Prime à la destruction du patrimoine, disparition du potentiel énergétique bien réparti sur les rivières, dépenses exorbitantes pour des résultats à l'intérêt écologique non évalué, mise en oeuvre opaque fuyant les débats démocratiques directs et refusant de répondre aux objections formulées: la campagne d'effacement des moulins et usines à eau de France continue de susciter questions, controverses et oppositions. Voici les interpellations récentes de la Ministre de l'Environnement par les députés Censi et Marsac. Ségolène Royal ne cesse se répéter qu'il faut arrêter la destruction des moulins. Mais est-elle écoutée par son administration, malgré ses instructions aux Préfets? Est-elle capable de stopper la folle machine à détruire conçue par quelques idéologues et lobbies? Pour l'instant, nombre de syndicats de rivière continuent de dépenser l'argent public des Agences de l'eau pour casser les seuils et barrages dans des chantiers bâclés aux diagnostics incomplets, aux garanties incertaines, aux protocoles de suivi inexistants et aux analyses coût-bénéfice négligées. Ces dérives ne sont pas une fatalité : les associations et les collectifs de riverains se mobilisent pour les faire cesser.
Yves Censi (Les Républicains - Aveyron), Question N° 95651
M. Yves Censi attire l'attention de Mme la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat sur la situation des 60 000 moulins de France. Le troisième patrimoine historique bâti de France est impacté par l'application de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) du 30 décembre 2006, à la suite de l'application de la circulaire du 25 janvier 2010, qui prône soit l'effacement systématique des ouvrages et des seuils des moulins, soit l'obligation d'équipement par dispositifs de franchissement représentant des dépenses exorbitantes pour leurs propriétaires privés ou publics. Il semblerait que les moulins soient plutôt considérés comme des « obstacles » à la continuité écologique des cours d'eau, alors que ceux-ci constituent des ressources économiques et énergétiques, un maillage territorial et un patrimoine culturel incontestable. En effet, la présence de ces moulins a entraîné la construction de barrages transversaux, appelés chaussées. Celles-ci sont souvent anciennes et représentent un patrimoine historique unique remontant parfois au Moyen-Âge. Les propriétaires de moulins ne sont pas opposés au principe de la continuité écologique, à laquelle contribuent d'ailleurs lesdites chaussées, mais à son application qu'ils jugent excessive, désordonnée et aveugle et qui ne repose sur aucune donnée fiable. Aussi, sans remettre en cause le principe de continuité écologique, il semble impérieux d'en analyser l'efficacité réelle sur la qualité des milieux, d'en assurer la faisabilité pour les maîtres d'ouvrages tout en maîtrisant l'efficience des dépenses publiques. C'est la raison pour laquelle il lui demande de bien vouloir envisager de définir, en concertation avec toutes les parties prenantes, les conditions d'une mise en œuvre plus équilibrée de la continuité écologique et d'une conciliation harmonieuse des différents usages de l'eau.
Jean-René Marsac (Socialiste, écologiste et républicain - Ille-et-Vilaine), Question N° 96972
M. Jean-René Marsac attire l'attention de Mme la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat sur l'application de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) du 30 décembre 2006. En effet la circulaire du 25 janvier 2010 prône l'effacement systématique des ouvrages et des seuils des moulins pour la sauvegarde des espèces de poissons en voie de disparition, la préservation de la biodiversité aquatique et le transport des sédiments. Elle conduit à des dépenses importantes pour les propriétaires privés ou publics des moulins. Sans remettre en cause le principe de continuité écologique, aujourd'hui, très peu de propriétaires privés sont capables de supporter financièrement le coût des modifications même si elles sont fortement subventionnées. Aussi il lui demande quelles sont les intentions du Gouvernement afin de concilier la continuité écologique et la sauvegarde des moulins à eau.
A lire en complément dans nos publications récentes
Continuité écologique: les députés Valax et Bourdouleix posent les questions qui dérangent
Destruction des ouvrages hydrauliques de l'Orge: l'Etat passe en force
Lettre à Ségolène Royal sur ses instructions que l'on ignore et sur les moulins que l'on détruit
A savoir à propos des effacements d'ouvrages de moulins
Idée recue #1 : "Le propriétaire n'est pas obligé d'effacer son ouvrage, il est libre de son choix"
Idée reçue #05 : "L'Etat n'a jamais donné priorité aux effacements des ouvrages hydrauliques en rivière"
Idée reçue #06 : "C'est l'Europe qui nous demande d'effacer nos seuils et barrages en rivière"
Illustration : l'ouvrage Massard à Belan-sur-Ource, dont les vannes ont déjà été déposées. D'après les propagandistes de la continuité écologique, l'impact présumé de cet ouvrage justifierait de dépenser près de 100 k€ d'argent public pour détruire le pertuis et conforter la berge sur la retenue effacée. Pas une donnée biologique n'est avancée sur l'état des espèces piscicoles à l'aval et à l'amont du site, ni sur la biodiversité de sa retenue et des canaux de dérivation. On efface sans preuve ni remords. Avons-nous les moyens de payer de telles absurdités? La fonction d'un syndicat est-elle de casser le patrimoine des rivières dont il a la charge? Le rôle d'une Agence de l'eau est-il de donner une priorité dogmatique aux solutions destructrices? La continuité écologique "à la française" a besoin d'une remise à plat complète de ses attendus, de ses méthodes, de sa gouvernance et de son financement.
Effacements en cours en Nord Bourgogne : rejoignez-nous, ainsi que les collectifs riverains en lutte, pour les combattre à Avallon, Tonnerre, Perrigny-sur-Armançon, Belan-sur-Ource
25/07/2016
22/07/2016
Rapport Pointereau 2016: "La continuité écologique doit aller du dogmatisme au pragmatisme"
Dans un rapport sénatorial au ton très direct sur le bilan de la politique de l'eau depuis la loi de 2006, le sénateur Rémy Pointereau souligne les dérives observées dans la mise en oeuvre de la continuité écologique à partir du plan national d'action (PARCE) de 2009 et du classement des rivières de 2012-2013. L'élu est signataire de l'appel à moratoire sur les effacements d'ouvrages, parmi 1300 autres représentants de la République et plus de 300 associations. Nous publions ci-dessous quelques extraits de ce rapport, suivis de commentaires. Car la situation devient quelque peu ubuesque, avec des SDAGE et des SAGE ayant ré-affirmé la nécessité des effacements qui sont de plus en plus contestés par les représentants des citoyens et par la ministre de tutelle des administrations en charge de l'eau. De toute évidence, les plus importantes clarifications sont encore devant nous sur ce dossier de plus en plus confus de la continuité écologique.
De la théorie à la pratique : l'effacement des seuils ne doit pas être la solution de facilité
Dans la continuité de la LEMA, un plan d'action pour la restauration de la continuité écologique des cours d'eau (PARCE) a été lancé en 2009, reposant principalement sur des mesures d'aménagement ou de suppression des obstacles, censées être « établies au cas par cas et de manière proportionnées », comme l'indique le secrétaire d'État chargé de la mer, des transports et de la pêche, M. Frédéric Cuvillier, dans sa réponse à une question orale de votre rapporteur : « les décisions d'intervention sur les ouvrages font toujours l'objet d'une analyse tenant compte des impacts et des enjeux écologiques, de la sécurité, de la dimension patrimoniale éventuelle des ouvrages et des impératifs de gestion de l'eau sur les cours d'eau concernés. Les effacements sont réservés à des ouvrages abandonnés et sans usage, et ne sont en aucun cas systématiques ».
Or, comme l'indique le diagnostic de mise en oeuvre du PARCE, publié en décembre 2012, les pouvoirs publics décident concrètement au cas par cas des aides susceptibles d'être octroyées : « les propriétaires peuvent ainsi avoir l'impression d'être soumis à des décisions qu'ils ne partagent pas obligatoirement. Or, il apparaît que dans de nombreux cas, la solution préconisée par l'administration, car la moins coûteuse et la plus efficace, est l'effacement total ou partiel de l'ouvrage ».
Au cours des différents entretiens et de ses déplacements, votre rapporteur a pu constater que la solution de l'effacement du seuil était, d'une part, mal acceptée par les propriétaires riverains des cours d'eau, et en particulier des propriétaires de moulins, d'autre part, trop souvent systématique. L'acceptabilité sociale du principe de continuité écologique semble ainsi clairement mis à mal par son application concrète sur le terrain dans la mesure où elle prend fréquemment la forme de décisions plus idéologiques que pragmatiques et où elle dépend, dans la plupart des cas, des services de l'État déconcentrés, dont l'appréciation n'est pas toujours conforme aux directives nationales.
En outre, si la continuité écologique présente des avantages lorsque les cours d'eau sont en débit satisfaisant, elle est en revanche source de graves désagréments en cas d'étiage sévère. Or, ces cas se multiplient depuis les dernières décennies. La continuité écologique devient alors un piège pour les espèces aquatiques. (…)
Revenir à la concertation et au cas par cas
Votre rapporteur regrette que, depuis la loi sur l'eau, une nouvelle approche de la gestion de l'eau se soit progressivement imposée, de nature idéologique, fondée sur l'idée d'une nocivité de l'action anthropique et des activités économiques sur les milieux naturels.
Comme le rappelait le diagnostic de mise en oeuvre du PARCE cité plus haut, le « parti-pris culturel » qui sous-tend la mise en application de la politique de restauration de la continuité écologique ne doit pas être mésestimé.
Si les objectifs fixés par la DCE ne sont pas remis en cause par les acteurs directement impactés comme les agriculteurs ou les propriétaires de moulins, c'est l'argumentation diffusée par les services du ministère et notamment l'Onema qui pose des difficultés : manque de concertation et de directives claires sur les décisions prises, diffusion de diagnostics se fondant uniquement sur les points négatifs des ouvrages, sans jamais tenir compte des apports positifs éventuels des différents ouvrages, comme par exemple la stabilité de biodiversité qu'elle permet, ou encore le potentiel de production hydro-électrique, ou le maintien d'un niveau d'eau (avec une humidité des sols) dans les parcelles jouxtant l'ouvrage. L'abaissement des seuils a en outre un impact négatif sur l'érosion des berges et la qualité agricole des sols.
Le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a mis en évidence en 2013 un manque de données, d'études et de concertation sur ce sujet. En outre, selon une étude de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA), les seuils des moulins ne sont responsables que de 12 % du fonctionnement des continuités écologiques.
Le coût des aménagements conduit trop souvent l'administration à préconiser l'arasement. Une passe à poissons coûte en effet 300 000 euros en moyenne.
L'abaissement des seuils a en outre un impact négatif sur l'érosion de berges ainsi que sur la qualité agricole des terres.
Proposition 4 : Privilégier la recherche de solutions locales, associer l'ensemble des acteurs à la concertation (élus de la commune, syndicats de rivière, entreprises, associations, propriétaires de moulins et d'étangs et propriétaires riverains).
Proposition 5 : Favoriser les solutions au cas par cas, acceptables économiquement et socialement, ainsi que la combinaison de différentes techniques pour restaurer la continuité écologique ; inscrire les modifications de seuils dans le cadre d'actions plus globales de restauration du milieu aquatique dans son ensemble.
Un classement des cours d'eau qui doit respecter la conciliation de tous les usages
Concernant le classement des cours d'eau, il s'agit d'une procédure déconcentrée : les deux catégories de cours d'eau sont énumérées sur des listes établies pour chaque bassin ou sous-bassin par le préfet coordonnateur de bassin après avis des conseils généraux intéressés et du comité de bassin.
Afin de tenir compte des enjeux liés à la confrontation entre le droit de l'eau et le droit de propriété des propriétaires de moulins et de remédier aux difficultés rencontrées par l'administration pour disposer d'appuis techniques compétents, le rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) sur l'évaluation de la mise en oeuvre du plan de restauration de la continuité écologique des cours d'eau, rendu public le 15 mars 2013, préconisait l'élaboration d'une charte entre les représentants des propriétaires de moulins, le ministère chargé de l'écologie, l'ONEMA ainsi qu'éventuellement des associations de protection de l'environnement.
Constatant que cette charte n'avait toujours pas vu le jour et que ce projet semblait s'enliser, votre rapporteur avait déposé un amendement, dans le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité prévoyant que la continuité écologique des cours d'eaux devait être conciliée avec les différents usages de l'eau dans les cours d'eau classés.
Cet ajout à l'article L. 214-17 du code de l'environnement a été adopté par le Sénat mais n'a pas été retenu in fine par l'Assemblée nationale.
Proposition 6 : Compléter l'article L. 214-17 du code de l'environnement, qui concerne les obligations relatives aux ouvrages, afin de préciser que le classement des cours d'eau en liste 2, c'est-à-dire dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs, doit permettre de concilier le rétablissement de la continuité écologique avec les différents usages de l'eau, et en particulier le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable.
Les crues de juin 2016 ont par ailleurs montré l'importance de ce sujet de la classification des cours d'eau, qui doit être fait en concertation avec l'ensemble des acteurs.
Des contrôles mal acceptés
Le projet de loi relatif à la biodiversité prévoit de regrouper au sein du nouvel établissement public de l'Agence française pour la biodiversité (AFB) un certain nombre d'établissements existants dont l'Onema. Cette agence disposera de pouvoirs de police judiciaire et administrative en matière d'environnement, comme c'est actuellement le cas pour les agents de l'Onema.
Pourtant, l'intégration des agents de police de l'environnement au sein de cette agence pose un certain nombre de difficultés pour les acteurs socio-professionnels, à même de la solliciter pour leurs projets ou leurs questionnements sur leurs pratiques. En effet, cela confèrerait à cette agence une « double casquette » ambiguë et surtout peu opérationnelle. Elle serait d'un côté, un guichet, à l'image de l'ADEME, pour accompagner et financer des projets et diffuser des connaissances sur la biodiversité, et de l'autre, le contrôleur et le «sanctionneur» de ces mêmes projets réalisés par des opérateurs privés et publics.
Proposition 7 : Recentrer les interventions des agents de l'Onema sur des actions pédagogiques plutôt que sur la répression. On peut s'interroger sur l'utilité de conserver le port d'armes pour ces agents.
Les enjeux de la petite hydroélectricité
Le classement des cours d'eau avec le critère des « réservoirs biologiques » condamne en réalité 72 % du potentiel hydro-électrique restant. Or, la petite hydroélectricité représente aujourd'hui en France une filière industrielle importante dans le domaine de l'énergie. Alors que l'énergie hydraulique est la première source d'électricité renouvelable et la deuxième énergie renouvelable, la petite hydroélectricité en France représente 2 178 petites centrales de moins de 12 MW (soit 2 000 MW de puissance installée), dont 80 % sont détenues par des petits producteurs indépendants. La production annuelle moyenne est d'environ 7 TWh, c'est-à-dire l'équivalent de l'électricité nécessaire pour éclairer toute la France la nuit.
Votre rapporteur insiste sur la nécessité de soutenir cette activité qui permet, d'une part, une production d'électricité souple et proche des lieux de consommation (évitant ainsi les pertes dues aux réseaux de distribution), d'autre part, qui contribue au bilan bas-carbone de la France en n'émettant pas de gaz à effet de serre. Il souligne que, dans le cadre de la transition énergétique dont les orientations ont été fixées dans la loi adoptée en 2015, elle produit une électricité renouvelable non intermittente, et contribue à l'activité économique et au développement des territoires tout en respectant l'état écologique des rivières grâce à tout un panel d'outils (passes à poissons, manoeuvres de vannes, rivières de contournement, turbines fish-friendly...). (...)
Proposition 8 : Les missions de conseil et de police de l'environnement devant être dissociées, retirer les missions de police de l'environnement des missions de la future Agence française pour la biodiversité ; mettre en place un corps spécifique de contrôle de l'application du droit de l'environnement.
Proposition 9 : Placer les sujets relatifs à l'hydroélectricité sous la tutelle de la direction de l'énergie et non celle de la direction de l'eau et de la biodiversité.
Commentaires: une situation confuse
où l'effacement est simultanément encouragé et condamné
Le rapport du sénateur Pointereau fait suite au rapport des députés Dubois et Vigier de février dernier, qui avait déjà souligné certaines limites importantes de la mise en oeuvre de la continuité écologique (malgré une regrettable censure de certaines associations, dont la nôtre). Il s'inscrit aussi dans le contexte des nombreuses déclarations de la Ministre de l'Environnement Ségolène Royal sur la nécessité de stopper la destruction des moulins, et de l'instruction donnée aux préfets en ce sens, avec mission en cours du CGEDD (la troisième…) pour comprendre la nature des blocages. Enfin, ce rapport fait suite à des premières modifications de l'article L 214-17 CE (ayant institué en 2006 la continuité écologique) dans le cadre des votes des lois Patrimoine et Biodiversité de cet été, modifications sur lesquelles nous reviendrons quand les deux lois seront votées et publiées au Journal officiel.
Il paraît désormais acquis que la destruction des ouvrages de moulins est reconnue comme une mauvaise solution par un large spectre de la classe politique française – un point marquant de ces débats depuis deux ans étant que quasiment personne ne s'est réellement engagé avec vigueur pour défendre l'intérêt intrinsèque et la nécessité urgente de la destruction de ces petits ouvrages pour améliorer les milieux aquatiques.
Reste que nous entrons dans une situation proprement ubuesque, car le discrédit de la casse du patrimoine hydraulique se superpose à d'autres tendances de fond... qui l'encouragent:
De la théorie à la pratique : l'effacement des seuils ne doit pas être la solution de facilité
Dans la continuité de la LEMA, un plan d'action pour la restauration de la continuité écologique des cours d'eau (PARCE) a été lancé en 2009, reposant principalement sur des mesures d'aménagement ou de suppression des obstacles, censées être « établies au cas par cas et de manière proportionnées », comme l'indique le secrétaire d'État chargé de la mer, des transports et de la pêche, M. Frédéric Cuvillier, dans sa réponse à une question orale de votre rapporteur : « les décisions d'intervention sur les ouvrages font toujours l'objet d'une analyse tenant compte des impacts et des enjeux écologiques, de la sécurité, de la dimension patrimoniale éventuelle des ouvrages et des impératifs de gestion de l'eau sur les cours d'eau concernés. Les effacements sont réservés à des ouvrages abandonnés et sans usage, et ne sont en aucun cas systématiques ».
Or, comme l'indique le diagnostic de mise en oeuvre du PARCE, publié en décembre 2012, les pouvoirs publics décident concrètement au cas par cas des aides susceptibles d'être octroyées : « les propriétaires peuvent ainsi avoir l'impression d'être soumis à des décisions qu'ils ne partagent pas obligatoirement. Or, il apparaît que dans de nombreux cas, la solution préconisée par l'administration, car la moins coûteuse et la plus efficace, est l'effacement total ou partiel de l'ouvrage ».
Au cours des différents entretiens et de ses déplacements, votre rapporteur a pu constater que la solution de l'effacement du seuil était, d'une part, mal acceptée par les propriétaires riverains des cours d'eau, et en particulier des propriétaires de moulins, d'autre part, trop souvent systématique. L'acceptabilité sociale du principe de continuité écologique semble ainsi clairement mis à mal par son application concrète sur le terrain dans la mesure où elle prend fréquemment la forme de décisions plus idéologiques que pragmatiques et où elle dépend, dans la plupart des cas, des services de l'État déconcentrés, dont l'appréciation n'est pas toujours conforme aux directives nationales.
En outre, si la continuité écologique présente des avantages lorsque les cours d'eau sont en débit satisfaisant, elle est en revanche source de graves désagréments en cas d'étiage sévère. Or, ces cas se multiplient depuis les dernières décennies. La continuité écologique devient alors un piège pour les espèces aquatiques. (…)
Revenir à la concertation et au cas par cas
Votre rapporteur regrette que, depuis la loi sur l'eau, une nouvelle approche de la gestion de l'eau se soit progressivement imposée, de nature idéologique, fondée sur l'idée d'une nocivité de l'action anthropique et des activités économiques sur les milieux naturels.
Comme le rappelait le diagnostic de mise en oeuvre du PARCE cité plus haut, le « parti-pris culturel » qui sous-tend la mise en application de la politique de restauration de la continuité écologique ne doit pas être mésestimé.
Si les objectifs fixés par la DCE ne sont pas remis en cause par les acteurs directement impactés comme les agriculteurs ou les propriétaires de moulins, c'est l'argumentation diffusée par les services du ministère et notamment l'Onema qui pose des difficultés : manque de concertation et de directives claires sur les décisions prises, diffusion de diagnostics se fondant uniquement sur les points négatifs des ouvrages, sans jamais tenir compte des apports positifs éventuels des différents ouvrages, comme par exemple la stabilité de biodiversité qu'elle permet, ou encore le potentiel de production hydro-électrique, ou le maintien d'un niveau d'eau (avec une humidité des sols) dans les parcelles jouxtant l'ouvrage. L'abaissement des seuils a en outre un impact négatif sur l'érosion des berges et la qualité agricole des sols.
Le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a mis en évidence en 2013 un manque de données, d'études et de concertation sur ce sujet. En outre, selon une étude de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA), les seuils des moulins ne sont responsables que de 12 % du fonctionnement des continuités écologiques.
Le coût des aménagements conduit trop souvent l'administration à préconiser l'arasement. Une passe à poissons coûte en effet 300 000 euros en moyenne.
L'abaissement des seuils a en outre un impact négatif sur l'érosion de berges ainsi que sur la qualité agricole des terres.
Proposition 4 : Privilégier la recherche de solutions locales, associer l'ensemble des acteurs à la concertation (élus de la commune, syndicats de rivière, entreprises, associations, propriétaires de moulins et d'étangs et propriétaires riverains).
Proposition 5 : Favoriser les solutions au cas par cas, acceptables économiquement et socialement, ainsi que la combinaison de différentes techniques pour restaurer la continuité écologique ; inscrire les modifications de seuils dans le cadre d'actions plus globales de restauration du milieu aquatique dans son ensemble.
Un classement des cours d'eau qui doit respecter la conciliation de tous les usages
Concernant le classement des cours d'eau, il s'agit d'une procédure déconcentrée : les deux catégories de cours d'eau sont énumérées sur des listes établies pour chaque bassin ou sous-bassin par le préfet coordonnateur de bassin après avis des conseils généraux intéressés et du comité de bassin.
Afin de tenir compte des enjeux liés à la confrontation entre le droit de l'eau et le droit de propriété des propriétaires de moulins et de remédier aux difficultés rencontrées par l'administration pour disposer d'appuis techniques compétents, le rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) sur l'évaluation de la mise en oeuvre du plan de restauration de la continuité écologique des cours d'eau, rendu public le 15 mars 2013, préconisait l'élaboration d'une charte entre les représentants des propriétaires de moulins, le ministère chargé de l'écologie, l'ONEMA ainsi qu'éventuellement des associations de protection de l'environnement.
Constatant que cette charte n'avait toujours pas vu le jour et que ce projet semblait s'enliser, votre rapporteur avait déposé un amendement, dans le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité prévoyant que la continuité écologique des cours d'eaux devait être conciliée avec les différents usages de l'eau dans les cours d'eau classés.
Cet ajout à l'article L. 214-17 du code de l'environnement a été adopté par le Sénat mais n'a pas été retenu in fine par l'Assemblée nationale.
Proposition 6 : Compléter l'article L. 214-17 du code de l'environnement, qui concerne les obligations relatives aux ouvrages, afin de préciser que le classement des cours d'eau en liste 2, c'est-à-dire dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs, doit permettre de concilier le rétablissement de la continuité écologique avec les différents usages de l'eau, et en particulier le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable.
Les crues de juin 2016 ont par ailleurs montré l'importance de ce sujet de la classification des cours d'eau, qui doit être fait en concertation avec l'ensemble des acteurs.
Des contrôles mal acceptés
Le projet de loi relatif à la biodiversité prévoit de regrouper au sein du nouvel établissement public de l'Agence française pour la biodiversité (AFB) un certain nombre d'établissements existants dont l'Onema. Cette agence disposera de pouvoirs de police judiciaire et administrative en matière d'environnement, comme c'est actuellement le cas pour les agents de l'Onema.
Pourtant, l'intégration des agents de police de l'environnement au sein de cette agence pose un certain nombre de difficultés pour les acteurs socio-professionnels, à même de la solliciter pour leurs projets ou leurs questionnements sur leurs pratiques. En effet, cela confèrerait à cette agence une « double casquette » ambiguë et surtout peu opérationnelle. Elle serait d'un côté, un guichet, à l'image de l'ADEME, pour accompagner et financer des projets et diffuser des connaissances sur la biodiversité, et de l'autre, le contrôleur et le «sanctionneur» de ces mêmes projets réalisés par des opérateurs privés et publics.
Proposition 7 : Recentrer les interventions des agents de l'Onema sur des actions pédagogiques plutôt que sur la répression. On peut s'interroger sur l'utilité de conserver le port d'armes pour ces agents.
Les enjeux de la petite hydroélectricité
Le classement des cours d'eau avec le critère des « réservoirs biologiques » condamne en réalité 72 % du potentiel hydro-électrique restant. Or, la petite hydroélectricité représente aujourd'hui en France une filière industrielle importante dans le domaine de l'énergie. Alors que l'énergie hydraulique est la première source d'électricité renouvelable et la deuxième énergie renouvelable, la petite hydroélectricité en France représente 2 178 petites centrales de moins de 12 MW (soit 2 000 MW de puissance installée), dont 80 % sont détenues par des petits producteurs indépendants. La production annuelle moyenne est d'environ 7 TWh, c'est-à-dire l'équivalent de l'électricité nécessaire pour éclairer toute la France la nuit.
Votre rapporteur insiste sur la nécessité de soutenir cette activité qui permet, d'une part, une production d'électricité souple et proche des lieux de consommation (évitant ainsi les pertes dues aux réseaux de distribution), d'autre part, qui contribue au bilan bas-carbone de la France en n'émettant pas de gaz à effet de serre. Il souligne que, dans le cadre de la transition énergétique dont les orientations ont été fixées dans la loi adoptée en 2015, elle produit une électricité renouvelable non intermittente, et contribue à l'activité économique et au développement des territoires tout en respectant l'état écologique des rivières grâce à tout un panel d'outils (passes à poissons, manoeuvres de vannes, rivières de contournement, turbines fish-friendly...). (...)
Proposition 8 : Les missions de conseil et de police de l'environnement devant être dissociées, retirer les missions de police de l'environnement des missions de la future Agence française pour la biodiversité ; mettre en place un corps spécifique de contrôle de l'application du droit de l'environnement.
Proposition 9 : Placer les sujets relatifs à l'hydroélectricité sous la tutelle de la direction de l'énergie et non celle de la direction de l'eau et de la biodiversité.
Commentaires: une situation confuse
où l'effacement est simultanément encouragé et condamné
Le rapport du sénateur Pointereau fait suite au rapport des députés Dubois et Vigier de février dernier, qui avait déjà souligné certaines limites importantes de la mise en oeuvre de la continuité écologique (malgré une regrettable censure de certaines associations, dont la nôtre). Il s'inscrit aussi dans le contexte des nombreuses déclarations de la Ministre de l'Environnement Ségolène Royal sur la nécessité de stopper la destruction des moulins, et de l'instruction donnée aux préfets en ce sens, avec mission en cours du CGEDD (la troisième…) pour comprendre la nature des blocages. Enfin, ce rapport fait suite à des premières modifications de l'article L 214-17 CE (ayant institué en 2006 la continuité écologique) dans le cadre des votes des lois Patrimoine et Biodiversité de cet été, modifications sur lesquelles nous reviendrons quand les deux lois seront votées et publiées au Journal officiel.
Il paraît désormais acquis que la destruction des ouvrages de moulins est reconnue comme une mauvaise solution par un large spectre de la classe politique française – un point marquant de ces débats depuis deux ans étant que quasiment personne ne s'est réellement engagé avec vigueur pour défendre l'intérêt intrinsèque et la nécessité urgente de la destruction de ces petits ouvrages pour améliorer les milieux aquatiques.
Reste que nous entrons dans une situation proprement ubuesque, car le discrédit de la casse du patrimoine hydraulique se superpose à d'autres tendances de fond... qui l'encouragent:
- les Agences de l'eau (en particulier Loire-Bretagne et Seine-Normandie) ont adopté des SDAGE qui font de la destruction en première intention des ouvrages hydrauliques le choix privilégié des gestionnaires, amenant à se demander qui produit réellement les normes en France et sur quelle base démocratique (voir les problèmes de fond soulignés dans les lettres ouvertes à Joël Pélicot et à François Sauvadet),
- ces mêmes Agences exercent une très forte pression financière sur les propriétaires, les exploitants, les riverains, les collectivités et les syndicats (ou autres établissements intercommunaux en charge de l'eau) en payant l'effacement sur argent public tandis qu'elles limitent au maximum le financement des passes à poissons,
- de nombreux syndicats ont décliné ces propositions dans leur SAGE ou leurs contrats territoriaux, persistant à effacer alors même que la Ministre a demandé de faire une pause (voir notre courrier à Ségolène Royal),
- le protocole ICE de l'Onema continue de réputer "migratrices" la plupart des espèces d'eaux douces et de poser des contraintes techniques de franchissabilité qui rendent coûteux tout chantier de continuité et qui interdisent souvent les solutions les plus simples (ouverture de vanne en période migratoire).
- une nouvelle circulaire d'application du classement des rivières par le Ministère à l'intention des services instructeurs paraît indispensable pour donner des directions claires (ainsi qu'opposables par les citoyens et leurs associations). Il s'agit d'acter les modifications récentes du L 214-17 CE, d'intégrer les recommandations qui seront faites par le CGEDD à la rentrée (et celles qui avaient déjà été formulées en 2012 sans effet), d'inverser les priorités et de faire de l'effacement (arasement ou dérasement) des ouvrages la solution de seconde intention (comme le voulait déjà la loi et comme l'a exprimé la représentation nationale à de multiples reprises);
- une évolution de l'article L 214-17 CE sera probablement encore nécessaire dans le cadre d'un projet de loi ad hoc, afin de rendre réaliste et solvable la continuité écologique en rivières classées liste 2 (le choix ayant le plus de sens écologique étant selon nous de limiter cette liste 2 aux espèces migratrices amphihalines et aux espèces documentées comme en voie d'extinction sur les bassins où elles sont attestées, ce qui évite des aménagements de moindre intérêt, mais nombreux et coûteux, pour des espèces peu menacées à brève échéance ou peu mobiles dans leur cycle de vie);
- la continuité écologique (qui n'est pas un angle inintéressant en soi, malgré les critiques que nous portons à sa mise en oeuvre actuelle en France) doit rester une option ouverte au volontariat (y compris des effacements) hors rivière classée, sur la base notamment d'une modélisation des sites ayant le plus d'influence sur les espèces d'intérêt. Il convient aussi d'insister sur la continuité latérale, qui a des effets souvent plus importants sur la biodiversité en même temps qu'elle participe à la gestion des crues par diversion sur des parties du lit majeur;
- un chantier doit être ouvert (par exemple par la nouvelle Agence pour la biodiversité) en vue de produire un modèle d'écologie raisonnée des rivières, dont les enjeux sont d'une part d'insuffler une culture de la preuve et de la donnée chez les gestionnaires (ce qui implique un effort de recherche appliquée et de formation), d'autre part de mettre en oeuvre une concertation élargie et une gestion adaptative à échelle de chaque bassin versant, visant à intégrer davantage les citoyens et usagers dans les instances de concertation et de programmation tout en faisant mieux circuler les retours de terrain.
21/07/2016
Ségolène Royal: "Il faut arrêter de détruire les moulins, mais les rénover intelligemment"
Ségolène Royal persiste et signe : elle demande à nouveau de cesser d'effacer les ouvrages de moulins et de travailler à les équiper, pour concilier écologie, énergie et économie. Position que défend notre association depuis plusieurs années... mais que certains ont du mal à accepter, si l'on en juge par les 8 projets de destruction en cours sur le Cousin, l'Armançon, l'Ource et la Seine.
La Ministre de l'Environnement a donné un entretien à l'Europe parlementaire (publication consultable en lige). Elle affirme notamment : "J'ai lancé un appel à projets sur la petite hydraulique. La petite hydraulique, c'est mettre des éoliennes sur les piles des ponts, des hydroliennes dans l'eau, ou encore la rénovation des moulins pour concilier écologie et économie. Il faut arrêter de détruire les moulins, mais les rénover intelligemment".
Nous sommes heureux de voir que la Ministre rejoint très exactement la position défendue dès le début 2013 par notre association, sur la "double modernisation énergétique et écologique" des moulins (voir notre premier dossier complet sur la continuité écologique en Côte d'Or et Bourgogne). Position qui, à l'époque, a rencontré le silence et l'indifférence des administrations et syndicats en charge de l'eau, tout occupés qu'ils étaient à programmer le choix de l'abrogation du maximum de droits d'eau suivie de la destruction du maximum d'ouvrages.
Nous sommes surtout heureux de constater que Ségolène Royal défend avec constance son refus de la casse du patrimoine hydraulique. Rappel des positions de la Ministre :
Ségolène Royal en février 2015 : "Les règles du jeu doivent être revues, pour encourager la petite hydroélectricité et la remise en état des moulins".
Ségolène Royal en novembre 2015: "Nous devons sauvegarder les petits moulins sur les rivières et produire de l'électricité".
Ségolène Royal en janvier 2016: "À la suite du débat parlementaire, j’ai donné instruction aux préfets de mettre un terme aux destructions de petits ouvrages et de moulins, dans l’attente d’un examen plus approfondi de la situation."
Rappel des textes de loi (n'ayant jamais intégré la destruction comme option de continuité écologique) :
Loi de 2006 votée par les représentants des citoyens: "Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant."
Loi de 2009 votée par les représentants des citoyens: "l'aménagement des obstacles les plus problématiques pour la migration des poissons sera mis à l'étude".
En conformité avec la loi et avec ses convictions, Ségolène Royal a donné en décembre 2015 instruction aux préfets de France de cesser les destructions problématiques de moulins. Quelques mois plus tard, on observe que certains espèrent continuer leur programme de casse du patrimoine (cinq projets de huit effacements en Nord Bourgogne pour l'étiage prochain, sans aucun chantier non destructif sur les rivières concernées). Nous avons donc saisi la Ministre de ce problème et nous espérons que les Préfectures choisiront la voie sage d'un respect du moratoire sur les effacements tant que le CGEDD n'a pas remis son rapport d'audit sur les blocages de la continuité écologique et tant que des bonnes pratiques concertées n'ont pas été posées dans une nouvelle circulaire de mise en oeuvre du classement des rivières.
La Ministre de l'Environnement a donné un entretien à l'Europe parlementaire (publication consultable en lige). Elle affirme notamment : "J'ai lancé un appel à projets sur la petite hydraulique. La petite hydraulique, c'est mettre des éoliennes sur les piles des ponts, des hydroliennes dans l'eau, ou encore la rénovation des moulins pour concilier écologie et économie. Il faut arrêter de détruire les moulins, mais les rénover intelligemment".
Nous sommes heureux de voir que la Ministre rejoint très exactement la position défendue dès le début 2013 par notre association, sur la "double modernisation énergétique et écologique" des moulins (voir notre premier dossier complet sur la continuité écologique en Côte d'Or et Bourgogne). Position qui, à l'époque, a rencontré le silence et l'indifférence des administrations et syndicats en charge de l'eau, tout occupés qu'ils étaient à programmer le choix de l'abrogation du maximum de droits d'eau suivie de la destruction du maximum d'ouvrages.
Nous sommes surtout heureux de constater que Ségolène Royal défend avec constance son refus de la casse du patrimoine hydraulique. Rappel des positions de la Ministre :
Ségolène Royal en février 2015 : "Les règles du jeu doivent être revues, pour encourager la petite hydroélectricité et la remise en état des moulins".
Ségolène Royal en novembre 2015: "Nous devons sauvegarder les petits moulins sur les rivières et produire de l'électricité".
Ségolène Royal en janvier 2016: "À la suite du débat parlementaire, j’ai donné instruction aux préfets de mettre un terme aux destructions de petits ouvrages et de moulins, dans l’attente d’un examen plus approfondi de la situation."
La banderole Hydrauxois commence à fleurir sur les rives de Bourgogne. Elle ne fait jamais que reprendre la position exprimée par la Ministre en charge de l'environnement, position qu'une partie de son administration semble avoir du mal à accepter...
Loi de 2009 votée par les représentants des citoyens: "l'aménagement des obstacles les plus problématiques pour la migration des poissons sera mis à l'étude".
En conformité avec la loi et avec ses convictions, Ségolène Royal a donné en décembre 2015 instruction aux préfets de France de cesser les destructions problématiques de moulins. Quelques mois plus tard, on observe que certains espèrent continuer leur programme de casse du patrimoine (cinq projets de huit effacements en Nord Bourgogne pour l'étiage prochain, sans aucun chantier non destructif sur les rivières concernées). Nous avons donc saisi la Ministre de ce problème et nous espérons que les Préfectures choisiront la voie sage d'un respect du moratoire sur les effacements tant que le CGEDD n'a pas remis son rapport d'audit sur les blocages de la continuité écologique et tant que des bonnes pratiques concertées n'ont pas été posées dans une nouvelle circulaire de mise en oeuvre du classement des rivières.
20/07/2016
Destruction de la chaussée de Perrigny-sur-Armançon, un débat si tardif...
L'Yonne républicaine a rendu compte des réactions suscitées par le projet d'effacement du seuil (traditionnellement appelé une chaussée), du plan d'eau et de la chute du moulin de Perigny-sur-Armançon (voir cet article).
Éric Coquille (maire du village et président du Syndicat de l'Armançon, ex-Sirtava) a déclaré : «Il s'agit d'un ouvrage privé. Il appartient à son propriétaire de gérer son patrimoine. Il a sollicité le Syndicat pour une déconstruction raisonnée de ce barrage (…) Pour l'instant, nous n'avons pas le retour de l'enquête publique qui vient de se terminer, mais nous avons vu qu'il y a eu une forte mobilisation, ce qui est heureux en soi. Il y a plusieurs angles de vue qu'il est important d'avoir. D'un point de vue environnemental, il est nécessaire de restaurer la fonction naturelle du cours d'eau. D'un point de vue patrimonial, c'est au propriétaire de décider. Il est important que le dialogue s'installe.»
Quelques observations à ce sujet :
- un propriétaire n'est pas libre de faire ce qu'il veut avec les écoulements de la rivière, qu'il s'agisse de la construction, de la destruction ou de la modification d'un ouvrage. Dans tous les cas, les droits des tiers et la protection des milieux doivent être garantis. Certains gestionnaires, pétris de la croyance qu'ils agissent forcément "pour le bien de la rivière", ont du mal à concevoir que la destruction d'un ouvrage est un chantier ayant des conséquences tant écologiques qu'hydrologiques, patrimoniales et paysagères dont il n'est pas garanti qu'elles seront bonnes. Il est assez établi dans la littérature scientifique que ces opérations ont parfois des effets écologiques nuls, voire négatifs : continuer à le nier, ne pas ausculter le détail des effets attendus par l'effacement et ne pas prévoir une analyse avant / après sur la base d'indicateurs fiables, cela devient du dogme ;
- nous vérifierons au cours de l'été (à Perrigny comme sur les autres projets de destruction) que le propriétaire a été correctement informé par le syndicat avant de signer une convention de délégation de maîtrise d'ouvrage. En effet, le maître d'ouvrage perd le droit d'eau de son moulin (qui devient une simple maison en zone inondable) et donc une certaine valeur foncière, court parfois des risques géotechniques dont il faut garantir l'absence sur les parties usuellement en eau du bien, engage sa responsabilité en cas de problèmes futurs avec des tiers ou des biens riverains liés aux changements d'écoulement. De même, on a déjà vu le Syndicat de l'Armançon brandir des études totalement fantaisistes dans le passé (par exemple passe à anguilles estimée par le BE Cariçaie à 300.000 euros pour moins d'un mètre de chute) et il convient de vérifier que le même procédé n'a pas été utilisé ici pour faire peur. Un consentement ne vaut que s'il découle d'une information complète et non biaisée ;
- le président du Syndicat de l'Armançon parle de "plusieurs angles de vue" et de "dialogue". Nous regrettons que ces échanges se tiennent au dernier moment de l'enquête publique, au cours de l'été, moins de deux mois avant le projet de destruction. Tout projet d'effacement a un comité de pilotage, dès la phase diagnostique. Si le Syndicat de l'Armançon souhaite réellement que plusieurs voix se fassent entendre, il doit convier à chaque fois dans ce comité de pilotage des associations (non limitées aux pêcheurs), des représentants des riverains du plan d'eau ou du barrage, des usagers (notamment propriétaires de parcelles agricoles amont bénéficiant de la rehausse de nappe), les services administratifs en charge de la culture, etc. De la même manière, les réunions publiques doivent être organisée sur la base d'une communication directe et franche. Demander aux gens "voulez-vous faire disparaître le barrage et son plan d'eau" mobilisera davantage le "dialogue" et les "angles de vue" qu'un propos abstrait sur la "déconstruction" du site à fin "hydromorphologique" (chacun sait que jargonner est un moyen d'endormir l'esprit critique et de tuer le débat démocratique). Appelons la destruction par son nom au lieu de l'euphémiser : si les gains écologiques et paysagers sont si énormes, si évidents, les gens ne pourront qu'approuver. Il est assez extraordinaire que le Syndicat "découvre" au moment de l'enquête publique que les 2/3 des habitants du village sont hostiles à la disparition du site.
- pour mettre les choses en perspective, rappelons que plus de 300 ouvrages hydrauliques sont classés en rivières liste 2 (obligation de mise en conformité à la continuité écologique) dans l'Yonne, et sensiblement le même nombre dans la Côte d'Or, avec théoriquement une échéance d'aménagement d'ici la fin 2017. Ce n'est donc pas une opération anodine et isolée, mais un programme systématique menant soit à la casse du patrimoine (choix majoritaire à ce jour dans les chantiers du Syndicat de l'Armançon) soit à l'obligation de mettre partout des passes à poissons (non ou très peu financées publiquement). Les citoyens considèrent-ils vraiment que ce programme est d'intérêt général? Leur a-t-on expliqué (et démontré) le bénéfice écologique concret (et pas théorique) associé à ces destructions et à la dépense d'argent public impliquée? Savent-ils que le plus grand barrage de l'Armançon (Pont-et-Massène, 20 m de hauteur), ayant lui des effets réels sur les poissons, les sédiments, le débit et la température, n'a aucune obligation ni projet de continuité écologique (alors que VNF a dépensé 15 millions d'euros pour moderniser son déversoir de crue)?
- Hydrauxois a écrit à la Ministre de l'Environnement pour faire respecter le moratoire sur les effacements problématiques d'ouvrages, le collectif de riverains de Perrigny-sur-Armançon a fait de même. Le cas est similaire à Tonnerre, avec trois associations refusant la casse du patrimoine de la ville et un collectif de 130 riverains s'apprêtant à saisir la Ministre. Nous avons par ailleurs commencé une campagne estivale d'information des parlementaires à ce sujet et alerté les services administratifs sur ce que nous estimons être des manquements réglementaires dans les dossiers déposés. La réforme de continuité écologique fonce dans le mur tant qu'elle se coupera des citoyens, qu'elle refusera la concertation systématique avec les représentants associatifs et les riverains, qu'elle bâclera l'analyse coût-avantage et l'estimation des bénéfices écologiques réels, qu'elle privilégiera des destructions irrémédiables du patrimoine, du paysage et du potentiel énergétique de nos rivières.
Illustration : le seuil (ou chaussée) de Perrigny-sur-Armançon, photographie Linet Andrea, tous droits réservés.
Éric Coquille (maire du village et président du Syndicat de l'Armançon, ex-Sirtava) a déclaré : «Il s'agit d'un ouvrage privé. Il appartient à son propriétaire de gérer son patrimoine. Il a sollicité le Syndicat pour une déconstruction raisonnée de ce barrage (…) Pour l'instant, nous n'avons pas le retour de l'enquête publique qui vient de se terminer, mais nous avons vu qu'il y a eu une forte mobilisation, ce qui est heureux en soi. Il y a plusieurs angles de vue qu'il est important d'avoir. D'un point de vue environnemental, il est nécessaire de restaurer la fonction naturelle du cours d'eau. D'un point de vue patrimonial, c'est au propriétaire de décider. Il est important que le dialogue s'installe.»
Quelques observations à ce sujet :
- un propriétaire n'est pas libre de faire ce qu'il veut avec les écoulements de la rivière, qu'il s'agisse de la construction, de la destruction ou de la modification d'un ouvrage. Dans tous les cas, les droits des tiers et la protection des milieux doivent être garantis. Certains gestionnaires, pétris de la croyance qu'ils agissent forcément "pour le bien de la rivière", ont du mal à concevoir que la destruction d'un ouvrage est un chantier ayant des conséquences tant écologiques qu'hydrologiques, patrimoniales et paysagères dont il n'est pas garanti qu'elles seront bonnes. Il est assez établi dans la littérature scientifique que ces opérations ont parfois des effets écologiques nuls, voire négatifs : continuer à le nier, ne pas ausculter le détail des effets attendus par l'effacement et ne pas prévoir une analyse avant / après sur la base d'indicateurs fiables, cela devient du dogme ;
- nous vérifierons au cours de l'été (à Perrigny comme sur les autres projets de destruction) que le propriétaire a été correctement informé par le syndicat avant de signer une convention de délégation de maîtrise d'ouvrage. En effet, le maître d'ouvrage perd le droit d'eau de son moulin (qui devient une simple maison en zone inondable) et donc une certaine valeur foncière, court parfois des risques géotechniques dont il faut garantir l'absence sur les parties usuellement en eau du bien, engage sa responsabilité en cas de problèmes futurs avec des tiers ou des biens riverains liés aux changements d'écoulement. De même, on a déjà vu le Syndicat de l'Armançon brandir des études totalement fantaisistes dans le passé (par exemple passe à anguilles estimée par le BE Cariçaie à 300.000 euros pour moins d'un mètre de chute) et il convient de vérifier que le même procédé n'a pas été utilisé ici pour faire peur. Un consentement ne vaut que s'il découle d'une information complète et non biaisée ;
- le président du Syndicat de l'Armançon parle de "plusieurs angles de vue" et de "dialogue". Nous regrettons que ces échanges se tiennent au dernier moment de l'enquête publique, au cours de l'été, moins de deux mois avant le projet de destruction. Tout projet d'effacement a un comité de pilotage, dès la phase diagnostique. Si le Syndicat de l'Armançon souhaite réellement que plusieurs voix se fassent entendre, il doit convier à chaque fois dans ce comité de pilotage des associations (non limitées aux pêcheurs), des représentants des riverains du plan d'eau ou du barrage, des usagers (notamment propriétaires de parcelles agricoles amont bénéficiant de la rehausse de nappe), les services administratifs en charge de la culture, etc. De la même manière, les réunions publiques doivent être organisée sur la base d'une communication directe et franche. Demander aux gens "voulez-vous faire disparaître le barrage et son plan d'eau" mobilisera davantage le "dialogue" et les "angles de vue" qu'un propos abstrait sur la "déconstruction" du site à fin "hydromorphologique" (chacun sait que jargonner est un moyen d'endormir l'esprit critique et de tuer le débat démocratique). Appelons la destruction par son nom au lieu de l'euphémiser : si les gains écologiques et paysagers sont si énormes, si évidents, les gens ne pourront qu'approuver. Il est assez extraordinaire que le Syndicat "découvre" au moment de l'enquête publique que les 2/3 des habitants du village sont hostiles à la disparition du site.
- pour mettre les choses en perspective, rappelons que plus de 300 ouvrages hydrauliques sont classés en rivières liste 2 (obligation de mise en conformité à la continuité écologique) dans l'Yonne, et sensiblement le même nombre dans la Côte d'Or, avec théoriquement une échéance d'aménagement d'ici la fin 2017. Ce n'est donc pas une opération anodine et isolée, mais un programme systématique menant soit à la casse du patrimoine (choix majoritaire à ce jour dans les chantiers du Syndicat de l'Armançon) soit à l'obligation de mettre partout des passes à poissons (non ou très peu financées publiquement). Les citoyens considèrent-ils vraiment que ce programme est d'intérêt général? Leur a-t-on expliqué (et démontré) le bénéfice écologique concret (et pas théorique) associé à ces destructions et à la dépense d'argent public impliquée? Savent-ils que le plus grand barrage de l'Armançon (Pont-et-Massène, 20 m de hauteur), ayant lui des effets réels sur les poissons, les sédiments, le débit et la température, n'a aucune obligation ni projet de continuité écologique (alors que VNF a dépensé 15 millions d'euros pour moderniser son déversoir de crue)?
- Hydrauxois a écrit à la Ministre de l'Environnement pour faire respecter le moratoire sur les effacements problématiques d'ouvrages, le collectif de riverains de Perrigny-sur-Armançon a fait de même. Le cas est similaire à Tonnerre, avec trois associations refusant la casse du patrimoine de la ville et un collectif de 130 riverains s'apprêtant à saisir la Ministre. Nous avons par ailleurs commencé une campagne estivale d'information des parlementaires à ce sujet et alerté les services administratifs sur ce que nous estimons être des manquements réglementaires dans les dossiers déposés. La réforme de continuité écologique fonce dans le mur tant qu'elle se coupera des citoyens, qu'elle refusera la concertation systématique avec les représentants associatifs et les riverains, qu'elle bâclera l'analyse coût-avantage et l'estimation des bénéfices écologiques réels, qu'elle privilégiera des destructions irrémédiables du patrimoine, du paysage et du potentiel énergétique de nos rivières.
Illustration : le seuil (ou chaussée) de Perrigny-sur-Armançon, photographie Linet Andrea, tous droits réservés.
19/07/2016
OCDE : critiques de la politique française de l'environnement
En 2015, plusieurs rapports indépendants avaient déjà critiqué assez vertement la politique française de l'eau et de l'environnement. L'OCDE vient de procéder à un semblable examen de nos choix publics environnementaux, avec des conclusions similaires. Extraits choisis dans le domaine de l'eau, de l'énergie renouvelable et de la concertation démocratique, assortis de quelques commentaires en lien à nos luttes associatives.
Energie renouvelable : l'objectif de 23% en 2020 peu probable
"L’économie française est l’une des plus sobres en carbone parmi les pays de l’OCDE. Cela est dû à la prépondérance du nucléaire dans le mix énergétique (graphique 1) : en 2014, l’énergie nucléaire représentait près de la moitié de l’approvisionnement total en énergie primaire (ATEP) et plus des trois quarts de la production d’électricité. Les énergies renouvelables ne représentaient que 9 % de l’ATEP et 16 % de la production d’électricité, une faible performance comparée à la moyenne des pays européens membres de l’OCDE (13 % et 31 % respectivement) (AIE, 2015). L’objectif de la France d’atteindre 23 % de renouvelables dans sa consommation finale brute d’énergie d’ici 2020, en application de la directive européenne afférente (2009/28/CE), sera difficile à atteindre."
Commentaire : dans le domaine de l'hydro-électricité, qui reste la première des énergies renouvelables et la mieux adaptée pour compenser la fatalité de certaines autres sources d'énergie, les normes environnementales de plus en plus complexes, lourdes et imprévisibles tendant à décourager les porteurs de projet. La France va plus loin dans l'absurde en détruisant les seuils et barrages d'anciens moulins et usines à eau, qui sont autant de sources potentielles d'énergie hydraulique (environ 80.000 sites exploitables).
Pesticides : l'un des plus gros consommateurs au monde
"La France est le premier producteur agricole de l’UE. Sa production a légèrement diminué depuis 2000. Les excédents d’éléments nutritifs (azote et phosphore) ont également baissé. En revanche, l’usage des pesticides a augmenté, faisant de la France l’un des plus gros consommateurs de produits phytosanitaires du monde. L’utilisation de ces produits est liée au type de productions (vignes et arboriculture), à la hausse des surfaces en grandes cultures au détriment des surfaces en herbe et aux conditions climatiques. L’objectif de réduire leur usage de moitié entre 2008 et 2018 ne sera pas atteint, et a été repoussé à 2025 (graphique 1). La présence de pesticides dans les cours d’eau et les nappes phréatiques est préoccupante et la situation a peu évolué depuis 2000. Ces produits contaminent également l’air et les sols, pour lesquels les mesures de contrôle sont insuffisantes."
Commentaire : dans les pays d'Europe occidentale, l'usage agricole des sols du bassin versant est le premier prédicteur de la qualité de l'eau des rivières, lacs, étangs et nappes, ainsi que de la qualité des bio-indicateurs des milieux aquatiques. Ce fait est aussi largement reconnu dans la littérature scientifique qu'il est minoré dans le discours de certains gestionnaires de rivière. Certains affirment sans rire que la destruction de moulins centenaires pourrait "auto-épurer" la rivière de ses pollutions, ce qui dit assez notre incapacité à regarder les réalités en face.
Ressource hydrique : certains zones déjà stressées
"La France subit un stress hydrique modéré, mais la ressource en eau se raréfie dans certains territoires et les étiages s’aggravent dans le sud du pays. Les prélèvements d’eau ont décru depuis 2000."
Commentaire : le changement climatique promet une amplification des phénomènes extrêmes, dont les sécheresses et étiages sévères associés (mais aussi les crues). Casser les outils de régulation locale des niveaux d'eau (seuils, barrages, digues, retenues, canaux, biefs) est un manque élémentaire de prudence, alors que tout le monde se gargarise du principe de précaution.
DCE 2000 : retard sur les objectifs
"La pollution des cours d’eau par les matières organiques et phosphorées a diminué grâce notamment à une réglementation plus contraignante et aux progrès de l’assainissement, mais la pollution par les nitrates et les pesticides perdure. Comme beaucoup de pays européens, la France a demandé des reports de délais (à échéance 2021), se voyant dans l’incapacité d’atteindre l’objectif de bon état des eaux fixé pour 2015 par la Directive-cadre sur l’eau."
Commentaire : dans le cas des nitrates, la France est déjà en retard sur ses objectifs de… 1991 (directive européenne). Personne ne croit sérieusement que les masses d'eau françaises seront à 100% en bon état écologique et chimique d'ici 2027. Faire du faux-semblant et de l'invraisemblable la base du discours public, c'est renforcer la défiance et la désintérêt des citoyens.
Démocratie de l'environnement : problème de représentativité
"Le Grenelle de l’environnement a été un moment fort de la démocratie environnementale en France. Il a fondé le modèle de la « gouvernance à cinq », qui associe l’État, les élus, les entreprises, les syndicats et les organisations non gouvernementales (ONG), et il a directement impliqué les citoyens dans le processus à travers des débats locaux et des consultations sur internet. Sa démarche a été reprise dans le cadre des conférences environnementales annuelles et elle est institutionnalisée par le Conseil national de la transition écologique (CNTE). Cependant, lors du Grenelle comme aujourd’hui, la représentativité des participants pose question. Les syndicats et les ONG ont moins la capacité d’être systématiquement présents, et leur présence ne suffit pas à garantir la représentativité de la société civile (Gossement, 2013). Le renforcement du dialogue social environnemental reste une priorité en France, notamment suite à des mouvements de contestation qui ont ébranlé la politique du gouvernement. La consultation du public concernant les plans, programmes et projets intervient trop tard, à un stade auquel le projet ne peut pas être remis en question et où seuls des changements marginaux peuvent être apportés (AE, 2015 ; Duport, 2015)."
Commentaire : la France ne paraît pas capable de sortir de la gouvernance balisée, centralisée, autoritaire et limitée à des "happy few" qui caractérise son exercice du pouvoir, en particulier son idéologie administrative. Quant à la contestation écologiste des "projets inutiles", si audible à Sivens ou Notre-Dame-des-Landes, on attend toujours sa mobilisation sur les milliers de pelleteuses en rivière que promet la réforme de continuité soi-disant "écologique". Curieusement, certains lobbies hypersubventionnés qui participent à la concertation gouvernementale "officielle" ne trouvent rien à redire au gâchis d'argent public quand il s'agit de casser des moulins et de vider des étangs sans la moindre analyse sérieuse sur le bilan réel en biodiversité et sans écoute des gens voulant préserver leur cadre de vie.
Conclusion
Le destin d'un rapport émanant d'une instance technocratique pour critiquer la politique d'une autre instance technocratique est d'être conjointement et prudemment enfermé dans les tiroirs des technocraties concernées. Il est à craindre que le rapport OCDE 2016 suive cette trajectoire de moindre remous. Qui se souvient que les rapports Lesage 2013 et Levraut 2013 avaient pointé les graves défaillances de la politique de française de l'eau? Qui se souvient que la Cour des comptes avait vertement critiqué l'Onema en 2013 et les Agences de l'eau en 2015? Qui se souvient que la Commission européenne avait pointé les insuffisances du rapportage sur l'eau en 2012 et de nouveau en 2015? L'administration, qui est prompte à considérer la sanction comme le seul moyen de modifier le comportement des administrés, répugne curieusement à appliquer le même principe à ses propres insuffisances, échecs ou retards. Quand certaines institutions dérivent dans une indifférence atavique aux critiques et une incapacité manifeste à la réforme, il reste aux citoyens le recours aux luttes démocratiques de terrain.
Référence : OCDE (2016), Examens environnementaux de l’OCDE : France 2016, éditions OCDE.
Energie renouvelable : l'objectif de 23% en 2020 peu probable
"L’économie française est l’une des plus sobres en carbone parmi les pays de l’OCDE. Cela est dû à la prépondérance du nucléaire dans le mix énergétique (graphique 1) : en 2014, l’énergie nucléaire représentait près de la moitié de l’approvisionnement total en énergie primaire (ATEP) et plus des trois quarts de la production d’électricité. Les énergies renouvelables ne représentaient que 9 % de l’ATEP et 16 % de la production d’électricité, une faible performance comparée à la moyenne des pays européens membres de l’OCDE (13 % et 31 % respectivement) (AIE, 2015). L’objectif de la France d’atteindre 23 % de renouvelables dans sa consommation finale brute d’énergie d’ici 2020, en application de la directive européenne afférente (2009/28/CE), sera difficile à atteindre."
Commentaire : dans le domaine de l'hydro-électricité, qui reste la première des énergies renouvelables et la mieux adaptée pour compenser la fatalité de certaines autres sources d'énergie, les normes environnementales de plus en plus complexes, lourdes et imprévisibles tendant à décourager les porteurs de projet. La France va plus loin dans l'absurde en détruisant les seuils et barrages d'anciens moulins et usines à eau, qui sont autant de sources potentielles d'énergie hydraulique (environ 80.000 sites exploitables).
Pesticides : l'un des plus gros consommateurs au monde
"La France est le premier producteur agricole de l’UE. Sa production a légèrement diminué depuis 2000. Les excédents d’éléments nutritifs (azote et phosphore) ont également baissé. En revanche, l’usage des pesticides a augmenté, faisant de la France l’un des plus gros consommateurs de produits phytosanitaires du monde. L’utilisation de ces produits est liée au type de productions (vignes et arboriculture), à la hausse des surfaces en grandes cultures au détriment des surfaces en herbe et aux conditions climatiques. L’objectif de réduire leur usage de moitié entre 2008 et 2018 ne sera pas atteint, et a été repoussé à 2025 (graphique 1). La présence de pesticides dans les cours d’eau et les nappes phréatiques est préoccupante et la situation a peu évolué depuis 2000. Ces produits contaminent également l’air et les sols, pour lesquels les mesures de contrôle sont insuffisantes."
Commentaire : dans les pays d'Europe occidentale, l'usage agricole des sols du bassin versant est le premier prédicteur de la qualité de l'eau des rivières, lacs, étangs et nappes, ainsi que de la qualité des bio-indicateurs des milieux aquatiques. Ce fait est aussi largement reconnu dans la littérature scientifique qu'il est minoré dans le discours de certains gestionnaires de rivière. Certains affirment sans rire que la destruction de moulins centenaires pourrait "auto-épurer" la rivière de ses pollutions, ce qui dit assez notre incapacité à regarder les réalités en face.
Ressource hydrique : certains zones déjà stressées
"La France subit un stress hydrique modéré, mais la ressource en eau se raréfie dans certains territoires et les étiages s’aggravent dans le sud du pays. Les prélèvements d’eau ont décru depuis 2000."
Commentaire : le changement climatique promet une amplification des phénomènes extrêmes, dont les sécheresses et étiages sévères associés (mais aussi les crues). Casser les outils de régulation locale des niveaux d'eau (seuils, barrages, digues, retenues, canaux, biefs) est un manque élémentaire de prudence, alors que tout le monde se gargarise du principe de précaution.
DCE 2000 : retard sur les objectifs
"La pollution des cours d’eau par les matières organiques et phosphorées a diminué grâce notamment à une réglementation plus contraignante et aux progrès de l’assainissement, mais la pollution par les nitrates et les pesticides perdure. Comme beaucoup de pays européens, la France a demandé des reports de délais (à échéance 2021), se voyant dans l’incapacité d’atteindre l’objectif de bon état des eaux fixé pour 2015 par la Directive-cadre sur l’eau."
Commentaire : dans le cas des nitrates, la France est déjà en retard sur ses objectifs de… 1991 (directive européenne). Personne ne croit sérieusement que les masses d'eau françaises seront à 100% en bon état écologique et chimique d'ici 2027. Faire du faux-semblant et de l'invraisemblable la base du discours public, c'est renforcer la défiance et la désintérêt des citoyens.
Démocratie de l'environnement : problème de représentativité
"Le Grenelle de l’environnement a été un moment fort de la démocratie environnementale en France. Il a fondé le modèle de la « gouvernance à cinq », qui associe l’État, les élus, les entreprises, les syndicats et les organisations non gouvernementales (ONG), et il a directement impliqué les citoyens dans le processus à travers des débats locaux et des consultations sur internet. Sa démarche a été reprise dans le cadre des conférences environnementales annuelles et elle est institutionnalisée par le Conseil national de la transition écologique (CNTE). Cependant, lors du Grenelle comme aujourd’hui, la représentativité des participants pose question. Les syndicats et les ONG ont moins la capacité d’être systématiquement présents, et leur présence ne suffit pas à garantir la représentativité de la société civile (Gossement, 2013). Le renforcement du dialogue social environnemental reste une priorité en France, notamment suite à des mouvements de contestation qui ont ébranlé la politique du gouvernement. La consultation du public concernant les plans, programmes et projets intervient trop tard, à un stade auquel le projet ne peut pas être remis en question et où seuls des changements marginaux peuvent être apportés (AE, 2015 ; Duport, 2015)."
Commentaire : la France ne paraît pas capable de sortir de la gouvernance balisée, centralisée, autoritaire et limitée à des "happy few" qui caractérise son exercice du pouvoir, en particulier son idéologie administrative. Quant à la contestation écologiste des "projets inutiles", si audible à Sivens ou Notre-Dame-des-Landes, on attend toujours sa mobilisation sur les milliers de pelleteuses en rivière que promet la réforme de continuité soi-disant "écologique". Curieusement, certains lobbies hypersubventionnés qui participent à la concertation gouvernementale "officielle" ne trouvent rien à redire au gâchis d'argent public quand il s'agit de casser des moulins et de vider des étangs sans la moindre analyse sérieuse sur le bilan réel en biodiversité et sans écoute des gens voulant préserver leur cadre de vie.
Conclusion
Le destin d'un rapport émanant d'une instance technocratique pour critiquer la politique d'une autre instance technocratique est d'être conjointement et prudemment enfermé dans les tiroirs des technocraties concernées. Il est à craindre que le rapport OCDE 2016 suive cette trajectoire de moindre remous. Qui se souvient que les rapports Lesage 2013 et Levraut 2013 avaient pointé les graves défaillances de la politique de française de l'eau? Qui se souvient que la Cour des comptes avait vertement critiqué l'Onema en 2013 et les Agences de l'eau en 2015? Qui se souvient que la Commission européenne avait pointé les insuffisances du rapportage sur l'eau en 2012 et de nouveau en 2015? L'administration, qui est prompte à considérer la sanction comme le seul moyen de modifier le comportement des administrés, répugne curieusement à appliquer le même principe à ses propres insuffisances, échecs ou retards. Quand certaines institutions dérivent dans une indifférence atavique aux critiques et une incapacité manifeste à la réforme, il reste aux citoyens le recours aux luttes démocratiques de terrain.
Référence : OCDE (2016), Examens environnementaux de l’OCDE : France 2016, éditions OCDE.
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