Le séminaire avait pour objectif de former les gestionnaires des SAGE en vue de coordonner les attentes publiques sur le climat, la trame verte et bleue, l'eau et les milieux aquatiques. Le nom de l'auteure de cette conférence (téléchargeable ici) vous est peut-être familier: il s'agit de la même représentante de l'Etat qui appelait en 2010 à "encercler les récalcitrants" pour mieux effacer 90% des ouvrages "sans usage" de nos rivières (voir cet article). Au moins observe-t-on une certaine constance: aujourd'hui comme hier, on appelle à détruire.
Les politiques publiques sont synthétisées dans cette diapositive ci-dessus, qui aurait plu à Courteline (voire à Orwell). On y retrouve l'énumération des sigles fort peu compréhensibles aux citoyens, émiettant l'action publique dans toutes sortes de "stratégies", "schémas", "planifications". L'administration y exprime sa manie de multiplier les boites rassurantes, sans que cette profusion se traduise par des avancées importantes dans le bon état chimique et écologique des masses d'eau ni au demeurant dans le rythme de progression des énergies renouvelables au sein du mix énergétique (voir par exemple notre article sur le greensplashing et le grand désordre de la politique de l'eau ; la récente analyse de l'OCDE sur les choix et résultats français en matière d'environnement; les nombreuses critiques venues de l'Europe sur notre politique de l'eau).
Quand on observe le sens des flèches dans le schéma ci-dessus, on comprend que la politique de l'eau, du climat, de la biodiversité est déclinée de manière autoritaire et verticale du plan européen au plan local : le citoyen qui la subit, bien loin d'avoir la capacité d'émettre des idées, de partager des expériences ou de poser des recommandations, est déjà écrasé par quatre échelons de travail de bureau où tout a été décidé dans le moindre détail, l'enjeu final étant de multiplier des stratégies de communication pour limiter la friction dans la machine (de fait, beaucoup de participants au séminaire ont parlé de cet angle, éduquer le citoyen au bonheur d'accepter les solutions technocratiques, dialoguer dans la limite de l'acceptation des objectifs et des moyens déjà posés, etc.)
La diapositive ci-dessus expose quelques arguments de fond de notre représentante de la DEB. Son contenu est assez navrant pour un séminaire à destination des gestionnaires (sur le fond, voir notamment cette idée reçue sur la question du réchauffement). Reprenons quelques éléments.
Rafraîchissement des eaux : quel est le différentiel de température, quel effet sur les organismes aquatiques, quelles espèces sensibles à la chaleur sur quels bassins? On ne sait pas. Certaines retenues peuvent rafraîchir l'eau de fond en été et pour parler d'eau "courante", encore faut-il que l'eau coure, ce qui n'est pas le cas dans toutes les rivières à l'étiage (et le sera de moins en moins en tendance sur certaines régions, vu le changement hydroclimatique en cours). Enfin, l'objectif d'eau toujours plus courante est contradictoire avec le reméandrage, qui ralentit l'écoulement.
Réduction d'évaporation : mêmes remarques que ci-dessus, les quelques estimations d'évaporation par retenues sur les bassins versants montrent des quantités négligeables par rapport au cycle hydrologique total et aux prélèvements quantitatifs de l'eau. On omet de signaler le caractère minime du bénéfice et d'évoquer le coût (social, économique, culturel, etc.) des solutions.
Capacité auto-épuratoire : ce mantra revient invariablement dans la communication du Ministère et de certains établissements publics, alors même que l'Irstea, l'Onema et l'Inra ont publié une expertise scientifique collective montrant qu'il n'est pas possible de tirer des assertions robustes de la recherche sur les retenues et qu'à tout prendre, cette recherche montre une épuration de l'azote et du phosphore à certaines conditions (voir aussi cette idée reçue sur l'épuration et ce travail français récent sur l'épuration des pesticides par les étangs). Le Ministère devrait s'inquiéter de ses résultats très perfectibles dans la lutte à la source contre les pollutions agricoles, industrielles et domestiques au lieu de fabriquer des cautères pour des jambes de bois.
Ralentissement écoulements : propos incompréhensible, puisque ce dernier point est clairement contradictoire des précédents.
Il y a ce que le Ministère dit et déforme, mais aussi ce qu'il ne dit pas sur le rôle des retenues (par seuil, digue, barrage) dans le changement climatique :
- possibilité de produire une énergie locale bas carbone,
- rôle de puits carbone (variable, à définir localement par un bilan biogéochimique),
- rôle de puits azote et phosphore (idem),
- zone refuge lors des étiages sévères,
- oxygénation aval dans le sillage de la chute (compense la perte dans le retenue),
- intérêt pour la biodiversité dans certains cas (inventaire nécessaire),
- soutien de nappe amont, plutôt précieux en situation de réchauffement,
- ralentissement de la cinétique de crue.
Quant à la diapositive suivante (ci-dessus), elle tire les conséquences logiques d'un diagnostic faussé : appel systématique à la "suppression des retenues", c'est-à-dire à la destruction des ouvrages.
Ce qui est quand même frappant, c'est le ton autoritaire et définitif de ces contenus. On pourrait avoir des messages (ô combien plus conformes à la réalité des conclusions de la recherche comme des échanges au bord des rivières) comme :
- les mécanismes sont complexes, nos connaissances encore lacunaires, la prudence s'impose ;
- en matière de biodiversité, l'examen au cas par cas doit être privilégié ;
- une politique fondée sur la preuve s'appuie d'abord sur des diagnostics écologiques complets de chaque rivière ;
- les rivières et les retenues n'ont pas que des enjeux écologiques ou énergétiques, d'autres angles doivent être intégrés dans une grille multi-critère (droit, culture, paysage, loisir)
- la question du changement climatique se pose à l'horizon du siècle, la remontée des espèces en altitude (moyenne = 13,7 m/décennie) et vers l'amont (moyenne = 0,6 km/décennie) conservant pour le moment des taux modestes ;
- l'effet thermique d'une retenue, s'il est négatif pour le milieu concerné, peut être atténué par diverses solutions (moine, contournement), voire géré dans un sens favorable (rejet hypolimnique frais compensant une canicule par exemple).
Hydro-électricité face au changement climatique ? Connaît pas
Sur la question eau-climat-énergie-continuité, un thème-clé sera absent de cette conférence (alors que plus de la moitié de la consommation finale française d'énergie est encore fossile, de sorte que la prévention du réchauffement reste une problématique de premier plan par rapport à l'adaptation): l'hydro-électricité.
Pourtant, cette hydro-électricité est la première énergie renouvelable du mix bas carbone français, et celle qui a le meilleur bilan carbone en région tempérée; elle conserve un bon potentiel de développement sur les rivières et les littoraux, en particulier sur plus de 50.000 ouvrages déjà existants (voir cette synthèse, voir cet article sur le taux d'équipement), mais cette évolution est impossible si, au nom d'une vision extrémiste de la continuité écologique, on continue d'effacer ces ouvrages qui incarnent le potentiel de développement énergétique.
La solution de bon sens serait de soutenir le développement de l'énergie hydraulique bas carbone (comme le font nos voisin belges, anglais, etc.) tout en aménageant les sites pour améliorer leurs fonctionnalités écologiques, mais le Ministère a choisi depuis 10 ans de décourager les petites productions et d'encourager la destruction du patrimoine hydraulique.
Surdité complète aux objections et contestations
La Direction de l'eau et de la biodiversité reste donc sourde aux objections et contestations que suscite sa politique. Des propos rassurants sont certes distillés dans les réponses toutes faites et toutes factices aux parlementaires (voir cet exemple en mai 2016 et cet exemple en août 2016), sans qu'ils se traduisent cependant dans la pratique administrative telle qu'elle est définie par l'autorité de tutelle des agents. Celle-ci reste soumise à des orientations incomplètes et idéologiques, conduisant à des solutions dogmatiques et radicales pour le cas des ouvrages hydrauliques.
La continuité écologique a soulevé une vive opposition depuis le PARCE 2009? Peu importe, on avance sans rien entendre. De nombreuses publications scientifiques sont parues au cours des années 2000 et 2010? On les ignore en sélectionnant certaines conclusions de certaines synthèses de l'Onema, synthèses qui sont elles-mêmes déjà souvent des versions filtrées des conclusions de la recherche.
"Un peu de bon sens et moins de dogmatisme", demandait récemment l'hydrobiologiste Christian Lévêque: on n'en prend pas le chemin.
Des outils existent... mais qui les emploie au juste pour fonder les choix sur la preuve et la donnée?
Ce ton platement dogmatique des orientations du Ministère en conclusion du séminaire est d'autant plus dommageable que dans les mêmes journées de formation, il y a eu des interventions plutôt intéressantes: les outils scientifiques d'analyses de la connectivité par Kris Van Looy, Thierry Tormos et Sylvie Vanpeene (Onema, Irstea), les référentiels de diagostics par Karl Kreuzenberger (Onema), les analyses génétiques en lien à la franchissabilité de Simon Blanchet (Cnrs), cette dernière présentation étant très mesurée (voir les travaux des chercheurs sur le Célé et le Viaur).
Hélas, entre ces présentations de "pointe", ce que dit la direction de l'eau et de la biodiversité, ce que font les syndicats, parcs et EPTB sur le terrain, il y a un fossé, et parfois un gouffre. Assez typiquement, pourquoi les contrats de millions à dizaines de millions d'euros signés entre l'Agence de l'eau et les établissements gérant nos rivières (SICEC sur la Seine, Syndicat du Serein, Syndicat de l'Armançon, Parc du Morvan sur Yonne-Cure-Cousin) n'incluent pas une obligation préalable d'attribuer une partie des fonds à la mobilisation des outils présentés lors du séminaire, afin de faire de vrais diagnostics sur les pressions, les ruptures de connectivité, les priorités? Au lieu de cela, on dépense l'argent au cas par cas pour des bureaux d'études dont les travaux n'enrichissent pas vraiment le socle de connaissance commune de manière durable et n'exploitent pas de manière cohérente tous les référentiels disponibles à échelle station, tronçon et bassin (voir cet article sur le diagnostic écologique des rivières que nous attendons).
Conclusion
Une politique de l'eau, en particulier une politique de continuité écologique, se condamne à l'échec si les responsables de l'action publique au plan national persistent à adopter des argumentations aussi partiales que partielles et à imprimer des orientations aussi radicales. Il est tout à fait possible d'améliorer certains effets écologiques négatifs des ouvrages, mais aussi de les faire participer à la lutte contre le changement climatique: ce n'est pas en commençant par braquer tout le monde avec le dogme de l'effacement du maximum d'entre eux que l'on y parviendra. Que les fonctionnaires de la DEB ne le comprennent toujours pas en 2016 indique une très inquiétante incapacité à tenir compte de la réalité. Mais soyons-en sûr, celle-ci se rappellera à leur bon souvenir.