masses d'eau (dont lacs, étangs, retenues) du bassin, en s'appuyant sur les travaux naturalistes et des campagnes d'observation.
Recherche en histoire de l'environnement local : l'état instantané d'un système ne dit rien sur sa trajectoire, sur la manière dont il se comporte (évolue, bifurque, oscille, etc.), alors que le vivant est par nature dynamique. Il est préférable d'avoir le maximum de données en profondeur historique, pour comprendre la variabilité de la rivière sur ses paramètres biologiques, physiques, chimiques (par exemple données hydro-climatiques, archives de pêches anciennes, relevés CSP depuis 50 ans, phylogénie moléculaire, paléo-écologie, archéologie et histoire du bassin dont stratigraphie, cartographies anciennes, etc.).
Bancarisation et intégration de ces données : il ne suffit pas d'avoir des données, encore faut-il les exploiter. Nombre de gestionnaires souffrent du syndrome d'empilement des "rapports enfermés dans le tiroir" : on commande des tas d'études (pour avoir un sentiment de confiance), sans vérifier que les résultats seront exploitables et additionnables aux travaux déjà existants, ni intégrables aux référentiels développés par l'expertise publique (Onema Irstea). Parfois même sans tirer les conséquences de ce que dit réellement l'étude!
Ce que les bureaux d'études doivent réaliser sur chaque ouvrage (de vraies analyses multicritères)
Une fois que l'on a un diagnostic satisfaisant de la rivière, on peut décider de quelques priorités de l'action. Quand on en vient au cas des ouvrages hydrauliques, les descripteurs biologiques, physiques et chimiques sont requis sur une analyse stationnelle (amont retenue, retenue, aval chute).
S'y ajoutent les éléments indispensables de la grille multicritères demandée par le CGEDD depuis 2012, mais presque jamais mise en place :
- enquête historique et culturelle (valeur patrimoniale du bien)
- enquête de riveraineté du plan d'eau et du bief (représentations, attentes et usages par rapport à l'hydrosystème existant / futur)
- analyse de risque (espèces invasives, perte de biodiversité locale, remobilisation de sédiments pollués, érosion régressive, tenue du bâti riverain)
- analyse chimique de l'effet épurateur du ralentissement local de l'écoulement
- analyse juridique et économique (droit d'eau, droit des tiers, indemnisation, analyse coût-avantage de hypothèses d'aménagement, bilan objectivé des services rendus par les écosystèmes avant/après).
- dans un chantier écologique, il faut exposer clairement et principalement l'impact du système actuel (en quoi il présente un caractère de gravité) ainsi que les gains écologiques attendus (comment on les garantit et comment on les mesure);
- l'élément-clé de tout dossier devrait être l'analyse coût-avantage avec tous les critères correctement pris en compte, car c'est cela qui intéresse les citoyens (comprendre les avantages, les inconvénients, le sens de la dépense d'argent public);
- les informations (volumineuses, souvent plus de la moitié du dossier) sur le contexte réglementaire servent principalement au service instructeur de l'administration pour vérifier la validité du projet, elles peuvent aller en annexes ou dans un livret séparé (pour ne pas égarer le citoyen dans une masse d'information sans rapport direct avec l'objet du chantier)
Les objections irrecevables à nos demandes
"Ces informations sont inutiles, on en sait déjà assez" : c'est évidemment absurde, l'écologie est une science du contexte et de la complexité. Faire des choix sur une base lacunaire ou en appliquant mécaniquement des préceptes trop généraux produira des échecs voire des effets négatifs (ce qui est hélas fréquent, voir cette synthèse). La moindre des choses quand on intervient sur un tronçon en vue d'améliorer son environnement, c'est de posséder tous ses descripteurs pertinents. Dans tout domaine un tant soit peu technique et scientifique, on agit ainsi : aurait-on confiance dans le prescription d'un médecin qui ne vérifie pas tous les symptômes de son patient, ne procède pas à tous les examens nécessaires au diagnostic, ne se renseigne pas sur l'état actuel des sciences de la vie et de la santé? Eh bien la rivière, que l'on prétend justement "soigner " voire "sauver", attend exactement le même engagement de rigueur.
"Ces informations sont impossibles à réunir" : beaucoup d'entre elles sont obligatoires au regard de nos engagements européens nés de diverses directives sur l'eau, notamment depuis 16 ans pour la DCE. Il serait inquiétant pour les citoyens d'entendre que nous sommes incapables de caractériser l'état de nos masses d'eau. Après, il est clair que réunir toutes les informations prend du temps, exige une planification rigoureuse et demande une vision claire des besoins propres à l'écologie des rivières. Mais c'est justement le but des SDAGE, des SAGE, des contrats rivières et autres outils de programmation à échelle de bassins ou de rivières. On ne crée pas ces outils pour produire des catalogues approximatifs de dépense de l'argent public, mais pour garantir l'intelligence, la cohérence et le pertinence des actions.
"Ces informations sont bien trop coûteuses" : nous l'avons déjà fait observer, c'est une question de répartition des lignes budgétaires au sein des programmes d'intervention des Agences. L'argent existe (de l'ordre de 3 milliards d'euros à investir par an sur la métropole), c'est son utilisation qui est en question. Agissons un peu moins dans la précipitation (ce qui coûte cher), travaillons un peu plus sur les connaissances et les diagnostics, ainsi que sur la concertation. Nous dépensons déjà des fortunes pour des rapports locaux de bureaux d'études qui ne servent pas toujours à grand chose, au lieu de financer une solide base publique et interopérable de données, ainsi que des modèles de priorisation qui permettraient pas la suite de dépenser moins, mais mieux.
"Ces informations demandent un temps que nous n'avons pas". Cette objection est sans doute la plus fondée, mais elle révèle un dysfonctionnement majeur de la politique publique de l'eau. Nous nous sommes donnés des objectifs irréalistes, dont chacun sait qu'ils sont impossibles à atteindre : par exemple traitement de 10.000 à 15.000 ouvrages hydrauliques en 5 ans (classement de continuité 2013-2018), bon état chimique et écologique des 100% des masses d'eau en une génération (DCE 2000-2027). Ces programmations sont assorties d'obligations de rapportage et de contrôle se traduisant par une manie du bilan "autojustificateur". L'effet est catastrophique : perte de crédibilité de la parole institutionnelle par des objectifs insensés, produisant d'inévitables échecs suivis de contorsions dissimulatrices ; pressions court-termistes d'urgence voire de précipitation contraire à la sérénité d'une politique publique et, particulièrement dans le domaine de l'environnement, à l'exigence de concertation avec les citoyens ; caractère de plus en plus désincarné, mécanique (programmes et normes indiscutables) de l'action en rivière au lieu d'un travail d'implication des riverains.
Illustration : la Cure à Bessy. Sur ce chantier d'aménagement d'ouvrage, tout comme sur la Brenne à Montbard, notre association a d'ores et déjà alerté le gestionnaire et les services instructeurs sur le fait que le diagnostic réalisé n'est pas complet. Soit on continue à vouloir "faire du chiffre" en appliquant le dogme d'effacement prioritaire du financeur des études et des chantiers (ici Agence de l'eau Seine-Normandie), soit on prend le temps d'estimer complètement les impacts et les enjeux, d'objectiver le gain écologique attendu, de discuter les attentes et les objections des citoyens concernés, de chercher des solutions de consensus dans une logique de "gestion durable et équilibrée" voulue par la loi.
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