La Bourgogne se trouve en tête de trois grands bassins versants (Seine, Loire, Rhône). Cette particularité permet à notre association de comparer les expériences d'échange avec les administrations et gestionnaires en charge de l'eau. Dans le domaine des ouvrages hydrauliques, le plus gros des problèmes de gouvernance se concentre sur les bassins Loire-Bretagne et Seine-Normandie. Une des raisons? L'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse et son comité de bassin ont développé une politique plus raisonnable et équilibrée de la continuité écologique. Ainsi qu'une communication plus précise et plus transparente. Explications.
L'Agence de l'eau est un établissement administratif en charge de la redistribution financière des taxes sur l'eau et de la définition des programmes d'aménagement des bassins. C'est un acteur-clé de la politique menée sur les rivières à travers les orientations définies par le comité de bassin — et surtout préparées par les commissions techniques, car sur des sujets pointus comme la gestion de l'eau, l'essentiel se joue dans la formalisation préalable des textes (que les membres du comité de bassin votent sans avoir le temps ni la capacité d'approfondir).
Ce qu'une Agence de l'eau n'a pas envie de financer a peu de chance de voir le jour, vu les coûts des travaux en rivière rapportés aux faibles moyens des particuliers, des communes et des établissements intercommunaux comme les syndicats de rivière.
Depuis quatre ans, on constate que nos problèmes associatifs de gouvernance en Bourgogne se concentrent d'abord sur le bassin Seine-Normandie, ensuite sur Loire-Bretagne, et dans une moindre mesure sur Rhône-Méditerranée. (Nota : pour simplifier, nous désignons parfois ci-dessous les bassins par leurs acronymes, LB pour Loire-Bretagne, SN pour Seine-Normandie RMC pour Rhône-Méditerranée-Corse, AE signifiant agence de l'eau). Quelles en sont les raisons ?
Classement des rivières de 2013
Le classement des rivières à fin de continuité écologique, en particulier la liste 2 qui impose des mises en conformité sur un court délai (5 ans), concerne un linéaire nettement plus important en bassins Loire et Seine qu'en
bassin Rhône. On dira que cela tient à la présence du bassin atlantique, pool de migrateurs plus conséquent que la Méditerranée. C'est inexact. Par exemple sur la tête de bassin séquanien, des centaines de kilomètres de linéaire ont été classés L2 malgré l'absence d'enjeux amphihalins (hors l'anguille qui pose peu de problème de migration sur la majeure partie de ces rivières, sauf celles fragmentées par de grands barrages). Il n'en pas été de même sur la tête du bassin rhodanien, dans la même région Bourgogne-Franche Comté.
La conséquence est évidente : moins d'ouvrages classés, c'est moins d'urgence et de pression, plus de moyens humains et financiers pour analyser chaque cas, plus de prudence et de progressivité dans la mise en oeuvre des améliorations sur ce compartiment. Autre conséquence de ce différentiel entre bassins: la politique de l'eau est peu lisible, des cours d'eau très similaires en position sur le réseau, en fragmentation par des moulins et autres ouvrages, en peuplements piscicoles sont tantôt classés tantôt non classés.
Dans le domaine technique et scientifique qu'est l'écologie des milieux aquatiques, il ne devrait pas y avoir une vérité d'un côté de la ligne de partage des eaux et une autre au-delà. On a donc un certain arbitraire administratif dans la désignation des masses d'eau d'intérêt pour la continuité écologique. Certaines Agences se sont "fait plaisir" en classant un grand nombre de rivières en 2012-2013, au point que ce classement est devenu ingérable dans le court délai de 5 ans (environ 10% seulement des ouvrages traités en Loire-Bretagne et Seine-Normandie, à un an seulement de l'échéance réglementaire). L'Agence de l'eau RMC a été plus réaliste de ce point de vue.
Gestion de la continuité écologique longitudinale dans la programmation de bassin
La lecture du dernier
SDAGE 2016-2021 de l'AERMC est instructive : la continuité longitudinale (dispositions 6A-05 et suivante) y est bien sûr présente, mais modulée plus intelligemment qu'ailleurs.
Le texte sur la mise en conformité précise ainsi : "
Aucune solution technique, qu’il s’agisse de dérasement, d’arasement, d’équipement ou de gestion de l’ouvrage, ne doit être écartée a priori. La question de l’effacement constitue une priorité dans les cas d’ouvrages n’ayant plus de fonction ou d’usage, ou lorsque l’absence d’entretien conduit à constater légalement l’abandon de l’usage." Certes, et nous le regrettons, l'effacement reste de première intention dans le cas flou des ouvrages sans "
fonction" ou "
usage". Mais il est clairement rappelé au préalable qu'on ne peut écarter les autres solutions. Au demeurant, on lit plus loin dans le même texte que le "
patrimoine bâti et vernaculaire" doit être pris en considération dans les analyses coût-avantage des programmes de continuité des SAGE.
L'Agence de l'eau RMC évite aussi l'emploi des instruments trop grossiers comme les
taux d'étagement, valorisés en LB et SN malgré leur base scientifique à peu près inexistante (voir en détail
comment ces mesures sont décidées de façon arbitraire en commission) et leur inadaptation à un diagnostic fin des impacts réels de la fragmentation (voir par exemple
Fuller et al 2015).
Cette gouvernance plus ouverte et moins dogmatique qu'ailleurs a été vérifiée en tête de bassin dans les échanges avec les services instructeurs de l'AERMC et dans les choix proposés sur certaines rivières classées L2. Nous ne sommes pas dans la logique du financement quasi-exclusif de l'effacement pratiquée ailleurs (le financement des solutions de franchissement étant dans les autres bassins pour l'essentiel limité aux usines hydro-électriques injectant sur le réseau ou aux ouvrages structurant de type navigation, fourniture d'eau potable, irrigation, soit au final très peu d'ouvrages).
Mise à disposition des informations, rigueur du volet connaissance
Enfin, la dernière différence que nous percevons concerne la politique de l'information. Toutes les Agences de l'eau souffrent d'un
problème dans l'acquisition des connaissances sur chaque masse d'eau, le relevé de
tous les indicateurs exigibles par la DCE 2000, la dispersion des données chez un grand nombre d'acteurs, leur bancarisation et leur intercalibrage assez aléatoires.
Un autre problème récurrent est la mise à disposition au public des jeux complets et historiques de ces données sur chaque masse d'eau du territoire. Néanmoins, l'Agence de l'eau RMC se différencie par un souci réel de publication du maximum d'informations par des interfaces relativement simples à utiliser (voir
ce site et par exemple
cette interface de recherche).
Autre point de différenciation : le
conseil scientifique de l'Agence de l'eau RMC est plus étoffé que celui de ses consoeurs (à date l'Agence de l'eau Loire-Bretagne n'en a même pas... alors qu'elle est un mauvais élève en atteinte des objectifs de qualité, voir
ici et
ici), ce conseil publie plus régulièrement des
avis.
Conclusion
Depuis le vote de la loi sur l'eau de 2006 et de la loi de Grenelle de 2009, des
dérives administratives d'interprétation ont mené à un conflit ouvert entre l'administration et les propriétaires d'ouvrages hydrauliques. La raison en est la volonté affichée de privilégier la destruction pure et simple des seuils, barrages et digues. Les Agences de l'eau qui ont retranscrit le plus fidèlement cette approche brutale et dogmatique (Seine-Normandie, Loire-Bretagne) sont celles qui rencontrent le plus d'opposition sur le terrain – un point qui nous a été confirmé récemment dans nos discussions avec les inspecteurs du CGEDD. Le contre-exemple relativement pacifié du bassin Rhône-Méditerranée-Corse montre que ce n'est pas une fatalité : si nous sommes encore loin des bonnes pratiques de routine en
diagnostic écologique de rivière, au moins n'observe-t-on pas de précipitation à classer des milliers de seuils et barrages au titre de la continuité écologique pour financer leur destruction à la chaîne. Si l'on veut réellement améliorer la gouvernance des ouvrages, il vaudrait mieux suivre les bons exemples que les mauvais…